Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 1er juillet 2020, n° 18/01654

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 6 - ch. 6, 1er juill. 2020, n° 18/01654
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 18/01654
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Bobigny, 6 décembre 2017, N° 16/00330
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 6

ARRET DU 01 JUILLET 2020

(n°2020/ , 2 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/01654 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B46PS

Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Décembre 2017 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOBIGNY – RG n° 16/00330

APPELANT

Monsieur X Y

[…]

Représenté par Me Anne CHAUSSADE de l’AARPI M2A AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : R067

INTIMEE

SASU ANDREA MERZARIO

[…]

N° SIRET : 732 008 651

Représentée par Me Stéphane FERTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0075

COMPOSITION DE LA COUR :

En application :

— de l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 ;

— de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété, notamment ses articles 1er et 8 ;

— de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 modifiée relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période ;

L’affaire a été retenue selon la procédure sans audience le 18 mai 2020, les avocats y ayant consenti

expressément ou ne s’y étant pas opposés dans le délai de 15 jours de la proposition qui leur a été faite de recourir à cette procédure ;

La cour composée comme suit en a délibéré :

Madame Anne BERARD, Présidente de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

Greffier : Madame Pauline MAHEUX

ARRET :

— contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Madame Anne BERARD, Présidente de chambre et par Madame Pauline MAHEUX, Greffière présente lors de la mise à disposition.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :

M. Y a été embauché le 4 septembre 1978 par la société Andrea Merzario en qualité d’employé de bureau. La société est spécialisée dans le secteur d’activité de l’affrètement et organisation des transports.

La convention collective nationale des transports routiers est applicable. La société compte plus de dix salariés.

Le ler juillet 1981 M. Y a été nommé chef de service trafic maritime, position cadre, puis directeur à compter du ler février 1991.

M. Y a exercé les fonctions de président directeur général de la société du 30 juin 2006 au 30 mai 2012.

La société Lysinvest, groupe Lyseo, a acquis la société Andrea Merzario ; un nouveau contrat de travail a été signé avec M. Y le 30 mai 2012, lui confiant les fonctions de directeur salarié.

Par courrier recommandé avec avis de réception du 9 novembre 2015, M. Y a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable à un licenciement. L’entretien a eu lieu le 20 novembre.

Par courrier recommandé avec avis de réception du ler décembre 2015,la société Andrea Merzario a notifié à M. Y son licenciement pour faute grave.

M. Y a saisi le conseil de prud’homme de Bobigny le 27 janvier 2016 pour contester le licenciement et demander des indemnités de rupture.

Par jugement du 07 décembre 2017 le conseil de prud’hommes a :

Débouté M. Y de l’ensemble de ses demandes.

Débouté la société Andrea Merzario de sa demande reconventionnelle.

Condamné M. Y aux dépens.

M. Y a formé appel le 15 janvier 2018, précisant les chefs contestés.

Dans ses conclusions déposées au greffe et signifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 12 février 2020 auxquelles la cour fait expressément référence M. Y demande à la cour de :

— Infirmer le jugement rendu le 7 décembre 2017 par le conseil de prud’hommes de Bobigny en ce qu’il a débouté M. Y de l’ensemble de ses demandes et l’a condamné aux dépens.

Et statuant à nouveau :

— dire et juger que le licenciement ne repose sur aucune faute grave ni même sur aucune cause réelle et sérieuse ;

— condamner la société Andrea Merzario au versement des sommes suivantes :

. indemnité conventionnelle de licenciement : 179 613, 90 euros bruts ;

. indemnité compensatrice de préavis : 37 053 euros bruts ;

. congés payés afférents : 3 705,30 euros bruts ;

. dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 300 000 euros nets

. article 700 du code de procédure civile : 3 000 euros ;

Fixer les intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes de Bobigny ;

— condamner la société Andrea Merzario aux entiers dépens.

