Cour d'appel de Reims, 1ere chambre sect.civile, 22 février 2022, n° 20/01679

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Reims, 1re ch. sect.civ., 22 févr. 2022, n° 20/01679
Juridiction : Cour d'appel de Reims
Numéro(s) : 20/01679
Décision précédente : Tribunal judiciaire de Reims, 15 octobre 2020
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

ARRET N°

du 22 février 2022


R.G : N° RG 20/01679 – N° Portalis DBVQ-V-B7E-E5HJ


X


K L

c/


E


E


E


S.A.R.L. BACCHUS & CIE


SP


Formule exécutoire le :

à :

Me Pascal GUERIN

la SCP AD AE AF-AG AH AI AJ

COUR D’APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE-1° SECTION

ARRET DU 22 FEVRIER 2022

APPELANTS :

d’un jugement rendu le 16 octobre 2020 par le Tribunal de Grande Instance de REIMS

Monsieur B X

[…]

[…]


Représenté par Me Pascal GUERIN, avocat au barreau de REIMS

Madame O K L épouse X

[…]
Représentée par Me Pascal GUERIN, avocat au barreau de REIMS

INTIMES :

Madame M E

[…]

[…]


Représentée par Me Colette AE de la SCP AD AE AF-AG AH AI


AJ, avocat au barreau de REIMS

Madame I E épouse Y

[…]

[…]


Représentée par Me Colette AE de la SCP AD AE AF-AG AH AI


AJ, avocat au barreau de REIMS

Monsieur H E

[…]

[…]


Représenté par Me Colette AE de la SCP AD AE AF-AG AH AI


AJ, avocat au barreau de REIMS

S.A.R.L. BACCHUS & CIE

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés de droit audit siège

[…]

[…]


Représentée par Me Stanislas CREUSAT de la SCP RAHOLA CREUSAT LEFEVRE, avocat au barreau de


REIMS

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

Madame Z MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre

Madame Véronique MAUSSIRE, conseillère

Mme Sandrine PILON, conseillère

GREFFIER :

Monsieur Nicolas MUFFAT-GENDET, greffier lors des débats et lors du prononcé, DEBATS :


A l’audience publique du 17 janvier 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 22 février 2022,

ARRET :


Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 22 février 2022 et signé par Madame Z


MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre, et Monsieur Nicolas MUFFAT-GENDET, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *


M B X a l’usufruit de plusieurs lots dans un immeuble en copropriété situé […] à


Reims.


La SARL Bacchus et cie bénéficie d’un bail commercial sur un local situé à la même adresse et une cour. Elle

y exerce une activité de débit de boissons, organisation événementielle, caviste entrepositaire sous l’enseigne

« Le Clos ».


Se plaignant de nuisances sonores, M X et son épouse, Mme O X, ont sollicité une expertise en référé, qui a été confiée par la cour d’appel de Reims à M P G par arrêt du 9 janvier 2019.


M et Mme X ont ensuite fait assigner la SARL Bacchus et cie, ainsi que Mme M E, Mme


I Y E et M H E en qualité de bailleurs de celle-ci, les 27, 28 et 29 mai 2020 devant le tribunal judiciaire de Reims afin que soit ordonné l’arrêt de toute activité par la société Bacchus et cie en raison d’un trouble anormal de voisinage et pour obtenir une indemnisation .


Par jugement du 16 octobre 2020, le tribunal judiciaire de Reims a :

déclaré Mme O X irrecevable en ses demandes,•

• jugé que la SARL Bacchus et cie est auteur d’un trouble anormal du voisinage causé à M B


X, usufruitier d’un appartement sis au 1er étage de l’ensemble immobilier sis […] à


Reims par l’exploitation générale (avec et sans musique amplifiée) de la cour dudit ensemble immobilier,

• jugé que Mme M E, Mme I Y E et M H E sont responsables dudit trouble en leur qualité de bailleur de la SARL Bacchus et cie

• « jugé que verser à M B X une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile » ordonné une mesure d’expertise et désigné à cette fin M Q F, expert en acoustique,•

• condamné la SARL Bacchus et cie à verser à M B X une indemnité de 8 925 euros en réparation de son préjudice de jouissance arrêté à la date du jugement,

• condamné Mme M E, Mme I Y E et M H E, bailleurs, au paiement de cette indemnité in solidum avec la SARL Bacchus et cie dans la limite de 2 231,25 euros

