Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 12 janvier 2021, n° 18/07198

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 4 - ch. 13, 12 janv. 2021, n° 18/07198
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 18/07198
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Paris, 5 avril 2016, N° 15/08394
Dispositif : Statue à nouveau en faisant droit à la demande en tout ou partie

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 13

ARRÊT DU 12 JANVIER 2021

(n° , 1 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/07198 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B5OOO

Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Avril 2016 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 15/08394

APPELANTES

Madame X CHAMPAGNE

Née le […] à […]

[…]

[…]

ET

CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL, Syndicat, dont le siège social est sis […], poursuites et diligences de son Administrateur confédéral demeurant en cette qualité audit siège et dûment mandaté à cet effet

[…]

[…]

Représentées par Me Elodie LEFEBVRE, avocat au barreau de PARIS, toque : G0424

Ayant pour avocat plaidant Me Maude BECKERS, avocat au barreau de SEINE SAINT DENIS

SYNDICAT DE LA MAGISTRATURE, Syndicat, dont le siège social est sis […], poursuites et diligences de son président demeurant en cette qualité audit siège et dûment mandaté à cet effet

[…]

[…]

Représenté par Me Elodie LEFEBVRE, avocat au barreau de PARIS, toque : G0424

Ayant pour avocat plaidant Me Savine BERNARD de la SELARL BERNARD – VIDECOQ, avocat au barreau de PARIS substituée par Me David VAN DER VLIST, avocat au barreau de PARIS

UNION SYNDICALE SOLIDAIRES, Syndicat, dont le siège est sis […], poursuites et diligences de son délégué général demeurant en cette qualité audit siège et dûment mandaté à cet effet

[…]

[…]

Représentée par Me Elodie LEFEBVRE, avocat au barreau de PARIS, toque : G0424

CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL FORCE OUVRIÈRE, Syndicat, dont le siège social est sis […], poursuites et diligences de son secrétaire général domicilié en cette qualité audit siège et dûment mandaté à cet effet

[…]

[…]

Représentée par Me Elodie LEFEBVRE, avocat au barreau de PARIS, toque : G0424

SYNDICAT DES AVOCATS DE FRANCE, Syndicat, dont le siège social est sis […], poursuites et diligences de son président domicilié en cette qualité audit siège et dûment mandaté à cet effet

[…]

[…]

Représenté par Me Elodie LEFEBVRE, avocat au barreau de PARIS, toque : G0424

Ayant pour avocat plaidant Me Pierre BOUAZIZ, avocat au barreau de PARIS

SYNDICAT DES GREFFIERS DE FRANCE FORCE OUVRIERE, Syndicat, dont le siège social est sis […], poursuites et diligences de son secrétaire général domicilié en cette qualité audit siège et dûment mandaté à cet effet

[…]

[…]

Représenté par Me Elodie LEFEBVRE, avocat au barreau de PARIS, toque : G0424

Ayant pour avocat plaidant Me Delphine BORGEL, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉ

L’AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT

[…]

[…]

Représenté par Me Xavier NORMAND BODARD de la SCP NORMAND & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0141, substitué à l’audience par Me Laura GIOVANNONI de la SCP

NORMAND & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque: P0141

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 04 Novembre 2020, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Mme Marie-Françoise D’ARDAILHON MIRAMON, Présidente, pour Mme Nicole COCHET, première présidente empêchée.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Mme Nicole COCHET, Première présidente

Mme Marie-Françoise D’ARDAILHON MIRAMON, Présidente

Mme Estelle MOREAU, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Séphora LOUIS-FERDINAND

ARRÊT :

— contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Mme Nicole COCHET, Première présidente, et par Djamila DJAMA, Greffière présente lors du prononcé.

* * * * *

Mme X Champagne a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre le 27 février 2013 d’une demande dirigée contre son ancien employeur pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, travail dissimulé et heures supplémentaires.

En l’absence de conciliation, le 11 avril 2013, l’affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement, à l’audience du 20 octobre 2015. Après un renvoi, le conseil des prud’hommes a statué par jugement du 19 février 2016.

