Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 18 mai 2021, n° 19/02757

  • Grève·
  • Heure de travail·
  • Analyste·
  • Sociétés·
  • Interruption·
  • Salarié·
  • Faim·
  • Licenciement·
  • Titre·
  • Pièces

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 6 - ch. 11, 18 mai 2021, n° 19/02757
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 19/02757
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Paris, 18 novembre 2018, N° 16/10959
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires

REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le

 : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 11

ARRÊT DU 18 MAI 2021

(n° , 12 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/02757 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B7MFU

Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Novembre 2018 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 16/10959

APPELANT

Monsieur P X

[…]

[…]

Représenté par Me Pauline MORDACQ, avocat au barreau de PARIS, toque : P0380

INTIMÉE

SA KEPLER CHEUVREUX

[…]

[…]

Représentée par Me Jean-T DESANLIS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2130

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 30 Mars 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Sylvie HYLAIRE, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Sylvie HYLAIRE, Présidente de chambre,

R S, Magistrat honoraire,

Laurence DELARBRE, Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Mathilde SARRON

ARRET :

— contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Sylvie HYLAIRE, Présidente et par Mathilde SARRON, Greffier présent à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. P X, né en 1966, a été engagé par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 5 septembre 2005, en qualité de responsable du produit « ISR » (investissement social responsable) par la société Cheuvreux, société appartenant au groupe Crédit Agricole.

Le contrat de travail, se référant à un accord d’entreprise du 29 février 2000, prévoyait que M. X relevait de la catégorie des cadres au forfait fixé à 213 jours par an.

En décembre 2013, le contrat de travail de M. X a été transféré à la société Kepler Cheuvreux en application des dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail.

Par courrier du 22 décembre 2014, la société Kepler Cheuvreux informait M. X de la négociation avec les représentants du personnel d’un nouvel accord collectif en matière d’aménagement de la durée du travail entraînant, à compter du 1er janvier 2015, la mise en oeuvre d’une durée hebdomadaire de travail de 37 heures hebdomadaires réparties sur 5 jours, avec octroi, en compensation des deux heures supplémentaires effectuées par semaine, de 12 jours ouvrés de RTT.

Le courrier précisait qu’à défaut de refus de la modification de son contrat exprimé dans le délai d’un mois, auquel cas serait envisagé une procédure de licenciement pour motif économique, M. X était réputé accepter cette modification.

M. X n’a pas répondu à ce courrier.

En dernier lieu, la rémunération mensuelle brute moyenne de M. X, qui relevait de la catégorie cadre III A, s’élevait à la somme de 16.666,67 euros.

Par lettre datée du 18 février 2016, M. X a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 1er mars 2016 avec mise à pied conservatoire.

M. X a ensuite été licencié pour faute grave par lettre datée du 30 mars 3016, ainsi rédigée :

« (…)

Or, comme nous vous le rappelions lors de l’entretien préalable au licenciement, depuis votre intégration au sein du groupe Kepler, nous déplorons votre rigidité et votre incapacité à toute remise en question.

L’opposition que vous avez eu avec Monsieur T Z dès janvier 2014, soit 6 mois à peine après votre intégration de la Société, au sujet de Madame Y est révélatrice de votre incapacité à faire preuve de souplesse dans le cadre de vos relations professionnelles.

En effet, alors que les qualités professionnelles de Madame Y, consultante en contrat de prestation de services, étaient unanimement reconnues, cette dernière a refusé la proposition d’embauche qui lui était faite par la Société, craignant de se retrouver sous votre autorité. Monsieur Z avait pourtant cherché à vous alerter sur ce point, en vain.

Autre exemple de votre rigidité, vous n’avez pas hésité à vous éloigner des objectifs qui avaient été fixés par votre hiérarchie pour développer l’activité ESG selon vos propres idées, mettant ainsi en péril l’activité de vos collaborateurs.

En effet, ces derniers ne souhaitaient pas désobéir à vos instructions tout en ayant conscience de ce que celles-ci ne correspondaient pas à nos directives. (') Ainsi, alors que selon les objectifs fixés par votre hiérarchie, la mission principale des analystes ESG est la rédaction de papiers de recherche, ainsi que le développement et la promotion d’idées d’investissements auprès des clients, vous avez demandé à vos équipes de consacrer l’essentiel de leur temps au développement d’un site internet en cours de construction, dont le développement a pris du retard du fait de votre désorganisation et de vos insuffisances.

La situation est devenue intenable en fin d’année dernière, contraignant votre supérieur hiérarchique à intervenir.

Ainsi, par e-mail du 7 décembre 2015, Monsieur A, « Global Head of Equity Brokerage/Research », a été forcé de souligner les insuffisances de votre équipe en termes de publication et d’intégration et de vous annoncer la décision de la Direction de reporter le recrutement d’un analyste ESG supplémentaire, une équipe de quatre analystes étant largement suffisante au regard de l’activité.