• condamné la SARL Bacchus et cie à verser à M B X une somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

• condamné Mme M E, Mme I Y E et M H E à verser à


M B X une somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, constaté le désistement d’instance de M R C et de Mme S T épouse C,• débouté les parties du surplus de leurs demandes,•

• condamné la SARL Bacchus et cie aux entiers dépens comprenant les frais d’expertise judiciaire, avec faculté de recouvrement direct au profit de Me Guérin.
M et Mme D ont relevé appel de cette décision le 2 décembre 2020, une première fois en indiquant que


M H E était appelant (instance figurant au rôle sous le n°20/01678) et une seconde fois (instance n°

20/01679) en indiquant qu’eux seuls étaient appelants, M H E étant intimé, avec la SARL Bacchus et cie, ainsi que Mme M E et Mme I Y E.


Par conclusions notifiées le 17 décembre 2021, M et Mme X demandent à la cour d’appel de :

les recevoir en leur appel et de les y déclarer fondés,•

• infirmer le jugement en ce qu’il a déclaré irrecevable la demande de Mme X, limité le préjudice de jouissance et n’a pas prononcé la fermeture de l’établissement Bacchus et cie,


Et statuant à nouveau,

• juger qu’en sa seule qualité d’occupante de l’appartement, fût-ce à titre secondaire depuis 1988, Mme


X est recevable dans ses demandes tendant à voir faire cesser le trouble anormal de voisinage que constituent les nuisances sonores nées de l’activité de la société Bacchus et cie, fixer leur préjudice de jouissance arrêté au 31 janvier 2022 à la somme de 75 600 euros,• condamner la société Bacchus et cie au paiement de cette somme,•

• condamner l’indivision E in solidum avec la société Bacchus à due concurrence de 25% de cette somme, soit 18 900 euros,


Vu l’article 544 du code civil,

• juger que le principe de proportionnalité ne saurait s’appliquer alors que la société Bacchus et cie promet de faire effectuer des études et des travaux pour remédier au trouble anormal de voisinage depuis 2015 sans jamais les réaliser alors qu’elle soutient qu’il est possible d’y mettre un terme,

• ordonner la fermeture de l’établissement exploité sous l’enseigne le Clos par la société Bacchus et cie, pour sa partie dans la cour de l’immeuble […] et ce sous astreinte de 1 000 euros par jour à compter de la signification de l’arrêt à intervenir et ce pendant 3 mois passé lequel il sera à nouveau fait droit,

• condamner la société Bacchus et cie à leur payer une somme de 15 000 euros sur le fondement de

l’article 700 du code de procédure civile,

• la condamner aux entiers dépens de première instance et d’appel comprenant les procès-verbaux de constat dressés le 2 juillet 2015, les 6 et 9 juillet 2018, le 6 juillet 2018, le 17 juillet 2018, le 27 juillet

2018 et le 8 novembre 2019 jugés utiles à l’instruction du dossier et en autoriser le recouvrement par


Me Pascal Guérin avocat, dans le cadre et limites des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

• juger la société Bacchus et cie et les consorts E, propriétaires bailleurs mal fondés en leurs appels incidents ; les en débouter,

• condamner les consorts E à leur payer une somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article

700 du code de procédure civile.


Par conclusions transmises le 15 décembre 2021, la SARL Bacchus et cie demande à la cour d’appel

d’infirmer le jugement et de :

constater l’absence d’anormalité du bruit généré par l’établissement « Le Clos » qu’elle exploite,• constater que les conditions du trouble anormal du voisinage ne sont pas réunies,•


En conséquence, statuant à nouveau,

débouter les consorts X de l’ensemble de leurs demandes,•


A titre subsidiaire, • constater que la société Bacchus accepte de mettre en 'uvre les mesures préconisées par l’expert judiciaire dans son rapport,


En tout état de cause,

• condamner les consorts X à lui payer une somme de 7 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile,

• les condamner aux entiers dépens lesquels comprendront les frais d’expertise ordonnée en référé, dont distraction au profit de la SCP Rahola Creusat Lefèvre, conformément aux dispositions de l’article

