Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 12, 11 septembre 2020, n° 17/11387

  • Faute inexcusable·
  • Entreprise utilisatrice·
  • Employeur·
  • Sociétés·
  • Action récursoire·
  • Identité·
  • Travail temporaire·
  • Accident du travail·
  • Sécurité sociale·
  • Reconnaissance

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 6 - ch. 12, 11 sept. 2020, n° 17/11387
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 17/11387
Décision précédente : Tribunal des affaires de sécurité sociale d'Évry, 12 juin 2017, N° 14-00248
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 12

ARRÊT DU 11 Septembre 2020

(n° ,9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 17/11387 – N° Portalis 35L7-V-B7B-B4B4B

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 13 Juin 2017 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale d’EVRY RG n° 14-00248

APPELANTE

SAS ADECCO FRANCE

[…]

[…]

représentée par Me Franck DREMAUX, avocat au barreau de PARIS, toque : P0312

INTIMEE

SAS RHENUS LOGISTICS FRANCE ADRESSE DU SIEGE SOCIAL

[…]

[…]

[…]

représentée par Me Thomas MONTPELLIER, avocat au barreau de PARIS, toque : B0025

Société RHENUS LOGISTICS FRANCE

[…]

[…], représentée par Me Marie WATREMEZ-DUFOUR, avocat au barreau D’ESSONNE

Monsieur le Ministre chargé de la sécurité sociale

[…]

[…]

avisé-non comparant

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 Juin 2020, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant M. Pascal PEDRON, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M. Pascal PEDRON, Président de chambre

Mme Laurence LE QUELLEC, Présidente de chambre

M. Lionel LAFON , conseiller

Greffier : M. Fabrice LOISEAU, lors des débats

ARRET :

— CONTRADICTOIRE

— prononcé

par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par M. Pascal PEDRON, Président de chambre et M Fabrice LOISEAU greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l’appel interjeté par la société Adecco France d’un jugement rendu le 13 juin 2017 , par le tribunal des affaires de sécurité sociale d’Evry dans un litige l’opposant à la société Rhenus Logistics France et à Mme C X, en présence de la CPAM de l’Essonne (la caisse).

FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Mme C X, salariée de la société Adecco a été victime d’un accident le 19 décembre 2010 alors qu’elle était mise à la disposition de la société Wincanton, devenue Rhenus Logistics France en qualité de « contrôleur flasheur », ayant été coincée entre deux palettes par un chargeur voulant prendre l’une de celles-ci alors qu’elle était accroupie pour en vérifier le contenu, subissant en conséquence des douleurs dorso-lombaires.

La caisse, après un refus initial, a pris en charge cet accident au titre de la législation professionnelle ; Mme X a été déclarée consolidée au 15 février 2015, avec attribution d’une indemnité en capital sur la base d’un taux d’IPP de 4%.

Le 11 février 2014, Mme X a, après vaine tentative de conciliation, saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale d’Evry en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.

Par jugement du 13 juin 2017, le tribunal a :

— reconnu la faute inexcusable de la société Adecco dans l’accident du travail du 19 décembre 2010,

— fixé au maximum la majoration du capital versé à Mme X,

— condamné la CPAM des Côtes d’Armor au paiement de cette majoration,

— rejeté l’exception d’inopposabilité soulevée par la société Adecco,

— dit que la caisse dispose pleinement d’une action récursoire contre la société Adecco s’agissant des conséquences financières de cette reconnaissance de la faute inexcusable,

— dit que l’action récursoire de la société Adecco à l’encontre de la société utilisatrice est limitée aux ¾ des conséquences financières de cette reconnaissance de la faute inexcusable,

— avant dire droit sur l’indemnisation du préjudice personnel de la victime, ordonné une expertise médicale confiée au Dr Y,

— fixé le montant de l’indemnité provisionnelle à valoir sur le préjudice corporel de Mme X à 3 500 €, somme devant être avancée par la caisse,

— et ce avec exécution provisoire,

— sursis à statuer sur l’indemnisation de Mme X et les frais irrépétibles.

La société Adecco a interjeté appel « total » le 30 août 2017 de ce jugement qui lui avait été notifié le 24 août 2017.

Par ses conclusions écrites soutenues oralement et déposées à l’audience par son conseil, la société Adecco demande à la cour, par voie d’infirmation du jugement déféré, de :

— juger que Mme X ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de la faute inexcusable qu’elle invoque, les circonstances de l’accident demeurant indéterminées,

— en conséquence, débouter Mme X de ses demandes.