D’ailleurs, vous n’êtes pas sans savoir que l’effectif de l’équipe ESG dont vous êtes en charge est même supérieur à celui de la plupart des sociétés concurrentes sur ce produit.

Le 12 décembre 2015, vous répondiez à Monsieur A (avec copie à un tiers de la Société) en contestant toute insuffisance, sans même chercher à comprendre ce qui vous était reproché, manifestant une fois encore votre rigidité professionnelle et votre incapacité à vous remettre en question.

Le 21 décembre 2015, sans aucune volonté polémique mais dans un souci de clarté, Monsieur A vous confirmait alors que le nombre de publications de votre équipe était insuffisant et que l’intégration du département ESG au sein de la Société était essentielle.

Monsieur A U également sur le fait qu’il était impératif que vous travailliez selon les directives données par la Direction.

Enfin, Monsieur A vous indiquait que la Direction souhaitait vous rencontrer pour faire un point sur la mise en 'uvre et le calendrier des projets à venir et que, même s’il partait du principe qu’il s’agissait d’une faute de frappe, il était impératif que vous soyez plus rigoureux dans la vérification des destinataires de vos envois afin que des informations confidentielles ne puissent pas être communiquées à des tiers.

A compter de ce rappel du 21 décembre 2015, vous avez durci votre comportement. Ainsi, d’une rigidité professionnelle et d’une incapacité à toute remise en question se manifestant notamment par une critique de votre management et des membres des autres équipes, vous êtes passé à une véritable intention de nuire à notre société en incitant les membres de votre équipe à faire grève.

Ainsi, le 9 février dernier, nous avons appris que vous aviez, le 10 décembre 2015 (soit immédiatement après que Monsieur A vous a alerté sur la faiblesse de vos résultats et vous a invité à respecter les directives fixées), contacté les membres de votre équipe à Paris et à

Londres pour leur faire part de votre intention de vous mettre en grève dès le lendemain et, en ce qui concerne le collaborateur basé à Paris, pour l’inciter à faire de même.

(')

Outre la gravité d’une telle démarche d’intimidation auprès de vos collaborateurs, le fait que vous ayez indiqué à ces derniers que vous pensiez recevoir le soutien des clients nous permet de croire que vous aviez informé ces derniers de votre projet de grève et/ou que vous les aviez sondés expressément ou non.

Or, au regard du décalage entre les conditions de travail dans le secteur de l’analyse financière et l’exercice du droit de grève – dernier recours accordé aux travailleurs pour faire valoir leurs revendications légitimes de manière collective – il est évident que vous n’avez pu vraisemblablement penser que votre appel serait suivi d’effet et aboutirait effectivement à une cessation de travail des membres de votre équipe, et encore moins à ce que se réalisent vos revendications pour lesquelles votre hiérarchie vous avait déjà indiqué d’une part en quoi elles n’étaient pas légitimes et d’autre part que ces décisions ressortaient du pouvoir de direction de l’entreprise. En réalité, désappointé de ne pas avoir eu gain de cause sur votre demande de recrutement d’un analyste supplémentaire et après que Monsieur A vous a rappelé à vos obligations de salarié, vous avez sciemment cherché à désorganiser votre département afin de nuire à la Société.

Un tel comportement rend immédiatement impossible toute possibilité de poursuite du contrat de travail d’un cadre de haut niveau, s’il est avéré. (')

Sitôt que nous avons été informés de votre comportement, nous avons tenté de vous remettre en main propre contre décharge une convocation à entretien préalable avec mise à pied à titre conservatoire jusqu’à l’issue de la procédure en cours, le 18 février 2016 à 16 heures.

La situation a alors dégénéré.

En effet, vous avez alors immédiatement indiqué que vous refusiez de quitter les locaux et entamiez une grève de la faim. Vous vous êtes rendu en salle des analystes et, l’accès à votre poste informatique étant suspendu, vous n’avez pas hésité à utiliser le poste informatique d’une autre collaboratrice de la salle des analystes, ainsi que sa messagerie électronique individuelle, pour adresser à l’ensemble des collaborateurs de la Société un message leur faisant part de votre situation et de votre intention d’entamer une grève de la faim. (')

Au vu du caractère extrêmement choquant de votre comportement et de vos propos n’hésitant pas à jeter le discrédit sur l’ensemble de la Société, nous avons été contraints d’adresser immédiatement un message d’apaisement à nos collaborateurs. Finalement, vous avez, de fait, tenu en otage cinq personnes de la Société de 19 heures à 1 heure du matin, malgré les nombreuses tentatives de la Direction pour vous raisonner et vous inciter à rentrer vous reposer.

Nous avions également demandé à la sécurité de l’immeuble de vous demander de quitter les lieux, sans plus de succès.

