Cour d'appel de Paris, Pôle 5 chambre 6, 14 juin 2023, n° 21/00755

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 ch. 6, 14 juin 2023, n° 21/00755
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 21/00755
Importance : Inédit
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Date de dernière mise à jour : 19 juin 2023
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Sur les parties

Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 6

ARRET DU 14 JUIN 2023

(n° , 13 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/00755 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CC5D7

Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Décembre 2020 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PARIS RG n° 17/13099

APPELANTE

S.C.I. L & L PATRIMOINE

immatriculée au RCS de Soissons sous le n° 814.976.429, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège,

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Jérôme HASSID, avocat au barreau de PARIS, toque : E0048

INTIMEES

Société FONDS COMMUN DE TITRISATION CASTANEA AYANT POUR SOCIETE DE GESTION LA SAS EQUITIS GESTION représenté par la S.A.S. MCS ET ASSOCIES, ayant son siège social [Adresse 4], agissant en qualité de recouvreur, poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, venant aux droits de la SA SOCIETE GENERALE en vertu d’un bordereau de cession de créances du 03 août 2020 soumis aux dispositions du Code monétaire et financier

[Adresse 5]

[Adresse 5]

Représentée par Me Arnaud GUYONNET de la SCP SCP AFG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044

S.C.I. W.M. F. INVESTISSEMENT

inscrite au RCS de Paris sous le n° 442 889 465, dont le

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège,

[Adresse 6]

[Adresse 6]

Défaillante ( signification de la déclaration d’appel en date du 05 mars 2021 convertie en procès-verbal de recherche conformément à l’article 659 du CPC)

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 09 Mai 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Marc BAILLY, Président de chambre

M. Vincent BRAUD, Président, entendu en son rapport

Mme Pascale SAPPEY-GUESDON, Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Anaïs DECEBAL

ARRET :

— Défaut

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par M. Vincent BRAUD, Président et par Anaïs DECEBAL,Greffier, présente lors de la mise à disposition.

*

* *

Selon des offres de prêt du 3 novembre 2006 acceptées le 15 novembre 2006, la Société générale a consenti à la société civile immobilière WMF Investissement trois prêts immobiliers afin de financer l’acquisition d’un ensemble immobilier sis [Adresse 1], à [Localité 11] :

' le premier pour un montant de 187 230 euros, remboursable sur 20 ans moyennant un taux d’intérêt de 4,20 % hors frais et assurance,

' le second pour un montant de 107 130 euros remboursable sur 20 ans moyennant un taux d’intérêt de 4,20 % l’an hors frais et assurance,

' le troisième pour un montant de 327 065 euros remboursable sur 20 ans moyennant un taux d’intérêt de 4,20 % hors frais et assurance.

Par courrier du 2 décembre 2015, la Société générale a sollicité de la société civile immobilière WMF Investissement le paiement sous huitaine d’échéances impayées pour chacun de ces prêts, chiffrées aux sommes de 21 164,95 euros, 34 150,42 euros et

10 082,04 euros.

Par courrier du 14 décembre 2015, [D] [R], gérant de la société civile immobilière WMF Investissement, a sollicité la mise en place d’un échéancier.

La Société générale s’est ensuite prévalue par courriers recommandés du 21 avril 2016 de l’exigibilité anticipée des deux premiers prêts, mettant en demeure la société civile immobilière WMF Investissement de lui payer sous huitaine la somme de 151 587,60 euros représentant le principal restant dû au titre du prêt d’un montant 187 230 euros, et la somme de 88 599,80 euros au titre du principal restant dû au titre du prêt de 107 130 euros, outre les intérêts de retard à échoir.

La Société générale s’est également prévalue par courrier recommandé du 23 mai 2016 de l’exigibilité anticipée du troisième prêt, mettant en demeure la société civile immobilière WMF Investissement de lui payer sous huitaine la somme de 258 787,30 euros représentant le principal restant du au titre du prêt de 327 065 euros, outre les intérêts de retard à échoir.