Faisant grief à l’Etat du délai de plus de deux ans et demi entre l’audience de conciliation et l’audience de jugement alors que sa contestation porte sur le caractère sérieux d’un licenciement pour faute, Mme Champagne a, par acte du 13 mai 2015, assigné en responsabilité pour déni de justice, l’agent judiciaire de l’Etat, sur le fondement des articles L.141-1 du code de l’organisation judiciaire et 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

La confédération générale du travail, la confédération générale du travail Force Ouvrière, l’union syndicale Solidaires, le syndicat des avocats de France, le syndicat de la magistrature, le syndicat des greffiers de France Force Ouvrière et le syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires sont intervenus volontairement à cette instance.

Par jugement du 6 avril 2016, le tribunal de grande instance de Paris a, sous le bénéfice de l’exécution provisoire :

— déclaré irrecevables les interventions volontaires du syndicat des greffiers de France Force

Ouvrière, du syndicat de la magistrature, du syndicat des avocats de France et du syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires,

— condamné l’agent judiciaire de l’Etat à payer à Mme Champagne la somme de 3 000'€ à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice moral, ainsi que celle de 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— débouté Mme Champagne du surplus de ses prétentions,

— débouté l’Union syndicale solidaires, la Confédération Générale du Travail Force Ouvrière et la Confédération Générale du Travail de leurs demandes fondées sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné le syndicat des greffiers de France Force Ouvrière, le syndicat de la magistrature, le syndicat des avocats de France et le syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires à supporter leurs propres dépens,

— condamné l’agent judiciaire de l’Etat en tous les autres dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Mme Champagne, la confédération générale du travail, la confédération générale du travail Force Ouvrière, l’union syndicale Solidaires, le syndicat des avocats de France, le syndicat de la magistrature et le syndicat des greffiers de France Force Ouvrière ont formé appel de cette décision le 6 avril 2018.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 28 décembre 2018, Mme Champagne, la confédération générale du travail, le syndicat de la magistrature, l’union syndicale Solidaires, la confédération générale du travail Force Ouvrière, le syndicat des avocats de France et le syndicat des greffiers de France Force Ouvrière demandent à la cour de':

— infirmer le jugement dont appel en ce qu’il a :

• déclaré irrecevables les interventions volontaires du syndicat des greffiers de France Force Ouvrière, du syndicat de la magistrature, du syndicat des avocats de France,

• limité le quantum des dommages et intérêts alloués à Mme Champagne à la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice subi,

• limité à la somme de 500 euros le montant alloué à Mme Champagne au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

• débouté l’union syndicale Solidaires, le syndicat CGT-FO, la CGT, l’union syndicale des greffiers de France Force Ouvrière, le syndicat de la magistrature, le syndicat des avocats de France de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

• condamné l’union syndicale des greffiers de France Force Ouvrière, le syndicat de la magistrature, le syndicat des avocats de France à supporter leurs propres dépens,

Statuant à nouveau,

— déclarer recevables les interventions volontaires du syndicat des greffiers de France Force Ouvrière, du syndicat de la magistrature et du syndicat des avocats de France,

— 'condamner l’Etat français, représenté par l’agent judiciaire de l’Etat, à payer à Mme Champagne la somme de 12 000 € à titre de dommages et intérêts,

— condamner l’agent judiciaire de l’Etat à payer à Mme Champagne la somme de 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première

instance,

— condamner l’agent judiciaire de l’Etat à payer à Mme Champagne la somme de 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en cause d’appel,

— condamner l’agent judiciaire de l’Etat à payer à chacun des syndicats la somme de 1 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— débouter l’agent judiciaire de l’Etat de toute demande plus ample ou contraire, notamment au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens,

— condamner l’agent judiciaire de l’Etat aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 28 septembre 2018, l’agent judicaire de l’Etat demande à la cour de':

— confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

— débouter les appelants de leurs demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile, en cause d’appel,

— condamner les appelants à lui verser la somme de 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, en cause d’appel.

Dans son avis du 15 juillet 2019, le ministère public conclut à la confirmation pure et simple de la première décision entreprise.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 6 octobre 2020.