Dans ses conclusions déposées au greffe et signifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 17 février 2020 auxquelles la cour fait expressément référence la société Andrea Merzario demande à la cour de:

A titre principal,

Dire et juger non-prescrits les griefs invoqués dans la lettre de licenciement,

Dire et juger que la société Andrea Merzario a justifié de l’ensemble des griefs invoqués dans la lettre de licenciement,

Dire et juger que le licenciement prononcé à l’encontre de M. Y repose sur une faute grave, En conséquence,

Confirmer le jugement rendu par la conseil de prud’hommes de Bobigny le 7 décembre 2017 en ce qu’il a débouté M. Y de ses demandes,

A titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la cour infirmerait le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Bobigny le 7 décembre 2017,

Constater que le contrat de travail de M. Y a été suspendu du fait du cumul avec un mandat social à compter du 1er février 1991,

Constater qu’à compter du 30 juin 2006, M. Y a occupé les fonctions de président directeur général,

En conséquence,

Réduire l’ancienneté acquise à 15 ans pour la période du 4 septembre 1978 au 30 juin 1991, puis à celle du 1er juin 2012 au 1erdécembre 2015,

Constater que la moyenne des salaires est de 11 754 euros,

Ramener les sommes dues au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et l’indemnité de licenciement, et le cas échéant, les dommages intérêts pour cause réelle et sérieuse, à de plus justes proportions,

Prendre acte de ce que M. Y a perçu la somme de 4,5 millions d’euros au titre de la vente de ses actions, dans l’évaluation d’un éventuel préjudice,

Condamner M. Y à payer la somme de 4 000 euros à la société Andrea Merzario au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 17 février 2020.

L’audience du 17 mars 2020 à laquelle cette affaire a été fixée n’a pu avoir lieu à la suite du confinement ordonné depuis le 16 mars 2020 et le déclenchement de l’état d’urgence sanitaire.

En application de l’article 8 de l’ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale prise en application de l’article 11-I-2° c) de la loi N°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, la cour a décidé de prendre l’affaire selon la procédure sans audience et en a informé les parties par courriel en date du 10 mai 2020.

Par bulletins en date du 12 mai 2020 les conseils des parties ont déclaré ne pas s’y opposer.

L’affaire a été mise en délibéré au 1er juillet 2020.

MOTIFS :

Sur le licenciement

La faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Elle implique une réaction de l’employeur dans un délai bref à compter de la connaissance des faits reprochés au salarié.

En application des articles L1232-1 et L 1235-1 du code du travail dans leur rédaction applicable en l’espèce, l’administration de la preuve du caractère réel et donc existant des faits reprochés et de leur importance suffisante pour nuire au bon fonctionnement de l’entreprise et justifier le licenciement du salarié, n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et, au besoin, après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute persiste, il profite au salarié.

En revanche la charge de la preuve de la qualification de faute grave des faits reprochés, pèse sur l’employeur.

En application des articles L1232-1 et L1235-3 du code du travail dans leur rédaction applicable à l’espèce, la cour, à qui il appartient de qualifier les faits invoqués et qui constate l’absence de faute grave, doit vérifier s’ils ne sont pas tout au moins constitutifs d’une faute de nature à conférer une cause réelle et sérieuse au licenciement.

La lettre de licenciement du 1er décembre 2015, qui fige l’objet du litige, reproche à M. Y un défaut de direction de la société, en considération de sa qualité de directeur, et précise sur quatre pages les nombreux griefs :

— l’absence de défense des intérêts de la société après le départ de deux salariés pour créer une entreprise concurrente,

— des carences graves dans la gestion des comptes de l’entreprise,

— un défaut manifeste de mise en oeuvre des procédures groupe,

— l’absence de suivi des comptes clients, notamment d’une société cliente placée en liquidation judiciaire,

— une inexécution manifeste des fonctions sur le plan commercial, une absence de suivi des commerciaux, un défaut d’appui technique au service export maritime Lyseo, une absence de réponse à des clients,

— une absence de suivi du site du Havre,

— une absence de traitement des questions sociales, notamment de réunion des délégués du personnel.

Le capital de la société Andrea Merzario a été cédé à la société Lysinvest, du groupe Lyseo, le 30 mai 2012. M. Y, qui en était le dirigeant social, a alors conclu un nouveau contrat de travail qui lui a confié les fonctions de directeur salarié, catégorie cadre dirigeant, pour assurer la direction de l’entreprise dans tous les domaines. Un avenant a été signé le même jour pour prévoir une indemnité contractuelle de rupture spécifique en cas de licenciement intervenant avant le 29 mai 2015. M. Y exerçait ses fonctions sur le site de […].