Par actes notariés des 25 novembre et 4 décembre 2015, et 8 mars 2016, la société civile immobilière WMP Investissement a conclu les ventes suivantes portant sur certains lots de l’ensemble immobilier situé [Adresse 1] à [Localité 11] :

' le 25 novembre 2015, une vente au profit de la société civile immobilière JADE INVEST du lot no 9 dans le volume 3 et du volume 4 d’un ensemble immobilier situé [Adresse 3], cadastrés [Cadastre 7] volume 3, au prix de 200 000 euros,

' le 25 novembre 2015, une vente au profit de [W] [A] des lots nos 3, 4 et 5 d’un ensemble immobilier situé [Adresse 3], cadastrés [Cadastre 7] volume 3, au prix de 200 000 euros,

' le 4 décembre 2015, une vente au profit d'[I] [T], gérante de la société civile immobilière Jouenne en cours d’immatriculation, du lot no 7 d’un ensemble immobilier situé [Adresse 3], cadastré [Cadastre 7] volume 3, au prix de 100 000 euros,

' le 8 mars 2016, une vente au profit de la société civile immobilière L & L Patrimoine d’un bâtiment industriel sis [Adresse 2], cadastré [Cadastre 9] et du lot no 5 du même ensemble immobilier cadastré [Cadastre 8] au prix de 50 000 euros.

Suite au non-remboursement des emprunts de la société civile immobilière WMF Investissement, la Société générale a assigné la société civile immobilière WMF Investissement en paiement de ses créances devant le tribunal de grande instance de Paris par actes des 20 et 23 juin 2016.

Par jugement du 16 octobre 2018, le tribunal de grande instance de Paris a notamment condamné la société civile immobilière WMF Investissement à payer à la Société générale :

' la somme de 141 907,85 euros au titre du premier prêt portant intérêts au taux majoré de 4,20 % à compter du 13 mai 2016 outre 100 euros au titre de l’indemnité portant intérêts au taux légal jusqu’à parfait paiement,

' la somme de 83 021,18 euros au titre du second prêt portant intérêts au taux majoré de 4,20 % à compter du 13 mai 2016 outre 100 euros au titre de l’indemnité portant intérêts au taux légal jusqu’à parfait paiement,

' la somme de 242 519,28 euros au titre du troisième prêt portant intérêts au taux majoré de 4,20 % à compter du 13 mai 2016 outre 100 euros au titre de l’indemnité portant intérêts au taux légal jusqu’à parfait paiement.

Par exploits d’huissier des 8, 11, 14, 20, septembre 2017, la Société générale a assigné la société civile immobilière WMF Investissement, la société civile immobilière Jouenne, la société civile immobilière L & L Patrimoine, la société civile immobilière Jade Invest, [W] [A] et [M] [P] devant le tribunal de grande instance de Paris afin de voir prononcer l’inopposabilité des ventes conclues à leur profit.

Le 3 août 2020, la Société générale a cédé ses créances sur la société WMF Investissement au fonds commun de titrisation Castanea ayant pour société de gestion Equitis Gestion, représenté par son recouvreur la société MCS et associés. La société WMF Investissement a été informée de cette cession par un courrier recommandé en date du 1er septembre 2020.

Vu le jugement réputé contradictoire du tribunal judiciaire de Paris du 11 décembre 2020 qui, sur l’assignation délivrée les 8, 11, 14, 20 septembre 2017 par la Société générale à la SCI WMF Investissement, la SCI Jouenne, la SCI L & L Patrimoine, la SCI Jade Invest, [W] [A] et [M] [P] en inopposabilité des ventes conclues à leur profit :

CONSTATE le désistement d’instance de la Société générale à l’égard de Mme [W] [A] et Mme [M] [P],

DECLARE ce désistement parfait,

CONSTATE l’extinction de l’instance à titre accessoire entre la Société générale, Mme [W] [A] et Mme [M] [P],

REJETTE les demandes de sursis à statuer,

DECLARE inopposables à la Société générale les ventes suivantes :

— la vente consentie le 25 novembre 2015 par la société civile immobilière WMF Investissement à la société civile immobilière Jade Invest portant sur lot n°9 dans le volume 3, et du volume 4 d’un ensemble immobilier situé [Adresse 3] cadastré [Cadastre 7] au prix de 200 000 euros,

— la vente consentie le 8 mars 2016 par la société civile immobilière WMF Investissement à la société civile immobilière L & L Patrimoine d’un bâtiment industriel sis [Adresse 2] cadastré [Cadastre 9] et du lot no 5 du même ensemble immobilier cadastré [Cadastre 8] au prix de 50 000 euros,

DIT que cette inopposabilité autorise la Société générale, dans la limite de sa créance, à échapper aux effets de ces aliénations en saisissant le cas échéant les biens aliénés entre les mains des tiers,

REJETTE pour le surplus les demandes de la Société générale au titre de la fraude paulienne,

DIT n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE in solidum la SCI WMF Investissement, la SCI Jouenne, la SCI L & L Patrimoine et la SCI Jade Invest aux dépens,

ORDONNE l’exécution provisoire du présent jugement.