SUR CE

Sur la recevabilité de l’intervention volontaire des syndicats

Le tribunal a déclaré irrecevables les interventions volontaires accessoires du syndicat des greffiers de France Force ouvrière, du syndicat de la magistrature, du syndicat des avocats de France et du syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires, au motif que :

— s’ils placent généralement dans leurs objectifs la défense des droits des justiciables et plus généralement celle du dispositif judiciaire français et des moyens qui lui sont alloués, la recevabilité de leur intervention doit être analysée dans les termes stricts des dispositions de l’article 2131-1 du code du travail,

— ils n’ont pour mission que la protection des intérêts matériaux et moraux des magistrats ou des fonctionnaires appartenant au service de la justice ou des avocats, catégories auxquelles n’appartient pas Mme Champagne, et ne justifient pas intervenir dans l’intérêt collectif de leurs adhérents, alors que l’instance engagée par Mme Champagne vise à la réparation du préjudice purement personnel subi par elle, sur les plans financier et moral, à la suite d’un dysfonctionnement du service public de la justice.

Il a en revanche considéré justifiée la présence de l’union syndicale Solidaires, du syndicat CGT FO et de la confédération générale du travail dont les statuts prévoient la défense de tous les salariés.

La confédération générale du travail, la confédération générale du travail Force Ouvrière, l’union syndicale Solidaires, le syndicat des avocats de France, le syndicat de la magistrature et le syndicat des greffiers de France Force Ouvrière font valoir que :

— leur droit d’agir est défini par les articles L. 2131-1 et L. 2132-3 du code du travail,

— le tribunal a fait une mauvaise interprétation de l’article L.2131-1 du code du travail alors qu’un syndicat professionnel est recevable à intervenir dans une instance soulevant une question de principe susceptible d’entraîner des conséquences pour l’ensemble de ses adhérents et de présenter un préjudice même indirect à l’intérêt collectif des adhérents qu’il représente,

— le tribunal de grande instance de Paris les a déclarés recevables à agir dans de nombreuses instances introduites en 2011 et 2012,

—  concernant l’intervention volontaire formée par le syndicat des avocats de France:

— ses statuts aux points 2.4 à 2.7 lui donnent comme mission spécifique des actions qui dépassent largement la seule défense des intérêts matériels et moraux des avocats au sens strict du terme et il a un intérêt à intervenir volontairement dans la défense de la profession d’avocat, en sa qualité d’auxiliaire de justice participant au service public de la justice,

— l’intervention volontaire du syndicat des avocats de France n’a pas pour objet la défense des intérêts des salariés victimes des délais anormaux mais un intérêt distinct qui réside dans la conservation de ses droits propre à faire constater et sanctionner ces délais anormaux, qui portent atteinte au crédit de l’institution judiciaire,

— dans l’hypothèse où la question de la recevabilité de l’intervention volontaire du syndicat des avocats de France s’analyserait au regard de la seule défense de l’intérêt collectif de la profession, il est indéniable qu’il a vocation à représenter les avocats salariés qui pâtissent des dysfonctionnements des juridictions du travail imputables à une faute de l’Etat,

au sujet de l’intervention volontaire formée par le syndicat de la magistrature :

— au visa de son objet tel que défini par ses statuts, il est incontestable que l’insuffisance des moyens alloués aux juridictions affecte la capacité des magistrats à exercer leurs missions en toute indépendance et que la promotion des réformes nécessaires à la bonne organisation du service public de la justice et au fonctionnement satisfaisant de l’institution judiciaire passe nécessairement par une interpellation des pouvoirs publics quant aux graves conséquences qui résultent, pour les justiciables, de l’insuffisance des moyens qui est ici dénoncée,

— l’incapacité dans laquelle se trouvent les juridictions du travail de statuer dans un délai raisonnable sur les demandes dont elles sont saisies ne peut que jeter le discrédit sur le fonctionnement de l’institution judiciaire dans son ensemble,

— le syndicat a intérêt, pour la conservation de ses droits propres, à intervenir volontairement au soutien des justiciables, en ce que ces derniers tendent à voir consacrer l’existence d’un dysfonctionnement du service public de la justice résultant de l’insuffisance des moyens,

s’agissant de la recevabilité de l’intervention volontaire formée par le syndicat des greffiers de France Force Ouvrière:

— il est incontestable que l’insuffisance des moyens humains et matériels alloués aux juridictions affecte les conditions de travail des greffiers au quotidien,

— le syndicat a donc vocation et intérêt à agir par tous moyens afin que ces manquements soient judiciairement sanctionnés, que les victimes reçoivent indemnisation et qu’il soit mis un terme à ces manquements,

— l’incapacité dans laquelle se trouvent les juridictions du travail de statuer dans un délai raisonnable sur les demandes dont elles sont saisies ne peut que jeter le discrédit sur le fonctionnement de l’institution judiciaire dans son ensemble.