Subsidiairement, si la Cour devait confirmer l’existence d’une faute inexcusable:

— a) juger que par décision du 3 mars 2011, la Caisse lui a notifié une décision de refus de prise en charge du caractère professionnel de l’accident de Mme X ;

— juger que cette décision de refus de prise en charge est définitive à son égard, et donc dire que la caisse sera privée de son action récursoire à son égard ;

b) dire que l’état de santé de Mme X n’est pas consolidé et surseoir en conséquence à statuer sur sa demande de majoration de la rente, ainsi que sur sa demande d’expertise médicale judiciaire;

— débouter Mme X de sa demande de provision à valoir sur ses préjudices personnels;

— c) juger que la faute inexcusable a été commise par l’entreprise utilisatrice substituée dans la direction de la salariée au sens de l’article 26 de la loi du 3 janvier 1972, et en conséquence, par application de l’article L.241-5-1 du code de la sécurité sociale, condamner la société Rhenus Logistics France (anciennement « Wincanton ») à la garantir à hauteur de 100% de l’intégralité des conséquences financières qui résulteraient de la reconnaissance de la faute inexcusable tant en principal qu’en intérêts et frais y compris au titre de l’article 700 du code de procédure civile, de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et des dépens ;

— dans tous les cas, débouter les parties de leurs demandes formulées à son encontre.

La société Adecco fait valoir pour l’essentiel que:

— Mme X ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de l’origine professionnelle de son accident qui n’a eu aucun témoin; l’événement allégué a été rapporté par la salariée elle-même uniquement, mais aucun élément objectif probant ne vient corroborer ses déclarations.

— elle fait également siens les arguments de la société Rhenus relatifs à l’absence de faute inexcusable de l’employeur.

— la caisse ne peut pas exercer d’action récursoire à son encontre dès lors que l’organisme lui a notifié le 3 mars 2011 une décision de refus de prise en charge motivée par l’absence de preuve; si par la suite, Mme X a saisi la commission de recours amiable qui a finalement reconnu le caractère professionnel de l’accident, la caisse a pris le soin de l’informer en lui précisant que cette notification annulait et remplaçait, pour la seule victime Mme X, la notification de refus; la décision de refus de prise en charge est donc définitive à son égard. Dès lors que l’inopposabilité est intervenue non pas sur un moyen de forme mais sur un moyen de fond non visé par les dispositions de l’article 452-3-1, la caisse se trouve en raison de sa décision de refus de prise en charge définitive à l’égard de l’employeur privée de la possibilité d’exercer une action récursoire à l’encontre de ce dernier.

— les entreprises utilisatrices substituées aux entreprises de travail temporaire dans la direction des salariés peuvent voir leur responsabilité engagée; c’est l’entreprise utilisatrice qui doit vérifier l’identité du salarié quand il se présente à elle; c’est l’entreprise utilisatrice qui est responsable du respect des règles d’hygiène et sécurité. D’ailleurs, l’entreprise utilisatrice doit tenir le registre unique du personnel qui trace les entrées et sorties des travailleurs sur le lieu de travail (article L 1221-13 du Code du travail). A cette occasion, l’entreprise utilisatrice devait vérifier l’identité du salarié mis à sa disposition; c’est donc de manière mal fondée que la société Rhenus lui reproche un défaut de vérification de l’identité / de la personnalité du salarié intérimaire alors que l’employeur a pour mission de recruter un salarié ayant les compétences requises pour occuper le poste au sein de l’entreprise utilisatrice, ce dont M. Z dont l’identité n’est pas remise en cause disposait bien comme titulaire du CACES. Elle doit donc doit être garantie à 100% des conséquences financières de la faute inexcusable.

Par ses conclusions écrites soutenues oralement et déposées à l’audience par son conseil, Mme X demande à la cour de confirmer le jugement déféré, et de condamner la société Adecco à lui verser la somme de 3 500 € sur le fondement de l’article 700-2° du code de procédure civile, faisant valoir en substance que :

— les productions établissent le caractère professionnel de l’accident dont elle a été victime, son responsable au sein de l’entreprise utilisatrice ayant été prévenu le jour même, avant qu’il ne transmette copie du rapport à l’employeur qui a établi la déclaration d’accident du travail sans réserve.