Confrontés à une situation de blocage, nous avons donc été contraints d’appeler les forces de police pour procéder à votre évacuation des locaux du centre d’affaires qui fermait ses portes. Elles ont également tenté de vous convaincre pendant près d’une demi-heure de quitter les lieux, ce que vous avez également refusé ; ce n’est qu’après l’accord de l’Officier de Police Judiciaire de vous évacuer de force que vous avez accepté de partir.

Le lendemain, soit le 19 février 2015, vous vous êtes à nouveau présenté dans les locaux dès 6h50 du matin, alors qu’il vous avait expressément été indiqué la veille que votre activité était suspendue.

Ainsi, très probablement à l’aide du badge de l’un de vos collègues ou d’un ancien badge en votre possession, vous êtes parvenu à pénétrer dans le centre d’affaires et vous êtes installé dans le salon d’accueil (situé derrière le comptoir de l’accueil du centre d’affaires et donc visible par l’ensemble du personnel travaillant au centre d’affaires mais également par les clients de la Société), où vous êtes resté de 9h à 17h30.

Vous vous êtes également installé, entre 12 et 14 heures, en face de l’entrée de la cantine (au sous-sol) pour téléphoner au vu et au su de l’ensemble de vos collègues et des collaborateurs des autres entreprises du centre d’affaires, tout en poursuivant votre grève de la faim, nuisant ainsi sciemment à l’image de la Société.

En parallèle, vous n’avez eu de cesse de solliciter les membres de la Direction, notamment Monsieur B, Directeur Général Délégué.

Enfin, le 23 février 2016, vous avez écrit à l’un des administrateurs de la Société pour lui faire part de la situation et de ce que vous considériez être une procédure abusive engagée à votre encontre portant ainsi gravement atteinte à l’image de la Société.

De même, début mars 2016, vous avez informé un organisme public d’investissement de l’ouverture d’une procédure à votre encontre, confirmant ainsi votre volonté de porter atteinte par tous moyens à l’image de la Société, alors même que l’entretien préalable n’avait pas encore eu lieu.

Ce n’est que le 25 février au soir que vous avez cessé votre grève de la faim ; nous avons été contraints pour ce faire de nous engager à :

- revenir sur le motif de votre licenciement pour faute lourde, si ce projet aboutissait ;

- vous payer votre mise à pied à titre conservatoire, votre préavis, votre indemnité de licenciement et votre bonus.

Nous estimons être déliés de cet engagement en ce que d’une part la condition de non dénigrement de la société n’a pas été respectée et qu’en tout état de cause il a été conclu sous la contrainte.

Lors de l’entretien préalable, vous avez persisté dans votre état d’esprit, n’hésitant pas à reporter vos insuffisances avérées sur d’autres collaborateurs et sur les choix de gestion relevant du pouvoir de direction de la Société ; vous avez enfin reconnu avoir eu l’intention d’organiser un mouvement de grève dont vous aviez fait part à votre équipe afin de les inciter à vous rejoindre.

Vous avez à nouveau reconnu ce fait par e-mail du 2 mars dernier.

Ces explications ne nous ont donc pas permis de modifier notre appréciation de la situation.

Nous vous notifions donc par la présente votre licenciement pour faute grave, la gravité de votre comportement et votre intention de nuire manifeste rendant impossible la poursuite de votre contrat de travail. (') ».

A la date du licenciement, M. X avait une ancienneté de 10 ans et 6 mois et la société Kepler Cheuvreux occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, M. X a saisi le 28 octobre 2016 le conseil de prud’hommes de Paris qui, par jugement rendu le 19 novembre 2018, l’a débouté de l’ensemble de ses demandes et condamné aux dépens et a débouté la société Kepler Cheuvreux de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 20 février 2019, M. X a relevé appel de cette décision qui lui avait été notifiée par lettre envoyée par le greffe le 5 février 2019.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 21 octobre 2020, M. X demande à la cour de le recevoir en ses conclusions d’appelant, de le déclarer bien fondé, d’infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :

A titre principal,

— fixer la moyenne de ses salaires à la somme de 16.666,67 euros ;

— juger nul et de nul effet son licenciement ;

— condamner la société Kepler Cheuvreux à lui payer à M. X la somme de 398.254,08 euros nets à titre de dommages et intérêts ;

Subsidiairement,

— juger que les griefs sont prescrits et non fondés ;

— juger que son licenciement est dépourvu de toute cause réelle et sérieuse ;

— condamner la société Kepler Cheuvreux à lui payer la somme de 398.254,08 euros nets à titre de dommages et intérêts ;

En tout état de cause,

* condamner la société Kepler Cheuvreux à lui payer les sommes de :

* 22.500 euros au titre de rappel de salaire sur mise à pied et la somme de 2.250 euros au titre des congés payés afférents,