L’agent judiciaire de l’Etat répond que :

— ils n’ont pas d’intérêt à agir dans le litige opposant Mme Champagne, qui met en cause la durée de la seule procédure l’ayant opposée à son employeur, et l’agent judiciaire de l’Etat,

— l’action en responsabilité contre l’Etat, qui ne tend qu’à la réparation de son préjudice personnel, ne présente aucun lien avec l’objet des syndicats mentionnés ci-dessus.

Le ministère public soutient que :

— l’intérêt à agir en responsabilité de l’Etat du syndicat des greffiers de France Force Ouvrière, du syndicat de la magistrature et du syndicat des avocats de France apparaît peu compatible avec leurs statuts,

— la défense d’un salarié apparaît étrangère à l’objet social du syndicat des avocats de France et du syndicat de la magistrature,

— le syndicat des greffiers de France Force Ouvrière ne rapporte pas la preuve du grief résultant de la pression induite par la charge de travail de ces personnels et de son lien avec la présente instance,

— par une analyse in concreto, la défense collective des intérêts catégoriels des adhérents de ces trois syndicats diffère de l’intérêt distinct, direct et personnel de l’appelante à voir reconnaître la stricte réparation de son préjudice personnel,

— en revanche, les interventions formées par l’union syndicale Solidaires, le syndicat CGT FO et la confédération générale du travail apparaissent recevables.

En vertu des dispositions de l’article 330 du code de procédure civile, l’intervention accessoire d’une partie qui appuie les prétentions d’une partie est recevable si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie.

Mme Champagne agit sur le fondement de l’article L.141-1 du code de l’organisation judiciaire aux termes duquel l’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice et cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice, tel un délai de réponse judiciaire anormalement long, et celui de l’article 6 de la convention européenne des droits de l’Homme qui prévoit en son premier paragraphe que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable.

L’action en justice des syndicats professionnels est régie par les dispositions du code du travail suivantes :

article L.2131-1 :

Les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l’étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels, des personnes mentionnées dans leurs statuts.

article L.2132-3 :

Les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice.

Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent.

L’intérêt à agir de la confédération générale du travail, la confédération générale du travail Force Ouvrière et l’union syndicale Solidaires dont les statuts prévoient la défense de tous les salariés a été retenue en première instance et n’est pas contestée en appel mais le tribunal ayant omis de le dire, il sera précisé que leur intervention volontaire accessoire est recevable.

> l’intérêt à agir du syndicat des avocats de France

Aux termes de l’article 2 de ses statuts, ce syndicat a, notamment, pour objet ' l’action pour la défense des intérêts matériels et moraux des avocats, la recherche, avec les organisations représentatives des autres professions judiciaires, des bases d’une action commune pour une meilleure justice, l’action en vue d’associer les avocats aux initiatives tendant à assurer le fonctionnement d’une justice plus démocratique et plus proche des citoyens et de mieux garantir les droits et libertés publiques et individuelles ainsi que de toute action relative au fonctionnement de la justice.'

Le syndicat soutient à bon droit que les avocats sont des auxiliaires de justice qui participent au service public de la justice, que son action a pour but de faire sanctionner un dysfonctionnement du service de la justice puisqu’il n’assure pas aux justiciables des délais raisonnables de jugement du fait d’un manque de moyens alloués à la juridiction prud’homale et qu’il a un intérêt, pour la conservation des droits propres de ses adhérents, à agir aux côtés de la partie principale qui se plaint d’un déni de justice lié à un délai excessif de jugement de son affaire, étant précisé de surcroît que les conditions fondamentales d’exercice de leur profession sont en jeu, eux-mêmes subissant les conséquences financières de ces délais, notamment pour les avocats intervenant au titre de l’aide juridictionnelle.

> l’intérêt à agir du syndicat de la magistrature

Il résulte de l’article 3 des statuts du syndicat de la magistrature que celui-ci s’est notamment donné pour objet,'de veiller à ce que l’autorité judiciaire puisse exercer sa mission en toute indépendance, d’étudier et de promouvoir toutes les réformes nécessaires concernant l’organisation du service public de la justice et le fonctionnement de l’institution judiciaire et à ces fins , d’engager toutes actions, y compris contentieuses, tendant à assurer le respect des droits et libertés à valeur constitutionnelles ou garantis par les conventions internationales, ou de s’y associer.'