Vu l’appel interjeté par la société L & L Patrimoine contre la Société générale et la SCI WMF Investissement par déclaration en date du 7 janvier 2021.

Vu les dernières conclusions en date du 6 septembre 2022 de la société civile immobilière L & L Patrimoine qui exposent que :

— Au moment où le jugement entrepris a été rendu la Société générale aurait cédé ses droits à un fond de titrisation, or ni le tribunal ni la conclusion n’en avait été informé et que donc a minima le jugement a été rendu au profit d’une personne morale dépourvue de tout droit. Ledit fond devait intervenir mais en première instance.

— La société L & L Patrimoine a pour gérant Monsieur [Z] [H]. Elle n’a jamais été débitrice de la Société générale. Elle n’a contracté auprès de cet établissement bancaire aucun emprunt.

— La créance invoquée par l’intimé pour justifier l’action paulienne semble avoir été contractée dans des circonstances parfaitement rocambolesques et juridiquement fautives.

— La société WMF Investissement était représentée devant notaire par Mme [O] et la société L & L Patrimoine par M. [G].

— Les documents produits par la banque émanent d’un site société.com qui ne permet d’établir officiellement la situation d’absolument personne.

— La société L & L Patrimoine a une personnalité morale propre distincte de ses membres ou de ses dirigeants.

— Rien n’a été avancé en première instance pour établir la connaissance par la société L & L Patrimoine de la fraude.

— Les éléments objectifs sont les suivants : la vente a été passée dans des conditions régulières, à un prix dont il a été admis par tous en première instance, qu’il correspondait au prix du marché, par deux personnes distinctes représentants la SCI venderesse et la SCI concluante, dont il n’a jamais été avancé qu’elles auraient été informées de la fraude supposée.

— Lorsque l’opération est réalisée, la société WMF Investissement ne subit juridiquement ou comptablement aucun appauvrissement. Son actif est du même montant.

— L’appréhension par un créancier de fonds portés au crédit d’un compte bancaire est incomparablement plus aisée que l’appréhension d’un bien immobilier qui implique une longue et coûteuse procédure de saisie immobilière. Il appartenait donc à la banque non pas de contester l’acte de vente qui ne réalise ni juridiquement ni comptablement aucun appauvrissement mais l’acte par lequel la société venderesse aurait selon la banque dissipé les fonds correspondants. L’acte d’appauvrissement se situe à ce moment mais en aucun cas au jour de la vente dans des conditions et à un prix normal.

— La Banque soutient que la vente litigieuse l’aurait privée « de la possibilité de prendre des garanties sur ces biens ». Or au moment où les prêts ont été accordés la banque a décidé de ne prendre aucune hypothèque. Elle ne peut donc aujourd’hui avancer ce type d’argument puisque dès le départ elle a entendu prêter sans garantie

— La Banque prétend qu’il serait impossible d’apprécier le prix de vente puisque des travaux auraient été réalisés, or aucun élément du dossier n’établit que des travaux ont été réalisés et en outre qu’il auraient augmenté la valeur du bien en litige.

— La banque indique qu’en première instance la société WMF Investissement a exposé que les fonds ont servi à désintéresser un autre créancier que donc son patrimoine a été appauvri « à l’égard de la Société générale ». Or aucun texte ne prévoit un tel appauvrissement. Par ailleurs le fait de payer une dette n’appauvrit pas puisqu’en regard du flux de sortie le passif diminue d’autant.

— L’appauvrissement et l’insolvabilité ne sont pas établis alors qu’il appartient au demandeur à l’action paulienne d’établir cet acte d’appauvrissement entraînant l’insolvabilité.