699 du code de procédure civile, dire n’y avoir lieu à l’exécution provisoire.•


Par conclusions notifiées le 30 avril 2021, Mme M E, Mme I Y E et M


H E demandent à la cour d’appel :

d’infirmer le jugement en ce qu’il a :•

♦ jugé que la SARL Bacchus et cie est auteur d’un trouble anormal du voisinage causé à M


B X, usufruitier d’un appartement sis au 1er étage de l’ensemble immobilier sis […] à Reims par l’exploitation générale (avec et sans musique amplifiée) de la cour dudit ensemble immobilier,

♦ jugé que Mme M E, Mme I Y E et M H E sont responsables dudit trouble en leur qualité de bailleur de la SARL Bacchus et cie,

♦ jugé que verser à M B X une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

♦ condamné la SARL Bacchus et cie à verser à M B X une indemnité de 8 925 euros en réparation de son préjudice de jouissance arrêté à la date du jugement,

♦ condamné Mme M E, Mme I Y E et M H E, bailleurs, au paiement de cette indemnité in solidum avec la SARL Bacchus et cie dans la limite de 2 231,25 euros,

♦ condamné Mme M E, Mme I Y E et M H E à verser à M B X une somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

le confirmer pour le surplus,•


Statuant à nouveau,

statuer ce que de droit sur la nullité du rapport d’expertise,•


A défaut,

• juger que le rapport d’expertise de M P G est incomplet et lui ordonner de procéder à un complément d’expertise avec pour mission de préciser la notion de bruit résiduel appliqué à l’étude

d’impact, procéder à de nouvelles mesures tous les jours de la semaine et en excluant l’activité de la


SARL Bacchus et cie pour déterminer le bruit résiduel habituel, surseoir à statuer sur le fond dans l’attente du dépôt du rapport d’expertise complémentaire,•


A défaut,

débouter M et Mme X de l’ensemble de leurs demandes,•


A défaut, surseoir à statuer dans l’attente du dépôt du rapport de M F,•


A défaut,

• juger que la fermeture sollicitée ne peut pas s’appliquer à l’activité de la SARL Bacchus et cie exercée dans son local fermé, débouter M et Mme X de l’ensemble de leurs autres demandes,•


En tout état de cause,

• condamner la SARL Bacchus et cie à les garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à leur encontre y compris au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

• condamner in solidum M et Mme X à leur payer ensemble la somme de 7 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

• les condamner aux dépens prévus à l’article 695 du code de procédure civile en application de l’article

696 du même code, autorisant la SCP AD AE AF-AG AH AI AJ à les recouvrer directement sur les parties adverses.

MOTIFS


La première déclaration d’appel formalisée par M et Mme X, enregistrée sous le numéro de répertoire général 20/01678 vise par erreur M H E comme appelant et non comme intimé. Elle a fait l’objet

d’une rectification par une seconde déclaration d’appel, enrôlée sous le numéro 20/1679.


Ces deux procédures seront donc jointes sur le fondement de l’article 367 du code de procédure civile afin

d’être jugées ensemble.

* Sur la recevabilité des demandes de Mme X


Il résulte de l’article 31 du code de procédure civile que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention.


L’action fondée sur la théorie des troubles anormaux du voisinage, destinée à réguler les rapports entre voisins quel que soit leur titre d’occupation, est ouverte même dans l’hypothèse d’une occupation périodique dans le cas d’une résidence secondaire.


M et Mme X produisent plusieurs attestations de personnes affirmant que Mme X séjourne régulièrement dans l’appartement situé […] à Reims où il est même indiqué qu’elle se réfugie lorsque son mari est en déplacement pour raisons professionnelles afin de ne pas rester seule dans leur maison de Rethel, qui constitue leur résidence principale mais qui est isolée.


Ainsi, Mme X, qui occupe au moins périodiquement les lieux du chef de son mari, usufruitier, justifie

d’un intérêt à agir pour faire cesser un trouble anormal de voisinage subi dans ce logement et obtenir réparation de ses conséquences préjudiciables.


Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il la déclare irrecevable.

* Sur le rapport de M P G


L’article 237 du code de procédure civile prévoit que le technicien commis doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité.


La SARL Bacchus et cie soutient que l’expert a violé le principe du contradictoire en affirmant que celui-ci

s’est entretenu avec M C, voisin des époux X, dont elle affirme qu’il ne cesse de recevoir leurs suggestions afin de se joindre à leur croisade.