M. Y conteste l’ensemble des griefs et invoque pour certains d’entre eux la prescription des faits reprochés.

L’article L.1332-4 du code du travail dispose qu’aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.

Deux salariés ont quitté la société Adrea Merzario le 30 avril 2013 pour créer leur propre structure concurrente. Il est reproché à M. Y de ne pas avoir pris de mesure suffisante pour préserver les intérêts de la société. Ce comportement consiste en une carence qui s’est poursuivie au delà de la date de départ des salariés et ainsi n’est pas atteint par la prescription.

M. Y justifie qu’un avocat a été saisi de la question dès le mois de mai 2013, qui a interpellé l’ancienne salariée devenue gérante de la société concurrente. Par la suite, la société Modelabs, qui avait cessé ses relations commerciales avec la société Andrea Merzario au profit de la société concurrente, a fait l’objet d’une assignation devant le tribunal de commerce de Lille le 23 juillet 2015. Les éléments versés aux débats ne permettent pas de déterminer qui a été à l’origine de cette action, mais il doit être relevé que l’avocat intervenu est le même que celui qui avait adressé le courrier à l’ancienne salariée. L’absence de réaction de M. Y pour défendre les intérêts de la société n’est

pas caractérisée.

Des difficultés comptables ont été révélées à l’occasion de l’absence pour maladie du directeur administratif et financier de la société Andrea Merzario. Ce salarié a fait l’objet d’un licenciement prononcé le 30 décembre 2014.

Les conclusions de l’audit comptable du 29 octobre 2014 ont été adressées le 12 novembre 2014 à M. Y et à M. F, président de la société Lysinvest devenue actionnaire de la société Andrea Merzario. Elles font état d’une situation comptable particulièrement grave et préoccupante, en raison de défaillances consécutives à un nouveau logiciel. Le commissaire aux comptes indique que des régularisations doivent intervenir et que les salariés de l’entreprise doivent être formés sur le logiciel.

L’employeur a ainsi été avisé de la situation de la comptabilité de l’entreprise dès le 12 novembre 2014 et aurait dû mettre en oeuvre une procédure disciplinaire dans le délai de deux mois s’il estimait que les faits justifiaient une sanction à l’encontre de M. Y. Les faits antérieurs à cette date sont atteints par la prescription et ne peuvent pas être pris en compte. Aucun fait postérieur relatif aux comptes de la société n’est démontré par l’intimée.

L’employeur fait grief à M. Y un défaut manifeste de mise en oeuvre des procédures groupe, précisant que :

— les booking de l’agence du Havre étaient toujours faits par les commerciaux et non par l’exploitation ;

— les taux 'fret et aérien’ qui devaient être envoyés toutes les quinzaines ne sont pas envoyés depuis le début du mois de janvier 2015 ;

— concernant l’activité depuis la Chine, la société Merzario continuait de faire appel à un tiers au détriment de la filiale chinoise du groupe Lyseo ;

— rien n’avait été entrepris pour assurer la migration de l’activité de la société Merzario sur le logiciel Odusseus utilisé par les autres sociétés du groupe, son inertie apparaissant même volontaire.

La consigne que les opérations de booking, c’est à dire le placement des réservations de fret maritime, soit effectuées par les agents d’exploitation et non par les commerciaux a été donnée par mail du 23 avril 2015. M. Y a alors répondu que les commerciaux pouvaient être amenés à lancer eux-mêmes l’opération pour bloquer les places nécessaires, ce sur quoi il n’a pas été contredit par M. F, le président du groupe, qui a ensuite demandé que cela soit respecté 'autant que faire ce peut'. Le non-respect de cette consigne, de façon générale ou ponctuelle, n’est pas établi par les pièces versées aux débats.