— La banque ne démontre pas qu’en application de l’article 1341-2 du code civil, le cocontractant avait connaissance de la fraude puisque la fraude aurait consisté non pas à vendre un bien mais à en dissiper le prix

— La société WMF Investissement était propriétaire de nombreux autres biens notamment dans le voisinage de celui acquis. Rien ne démontre que la société L & L Patrimoine aurait été informée des ventes qui ont eu lieu avant et postérieurement à celle en litige. L’acte en lui-même ne porte aucun appauvrissement qui aurait entraîné de près ou de loin une insolvabilité.

— La société L & L Patrimoine demande à la banque de verser au débat le courrier en date du 2 mars 2016 adressé à la société WMF Investissement auquel il est fait référence dans l’une des pièces de la Société générale.

Subsidiairement et si par hypothèse le principe de l’action de la Société générale était acquis il faut juger que la banque a concouru à la réalisation du préjudice qu’elle invoque car :

Elle a accordé trois prêts pour plus de 600 000 euros en rachat de créances et à titre de travaux qui ne semblent avoir été nullement justifiés le tout s’en prendre aucune garantie réelle et elle ne justifie pas avoir poursuivi la caution.

Les offres de prêts comportaient un engagement pour la société débitrice de consentir une garantie hypothécaire sous quinzaine à toute demande dudit établissement bancaire, or la banque n’a jamais actionné cette possibilité d’inscription hypothécaire.

Les conditions dans lesquelles les prêts ont été consentis et cette négligence sont manifestement fautives. Ainsi la banque devra dans le cadre d’une future saisie immobilière restituer à la concluante tous produits supérieurs au prix de vente du bien c’est-à-dire supérieur à 50 000 euros. À défaut, la banque réaliserait un enrichissement sans cause.

De sorte qu’elle demande à la cour de :

— INFIRMER en totalité le jugement entrepris

— Ordonner avant dire droit la communication par l’intimée de son courrier du 2 mars 2016,

— DIRE ET JUGER s’agissant de la société L & L Patrimoine que la fraude n’est pas établie

— DEBOUTER la Société générale de ses demandes.

Subsidiairement, pour le cas où le principe de l’action paulienne serait retenu :

— DIRE ET JUGER que la Société générale devra restituer à la société L & L Patrimoine tous produits d’une éventuelle mesure de saisie mobilière supérieurs au prix d’acquisition c’est-à-dire 50 000 euros et en tant que de besoin l’y condamner,

— CONDAMNER la Société générale au paiement d’une somme de 3700 euros sur le fondement de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions en date du 20 septembre 2022 du fonds commun de titrisation Castanea ayant pour société de gestion la société par actions simplifiée Equitis Gestion, représenté par son recouvreur, la société par actions simplifiée à associé unique MCS et associés,venant aux droits de la Société générale en vertu d’un bordereau de cession de créances du 3 août 2020 soumis aux dispositions du code monétaire et financier, qui exposent que :

— La société L & L Patrimoine ne peut se prévaloir de la relation contractuelle entre la Société générale et la SCI WMF Investissement car :

Comme la jurisprudence l’a affirmé à plusieurs reprises, l’action paulienne est dirigée non pas contre le débiteur lui-même mais contre son cocontractant ; ne vise ni à prononcer la nullité de l’acte passé en fraude des droits du créancier, ni à engager la responsabilité des auteurs, mais à rendre inopposable l’acte frauduleux et confère au contractant du débiteur évincé le droit de se prévaloir de la garantie d’éviction contre le débiteur. Par ailleurs l’action paulienne s’exerce indépendamment de la relation ayant uni le créancier et le débiteur.

— Ainsi le contractant du débiteur visé par l’action paulienne ne pouvait invoquer l’éventuelle négligence du créancier.

— De surcroit les conditions d’octroi des prêts à la SCI WMF Investissement ne sont nullement critiquables et la SCI WMF Investissement n’a d’ailleurs aucunement cherché à engager la responsabilité de la banque dans le cadre de l’instance en paiement engagée à son encontre, son moyen de défense se limitant à vainement soulever la nullité de la stipulation d’intérêts au motif d’un taux effectif global erroné.

