Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 3, 16 juin 2021, n° 20/16641

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 1 - ch. 3, 16 juin 2021, n° 20/16641
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 20/16641
Décision précédente : Tribunal de commerce de Bobigny, 4 novembre 2020, N° 2020R00181
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires

REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 3

ARRET DU 16 JUIN 2021

(n° , 7 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/16641 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCVIL

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 05 Novembre 2020 -Président du TC de BOBIGNY – RG n° 2020R00181

APPELANTE

S.A.S. BIZERBA FRANCE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[…]

[…]

Représentée par Me Francisco BRIGAS-MONTEIRO, avocat au barreau de PARIS, toque: A0483

Assistée par Me Bertrand BOALHON, Avocat au Barreau d’ANNECY

INTIMEE

S.A. DIGI FRANCE Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité.

[…]

[…]

[…]

Représentée par Me Nadia BOUZIDI-FABRE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0515

Assistée par Me Patrick ROULETTE, avocat au Barreau de BOBIGNY, toque : 192

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 10 Mai 2021, en audience publique, rapport ayant été fait par Mme Edmée BONGRAND, Conseillère conformément aux articles 804, 805 et 905 du CPC, les avocats ne s’y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre

Carole CHEGARAY, Conseillère

Edmée BONGRAND, Conseillère

Greffier, lors des débats : Olivier POIX

ARRÊT :

— CONTRADICTOIRE

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre et par Olivier POIX, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

*******

Les sociétés Bizerba France et Digi France ont pour activité principale la vente de solutions de pesage et des périphériques s’y rattachant.

La société Digi France est dirigée par M. B A qui occupait jusqu’au 31 décembre 2018 les fonctions de président de la société Bizerba France.

Par courrier du 2 mars 2020, la société Bizerba France a demandé à la société Digi de cesser ses opérations de débauchage de ses salariés.

Par courrier du 12 mars 2020, la société Digi France a invoqué la régularité de ses recrutements et a demandé à Bizerba de lui communiquer le nom des anciens salariés soumis à une obligation de non
-concurrence.

Le 23 mars 2020, la société Bizerba France a transmis à la société Digi France l’intégralité des noms de ses anciens salariés tenus par une clause de non concurrence, la société Digi lui répliquant que les deux anciens salariés de la société Bizerba France engagés par elle n’étaient pas liés par une telle clause.

Arguant de l’existence de clauses de non concurrence valables, et de leur non-respect, la société Bizerba France a mis en demeure la société Digi France de faire cesser ce qu’elle considère être constitutif d’un acte de concurrence déloyale.

Par courrier du 5 juin 2020, la société Digi France a refusé de donner suite à cette demande, la société Bizerba France l’a assignée en référé devant le juge des référés du tribunal de commerce de Bobigny afin qu’il soit mis fin aux agissements dénoncés.

Par ordonnance contradictoire du 5 novembre 2020, le juge des référés du tribunal de commerce de Bobigny a :

— rejeté la demande de la SAS Bizerba France,

— débouté de la SA Digi France de sa demande de dommages-intérêts,

— dit que les entiers dépens sont à la charge de la société Bizerba France,

— dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,

— rappelé que l’exécution provisoire est de droit.

Par déclaration du 17 novembre 2020, la société Bizerba France a interjeté appel de l’ensemble des chefs expressément énoncés de cette ordonnance.

Par conclusions du 29 décembre 2020, la société Bizerba France demande à la cour, au visa des articles 31,122, 873 et 700 du code de procédure civile de :

— constater l’intérêt à agir de la société Bizerba France,

— déclarer la demande de la société Bizerba France, recevable et bien fondée,

— constater l’existence de clauses de non concurrence dans les contrats de M. C X et M. D Y,

— constater que la société Digi France avait connaissance de ces clauses de non- concurrence,

en conséquence :

— réformer la décision de première instance en ce qu’elle a rejeté la demande de la SAS Bizerba France,

— confirmer la décision de première instance en ce qu’elle a débouté la SA Digi France de sa demande de dommages-intérêts,

— ordonner à la société Digi France, sous astreinte de 500 euros par jour de retard et par salarié, la cessation du trouble manifestement illicite, et par conséquent, la rupture de tout lien de droit avec MM. C X et D Y,

— débouter la société Digi France de l’ensemble de ses demandes,

— condamner la société Digi France à verser à la société Bizerba France la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l’instance.