Elle produit deux attestations dont il ressort que M C a déclaré avoir lu le rapport de M G et avoir échangé sur son contenu avec l’expert.


Ces échanges ont manifestement eu lieu après la clôture de son rapport par l’expert. Il ne s’agissait donc pas pour l’expert d’accomplir des investigations hors la présence des parties comme la société Bacchus et cie le soutient.


La société Bacchus et les consorts E mettent également en cause la méthodologie suivie par M


Minkiewick, lui reprochant en substance de ne pas avoir effectué d’enregistrements sonores à des moments où

d’autres établissements du quartier pouvaient être ouverts, tandis que son établissement aurait été fermé pour la cause, afin de déterminer la part du bruit qui lui est imputable dans les nuisances dénoncées.


Cette critique peut, le cas échéant, remettre en cause la pertinence des mesures prises par l’expert mais ne saurait justifier son annulation pure et simple.


Elle fait en outre valoir que l’expert ne s’est pas interrogé sur l’incidence des analyses de la dégradation causé

à l’isolant phonique qu’elle a fait poser dans la salle de bar par des infiltrations en provenance du logement de


M et Mme X.


Cependant, M G expose au début de son rapport que les mesures de bruit auxquelles il va procéder auront pour but d’étudier l’impact des nuisances sonores générées par l’implantation et l’exploitation de la grande cour intérieure de la SARL Bacchus et cie située au droit de l’habitation de M et Mme X. Il n’a donc pas recherché s’il existait des troubles en provenance de la salle de bar en cause et l’a d’ailleurs indiqué en réponse à un dire de l’avocat de la société (page 80 du rapport de M G).


S’agissant de la préconisation de solutions pour remédier aux troubles éventuels, que la SARL Bacchus estime absente du rapport de M G, il convient de relever que celui-ci s’est tout de même prononcé sur une étude d’isolement acoustique réalisée par le cabinet Leslie Acoustique le 6 mai 2019 et la solution proposée

d’installer des écrans acoustiques en verre pour protéger les diverses ouvertures de l’appartement de M et Mme


X.


En tout état de cause, ces manques éventuels ne sont pas de nature à invalider les conclusions de cet expert sur

l’existence ou non de nuisances sonores et leur importance.


En outre, l’expertise ordonnée par le tribunal a précisément pour objet de décrire les travaux nécessaires ou les mesures à prendre pour remédier aux nuisances et de les chiffrer.


En conséquence, la SARL Bacchus et cie sera déboutée de sa demande aux fins d’annulation du rapport

d’expertise de M G et le jugement sera confirmé de ce chef.

* Sur les demandes fondées sur un trouble anormal du voisinage

° Sur l’existence d’un trouble anormal du voisinage


Il est constant que nul ne doit causer à autrui un trouble anormal du voisinage.


Le succès de l’action n’exige de rapporter ni la preuve d’une faute, ni celle d’une intention de nuire et le respect des dispositions légales n’exclut pas l’existence éventuelle de troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage.


La demande de fermeture formulée par M et Mme X concerne la cour dans laquelle la société Bacchus et cie a installé une terrasse. Un huissier mandaté par M et Mme X et d’autres occupants de l’immeuble a pu constater qu’elle pouvait accueillir au moins 120 personnes ( pièce n°10 procès-verbal de Me Villet du 2 juillet

2015).


Les courriers adressés par M U V, gérant de la SARL Bacchus et cie et son avocat à M et Mme


X, au syndic de la copropriété et à d’autres voisins au cours de l’année 2015 pour les assurer de sa volonté de trouver une solution aux nuisances sonores qui lui étaient alors reprochées tendent tout au plus à établir

l’existence de telles nuisances, mais ne permettent pas d’établir qu’elles excèdent les inconvénients normaux du voisinage.


Figurent également aux débats des courriers de plainte d’occupants de l’immeuble situé […] ou de riverains et du syndic de copropriété, qui confirment ces nuisances en termes généraux.


Certaines attestations produites par M et Mme X sont plus précises quant à l’importance du bruit en cause en ce que leurs auteurs témoignent après avoir occupé le logement de ceux-ci ou parce qu’ils sont voisins des


X d’une impossibilité de s’endormir avant 1h00 du matin en raison du bruit provenant de la cour exploitée par la SARL Bacchus et cie : (pièces 23 à 26-2 du dossier de Me Guérin). Ces témoignages ont été établis entre 2016 et 2018.