Les conditions de mise en 'uvre de l’action paulienne sont réunies à l’égard de la société L & L Patrimoine car :

Pour exercer une action paulienne, le créancier doit être titulaire d’un droit antérieur ou tout au moins concomitant à l’acte qu’il entend critiquer. Il suffit que le demandeur ait un principe certain de créance au jour de l’acte frauduleux et non une créance certaine liquide et exigible. Ainsi le fait que la déchéance du terme des prêts ait été prononcée postérieurement à la vente litigieuse du 8 mars 2016 est totalement inopérant, d’autant que la société L & L Patrimoine reconnaît que la SCI WMF Investissement était déjà défaillante dans le remboursement des échéances de ses prêts.

Les ventes sont ainsi intervenues concomitamment à la carence de la SCI WMF Investissement alors que le principe de la créance de la Société générale n’était pas contestable.

Pour exercer une action paulienne, il faut prouver l’existence d’un acte d’appauvrissement créant ou aggravant l’insolvabilité du débiteur. L’intention de la SCI WMF Investissement d’organiser son insolvabilité et d’agir en fraude des droits de la Société générale est rapportée en l’espèce.

L’argument selon le bien aurait été vendu au prix du marché (50 000 €) et que le prix de vente entré dans le patrimoine de la SCI WMF Investissement aurait compensé la perte du bien ne saurait convaincre, car il est impossible d’apprécier le prix de vente puisque que la SCI WMF Investissement a procédé à d’importants travaux sur l’ensemble immobilier situé [Adresse 1] à [Localité 11] acquis en 2003 pour ensuite diviser les lots et créer une copropriété.

Par ailleurs l’acte d’appauvrissement s’analyse également en tenant compte des circonstances de la vente et des effets emportés sur le patrimoine du débiteur. Or, la substitution d’une somme en numéraire ' particulièrement fongible ' à un bien immobilier permet de créer une insolvabilité immédiate par transfert des fonds. La SCI WMF Investissement avait indiqué en première instance avoir désintéressé avec l’argent reçu desdites ventes un autre créancier, sans le prouver. Ce faisant, elle a néanmoins reconnu que son patrimoine a été appauvri à l’égard de la Société générale puisque les prix de vente n’ont pas été affectés au remboursement des prêts immobiliers. Le débiteur a ainsi sciemment organisé son insolvabilité en ne procédant pas au remboursement des prêts immobiliers et en faisant disparaître ses biens de son patrimoine.

Si la saisie d’un compte bancaire se fait plus aisément qu’une saisie immobilière, encore faut-il que le créancier ait connaissance de l’encaissement du prix de vente sur le compte bancaire de son débiteur qui se garde bien de l’informer des opérations qu’il effectue pour organiser son insolvabilité.

Pour exercer une action paulienne, il faut prouver l’existence d’une fraude et la complicité de la société L & L Patrimoine. Selon la jurisprudence, la fraude paulienne n’implique par ailleurs pas nécessairement l’intention de nuire, qui résulte, en matière de vente d’immeuble, non clandestine et à un prix normal, de la seule connaissance que le débiteur et son cocontractant à titre onéreux ont du préjudice causé au créancier par l’acte litigieux. Dans la pratique la preuve de la fraude s’évince de divers indices, du caractère inhabituel de l’opération et même de l’impossibilité de toute explication à l’acte. C’est fréquemment la proximité entre la date de l’acte critiqué et celle de la naissance du principe de la créance qui permet d’établir la fraude.

Il y a une fraude puisque la SCI WMF Investissement a vendu quasiment tout l’ensemble immobilier en 4 mois juste après avoir reçu les premières mises en demeure de la Société générale et pendant qu’elle négociait un accord de règlement en réalité uniquement pour avoir le temps nécessaire à la dissipation de son patrimoine ; les ventes ont toutes été effectuées « contrat en mains », c’est-à-dire que le vendeur a pris à sa charge les frais liés à la vente (frais de notaire, etc.) alors qu’ils sont habituellement à la charge de l’acheteur ; la SCI WMF Investissement n’a pas remboursé les prêts consentis par la Société générale malgré la vente des biens financés et les allégations de [M] [P] qui affirme avoir été victime des agissements frauduleux concertés de [D] [R], de sa mère et du notaire en charge des ventes, maître [K], qui peu de temps après qu’elle eut découvert l’escroquerie, s’est donné la mort.