— le partage de responsabilité entre l’employeur et l’entreprise utilisatrice est motivé par les obligations de l’un (application des règles relatives à l’hygiène, à la sécurité et aux conditions de travail pour l’entreprise utilisatrice) et de l’autre (fourniture par l’entreprise de travail temporaire d’éléments nécessaires à la vérification d’identité du conducteur de fenwick mis à disposition et qui s’est avéré ne pas être celui détenteur de l’habilitation de conduite, mais un « ami» de sa famille).

— la faute inexcusable est caractérisée puisqu’il est avéré que la personne qui conduisait le fenwick et qui l’a violemment heurtée ne disposait pas de l’habilitation requise; or la première obligation de l’entreprise utilisatrice qui accueille l’intérimaire est de vérifier son identité pour s’assurer qu’il s’agit de la personne mise à disposition disposant du permis et des capacités convenues.

— du fait de l’appel, la réunion d’expertise fixée le 28 novembre 2017 a été annulée en dépit de l’exécution provisoire ordonnée par le tribunal.

Par ses conclusions écrites soutenues oralement et déposées à l’audience par son conseil, la société Rhenus Logistics France demande à la cour, par voie d’infirmation du jugement déféré, de :

A TITRE PRINCIPAL

— juger qu’elle n’a commis aucune faute inexcusable à l’origine de l’accident du 19 décembre 2010;

— débouter Mme X et, en tant que de besoin, toute autre partie, de leurs demandes ;

A TITRE SUBSIDIAIRE

— juger qu’elle n’a commis aucune faute à l’origine de l’accident du 19 décembre 2010;

— débouter Mme X et, en tant que de besoin, toute autre partie, de leurs demandes ;

A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE, SUR LES DEMANDES DE Mme X

— limiter la mission de l’expert aux seuls postes de préjudices énumérés par l’article L.452-3 du Code de la Sécurité Sociale, y ajoutant:

la communication de l’entier dossier médical de Mme X;

que l’expert établisse si un état antérieur de la victime ou des évènements postérieurs à l’accident survenu le 19 décembre 2010 peuvent expliquer tout ou partie des lésions;

que l’expert rédige un pré-rapport, et donne un délai pour formuler des observations qui ne soit pas inférieur à 4 semaines,

— débouter Mme X de sa demande de provision ou à défaut la réduire à de plus justes proportions;

— condamner la caisse à faire l’avance de l’ensemble des indemnités allouées, y compris la provision,

EN TOUT ÉTAT DE CAUSE, SUR LES DEMANDES D’ADECCO

— dire qu’elle n’a commis aucune faute dans la survenance de l’accident du 19 décembre 2010;

— juger en conséquence que la société Adecco conservera à sa charge l’intégralité des conséquences de l’accident du travail et de la faute inexcusable;

— juger que la décision de prise en charge de l’accident survenu le 19 décembre 2010 est inopposable à la Société Adecco;

— débouter en conséquence la Société Adecco de sa demande tendant à être relevée et garantie par elle-même;

Subsidiairement sur ce point :

— limiter la garantie aux seuls compléments de rente et indemnités versées à Mme X au titre de la faute inexcusable à l’exception de toute autre somme (notamment article 700 du code de procédure civile),

— débouter Mme X et, en tant que de besoin, toute autre partie, du surplus de leurs demandes à son encontre.

L’entreprise utilisatrice fait valoir que:

— le caractère professionnel de l’accident n’est pas établi; on ignore la motivation exacte du revirement de la caisse quant à la prise en charge; l’imputabilité des séquelles à l’accident survenu le 19 décembre 2010 est également incertaine, s’agissant de douleurs lombaires pouvant avoir des causes multifactorielles;

— les circonstances exactes de l’accident sont indéterminées; il n’y a eu aucun témoin direct, mis à part Mme X et éventuellement le chauffeur du chariot qui n’a jamais été interrogé et dont Mme X ne fournit pas le témoignage.

— elle n’a commis aucune faute à l’origine de l’accident;

— aucune conscience du danger n’est établie, puisque le danger résulte d’un comportement imprévisible et irrésistible pour l’employeur: la malhonnêteté d’un intérimaire, M. Z qui s’est fait substituer pour l’intégralité d’une mission, par un tiers, qui est son complice. Le stratagème consistant à se faire remplacer par un tiers est un danger imprévisible; dans la mesure où le salarié intérimaire qui se présentait était officiellement titulaire du CACES, et que son usurpateur maîtrisait parfaitement la conduite de cet engin durant près de deux mois, aucune conscience d’ un danger quelconque ne pouvait se dégager d’une circonstance (usurpation d’identité) totalement imprévisible et inédite. Elle n’avait pas le pouvoir de procéder à des contrôles d’identité poussés ou des vérifications, n’étant que la société utilisatrice, elle n’ avait aucun élément permettant de procéder à une vérification d’identité incluant une comparaison avec le dossier d’embauche d’origine.