* 50.000 euros au titre de l’indemnité de préavis et 5.000 euros au titre des congés payés afférents,

* 82.933,70 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

*100.000 euros à titre de rappel de bonus et 10.000 euros à titre de congés payés afférents ;

— juger que la convention de forfait en jours stipulée au contrat initial est nulle et de nul effet ;

— juger qu’il a travaillé bien plus que 35 heures, puis 37 heures par semaine ;

* condamner la société Kepler Cheuvreux à lui payer la somme de 422.463 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires ;

* condamner la société Kepler Cheuvreux à lui payer la somme de 100.000 euros au titre de l’indemnité pour travail dissimulé ;

— ordonner à la société Kepler Cheuvreux de lui remettre le plan régissant les bons de souscription d’action acquis le 15 avril 2014 et une attestation de détention, le tout sous astreinte de 30 euros par jour de retard ;

— ordonner à la société Kepler Cheuvreux de lui remettre ses documents de fin de contrat rectifiés

sous astreinte de 30 euros par jour de retard ;

— dire que l’astreinte courra dans les 15 jours du prononcé de la décision et se réserver la liquidation de l’astreinte ;

— condamner la société Kepler Cheuvreux à lui payer la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner la société Kepler Cheuvreux aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 21 octobre 2020, la société Kepler Cheuvreux demande à la cour de :

Sur la rupture du contrat de travail,

— confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a constaté que le licenciement pour faute grave de M. X était fondé ;

— débouter M. X de l’intégralité de ses demandes ;

Sur la durée du travail,

— confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a constaté que les règles relatives à la durée du travail avaient parfaitement été respectées ;

— débouter M. X de l’ensemble de ses demandes relatives au prétendu non-respect des règles en matière de durée du travail ;

Sur le rappel de bonus,

— confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a constaté que la société avait parfaitement respecté les règles applicables en la matière ;

— débouter M. X de l’intégralité de sa demande de rappel de bonus et des congés payés y afférents ;

A titre reconventionnel, sur l’article 700 du code de procédure civile, infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté la société de sa demande à ce titre et, statuant à nouveau, condamner M. X à lui verser la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 27 janvier 2021 et l’affaire fixée à l’audience le 30 mars 2021.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites ainsi qu’au jugement déféré.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande au titre des heures supplémentaires

S’agissant de la période antérieure au 1er janvier 2015, le recours au forfait annuel en jours était, ainsi que le soutient la société Kepler Cheuvreux, prévu par l’article 9 de l’accord de branche du 23 décembre 1999, attaché à la convention collective de la bourse alors applicable à la relation contractuelle, à laquelle s’est ensuite substituée celle des activités des marchés financiers.

Cependant, ni cet accord de branche ni l’accord d’entreprise du 20 décembre 2006, révisant le précédent accord du 29 février 2000, ne prévoyaient de dispositions précises quant aux modalités de suivi de la charge de travail des salariés relevant d’un forfait jours annuel de nature à garantir le respect du droit à la santé et au repos du salarié.

En conséquence, la convention de forfait est nulle et la demande de M. X au titre des heures supplémentaires doit être appréciée selon les règles du droit commun.

Pour la période postérieure au 1er janvier 2015, il en est de même dès lors que les nouvelles modalités d’aménagement du temps de travail, applicables en vertu des dispositions de l’article L. 1222-6 du code du travail, ont instauré un horaire hebdomadaire de 37 heures, avec octroi de 12 jours de RTT, sans prévoir de dispositif quant au respect du droit à la santé et au repos du salarié.

La demande en paiement de M. X relève donc du régime de droit commun applicable aux heures supplémentaires.

***

Aux termes de l’article L. 3171-2 alinéa 1er du code du travail lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l’article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l’employeur tient à la disposition de l’inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié.

Enfin, selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

M. X sollicite le paiement d’une somme de 422.763 euros au titre des heures supplémentaires qu’il aurait réalisées entre le 12 mai 2013 et le 31 juillet 2015 soit une somme moyenne mensuelle quasi équivalente à sa rémunération.

Au soutien de sa demande en paiement, il fait exposer que la charge de travail d’un analyste financier lui impose de débuter sa journée de travail à 6 heures, afin de préparer la réunion matinale précédant l’ouverture des marchés et de la terminer à 20 heures et parfois au-delà, et ce durant toute l’année, congés et jours fériés inclus.

Il verse notamment aux débats les pièces suivantes :

— pièce 34 : attestation de M. C qui travaillait dans l’équipe de M. X et qui fait état d’horaires de travail entre 8h, 8h30 et après 20h voire plus tard ;

— pièce 38 : un extrait du journal des mails envoyés par lui entre octobre 2015 et février 2016 ;

— pièces 39 et 40 : listing des mails adressés, initialement remis sous forme de deux clés USB correspondant à la saisie pratiquée par huissier (ordonnance du président du tribunal de grande instance de Paris du 10 mai 2016 autorisant la copie du journal des mails envoyés par lui d’avril 2013 à février 2016), et adressés à la cour en format papier (3 tomes) en cours de délibéré ;

— un décompte établi par semaine à partir du 11 mai 2013 et jusqu’au 31 juillet 2015 comptabilisant les heures réalisées entre le premier mail et le dernier mail de chaque journée.