Le 2 juillet 2015 à 20 heures 55, Me Villet, huissier de justice a constaté que dans le séjour de M et Mme


X, même fenêtres fermées, on entendait le bruit, des discussion et la musique, que sur la terrasse de la cuisine, l’ambiance sonore est très désagréable avec l’impression d’être mêlé à la foule en contrebas et que dans la chambre, fenêtre et volets fermés, on entend la rumeur et la musique.


De nouveaux procès-verbaux de constat d’huissier établis au mois de juillet 2018 contiennent des relevés effectués au moyen d’un sonomètre dans les différentes pièces du logement des époux X. La comparaison du nombre de décibels relevés avec l’échelle des bruits figurant en page 81 du rapport de M


G permet de constater que certaines valeurs correspondent à un niveau de bruit décrit dans l’échelle comme fatiguant voire pénible (entre 62 et 88 décibels). Les huissiers de justice font état de bruits d’ambiance, de verre, d’éclats de voix et de musique en provenance de la cour où ils indiquent constater la présence de

« nombreuses personnes », évaluées à une centaine par l’un d’entre eux.


La SARL Bacchus et cie estime que de telles mesures n’ont aucun AF dès lors qu’elles ne sont pas comparées avec le bruit résiduel, constitué par l’ensemble des bruits habituels correspondant à l’occupation normale des locaux en l’absence du bruit particulier du bruit en cause.


Ces relevés peuvent cependant être comparés avec les valeurs mesurées dans le logement de M et Mme


X un soir, alors que la cour intérieure du bar était entièrement vide de toute personne, de 40,2 à 43,7 décibels, ce qui correspond selon l’échelle des bruits précitée, à une situation agréable.


Ces constatations, faites par huissier de justice, valent jusqu’à inscription de faux.


D’autres constatations opérées par des huissiers de justice d’annonces faites sur internet permettent d’établir que des manifestations sont en outre régulièrement organisées au sein de l’établissement « Le Clos », pour la retransmission de matchs sportifs, l’organisation de concerts ou de DJ-set. Il est parfois précisé que la manifestation en cause est prévue jusqu’à 1h00 du matin.


M G indique dans son rapport d’expertise que lorsque la grande cour intérieure génère des nuisances sonores relatives à son activité, les niveaux de pression acoustique générés dans la salle à manger, sur la terrasse et dans la chambre de M et Mme X sont non conformes au valeurs d’émergences globales fixées par la réglementation du décret n°2017-1244 du 7 août 2017 section 2 : Dispositions applicables aux bruits de voisinage (articles R1336-4 à R1336-11 du code de la santé public). Plus précisément, il a relevé une émergence de jour de 7 décibels pondérés A pour un maximum fixé à 5 dBA et une émergence de nuit de 5

dBA pour un maximum de 3 dBA.
Ces conclusions ne résultent pas de l’application des dispositions propres aux activités impliquant la diffusion de sons amplifiés à des niveaux sonores élevés, de sorte que le moyen pris de ce que la SARL Bacchus et cie ne diffuserait pas de musique amplifiée en dehors d’occasions spécifiques telles que la fête de la musique ou la fête nationale est sans emport.


Les pièces du logement de M et Mme X depuis lesquelles ces mesures ont été réalisées se trouvent non sur la rue où d’autres établissements se trouvent mais sur l’arrière de l’immeuble, au-dessus de la cour exploitée par la SARL Bacchus et cie, où l’impact d’éventuelles nuisances sonores en provenance de la rue est nécessairement moindre.


Dans ces conditions, il importe peu que le niveau de bruit résiduel mesuré par l’expert ne permette pas, le cas échéant, de tenir compte du bruit susceptible de provenir d’autres établissements. Il n’y a donc pas lieu de demander un complément d’expertise afin de préciser la notion de bruit résiduel appliqué à l’étude d’impact et de procéder à de nouvelles mesures.


En outre, l’étude d’impact sonore du 4 juin 2020 que la société Bacchus et cie a fait réaliser afin de trouver des solutions pour réduire le bruit provenant de la terrasse chez les riverains du 3ème étage de l’immeuble fait elle-même état d’une émergence non conforme.