— pour que l’entreprise de travail temporaire obtienne le remboursement des indemnités complémentaires versées à la victime et la répartition de la charge financière de l’accident du travail, en application des articles L. 241-5-1, L. 412-6, R. 242-6-1 et R. 242-6-3 du code de la sécurité sociale, il est nécessaire de relever que l’entreprise de travail temporaire n’ait commis aucune faute. Or l’entreprise de travail temporaire est soumise à une obligation de prudence et doit procéder à une vérification sur la personnalité de l’intérimaire qu’elle adresse à l’utilisateur. La société Adecco a manifestement mis à sa disposition un salarié malhonnête, capable de procéder à des stratagèmes en vue de se faire remplacer par un tiers et de mentir éhontément à la police;

— les dispositions de l’article L452-3-1 du Code de la Sécurité sociale, invoquées par la caisse ne sont pas applicables puisque la décision d’inopposabilité ne découle nullement d’une difficulté liée au contradictoire dans le cadre de l’instruction de la décision de prise en charge, mais est la conséquence de l’indépendance des rapports entre l’employeur, la caisse et les assurés.

Par ses conclusions écrites déposées à l’audience, le conseil de la caisse qui les oralement soutenues et complétées:

— demande à la cour de déclarer non fondée la demande d’inopposabilité de la Société Adecco.

— s’en remet à l’appréciation de la Cour sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.

— demande à la cour de dire, en cas de non reconnaissance de la faute inexcusable de la Société Adecco, que Mme X devra lui rembourser les sommes perçues à tort.

— demande à la cour de dire, en cas de reconnaissance de la faute inexcusable, qu’elle pourra récupérer auprès de la Société Adecco l’ensemble des sommes qu’elle avancera.

Elle fait par ailleurs valoir que la décision initiale de refus de prise en charge de l’accident déclaré par Mme X est définitivement acquise à l’employeur qui peut en solliciter l’inopposabilité, mais que cette dernière n’a aucun effet quant à son action récursoire.

SUR QUOI, LA COUR

La reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur suppose pre’alablement la caracte’risation d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, l’employeur pouvant en tout état de cause contester le caracte’re professionnel de l’accident ou de la maladie lorsque sa faute inexcusable est recherche’e par la victime ou ses ayants droit ;

Il résulte de l’article L.411-1 du code de la sécurité sociale que constitue un accident du travail un événement ou une série d’événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l’occasion du travail, dont il est résulté, une lésion corporelle, que celle-ci soit indistinctement d’ordre physique ou psychologique.

Il appartient au salarié d’établir le caractère professionnel de l’accident par des éléments objectifs, autres que ses seules déclarations. Il lui appartient donc de rapporter la preuve de la survenance d’une lésion en conséquence d’un événement survenu au temps et au lieu du travail, ou à l’occasion du travail. S’agissant de la preuve d’un fait juridique, cette preuve est libre et peut donc être rapportée par tous moyens, notamment par des présomptions graves, précises et concordantes, au sens de l’article 1382 du code civil (dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 10 février 2016).

En l’espèce, la déclaration d’accident du travail établie le 21 décembre 2010 par l’employeur mentionne que Mme X était le 19 décembre 2010 à 09h30, dans « l’entrepôt Wincanton, » « accroupie pour vérifier une palette quand un chargeur voulant prendre une palette l’a coincée entre les 2 palettes», fait entrainant une « douleur effort lumbago» au « tronc »

Le certificat médical initial établi le 22 décembre 2010 constate des «douleurs dorso-lombaires sans fracture visible »

M. A, responsable d’exploitation à « l’entrepôt Wincanton », a précisé dans son audition de police que le 19 décembre 2010 à 09h30 Mme X est venue l’informer que M. B, en voulant prendre une palette à l’aide d’un autoporté l’a fait glissée, et que la palette pouvant peser 300 kg a tapé Mme X au niveau du bas du dos alors qu’elle était accroupie derrière cette palette en train de contrôler la marchandise, qu’elle se sentait un peu engourdie, mais pas blessée, qu’elle a continué à travailler.