Les échanges de mails produit par la société Andrea Merzario ne démontrent pas la réalité du grief de l’absence d’envoi des taux de fret. Dans un mail du 5 juin 2014 M. F a indiqué que M. Y faisait partie des personnes en charge d’adresser les taux de fret aux intervenants du groupe, sans qu’une régularité d’envoi ne soit prévue. Dans un message du 26 janvier 2015 adressé à plusieurs responsables du groupe, le manager de la filiale en Chine a demandé la mise en place d’un procédé d’informations régulières sur les situations des différentes entités. Le président, M. F, en a confié le suivi à une autre personne que M. Y, y compris pour l’activité de la société Andrea Merzario. M. Y n’était qu’en copie de ces échanges. Sa carence n’est pas démontrée.

Le grief de ne pas avoir fait appel à la filiale chinoise pour les opérations en provenance de Chine n’est pas établi. Le mail du 8 avril 2015 du président du groupe, M. F, relatif à cette question indique expressément qu’il n’y a rien d’anormal concernant ce point. L’attestation postérieure du responsable des achats maritimes indique qu’à la fin de l’année 2015 il n’avait pas constaté 'd’améliorations et de

développement précis dans la gestion des achats maritimes via les ports du Nord, particulièrement concernant les imports Asie', propos dont la généralité ne permet pas de démontrer que M. Y n’aurait pas fait appel à la filiale chinoise. Le grief n’est pas démontré.

Le grief de ne pas avoir assuré la migration des informations vers le logiciel utilisé par le groupe, n’est pas établi par l’intimée, les pièces produites n’étant pas probantes. Un document intitulé 'formation qualité 10 décembre 2014" ne comporte pas d’indication de ses destinataires et aucun élément ne démontre qu’elle a été dispensée aux salariés de la société Andrea Merzario. Le responsable qualité qui atteste à ce sujet ne précise pas plus quels ont été les bénéficiaires de cette formation. Un rapport intitulé 'audit préliminaire Merzario’ décrit sommairement certains procédés en place dans la société, sous forme de constats, mais ne comporte pas de conclusion ou de consigne explicite ; aucun courrier ou message n’a ensuite été adressé au directeur. L’attestation de 'l’assistante commerciale tarifeur’ indique avoir dû saisir les grilles d’achat et ne pas les avoir reçues et qu’une personne était réfractaire au système informatique sans la dénommer ni même indiquer quelle est la société concernée.

Le développeur de la société atteste que M. Y était réfractaire à l’informatique et n’adressait pas de communication jusqu’en fin d’année 2015. Si ce propos est précis, dans un mail du 2 juin 2015 adressé à M. Y et au commercial de la société Andrea Mereario, le président de la société, M. F, a indiqué que concernant les cotations sur le logiciel Odusseus il fallait privilégier la création des dossiers et ne pas les dupliquer, ce dernier procédé étant à l’origine d’erreurs. Il résulte de ce message que l’équipe de la société, et notamment M. Y, faisaient bien usage du logiciel du groupe mais avec une manipulation différente de celle conseillée. M. Y produit quant à lui plusieurs justificatifs de cotations qu’il a effectuées avec ce logiciel. Ce grief n’est pas fondé.

L’employeur reproche au salarié un défaut de suivi des comptes clients, de façon générale et concernant une situation particulière.

Par mail du 28 septembre 2015 l’attention de M. Y a été attirée sur le défaut de paiement de plusieurs factures et les conséquences sur le défaut de prise en charge par les assurances de la société au delà du délai de six mois d’impayés. Un listing de factures de clients impayées y était joint. Au 31 décembre 2015 le solde des impayés s’établissait à 1 511 011 euros.

M. Y conteste ce grief faisant valoir que les clients concernés étaient du Moyen Orient, qui ont une pratique de paiement différente et règlent les factures avec retard, ajoutant que cette pratique aurait été acceptée par le siège, sans en justifier. Il produit l’attestation d’un ancien salarié qui est désormais à la retraite, M. B, qui indique M. Y relançait les clients et obtenait les paiements et précise que cela permettait de conserver les marchés en question. Une autre attestation produite par l’employeur indique cependant que par la suite le président de la société a lui-même pris en charge les impayés, a rencontré les clients concernés et a obtenu qu’ils respectent désormais les délais de paiement. Le montant annuel des impayés de la société a diminué, s’élevant à 426 881 euros en 2017.