Le salarié étaye ainsi sa demande par des éléments suffisamment précis, la société Kepler se limitant principalement à contester ses demandes, tout en précisant qu’il n’existe pas de badgeuse, les salariés accédant dans les locaux simplement par « des boutons poussoirs ».

Cependant, les documents produits par M. X appellent les observations suivantes :

— outre le caractère totalement illisible de la pièce 39, aucune des pièces ne fait apparaître le contenu des messages en sorte que la cour ne peut pas apprécier la nécessité d’une réponse immédiate pas plus que le lien avec l’activité du salarié étant observé que la société Kepler Cheuvreux produit quant à elle plusieurs messages dont le contenu relève de la vie privée du salarié et non de son activité professionnelle ;

— le décompte figurant en pièce 55 ne détaille pas les calculs des sommes figurant en dernière colonne et ce, alors que seuls sont versés aux débats par la société les bulletins de paie de la période de mars 2015 à février 2016, en sorte qu’il est impossible de vérifier l’imputation des jours fériés, de congés payés ou de RTT ;

— la mesure du temps de travail revendiqué par le salarié sur le tableau figurant dans sa pièce 55 ne peut dès lors qu’être sujette à caution d’autant que ne sont jamais déduites de pause méridiennes, alors que des interruptions résultent de l’examen du listing et que l’intitulé de certains mails comme « ils sont partis », « félicitations », « re calendrier», « confirmation d’hôtels » ne permet que de douter à la fois de leur lien avec le travail mais aussi du caractère immédiatement impératif de leur envoi ;

— la durée journalière de travail figurant sur ce tableau n’est pas corroborée par les heures des mails : à titre d’exemples, le 13 mai 2013, le décompte fait apparaître plus de 12 heures de travail mais l’envoi de mails commencé à 6h29, s’interrompt entre 10h52 et 14h et se termine à 17 h 39 ; le 1er juin 2013, qui est un samedi, il est décompté plus de 8 heures de travail alors que sont envoyés 4 mails ; le 9 juin, qui est également un samedi, il est comptabilisé 1 heure de travail pour l’envoi de 2 mails intitulés « re coucou » et « salut, tu pars ce soir … » ; les 10 et 11 juin 2013, il est comptabilisé 13 heures de travail alors qu’entre 17h12 et 20h34 et 16h55 et 19h10, il n’y a aucun envoi, celui de 20h34 et celui de 19h10 étant intitulés « re coucou » et « Re : week-end et vacances à Paris » ; le 2 juillet 2013, il est comptabilisé plus de 16 heures de travail alors qu’il n’y a aucun envoi entre 16h55 et 19h47, les derniers messages envoyés à 21h53 et 22h10 portant sur « le passeport des filles » et « ton anniversaire » ; le 4 juillet 2013, il est comptabilisé plus de 10 heures de travail alors qu’aucun envoi n’a lieu entre 9h et 14h puis après 16h42 ; le samedi 13 juillet 2013, il est comptabilisé 5 heures de travail pour l’envoi de trois mails : le 5 août 2013 (correspondant au début des vacances de M. X), il est comptabilisé plus de 9 heures de travail pour l’envoi de 4 mails entre 13h14 et 13h20, un mail à 18h40, à 21h23 et à 22h29 ; le 2 septembre 2013, il est comptabilisé près de 14 heures de travail alors qu’aucun mail n’est envoyé entre 10h24 et 13h09, puis entre 15h48 et 18h15 ; le 17 octobre 2013, il est comptabilisé plus de 12 heures de travail sans tenir compte d’une interruption de plus de 2 heures à midi ; le 11 novembre 2013, il est comptabilisé 13 heures de travail pour l’envoi de 2 mails après 9 h, 4 mails à 13 heures, deux mails à 17 heures puis 9 mails entre 18h42 et 22h10 (ce dernier portant sur une invitation à un petit déjeuner) ; le 9 décembre 2013, il est compté plus de 15 heures de travail alors qu’il y a une interruption d’envoi entre 9 heures et 13h30 ; le temps retenu pour le 20 janvier 2014 ne tient pas compte d’une pause méridienne de 2 heures ; le 28 février 2014, il est retenu 10 heures de travail sans tenir compte d’une interruption de près de 3