La SCI L & L Patrimoine avait parfaitement conscience de nuire aux intérêts du créancier et de participer à une fraude puisque la SCI WMF Investissement et les acquéreurs des biens, dont la SCI L & L Patrimoine partageaient à l’époque des actes litigieux le même dirigeant : [D] [R].

Les arguments de l’appelante selon lesquels les justificatifs versés en 1re instance par la Société générale provenant du site « société.com » n’établiraient pas « officiellement » l’identité des dirigeants et que sa personnalité morale serait distincte de son dirigeant ou de ses membres ne sauraient convaincre.

L’intimé verse aux débats un procès-verbal d’assemblée générale ordinaire de la SCI L & L Patrimoine du 8 mars 2016 14 heures ' jour de la vente du bien immobilier à son profit par la SCI WMF Investissement ' présidée par [D] [R], en sa qualité de gérant date à laquelle il nomme à sa [Adresse 10]. La cour ne manquera pas également d’examiner avec attention la situation actuelle de de l’appelante, en réalité manifestement toujours dirigée par [D] [R].

Sur les demandes subsidiaires de la société L & L Patrimoine

La société L & L Patrimoine forme une demande reconventionnelle tendant à exiger du créancier qui procèderait à la saisie immobilière du bien mal acquis qu’il lui restitue sur le prix d’adjudication à venir, la somme de 50 000 € correspondant au prix de vente qu’elle a elle-même versé. Cette demande totalement nouvelle en cause d’appel sera purement et simplement écartée au visa de l’article 564 du code de procédure civile.

De surcroît, cette demande est dénuée de fondement juridique.

De sorte qu’il demande à la cour de :

JUGER RECEVABLE l’intervention du FONDS COMMUN DE TITRISATION CASTANEA ayant pour société de gestion, la société EQUITIS GESTION SAS, représenté par son recouvreur la société MCS ET ASSOCIES, venant aux droits de la Société générale en vertu d’un bordereau de cession de créances du 3 août 2020 ;

CONFIRMER le Jugement prononcé le 11 décembre 2020 par la 2ème chambre 2ème section du Tribunal judiciaire de Paris en toutes ses dispositions ;

DEBOUTER la société L & L Patrimoine de toutes ses prétentions principales et subsidiaires ;

CONDAMNER la société L & L Patrimoine au paiement d’une indemnité de 10.000€ sur le fondement de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux entiers dépens.

La société civile immobilière WMF Patrimoine est intimée défaillante.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 14 mars 2023 et l’audience fixée au 9 mai 2023.

CELA EXPOSÉ,

Sur la recevabilité de la demande subsidiaire de l’appelante :

Aux termes de l’article 564 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

Le fonds commun de titrisation Castanea conteste sur ce fondement la recevabilité de la demande de condamnation présentée à titre subsidiaire par l’appelante, et tendant à dire et juger que la Société générale devra restituer à la société L & L Patrimoine tous produits d’une éventuelle mesure de saisie mobilière supérieurs au prix d’acquisition c’est-à-dire 50 000 euros et en tant que de besoin l’y condamner.

La demande présentée en cause d’appel par la société L & L Patrimoine constitue une demande reconventionnelle. Elle se rattache en effet aux prétentions originaires par un lien suffisant car elle entend tirer les conséquences de la reconnaissance du bien-fondé de l’action paulienne engagée par le créancier. La société L & L Patrimoine est donc, au regard des articles 64, 70 et 567 du code de procédure civile, recevable en sa demande subsidiaire.

Sur la communication de pièces :

La société L & L Patrimoine demande communication d’une lettre de la société WMF Investissement du 2 mars 2016, mentionnée dans la pièce no 8 de la banque (mise en demeure de la Société générale du 5 avril 2016 relative au prêt de 187 230 euros).

Aux termes de l’article 132 du code de procédure civile, la partie qui fait état d’une pièce s’oblige à la communiquer à toute autre partie à l’instance.

Si la lettre dont communication est demandée est mentionnée dans une pièce de la partie intimée, celle-ci n’en fait pas pour autant état dans ses écritures. Il n’y a pas lieu d’en ordonner la production.

Sur l’action paulienne :

Aux termes de l’article 1167 ancien du code civil, dans sa rédaction applicable à l’espèce, les créanciers peuvent, en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits.