Les attestations d’habitants du […] qui indiquent ne pas être dérangés par la musique qui n’est que ponctuelle et ne dépasse pas les 22 h ou que l’activité du Clos ne constitue aucune gêne, notamment sonore, établies en 2018, ne sont pas de nature à remettre en cause le constat objectif d’émergences non conformes résultant des mesures faites par les acousticiens.


La société Bacchus justifie avoir fait installer un limiteur de niveau sonore le 2 juin 2020, soit après le rapport de G, clos le 5 février 2020.


Toutefois, M F, expert désigné par le tribunal, indique dans son rapport clos le 30 novembre 2021 que la cour n’est pas adaptée pour la diffusion de musique amplifiée au AF du décret du 7 août 2017, mais aussi qu’elle n’est pas adaptée en l’état pour recevoir des activités bruyantes non sonorisées. Il explique que l’on pourrait y admettre des activités de restauration calmes et non festives, compatibles avec les niveaux de pression acoustiques habituels des terrasses de restaurant sur rue, mais que la différence est que la cour litigieuse est entourée de bâtiments qui réfléchissent l’énergie sonore, générant ainsi des niveaux de pression acoustique supérieurs aux terrasses sur rue et d’autant plus difficiles à atténuer.


Dans ces conditions, il n’est pas suffisamment établi que le limiteur installé suffit à mettre fin aux nuisances constatées.


Les observations de M F sur la configuration particulière de la cour et son effet d’amplification des sons qui en proviennent ne permettent pas non plus de retenir le moyen développé par la SARL Bacchus et cie pris de l’emplacement de l’immeuble du […], en hyper centre, dans un quartier dédiés aux activités culturelles et à l’art de vivre et comptant des halles, restaurants et brasseries, pour considérer que le bruit causé n’excède pas les inconvénients normaux d’un tel voisinage, dès lors que la diffusion du son dans cette cour n’est pas comparable à ce qu’elle peut être ailleurs dans le voisinage, notamment sur la rue.


La circonstance que l’établissement « Le Clos » n’aurait jamais fait l’objet de procès-verbal en raison du bruit généré par son activité n’est pas de nature à empêcher la caractérisation d’un trouble anormal du voisinage dès lors qu’il s’agit d’une cause de responsabilité objective, sans faute.


Les conclusions de M G sont fondées sur des mesures prises durant des journées au cours desquelles il ne ressort pas de la procédure que des événements particuliers étaient organisés. Les troubles anormaux du voisinage ainsi caractérisés sont donc imputables à l’activité habituelle de l’établissement « Le Clos » et ne peuvent être qualifiés d’aléatoires ou de non-répétitifs.
En conséquence, il est établi que l’activité de la SARL Bacchus et cie dans la cour de l’immeuble situé […] à Reims cause à M et Mme X un trouble anormal du voisinage. Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

° Sur la réparation du trouble


Sur le préjudice de jouissance


Si le logement en cause ne constitue pas la résidence principale des appelants, ceux-ci démontrent qu’ils y séjournent ou le mettent à disposition à des proches. Les relevés d’eau de leur logement pour la période décembre 2012-décembre 2016 ne sont pas décisifs alors qu’il ne peut être exclu que M et Mme X aient moins occupé leur logement, précisément en raison des nuisances sonores subies.


Il n’est pas justifié de ce que M et Mme X se seraient plaints des nuisances sonores causées par l’activité de la société Bacchus avant le début de l’année 2015, la pétition de riverains datée du 22 novembre 2013 étant antérieure au début de cette activité.


Dans ces conditions, leur préjudice sera liquidé à compter du 1er janvier 2015 et jusqu’à la date de la clôture de l’instruction de l’affaire devant la présente cour, soit le 21 décembre 2021.


Un agent immobilier a évalué la valeur locative de l’appartement de M et Mme X à la somme de 1 200 euros par mois hors charges.


Dans ces conditions, leur préjudice de jouissance sera évalué à 30% de la valeur locative du bien, soit 360 euros par mois cette évaluation constituant une moyenne sur la période précitée tenant compte des mesures de fermeture qui ont touché les bars et restaurants pendant la crise sanitaire causée par l’épidémie de Covid-19


Ainsi, la SARL Bacchus et cie sera condamnée à payer à M et Mme X la somme de 30 120 euros et le jugement sera infirmé de ce chef.


Sur la demande de fermeture


M et Mme X demandent à hauteur d’appel la fermeture de l’établissement pour la seule partie située dans la cour.