La société Bizerba déclare avoir intérêt à agir quand bien même les clauses de non- concurrence litigieuses seraient arrivées à expiration puisqu’elle a interjeté appel durant l’application de ces clauses et que la recevabilité d’une demande s’apprécie au jour où elle est formée sans pouvoir être remise en cause par l’effet de circonstances postérieures.

Elle considère que l’absence de demande indemnitaire par elle ne révèle pas, comme l’affirme l’intimée, l’absence d’intérêt à agir puisqu’elle entend obtenir la réparation du préjudice subi dans le cadre d’une procédure à intervenir.

Elle soutient que la violation d’une clause de non- concurrence limitée dans le temps et dans l’espace constitue un trouble manifestement illicite auquel le juge des référés peut mettre fin, que la violation d’une clause qui interdit à un salarié de collaborer avec une entreprise ayant le même objet social constitue également un trouble manifestement illicite, que l’employeur qui embauche un salarié en pleine connaissance d’une clause de non concurrence est complice de cette violation et se rend coupable d’un acte de concurrence déloyale.

Elle fait valoir d’une part que le juge des référés peut ordonner au nouvel employeur, pour faire cesser le trouble manifestement illicite, de procéder à la rupture de tout lien de droit avec le salarié concerné, sous astreinte et d’autre part que l’absence de décision de la juridiction prud’homale sur la validité d’une clause de non concurrence et sur la violation par le salarié concerné de son obligation

de non-concurrence n’empêche pas la juridiction commerciale saisie de trancher cette question lors de l’instance opposant les employeurs successifs.

Elle affirme que les deux salariés engagés par la société Digi France sont soumis à une clause de non
-concurrence rémunérée, ce dont la société Digi France a été parfaitement informée à plusieurs reprises par elle sans qu’elle ne mette fin à cette situation et ce qu’elle ne pouvait ignorer puisque les deux salariés concernés ont été embauchés par la société Bizerba France alors sous la direction de M. A, actuel directeur général de la société Digi France.

Elle relève que les clauses de non-concurrence n’ont donné lieu à aucun contentieux initié par les salariés devant la juridiction prud’homale et rappelle que la clause de non concurrence de M. X lui interdit de rentrer au service d’une entreprise proposant des services identiques ou similaires pouvant concurrencer ceux de Bizerba, que la société Digi France a la même activité principale qu’elle, à savoir la vente de solutions de pesage et des périphériques pouvant s’y rattacher, que dès lors le poste occupé par M. X importe peu.

Elle prétend que, s’agissant d’un trouble manifestement illicite, aucun texte ni jurisprudence n’impose, comme l’a fait le premier juge, de démontrer l’existence d’une désorganisation de l’entreprise concurrente en lien avec le départ des salariés concernés.

Elle entend s’opposer à la demande reconventionnelle en dommages intérêts pour procédure abusive en contestant avoir commis un quelconque abus du droit d’ester en justice.

Par conclusions du 22 décembre 2020, la société Digi France demande à la cour au visa des articles 31 du code de procédure civile, 1240 du code civil et 873 du code de procédure civile de :

in limine litis

— déclarer irrecevables pour défaut d’intérêt à agir tant l’appel que les demandes formulées par la société Bizerba France,

sur le fond

— constater l’absence de trouble manifestement illicite,

— dire et juger que la juridiction des référés est incompétente pour statuer sur les demandes de la société Bizerba France au visa des dispositions de l’article 873 du code de procédure civile,

— confirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a débouté la société Bizerba France de ses demandes,

subsidiairement

— débouter la société Bizerba France de toutes ses demandes, fins et conclusions,

— accueillir la société Digi France en son appel incident,

— condamner la société Bizerba France à payer à la société Digi France la somme de 5.000 euros au titre de provision sur dommages intérêts au visa des dispositions de l’article 1240 du code de procédure civile,

— condamner la société Bizerba France au paiement de la somme de 5.000 euros au visa des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens tant de première instance que d’appel.