La société Andrea Merzario reproche spécifiquement à M. Y de ne pas être intervenu dans la gestion d’une opération concernant une entreprise placée en liquidation, la société La Factory, alors que les marchandises auraient pu être appréhendées. Si le siège de la société Andrea Merzario a été informé de cette situation par mail du 24 juillet 2015, le grief est constitué d’une absence postérieure d’intervention du directeur sur le dossier et n’était pas prescrit au moment du déclenchement de la procédure disciplinaire. Cependant, dans le mail que M. Y a alors adressé à son interlocuteur du siège de la société, il l’informe de la situation et lui demande expressément ce qui doit être fait par la suite. En l’absence de réponse obtenue, le traitement de ce dossier particulier ne peut lui être imputé.

L’absence de suivi régulier des factures impayées dans des délais permettant la prise en charge par les assurances, qui n’est pas contestée par l’appelant, constitue en revanche un manquement à ses

obligations.

Sur le plan commercial, la société Andrea Merzario reproche à M. Y :

— un défaut de suivi des commerciaux, malgré une demande en ce sens, l’absence de réunion formelle organisée et de compte rendu,

— le défaut d’appui technique au service export maritime Lyseo,

— l’absence de réponse à des demandes de cotations, qui ne sont pas établies sur le logiciel Odusseus,

— le défaut de visite du site du Havre.

L’employeur ne justifie pas que l’organisation de réunions avec les commerciaux ait été spécifiquement demandée à M. Y, ni qu’il s’était engagé à y procéder. Un mail du président de la société, M. F, du 14 octobre 2014, dont le directeur était destinataire, pose cependant la question du suivi de l’activité des commerciaux Merzario et Lyseo et de leur coordination.

L’attestation de l’ancien salarié produite par M. Y, M. B, indique que des entretiens individuels étaient organisés régulièrement par le directeur avec les différents employés de l’entreprise.

La déléguée du personnel de la société Andrea Merzario, Mme F, atteste cependant que l’organisation de réunions de services a été évoquée avec M. Y à la fin de l’année 2014 et au cours de l’année 2015, s’agissant d’une demande des employés, mais qu’il n’y a pas donné suite. Le procès-verbal de réunion entre le directeur général de la société, M. K, et les délégués du personnel du 27 octobre 2015 confirme que les équipes étaient en demande de réunions régulières de service.

M. Y, directeur du site, ne justifie pas avoir mis en place de suivi de l’activité de l’entreprise, notamment des commerciaux. Ce grief est établi.

L’employeur ne produit pas d’élément démontrant l’absence d’appui de M. Y au profit du service technique du service export maritime Lyseo.

La société Andrea Merzario reproche à M. Y de ne pas avoir adressé des cotations d’opérations aux clients et aux intervenants du groupe. Cette attribution est expressément indiquée dans le mail du président de la société du 5 juin 2014.

Il résulte d’une suite de mails que M. Y a reçu une demande de cotation d’un client le 25 septembre 2015, qui lui a été rappelée les 27 septembre et 02 octobre suivant, qu’il n’a adressé au service compétent du groupe que le 02 octobre 2015. Une autre demande urgente, adressée à un membre de son service le 9 novembre 2015, n’a pas obtenu de réponse.

Les difficultés relatives aux cotations par le site de […] sont corroborées par un mail du 2 octobre 2015 adressé en interne par un autre intervenant du groupe qui fait état de nombreuses remarques négatives des agents et clients de la société qui se plaignent de ne pas avoir de réponses de Roissy concernant leurs cotations. Il est accompagné d’une demande d’un client à laquelle il n’a pas été répondu.

M. Y indique qu’il s’agit de faits isolés au regard du nombre important d’opérations effectuées, mais n’apporte pas de justificatif à ces défaillances. Le manquement est établi.

Le site du Havre relevait de la responsabilité de M. Y. Une salariée de ce site atteste de l’absence de venue de M. Y après la visite organisée en sa présence le avril 2014 par M. K, le directeur général de la société. L’appelant expose qu’il suivait l’activité de ce site depuis les locaux de

[…], sans produire d’élément en ce sens. Le manquement est établi.