heures entre 7h56 et 10h54 et de près de 5 heures après 12h30 ; le 13 mars 2014, il est retenu près de 16 heures de travail alors que deux interruptions résultent du listing de deux fois 3 heures ; le 30 avril 2014, il est comptabilisé près de 14 heures de travail malgré deux interruptions de plus de 4 heures et de 3 heures ; le 14 mai 2014, il en est de même, le temps retenu ne tenant pas compte d’interruptions de près de 3 heures et de 4 heures ; le 14 juin 2014, il en est de même, le temps d’interruption de deux fois deux heures n’étant pas pris en compte ; le 7 juillet 2014, il est retenu 16 heures de travail malgré une interruption de plus de 8 heures entre 14h51 et 23h05 ; le 15 septembre 2014, il est retenu plus de 16 heures de travail malgré deux coupures de plus de 3 heures ; le 15 octobre 2014, une interruption de près de 6 heures n’est pas déduite, le dernier message adressé à 19h39 étant manifestement sans aucun rapport avec le travail (inscription de ses enfants à « ABC gym ») ; le 28 novembre 2014, il n’est pas tenu compte d’une interruption pendant 7 heures ; le 19 décembre 2014, une interruption de près de 3 heures n’est pas prise en compte ; le 22 décembre 2014, alors que M. X est en congé, sont retenues 6 heures de travail pour l’envoi de 8 mails entre 15h30 et 17h13, un dernier mail étant adressé à 21h16 ; le 13 janvier 2015, la durée de travail retenue ne tient pas compte d’une interruption de près de 3 heures ; le 18 février 2015, il est retenu plus de 12 heures de travail pour l’envoi de deux mails à 9h21 et 9h 22 puis l’envoi reprend à 16h11 ; le 20 mars, deux interruptions de 6 heures ne sont pas déduites ; le 9 avril 2015, il n’est pas tenu compte de coupures représentant près de 4 heures ; le 6 mai 2015, le temps retenu ne prend pas en compte près de 6 heures d’interruption ; le 1er juin 2015, il n’est pas tenu compte de près de 5 heures d’interruption ; le 14 juillet 2015, sont envoyés 4 mails à 10h47, 10h59, 18h18 intitulés « re News » et un mail à 22h15 intitulé « lundi » et le décompte retient 8 heures de travail.

Or, il n’est apporté aucun élément permettant de retenir que ces interruptions correspondaient à du temps de travail effectif.

En considération de ces éléments, la cour a la conviction que M. X a effectué des heures supplémentaires non rémunérées mais pas dans la proportion qu’il le revendique et au vu de l’examen des pièces produites, la société Kepler Cheuvreux sera condamnée à lui payer la somme de 118.235,12 euros bruts à titre de rappel de salaire pour la période sollicitée outre 11.823,51 euros bruts au titre des congés payés afférents.

***

Les modalités du temps de travail du salarié ayant donné lieu à débats devant la présente juridiction, le caractère intentionnel de la dissimulation des heures effectuées ne peut être retenu.

M. X sera donc débouté de sa demande au titre de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.

Sur la rupture du contrat

La lettre de licenciement adressée à M. X fait état de plusieurs griefs :

— sa rigidité notamment à l’occasion d’un incident survenu en janvier 2014, à propos de Mme Y, avec M. Z mais aussi, toujours avec ce dernier en juin 2014, la société ajoutant dans ses écritures une difficulté survenue avec un certain M. F en juin 2015 ;

— cette rigidité se serait renouvelée à travers son éloignement des objectifs fixés à son équipe pour développer l’activité ESG en demandant à ses collaborateurs de se concentrer sur le site internet ;

— elle aurait conduit à une insuffisance de son équipe en termes de publications et d’intégration, ce que stigmatisait M. A pour lui refuser l’augmentation de l’effectif de son équipe ;

— le fait d’avoir incité les membres de son équipe à faire grève en réaction au refus opposé par M. A et aux critiques qu’il émettait, voire à avoir informé les clients de ce projet ;

— son attitude suite à la remise de sa convocation à l’entretien préalable.

Au soutien des faits reprochés au salarié, la société Kepler Cheuvreux verse notamment aux débats les pièces suivantes :

— le mail adressé par M. X à M. H le 23 janvier 2015 dont le contenu démontrerait le non-respect des objectifs (pièce 10 société) ;

— le mail adressé le 7 décembre 2015 à M. X par M. A refusant le recrutement d’autre personnel au motif que l’équipe est suffisamment étoffée (pièce 14) ;

— la réponse de M. X adressée le 12 décembre 2015 en son nom mais aussi pour les membres de son équipe contestant l’analyse retenue (pièce 15) ;

— la réponse de M. A du 21 décembre 2015, maintenant sa position et prévoyant un RV avec lui le 8 janvier pour échanger sur les objectifs (pièce 16) ;