Elle déclare que dans le cadre de l’instance d’appel, elle entend denier à la société Bizerba France le moindre intérêt à agir compte tenu de l’expiration des clauses de non concurrence lorsque la cour statuera.

Elle fait valoir que seul le conseil de prud’hommes est compétent pour statuer sur un contentieux relatif à une clause de non concurrence, que l’absence de procédure préalable à l’encontre des anciens salariés par la société Bizerba France prive cette dernière de toute possibilité d’invoquer devant la juridiction commerciale, l’existence d’un trouble manifestement illicite.

Elle affirme par ailleurs que l’appelante ne démontre pas qu’elle avait connaissance de l’existence de ces clauses de non concurrence avant l’embauche des salariés, que cette preuve ne peut résulter de ce que son dirigeant, M. A, était un ancien cadre de la société Bizerba France, étant établi qu’à la date d’embauche de M X, la politique de Bizerba France était de ne pas soumettre ses salariés à une clause de non concurrence et que le contrat de travail de M. Y a été signé par Mme Z et non par M. A, sans qu’il soit démontré que celui-ci avait délégué sa signature à celle-là.

Elle considère avoir parfaitement rempli ses obligations à l’embauche de ces deux salariés puisqu’elle les a interrogés sur l’existence d’une clause de non concurrence, que la validité de la clause de non concurrence de M X est contestée par ce dernier et qu’au surplus l’emploi actuel de M. X nerelève pas de la clause de non concurrence.

MOTIFS

— Sur l’intérêt à agir de la société Bizerba France

Les deux clauses de non concurrence sur lesquelles la société Bizerba France fonde ses demandes dirigées à l’encontre de la société Digi France étaient d’une durée de 12 mois à compter de la date de départ de la société Bizerba France de M. X le 20 décembre 2019 et de M. Y le 27 décembre 2019.

A la date de l’introduction de l’instance par la société Bizerba France, le 22 juin 2020, ces clauses de non concurrence étaient donc en cours d’application. La société Bizerba France a interjeté appel le 17 novembre 2020.

L’expiration de ces clauses de non concurrence postérieurement à la déclaration d’appel de la société Bizerba France est sans effet sur l’intérêt à agir de celle-ci, l’existence du droit d’agir en justice s’appréciant à la date de la demande introductive d’instance et ne pouvant pas être remise en cause par l’effet de circonstances postérieures par application des dispositions de l’article 31 du code de procédure civile.

Se prévalant d’un trouble manifestement illicite, la société Bizerba France tire de ce moyen un intérêt à agir, quand bien même elle ne se prévaut pas, dans la présente instance, de l’existence d’un préjudice à réparer.

En conséquence, la société Bizerba France justifie bien d’un intérêt à agir et la fin de non-recevoir soulevée devant la cour sera rejetée.

— Sur le trouble manifestement illicite et la demande de la société Bizerba France

L’article 873 du code de procédure civile dispose que le président du tribunal de commerce peut, dans les mêmes limites, et même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d’un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit.

Le principe de la liberté du travail impose, pour que soient caractérisés des actes de concurrence déloyale, de démontrer que l’embauche par une entreprise concurrente de salariés démissionnaires s’accompagne de procéder déloyaux ou illicites et ce même en l’absence de désorganisation de l’entreprise.

Ainsi, toute personne qui emploie sciemment un salarié en violation d’une clause de non concurrence souscrite par ce dernier, commet une faute délictuelle à l’égard de la victime de l’infraction, pour autant que cette clause n’encourt pas la critique, son illiceité faisant obstacle à l’existence d’un acte de non concurrence et donc à celle d’un trouble manifestement illicite.