Les circonstances de fait retranscrites à la déclaration d’accident du travail par l’employeur qui n’a pas parallèlement émis de réserves sont cohérentes, quant au fait générateur douloureux entrainant la lésion ressentie, et sont corroborées tant par le témoignage du responsable de l’entreprise utilisatrice établissant que les faits ont été connus de celle-ci dès la survenance de l’accident que par le contenu du certificat médical initial en cohérence avec les circonstances accidentelles décrites par la salariée qui n’a jamais varié dans ses déclarations.

Mme X établit ainsi au cas d’espèce par des éléments objectifs qu’elle a été victime 19 décembre 2010 à 09h30, au temps et au lieu du travail, d’un traumatisme douloureux à l’occasion du heurt par une palette l’ayant coincée dont il est résulté une lésion corporelle médicalement constatée, peu important l’absence de témoin direct des faits et la nature de la lésion constatée.

La matérialité de l’accident, dont les circonstances ne sont pas indéterminées, est établie, emportant présomption d’imputabilité qui n’est pas en l’espèce renversée par l’employeur.

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers ce dernier d’une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne les accidents du travail. Le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L.452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident survenu au salarié; il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire, même non exclusive ou indirecte, pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée.

Il incombe au salarié de rapporter la preuve de la faute inexcusable de l’employeur dont il se prévaut.

En l’espèce, la lésion subie par Mme X trouve son origine dans le fait que le conducteur d’un fenwick a, lors d’une manoeuvre, poussé une palette qui a coincé et heurté Mme X; l’enquête de police (pièce n°28 de Mme X) a permis d’établir que le conducteur du fenwick n’était pas M. Z, missionné par Adecco auprès de la société utilisatrice comme conducteur d’engin, mais un tiers, à savoir un ami de M. Z qui avait accepté d’être remplacé par celui-ci « sur les missions d’Adecco », ce tiers ayant ainsi été de fait employé par la société utilisatrice à la place de M. Z jusqu’à l’accident, soit pendant un mois et demi à 02 mois.

L’entreprise utilisatrice ne justifie par aucune de ses productions avoir procédé à la vérification de l’identité de la personne missionnée auprès d’elle par Adecco comme conducteur d’engin, et ce alors qu’elle doit par ailleurs tenir un registre unique du personnel retraçant les entrées et sorties des travailleurs sur le lieu de travail en application de l’article L 1221-13 du Code du travail. Faute d’avoir procédé, en concertation avec Adecco, à la vérification de l’identité de la personne missionnée auprès d’elle par l’entreprise de travail temporaire et donc de sa capacité à accomplir correctement la mission confiée, l’entreprise utilisatrice a commis un manquement fautif les salariés présents dont Mme X à un danger dont la société utilisatrice avait ou aurait dû avoir conscience, la survenance d’une telle substitution de personne n’étant nullement imprévisible ou irrésistible pour l’entreprise utilisatrice, peu important qu’aucun accident ne soit survenu plus tôt.

La société Rhenus Logistics, qui a commis un manquement à son obligation de sécurité,avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé la salariée et n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Le manquement en la matière de l’entreprise utilisatrice substituée à l’employeur dans la mise en oeuvre de son obligation de sécurité a participé à la survenance de l’accident dont a été victime Mme X.

Cette dernière établit donc la faute inexcusable de la société utilisatrice, substituée à l’employeur. Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a retenu la faute inexcusable de la société utilisatrice, substituée à l’employeur.

Il résulte de la combinaison des articles L. 241-5-1, L. 412-6 et L. 452-3 , R. 242-6-1 et R. 242-6-3 du code de la sécurité sociale qu’en cas d’accident du travail survenu à un travailleur intérimaire et imputable à la faute inexcusable d’une entreprise utilisatrice, l’entreprise de travail temporaire, seule tenue en sa qualité d’employeur envers l’organisme social du remboursement des indemnités complémentaires prévues aux articles L. 452-1 à L. 452-4 du même code, dispose d’un recours contre l’entreprise utilisatrice pour obtenir de celle-ci la garantie des conséquences financières résultant de la faute inexcusable.

En l’espèce, il apparaît que la société Adecco ne justifie pas de la mise en oeuvre, en concertation avec les entreprises utilisatrices, de mesures particulières à l’effet pour ces dernières de pouvoir mieux s’assurer de l’identité des personnes missionnées par l’entreprise de travail temporaire; que la société Adecco n’a pas transmis à l’entreprise utilisatrice les éléments de dossier copie de pièces d’identité avec photo, …) nécessaires à la vérification d’identité effective de M. Z, conducteur de fenwick mis à disposition, M. Z ayant d’ailleurs précisé dans son audition de police qu’il « avait d’ailleurs emmené chez Adecco pour qu’il s’inscrive » l’ami qui s’est par la suite substitué à lui pour la mission à effectuer chez Rhenus Logistics; la survenance d’une telle substitution de personne n’était nullement imprévisible ou irrésistible pour l’employeur.