— un message de M. I du 9 février 2016 qui indique avoir appris aujourd’hui de « L » [M. J, analyste qui faisait partie de l’équipe de M. X] que M. X a demandé à son équipe de faire grève en décembre et qu’il l’a « harcelée », que les trois analystes (K, L et M) sont sous pression, et que tant que « SV » [M. X] sera à la tête de l’équipe, « L » estime qu’il n’y a aucune possibilité d’intégrer un analyste senior de gouvernance ; M. I évoque trois démissions antérieures (pièce 17) ;

— une attestation dactylographiée établie le 16 février 2016 par M. L J, qui reprend le contenu d’un mail adressé le même jour à plusieurs personnes dont M. A ; il indique notamment que M. X le détourne de ses missions en lui demandant de se concentrer sur le site internet et émet diverses critiques sur la manière de travailler de celui qui était à l’époque son chef d’équipe ; il relate également que le 10 décembre 2015, M. X l’a contacté pour lui demander « avec insistance » de se mettre en grève pour faire pression sur le management afin d’obtenir des ressources supplémentaires ; il ajoute que son refus a beaucoup agacé M. X dont il estime qu’il tentait d’utiliser sa fonction de chef d’équipe pour privilégier ses intérêts et son propre plan de carrière au détriment de l’équipe ; M. J ajoute que l’équipe était selon lui bien suffisante par rapport aux concurrents, qu’il y avait eu trois démissions dans l’équipe sur deux ans car il était très difficile de travailler avec « P » [M. X] et qu’il a décidé d’écrire à sa direction car il veut reprendre son travail d’analyse et sa mission (…) (pièces 11 et 12) ;

— une attestation dactylographiée établie le 26 février 2016 par M. M N, analyste qui faisait partie de l’équipe de M. X, qui indique que le projet de création d’un site internet était très chronophage, que cette mission (initiée en 2011) était incompatible avec les autres missions du service ; il précise qu’en décembre 2015, M. X a évoqué l’idée d’une grève pour obtenir l’embauche d’un analyste et d’un informaticien dédiés et qu’il a trouvé cette idée totalement invraisemblable et farfelue (pièce 13) ;

— le mail adressé le 18 février 2016 par M. X en provenance de la messagerie d’une collègue à l’ensemble du personnel de la société pour dénoncer l’attitude de la société, sa mise à pied « pour faute lourde » et sa décision d’entamer une grève de la faim (pièce 18) ;

— un mail du PCS attestant de l’intervention des forces de police le 19 février à 0h37 et de leur sortie à 1h04 (pièce 43).

L’ensemble de ses griefs sont contestés par M. X, qui pour le premier, invoque la prescription des faits, la société indiquant que ces faits certes anciens viennent au soutien de la rigidité reprochée au salarié.

En ce qui concerne la volonté de mettre en oeuvre un mouvement de grève, M. X reconnaît avoir évoqué avec son équipe un soir et une seule fois, hors de son lieu de travail, la possibilité de faire un débrayage pour sensibiliser la direction sur leur demande, mais indique qu’il n’a pas été donné suite à cette idée, ce que confirme M. N.

Or, M. X soutient qu’en le licenciant pour faute grave, la société s’est placée hors de l’abus du droit de grève qui justifie une faute lourde et qu’en tout état de cause, cette grève n’a pas eu lieu et qu’il n’y a eu aucune désorganisation de l’entreprise.

Selon M. X, son licenciement est nul de ce seul motif puisque le droit de grève est un droit constitutionnel.

Enfin, M. X conteste la version des faits donnée par l’employeur quant à son attitude après la remise de la convocation, même s’il reconnaît avoir eu dans un premier temps un comportement inapproprié s’expliquant, selon lui, par le choc psychologique créé par cette convocation.

***

L’employeur ayant choisi de se placer sur le terrain d’un licenciement pour faute grave doit rapporter la preuve des faits allégués et démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié au sein de l’entreprise, étant en outre rappelé qu’aux termes de l’article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de 2 mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance.

*

Il ne saurait être retenu, au regard des pièces et explications produites de part et d’autre, que M. X a été licencié parce qu’il avait eu l’intention d’exercer son droit de grève : la lettre de licenciement lui reproche en effet, non d’avoir souhaité mettre en oeuvre ce droit à valeur constitutionnelle, mais d’avoir tenté d’inciter les membres de son équipe de mener une telle action en réponse au refus de la direction d’engager du personnel supplémentaire.

Il ne peut donc être fait droit à la demande de nullité du licenciement présentée par M. X.

*

La « rigidité » alléguée à l’encontre du salarié pour justifier le licenciement de ce dernier se heurte pour partie au fait que la pièce 10 visée par la société pour justifier que M. X s’était « éloigné » de ses objectifs n’en est pas la démonstration : y figure en effet le fait que l’équipe que M. X dirigeait était en charge de la mise en place d’une plateforme Web, ce que confirment d’ailleurs M. N qui évoque un projet en cours depuis 2011, ainsi que Mme O [« K »] mais aussi la réponse faite par M. A le 7 décembre 2015 qui évoque que le projet de développement du site Web continue tout en rajoutant qu’il sera entièrement géré par un tiers.