Le manque de coordination de l’activité de la société Andrea Merzario, dans le groupe mais également entre les services, est ainsi établi par les différents éléments produits par l’employeur.

La lettre de licenciement reproche à M. Y son absence de traitement des questions sociales, et spécifiquement:

— qu’aucune action n’ait été relative au mal-être d’un salarié n’ait été engagée,

— l’absence de réunions régulières avec les délégués du personnel depuis le dernier semestre 2014.

La société Andrea Merzario invoque également dans ses conclusions la situation d’un salarié de l’entreprise qui a saisi le conseil de prud’hommes en référé le 20 février 2015. Contrairement à ce qu’elle y indique, la lettre de licenciement ne fait pas état de ce fait précis, qui ne peut pas être pris en considération dans l’examen des causes du licenciement.

L’employeur produit le mail d’un salarié, M. T, adressé le 18 août 2015 au directeur général de la société, M. K, pour lui demander un rendez-vous afin d’évoquer sa situation. M. Y est en copie de ce message, sans en être le destinataire principal. Il n’est pas démontré que ce salarié avait déjà sollicité le directeur et qu’il ne lui aurait pas été répondu. Ce grief n’est pas fondé.

L’article L.2315-8 du code du travail impose la tenue de réunions mensuelles entre l’employeur et les délégués du personnel.

La responsable des ressources humaines du siège de la société atteste que lors d’une réunion commune, M. Y s’était engagé à rencontrer régulièrement Mme F, déléguée du personnel, le deuxième jeudi de chaque mois. Mme F indique dans son attestation que malgré plusieurs demandes formées oralement, aucune réunion n’a été organisé au cours de l’année 2015, alors que les salariés demandaient des informations sur l’entreprise, portant sur différents points.

M. Y ne justifie pas de la tenue de réunions régulières avec les représentants du personnel. S’il fait valoir qu’après le licenciement du directeur administratif et financier le siège avait repris la gestion des ressources humaines, l’organisation des réunions avec les délégués du personnel lui incombait par sa fonction de directeur, ce qui résulte de ses fonctions d’administration de la société et de représentation de la direction précisées au contrat de travail. Le fait que le directeur général de la société, M. K, ait signé une décision de licenciement et organisé la réunion du 27 octobre 2015 ne suffisent pas à démontrer que ces tâches ne relevaient que du seul siège de la société et non du représentant de la direction sur le site de […]. Ce grief est caractérisé.

En définitive, si plusieurs griefs sont atteints par la prescription ou ne sont pas démontrés, il est établi que M. Y n’assurait pas un suivi normal des comptes clients, ni de l’activité des commerciaux de la société. Il ne s’est pas rendu sur le site du Havre pendant plus de dix huit mois, alors qu’il relevait de ses attributions. Aucune réunion, même de façon informelle, n’a eu lieu avec les délégués du personnel pendant une année.

Le contrat de travail de M. Y prévoyait qu’en qualité de directeur il était en charge de la direction de l’entreprise dans tous les domaines, qu’il devrait définir, puis après approbation du président mettre en oeuvre la politique de la société dans tous les domaines. Le contrat prévoyait une délégation expresse de pouvoirs et de responsabilités.

Ces carences constituent des manquements de M. Y à ses obligations résultant de ses fonctions de directeur, justifiant son licenciement. Cependant, ils n’étaient pas incompatibles avec son maintien dans la société et ne justifiaient pas son départ immédiat, de sorte qu’ils ne caractérisent

pas une faute grave.

Le fait invoqué par M. Y que le directeur général de la société ait fait état du projet d’intégration des salariés de la société Andrea Merzario dans la société Lyreco au cours de la réunion du 27 octobre 2015 n’est pas de nature à remettre en cause le licenciement dès lors que des manquements suffisants sont constitués.

Le licenciement doit être requalifié en licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les conséquences financières

M. Y est fondé à demander le versement de l’indemnité de préavis et les congés payés afférents et de l’indemnité de licenciement.