La survenance de l’accident n’étant dans ces conditions pas entièrement imputable à la faute inexcusable de l’entreprise utilisatrice, mais également liée a un manquement de l’employeur, il y a lieu de confirmer le jugement n’ayant accordé à l’employeur qu’une garantie partielle à hauteur des ¾ des conséquences financières de la faute inexcusable, ladite garantie partielle excluant les frais irrépétibles et les dépens.

Après refus initial de prise en charge du caractère professionnel de l’accident du 03 mars 2011 , la caisse a informé le 10 mars 2011 l’employeur de la décision de la Commission de Recours Amiable retenant le caractère professionnel de l’accident et que cette notification annulait et remplaçait, pour la seule victime, la précédente notification de refus (pièces n°2 et 3 de l’appelante).

Dans ces conditions, il apparaît que la décision de prise en charge du caractère professionnel de l’accident de Mme X est inopposable à l’employeur.

Cette inopposabilité n’a cependant en l’espèce aucune incidence sur l’action récursoire de la caisse à l’encontre de l’employeur. En effet, et alors que la cour est saisie d’une demande de la caisse tendant à récupérer, sur le fondement de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, les préjudices alloués à la victime en réparation de la faute inexcusable de la société, la de’cision prise par une caisse dans les conditions pre’vues par l’article R. 441-14 du code de la se’curite’ sociale dans sa re’daction issue du de’cret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, applicable le 1er janvier 2010, ayant pour objet exclusif la prise en charge ou le refus de prise en charge au titre de la le’gislation professionnelle, de l’accident, de la maladie ou de la rechute, l’irre’gularite’ de la proce’dure ayant conduit a’ la prise en charge, par la caisse, au titre de la le’gislation professionnelle, d’un accident, d’une maladie ou d’une rechute, est sans incidence sur l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur. (Civ. 2e’me, 26 novembre 2015, n° 14-26.240, ; Civ. 2e’me, 11 fe’vrier 2016,n°15-10.066)

Il en résulte notamment que l’inopposabilité à la société de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle par la caisse qui avait initialement opposé un refus à l’assuré ne fait pas obstacle à l’action récursoire de la caisse à l’encontre de la société , comme l’a rappelé la cour de cassation (Civ. 2: 24 mai 2017 ; n° 16-17.644 )

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a dit que la caisse dispose pleinement d’une action récursoire contre la société Adecco s’agissant des conséquences financières de cette reconnaissance de la faute inexcusable, l’employeur étant dès lors tenu de rembourser à la caisse l’ensemble des sommes avancées au titre de la faute inexcusable

Le jugement sera par ailleurs confirmé en ses dispositions relatives:

— à la majoration maximum du capital versé,

— à la mesure d’expertise ordonnée, étant précisé qu’il résulte des productions que la date de consolidation de l’assurée a été définitivement fixée par la caisse, après expertise technique, au 15 février 2015 (pièces n° 19, 23 à 25 de Mme X),

— à la provision ordonnée, étant rappelé que Mme X a rappelé à l’audience de la cour qu’elle sollicitait uniquement la confirmation du jugement en la matière, sans demander à la cour une nouvelle indemnisation provisionnelle complémentaire.

La société Adecco sera condamnée à payer à Mme X une somme de 2 000 € au titre de l’article 700 2°du code de procédure civile en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

DECLARE l’appel recevable.

CONFIRME le jugement déféré sauf en ce qu’il a rejeté l’exception d’inopposabilité soulevée par la société Adecco.

ET statuant à nouveau de ce seul chef :

— Déclare inopposable à l’égard de la société Adecco France la décision de la CPAM de l’Essonne du 10 mars 2011 de prise en charge au titre de la législation professionnelle de l’accident du travail dont Mme X a été victime le 19 décembre 2010.

CONDAMNE la société Adecco France à payer à Mme X une somme de 2 000 € au titre de l’article 700 2°du code de procédure civile en cause d’appel.

CONDAMNE la société Adecco France aux dépens d’appel.

RENVOIE le dossier à la juridiction de première instance pour mise en oeuvre de la mesure d’expertise confirmée.

Le greffier Le président

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 12, 11 septembre 2020, n° 17/11387