Le syndicat fait valoir de manière pertinente que le traitement anormalement long d’un contentieux relevant de l’ordre judiciaire intéresse collectivement les magistrats puisqu’il est susceptible d’affecter la qualité du service public de la justice judiciaire qu’il a vocation à défendre et que les actions simultanées engagées par de nombreux justiciables constituent une des modalités de l’interpellation des pouvoirs publics à laquelle il a naturellement vocation à prendre part au regard de son objet statutaire, que l’incapacité dans laquelle se trouvent les juridictions prud’homales à statuer dans un délai raisonnable garanti par la convention européenne des droits de l’homme a pour effet de jeter un discrédit sur le fonctionnement de l’institution judiciaire dans son ensemble. Dès lors, le syndicat de la magistrature dont les conditions fondamentales d’exercice de la profession de ses adhérents sont en jeu, a un intérêt distinct, pour la conservation de ses droits, à agir au soutien de l’action de Mme Champagne.

> l’intérêt à agir du syndicat des greffiers de France Force Ouvrière

L’article 3 de ses statuts mentionnent qu’il a pour objet 'l’étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels, des greffiers des services judiciaires.'

Le syndicat soutient avec justesse qu’il a intérêt, pour la conservation de ses droits, à intervenir au soutien des justiciables dont Mme Champagne, en ce que les actions de ces derniers tendent à voir constater l’existence d’un dysfonctionnement du service public de la justice résultant de l’insuffisance des moyens donnés aux juridictions du travail afin qu’il y soit remédié, que l’incapacité dans lesquelles se trouvent ces juridictions de statuer dans un délai raisonnable sur les demandes dont elles sont saisies jette un discrédit sur le fonctionnement de l’institution judiciaire en son ensemble et sur l’activité des greffiers en particulier, lesquels sont aussi les victimes au quotidien des mauvaises conditions de travail liées à l’insuffisance des moyens alloués.

Les interventions accessoires de ces trois syndicats ayant été autorisées par des délibérations spéciales à intervenir volontairement dans l’instance engagée par Mme Champagne seront déclarées recevables, en infirmation du jugement.

Sur le fond

Le tribunal a retenu que le délai de deux ans et six mois et demi dans lequel les parties ont été invitées à comparaître devant le bureau de jugement à la suite de l’audience devant le bureau de conciliation est effectivement anormalement long, ce d’autant qu’une partie des prétentions de Mme Champagne tendait au paiement de sommes qui présentaient un caractère alimentaire.

Il a considéré que seul son préjudice moral, lié à la majoration de l’inquiétude que procure tout procès en raison du délai excessif, pouvait être indemnisé, son préjudice financier en lien avec le dysfonctionnement reconnu de l’Etat, n’étant pas démontré.

Le principe du manquement de l’Etat n’est pas contesté, seul est en discussion son préjudice.

Mme Champagne, formant appel incident, soutient que :

— elle a attendu pendant trois années de voir son affaire entendue devant le conseil des prud’hommes alors que sa contestation portait sur le caractère sérieux d’un licenciement pour faute,

— elle n’aurait pas été dans une situation de détresse psychologique et financière si son employeur avait été condamné dans des délais raisonnables, ce qui lui aurait permis de bénéficier des sommes allouées par le conseil des prud’hommes au moment où sa famille était dans la nécessité,

— elle souhaitait régler cette affaire dans les meilleurs délais notamment du fait du caractère infamant du licenciement et de ses incidences sur sa carrière à venir dans le milieu très fermé de l’industrie pharmaceutique,

— elle a dû contracter des dettes pour faire face aux charges de la vie courante puisque son conjoint avait perdu son emploi.