L’indemnité de préavis correspond à la rémunération que M. Y aurait perçue au cours de la durée du préavis, qui était de trois mois. Selon les bulletins de salaire produits la rémunération mensuelle était de 11 426,39 euros, avantage en nature inclus, soit 34 279,17 euros. Il aurait également perçu au mois de décembre la prime du treizième mois d’un montant de 11 100 euros. Dans les limites de la demande, il y a lieu de lui allouer la somme de 37 053 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et celle de 3 705,30 euros au titre des congés payés afférents.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Concernant l’indemnité de licenciement, la société Andrea Merzario conteste subsidiairement le montant demandé par M. Y à ce titre, faisant valoir que les périodes pendant lesquelles il a exercé un mandat social doivent être déduites de l’ancienneté à prendre en considération.

M. Y a été embauché le 4 septembre 1978. Son contrat indique qu’il a détenu le mandat social de président directeur général du 30 juin 2006 au 30 mai 2012. Il n’est pas justifié de fonctions techniques distinctes qu’il auraient alors exercées pendant cette période dans le cadre d’un lien de subordination avec la société.

M. Y invoque la reprise d’ancienneté prévue à l’article 1 du contrat de travail pour qu’aucune période ne soit exclue de son ancienneté pour le calcul de l’indemnité de licenciement.

Le contrat de travail du 30 mai 2012 prévoit que 'L’ancienneté acquise par M. Y au sein de la société depuis son entrée en fonction le 4 septembre 1978 est reprise en totalité pour l’application de tous les droits et obligations afférents à l’exécution et à la rupture du présent contrat.' Ces dispositions ne prévoient pas que les périodes pendant lesquelles le contrat de travail a été suspendu en raison de l’exercice d’un mandat social doivent être comprises pour le calcul de l’indemnité de licenciement.

Si la société Andrea Merzario justifie que M. Y a également été administrateur de la société depuis le mois de juin 1991, jusqu’en 2008, il n’en résulte pas qu’il exerçait un mandat social de la société. Il disposait des pouvoirs d’engager la société auprès des établissements bancaires et des salariés en sa qualité de directeur, sans que cela ne démontre qu’il la représentait de façon générale et continue.

La seule période de suspension du contrat de travail qui doit être prise en compte dans le cadre du calcul de l’indemnité de licenciement est celle du 30 juin 2006 au 30 mai 2012, soit cinq années et onze mois.

M. Y avait ainsi une ancienneté de trente et une années et huit mois.

L’article 17 de l’annexe IV de la convention collective prévoit une indemnité de licenciement de 3/10e de mois pour chaque année dans la catégorie employé et de 4/10e par année passée dans la catégorie cadre.

M. Y a passé deux ans et sept mois dans la catégorie employé et vingt neuf années et un mois dans la catégorie cadre.

La rémunération à prendre en compte est le douzième de la rémunération perçue au cours des douze derniers mois, qui comprend la prime du treizième mois versée au mois de décembre 2014, soit 12 343,05 euros.

La société Andrea Merzario doit être condamnée à verser à M. Y la somme de 153 156,67 euros au titre de l’indemnité de licenciement.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les intérêts

Conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales sont assorties d’intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de la convocation à comparaître devant le bureau de jugement du conseil de prud’hommes, soit le 1er février 2016.

Sur les frais irrépétibles

La société Andrea Merzario qui succombe supportera les dépens et la charge de ses frais irrépétibles. Elle sera condamnée à verser à M. Y la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Il sera ajouté au jugement entrepris.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

INFIRME le jugement du conseil de prud’hommes sauf en ce qu’il a rejeté la demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

DIT le licenciement de M. Y fondé sur une cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société Andrea Merzario à payer à M. Y les sommes de :

—  37 053 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et de 3 705,30 euros au titre des congés payés afférents,

—  153 156,67 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

—  1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

DIT que ces sommes portent intérêts au taux légal à compter du 1er février 2016,

CONDAMNE la société Andrea Merzario aux dépens,

DÉBOUTE la société Andrea Merzario de sa demande d’indemnité au titre des frais irrépétibles.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 1er juillet 2020, n° 18/01654