Il s’ensuit que le créancier qui demande que des actes du débiteur lui soient inopposables doit justifier d’une créance certaine en son principe au moment de l’acte argué de fraude ; prouver que le débiteur s’est appauvri alors que sa créance est antérieure à l’acte attaqué ; et que cet acte a été établi en fraude à ses droits.

La fraude doit s’apprécier à la date de l’acte par lequel le débiteur se dépouille.

La fraude paulienne n’implique pas nécessairement l’intention de nuire ; elle résulte de la seule connaissance que le débiteur, ainsi que son cocontractant à titre onéreux, ont du préjudice causé au créancier par l’acte litigieux en se rendant insolvable ou en augmentant son insolvabilité. Le créancier doit donc établir au jour de l’acte litigieux l’insolvabilité au moins apparente de son débiteur, outre sa conscience de créer un préjudice au créancier en appauvrissant son patrimoine.

Si c’est au créancier exerçant l’action paulienne d’établir l’insolvabilité, au moins apparente, du débiteur à la date de l’acte critiqué, c’est à ce dernier qu’il appartient de prouver qu’il dispose de biens de valeur suffisante pour répondre de l’engagement.

Devant la cour, le fonds commun de titrisation Castanea, venant aux droits de la Société générale, attaque par l’action paulienne la vente consentie le 8 mars 2016 par la société WMF Investissement à la société L & L Patrimoine d’un bâtiment industriel sis [Adresse 2], à [Localité 11], cadastré [Cadastre 9] et du lot no 5 du même ensemble immobilier cadastré [Cadastre 8], au prix de 50 000 euros.

L’appelante reconnaît qu’au moment où la vente litigieuse est passée, la société venderesse était débitrice de 51 063 euros à l’égard de la Société générale. Le tribunal a relevé en outre avec pertinence que la Société générale avait dès le 2 décembre 2015 mis en demeure la société WMF Investissement de s’acquitter de l’arriéré des emprunts à peine de déchéance de leur terme (pièces nos 17, 21 et 22 de l’intimé). Ainsi il est établi qu’au jour de l’acte argué de fraude, la Société générale justifie d’une créance certaine en son principe. Il est par ailleurs constant qu’au jour où elle a introduit l’action paulienne, soit le 20 septembre 2017, elle avait une créance liquide à l’égard de la société WMF Investissement consécutivement à la déchéance du terme des prêts prononcée les 21 avril et 23 mai 2016 (pièces nos 10, 11 et 19 de l’intimé).

L’appelante conteste que la vente litigieuse constitue un acte d’appauvrissement, parce que l’immeuble cédé est remplacé dans le patrimoine de la société WMF Investissement par l’allocation d’un prix de vente, et que l’appréhension par un créancier de fonds portés au crédit d’un compte bancaire est plus aisée que l’appréhension d’un bien immobilier.

Le premier juge a considéré à raison que par l’effet de la vente querellée, la société WMF Investissement a distrait de son patrimoine un bien immeuble en le remplaçant par des fonds plus faciles à dissimuler. Or, il est constant que le prix de la vente n’a pas été affecté au remboursement des emprunts immobiliers de la société WMF Investissement. En outre, l’acte frauduleux a eu pour effet de rendre impossible l’exercice du droit spécial dont disposait le créancier sur la chose aliénée, puisque les offres de prêt comportaient un engagement pour la société débitrice de consentir une garantie hypothécaire sous quinzaine à toute demande de l’établissement bancaire. Aussi est-ce bien à tort que l’appelante reproche à la Société générale de n’avoir pas usé de ce droit, alors qu’en tout état de cause l’exercice de l’action paulienne n’est pas subordonné à la constitution de sûretés antérieurement à l’acte d’appauvrissement du débiteur (1re Civ., 4 janv. 1995, no 92-17.908).