Se prévalant d’un acte de concurrence déloyale résultant d’une embauche en violation d’une clause de non concurrence, la société Bizerba France doit démontrer la connaissance de cette clause par le nouvel employeur, étant rappelé que l’absence de décision de la juridiction prud’homale sur la validité ou la nullité d’une clause de non concurrence et sur la violation par le salarié concerné ne constitue pas un obstacle à ce que la présente juridiction statue sur une demande fondée sur une clause de non concurrence dès lors que ce litige oppose les employeurs successifs, le premier recherchant la responsabilité du second pour complicité de violation de clause de non concurrence.

En l’espèce, tant M. Y que M. X ont déclaré à la société Digi France, leur nouvel employeur 'être libre de tout engagement envers leur précédent employeur', la société Bizerba France, 'ne pas être tenu par une clause de non-concurrence au titre d’un précédent emploi qui aurait pour objet ou pour effet d’être incompatible avec l’exécution du présent contrat ou qui en empêcherait la conclusion'.

Pour autant, s’agissant de M. X, la connaissance de l’existence de la clause de non concurrence par la société Digi France n’est pas sérieusement contestable dès lors qu’il est établi que le contrat de travail de M X, non modifié, a été signé par M. A lui-même lorsqu’il était dirigeant de la société Bizerba France.

Par ailleurs, il s’évince des pièces que la société Bizerba France a informé la société Digi France de la soumission de MM X et Y à une clause de non-concurrence par courrier du 23 mars 2020 certes postérieurement à la conclusion des contrats de travail avec la société Digi France mais pendant la période d’essai, sans que celle-ci n’en tire la moindre conséquence.

S’il n’est fait état d’aucun élément venant remettre en cause la validité de la clause de non concurrence imposée à M. X, il est constant qu’aucune contestation n’a été soulevée par M. Y quant à la validité de la clause qui lui était applicable, et ce malgré les conclusions de la consultation juridique sollicitée par lui à ce sujet concluant à la violation par cette clause des dispositions spécifiques du droit Alsace-Moselle.

L’embauche de ces deux anciens salariés de la société Bizerba France par la société Digi France, en situation concurrentielle reconnue, en violation de clauses de non concurrence non sérieusement contestables et connues par elle, revêt donc un caractère déloyal constitutif d’un trouble manifestement illicite.

La société Bizerba France se borne à solliciter sur le fondement des dispositions précitées, afin de mettre fin au trouble manifestement illicite que constitue l’embauche en violation de la clause de non concurrence que soit ordonnée sous astreinte la rupture de tout lien de droit entre la société Digi France et Messieurs X et Y, ses salariés, soit la rupture de leurs contrats de travail.

Les mesures conservatoires ou de remise en état visées à l’article 873 du code de procédure civile

sont des mesures à caractère provisoire destinées à la préservation des droits de celui qui y prétend dans l’attente d’une décision au fond.

Or, la rupture de contrats de travail, sollicitée par la société Bizerba France ne peut être considérée comme une mesure conservatoire ou de remise en état, compte tenu de son caractère définitif.

Cette mesure excèdant les pouvoirs du juge des référés, il n’y a pas lieu à référé sur les demandes de la société Bizerba France. L’ordonnance sera donc confirmée, par substitution de motifs, sur ce chef de demande.

— Sur la demande de dommages-intérêts

La société Digi France ne justifie ni de la faute ni du préjudice allégué à l’appui de sa demande en dommages intérêts qui sera en conséquence rejetée. L’ordonnance sera confirmée en ce qu’elle a rejeté la demande de dommages -intérêts formulée par la société Digi France.

— Sur les dépens et les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

Le sort des dépens et de l’indemnité de procédure a été exactement réglé par le premier juge.

Succombant, la société Bizerba France supportera la charge des dépens d’appel et d’une indemnité au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur de 4000 euros.

PAR CES MOTIFS

Rejette la fin de non recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir de la société Bizerba France,

Confirme l’ordonnance en toutes ses dispositions,

y ajoutant,

Condamne la société Bizerba France aux dépens d’appel,

Condamne la société Bizerba France à payer à la société Digi France la somme de 4000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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Textes cités dans la décision

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