Toutefois, une telle mesure aurait des conséquences économiques disproportionnées sur l’activité de la SARL


Bacchus, alors même qu’il résulte du rapport d’expertise du 30 novembre 2021 de M F que d’autres mesures sont possibles pour faire cesser le trouble du voisinage.


Cette demande doit donc être rejetée, sans qu’il y ait lieu de surseoir à statuer dans l’attente du dépôt du rapport d’expertise de M F. Le jugement sera confirmé de ce chef.


Sur les demandes contre les bailleurs


Il est constant que la victime d’un trouble de voisinage trouvant son origine dans l’immeuble donné en location, peut en demander réparation au propriétaire.


Dès lors qu’est en cause un cas de responsabilité du fait d’autrui, il n’est pas nécessaire de rapporter la preuve

d’un manquement du bailleur.


Ainsi, M et Mme X sont recevables à agir contre les bailleurs de la SARL Bacchus et cie et fondés à les voir condamnés in solidum avec cette dernière au paiement de 25% des sommes qui leur ont été précédemment allouées, ainsi que les appelants le demandent, soit la somme de 7 530 euros. Le jugement sera donc infirmé de ce chef.
Si les consorts E, en leur qualité de bailleurs, disposent d’un recours contre la société Bacchus et cie auteur du trouble anormal du voisinage, ce recours ne peut prospérer que si les nuisances résultent d’un abus de jouissance ou d’un manquement aux obligations nées du bail.


Or les consorts E n’articulent aucun élément de fait, ni aucun moyen de droit au soutien de leur demande de condamnation de la société Bacchus et cie à les garantir des condamnations prononcées à son encontre. Ils ne peuvent donc qu’être déboutés et le jugement sera confirmé de ce chef.


Sur les demandes accessoires


Le premier juge a exactement statué sur le sort des dépens et les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile dont il a fait une équitable application. Le jugement sera donc confirmé de ces chefs.


Il est équitable, en cause d’appel, d’allouer à M et Mme X la somme de 1 500 euros sur le fondement de

l’article 700 du code de procédure civile, au paiement de laquelle la SARL Bacchus et cie et les consorts


E seront condamnés in solidum.


Parties perdantes pour l’essentiel, la SARL Bacchus et cie et les consorts E ne sauraient prétendre à

l’allocation de frais irrépétibles et doivent supporter les entiers dépens d’appel.


Me Guérin sera autorisé à recouvrer les dépens d’appel dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS


La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

Ordonne la jonction portant le numéro 20/01679 à celle portant le numéro 20/01678;

Infirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Reims le 16 octobre 2020 en ce qu’il déclare Mme


O X irrecevable en ses demandes, condamne la SARL Bacchus et cie à payer à M B X la somme de 8 925 euros en réparation de son préjudice de jouissance arrêté au jugement, condamne Mme


M E, Mme I Y née E et M H E, bailleurs, au paiement de cette indemnité in solidum avec la SARL Bacchus et cie dans la limite de 2 231,25 euros ;


Statuant à nouveau,

Déclare Mme O X recevable en ses demandes ;

Condamne la SARL Bacchus et cie à payer à M B X et Mme O X la somme de 30 120 euros en réparation de leur préjudice de jouissance pour la période du 1er janvier 2015 au 21 décembre 2021 ;

Condamne Mme M E, Mme I Y née E et M H E au paiement de cette indemnité in solidum avec la SARL Bacchus et cie dans la limite de 7 530 euros ;

Confirme le jugement pour le surplus,


Y ajoutant,

Dit n’y avoir lieu d’ordonner un complément d’expertise, ni de surseoir à statuer dans l’attente du dépôt du rapport d’expertise de M F ;

Condamne in solidum la SARL Bacchus et cie et Mme M E, Mme I Y née


E et M H E à payer à M B X et Mme O X la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la SARL Bacchus et cie et Mme M E, Mme I Y née E et M H


E de leurs demandes en paiement de frais irrépétibles;

Condamne in solidum in solidum la SARL Bacchus et cie et Mme M E, Mme I


Y née E et M H E aux dépens d’appel, dont distraction au profit de Me Pascal


Guérin.


Le Greffier La Présidente 1. W AA AB AC

[…]
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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code civil
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Cour d'appel de Reims, 1ere chambre sect.civile, 22 février 2022, n° 20/01679