L’agent judiciaire de l’Etat répond que :

— en considérant pour raisonnable un délai de six mois, entre l’audience de conciliation et celle de jugement, seul le délai de 24 mois est déraisonnable,

— la cause du renvoi d’octobre à décembre 2015 n’est pas connue mais ne saurait être imputée au fonctionnement défectueux du service public de la justice dès lors qu’un renvoi a pour objet de permettre aux parties de se mettre en état,

— le préjudice matériel invoqué ne résulte nullement de la durée excessive de la procédure critiquée,

— sur ce dernier point, la motivation du tribunal ne souffre d’aucune critique,

— l’appelante ne démontre pas en quoi son préjudice ne serait pas suffisamment réparé par la somme allouée en première instance et ne justifie pas davantage du quantum de la somme demandée.

Le ministère public soutient que:

— l’examen de la situation personnelle de Mme Champagne fait apparaître un délai supplémentaire qu’il est possible de qualifier d’excessif à hauteur de 24 mois,

— les difficultés financières induites par le fait que son conjoint a perdu son emploi sont dépourvues de lien causal avec la durée de la procédure devant le conseil des prud’hommes,

— Mme Champagne avait retrouvé un emploi le 18 décembre 2013,

— l’attente d’une décision de justice qui se prolonge peut avoir des incidences sur l’état de santé de Mme Champagne, mais pas dans les proportions décrites par elle, qui n’en rapporte pas la preuve par les pièces produites à l’instance.

L’Etat comme le ministère public considérant à juste titre qu’un délai de six mois, entre l’audience de conciliation et celle de jugement, apparaît raisonnable, seul le délai de 24 mois supplémentaire doit être jugé excessif.

Alors que le délai de jugement n’est devenu excessif qu’à compter d’octobre-novembre 2013, Mme Champagne a retrouvé un emploi dès le 18 décembre 2013. Par ailleurs, l’attestation sollicitée par son conjoint auprès de Pole Emploi couvrant la période du 1er janvier au 31 décembre 2014 certifie que celui-ci a été indemnisé pour la seule période du 27 novembre au 31 décembre 2014 soit près d’un an après qu’elle même a retrouvé un emploi.

Enfin, si Mme Champagne justifie de l’octroi d’un prêt personnel de 5 000 € par la banque LCL le 30 août 2013 et de l’existence d’un crédit renouvelable de 3 000 € octroyé par la société Sofinco dont 2 000 € restaient à rembourser en octobre 2013 et 2 800 € en juillet 2014, il n’est pas précisé la date originelle de ce crédit permanent et surtout il n’est pas justifié de l’emploi des fonds prêtés aux fins de régler des charges de la vie courante que ses revenus ne lui permettaient pas d’honorer.

En conséquence, Mme Champagne ne rapporte pas la preuve d’un préjudice financier en lien de causalité avec le délai excessif de jugement du litige l’opposant à son employeur et le jugement sera confirmé en ce qu’il l’a déboutée de sa demande en réparation de ce chef de préjudice.

Elle ne verse au débat aucune pièce de nature à étayer la détresse psychologique dont elle se prévaut et le préjudice moral indéniable lié à la majoration de l’inquiétude relative à l’issue de son procès, seul en lien causal avec le délai excessif retenu, a été justement indemnisé par l’octroi de la somme de 3 000 €.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dépens de première instance seront mis entièrement à la charge de l’Etat et la condamnation au titre des frais irrépétibles de Mme Champagne confirmée.

Les dépens d’appel doivent incomber à l’agent judiciaire de l’Etat, partie perdante.

En revanche, il n’y a pas lieu, en équité, de faire droit à la demande de chacun des syndicats sur le

fondement de l’article 700 du code de procédure civile, en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement sauf en ce qu’il a :

— déclaré irrecevables les interventions volontaires du syndicat des greffiers de France Force Ouvrière, du syndicat de la magistrature et du syndicat des avocats de France,

— condamné le syndicat des greffiers de France Force Ouvrière, le syndicat de la magistrature et le syndicat des avocats de France à supporter leurs propres dépens,

Statuant à nouveau, dans cette limite,

Déclare recevables les interventions volontaires du syndicat des greffiers de France Force Ouvrière, du syndicat de la magistrature et du syndicat des avocats de France,

Condamne l’agent judiciaire de l’Etat aux entiers dépens de première instance,

Rectifiant d’office une omission de statuer,

Déclare recevables les interventions volontaires de la confédération générale du travail, la confédération générale du travail Force Ouvrière et l’union syndicale Solidaires,

Condamne l’agent judiciaire de l’Etat aux dépens d’appel,

Dit n’y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

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