La cour relève cependant d’une part que, même si le service que M. X avait en charge devait assumer en plus de ses autres missions la mise en oeuvre d’un site Web, la réaction très exacerbée que M. X a eu suite au refus opposé à ses demandes d’abondement de son équipe était, compte tenu de sa qualité de cadre, totalement inadaptée aux explications légitimes que lui opposait la société sur son refus d’accéder à ses prétentions, d’autant qu’il lui avait été précisé que le site serait pris en charge par un informaticien. D’ailleurs, les autres membres de son équipe ont tous exprimé leur désaccord à sa proposition de débrayage estimée au mieux « farfelue », au pire « préjudiciable » au service, réaction dont, en l’état des pièces produites, il ne peut qu’être retenu que la société n’a eu connaissance que le 9 février 2016.

D’autre part, l’attitude de rébellion adoptée par M. X, suite à la remise de sa convocation à l’entretien préalable, qui a conduit la société à devoir faire appel aux forces de l’ordre pour permettre qu’il quitte les locaux de l’entreprise, ne peut être justifiée par le refus motivé opposé à sa demande de renfort de son équipe, la solution d’un tel différend ne pouvant pas se résoudre par l’adoption par un cadre de ce niveau d’une telle attitude pas plus que par la diffusion à l’ensemble du personnel de l’annonce d’une grève de la faim et ce, même s’il faisait l’objet d’une convocation de nature disciplinaire.

Par conséquent, il y a lieu de considérer que le licenciement notifié à M. X repose sur des motifs justifiant la faute grave retenue et l’impossibilité de maintenir le salarié dans l’entreprise.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu’il a débouté M. X de l’ensemble de ses demandes au titre de la rupture de son contrat de travail.

Sur la demande en paiement au titre du bonus 2015

M. X sollicite le paiement de la somme de 100.000 euros au titre du bonus 2015, exposant avoir perçu un bonus en 2014 et 2015 pour les années antérieures (à hauteur de 110.000 et 120.000 euros).

La société Kepler Cheuvreux conclut au rejet de cette demande, soutenant qu’il s’agit d’un bonus purement discrétionnaire lié à la performance individuelle du salarié et aux performances globales de l’entreprise et estime qu’aucune somme n’est due en raison de l’attitude du salarié en 2015.

***

Par lettre non datée intitulée « Plan de fidélisation 2015-2016 », l’employeur a indiqué à M. X qu’il était éligible à un variable 2015 de 100.000 euros dont le versement était prévu en décembre 2015, sous les conditions de respect de la réglementation des métiers de la finance et des directives et règles internes à la société et sous condition qu’à la date d’acquisition, soit le mois de décembre 2015, ni lui ni la société n’aient pris l’initiative de rompre le contrat.

Les conditions prévues par l’engagement de l’employeur étant remplies, le motif du non respect des objectifs par M. X et son équipe ayant été considéré comme non établi, il sera fait droit à la demande de l’appelant à ce titre.

Sur les autres demandes

M. X sollicite la délivrance, sous astreinte du « plan régissant les bons de souscription d’actions acquis le 15 avril 201 et une attestation de détention ».

Cette demande, au soutien de laquelle aucun moyen n’est développé dans ses écritures, sera rejetée.

La société Kepler Cheuvreux devra délivrer à M. X un bulletin de paie, une attestation Pôle Emploi et un reçu pour solde de tout compte rectifiés en considération des condamnations prononcées par le présent arrêt et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de celui-ci, sans que la mesure d’astreinte sollicitée soit en l’état nécessaire.

La société Kepler Cheuvreux, condamnée en paiement, supportera les dépens de l’instance et sera condamnée à payer à M. X la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

CONFIRME le jugement déféré en ce qu’il a débouté M. P X de ses demandes au titre de la rupture de son contrat,

L’INFIRME pour le surplus,

Statuant à nouveau,

CONDAMNE la SA Kepler Cheuvreux à payer à M. P X les sommes suivantes :

—  118.235,12 euros bruts à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires réalisées sur la période du 12 mai 2013 au le 31 juillet 2015 outre 11.823,51 euros bruts au titre des congés payés afférents,

—  100.000 euros bruts au titre du bonus dû pour l’exercice 2015,

—  3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

ORDONNE à la société Kepler Cheuvreux de délivrer à M. P X un bulletin de paie, une attestation Pôle Emploi et un reçu pour solde de tout compte rectifiés en considération des condamnations prononcées par le présent arrêt et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de celui-ci,

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs prétentions,

CONDAMNE la SA Kepler Cheuvreux aux dépens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 18 mai 2021, n° 19/02757