Outre que l’action paulienne est par suite recevable même si le débiteur n’est pas insolvable (1re Civ., 10 déc. 1974, no 72-11.223), le tribunal a exactement caractérisé au jour de l’acte litigieux l’insolvabilité au moins apparente de la société WMF Investissement qui :

' avait déjà procédé à quatre ventes dans l’ensemble immobilier sis [Adresse 1] (pièces nos 26 à 29 de l’intimé) ;

' négociait concomitamment un accord de règlement ;

' n’a pas pour autant remboursé les prêts consentis par la Société générale à la suite des ventes précédentes et des premières mises en demeure du 2 décembre 2015, non plus qu’à la suite de la vente litigieuse, des relances de la banque des 5 avril et 13 mai 2016 (pièces no 8, 9 et 18 de l’intimé) et de l’assignation en payement des 20 et 23 juin 2016 (pièce no 33 de l’intimé) ;

' ne conteste pas avoir dissipé le produit des ventes.

En procédant à la vente litigieuse dans ces circonstances, la société WMF Investissement ne pouvait qu’avoir conscience du préjudice qu’elle causait à son créancier.

Par ailleurs, l’appelante ne prouve pas que la société WMF Investissement dispose de biens de valeur suffisante pour répondre de son engagement.

La société L & L Patrimoine objecte encore qu’il n’est pas établi qu’elle ait eu connaissance de la fraude ainsi démontrée. La cour fait cependant siens les motifs détaillés par lesquels le premier tribunal a jugé du contraire du fait de l’identité de gérant des sociétés venderesse et acheteuses (pièces nos 26, 27, 29 à 32 de l’intimé). Cette identité est confirmée en cause d’appel par un procès-verbal d’assemblée générale de la société civile immobilière L & L Patrimoine du 8 mars 2016, à 14 heures, jour de la vente en cause, assemblée générale présidée par [D] [R] en sa qualité de gérant, et où il nomme à sa [Adresse 10] (pièce no 49 de l’intimé).

L’ensemble des conditions d’application de l’article 1167 du code civil étant réunies à l’égard de la société L & L Patrimoine, il convient de confirmer le jugement en toutes ses dispositions.

Sur la demande subsidiaire de l’appelante :

La société L & L Patrimoine fait valoir que si la demande de la banque était déclarée bien fondée, la banque devrait dans le cadre d’une future saisie immobilière lui restituer tous produits supérieurs au prix de vente du bien c’est-à-dire supérieurs à 50 000 euros. À défaut, la banque réaliserait un enrichissement au détriment de l’appelante, qui ne serait nullement causé. L’éventuel préjudice de la banque ne pourrait être réparé au-delà du montant précité.

Il résulte de l’article 1167 du code civil que l’acte reconnu frauduleux n’est révoqué que dans l’intérêt du créancier et à la mesure de cet intérêt. Il subsiste au profit du cocontractant pour tout ce qui excède l’intérêt du créancier.

En l’espèce, l’intérêt du créancier n’est pas borné par le prix de l’acte de vente passé en fraude de ses droits, mais par sa créance. La vente du 8 mars 2016 ne subsiste au profit de la société L & L Patrimoine que pour ce qui excède la créance du fonds commun de titrisation Castanea. L’appelante sera déboutée de sa demande tendant à limiter au montant de 50 000 euros les effets de l’inopposabilité à l’intimé de la vente attaquée.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Aux termes de l’article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. L’appelante en supportera donc la charge.

En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :

1o À l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

2o Et, le cas échéant, à l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l’aide aurait exposés s’il n’avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l’article 37 de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 .

Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.

Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent.

La somme allouée au titre du secundo ne peut être inférieure à la part contributive de l’État majorée de 50 %.

Sur ce fondement, la société L & L Patrimoine sera condamnée à payer au fonds commun de titrisation Castanea la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles.

LA COUR, PAR CES MOTIFS,

DIT n’y avoir lieu à communication de la lettre de la Société générale du 2 mars 2016;

CONFIRME le jugement ;

Y ajoutant,

DÉBOUTE la société L & L Patrimoine de sa demande de restitution de tous produits d’une éventuelle mesure de saisie supérieurs à 50 000 euros ;

CONDAMNE la société L & L Patrimoine à payer au fonds commun de titrisation Castanea, ayant pour société de gestion la société Equitis Gestion, représenté par son recouvreur la société MCS et associés, venant aux droits de la Société générale, la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société L & L Patrimoine aux dépens ;

REJETTE toute autre demande plus ample ou contraire.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

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Cour d'appel de Paris, Pôle 5 chambre 6, 14 juin 2023, n° 21/00755