Cour d'appel de Rennes, 7ème ch prud'homale, 30 septembre 2021, n° 18/07561

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Sur la décision

Référence :
CA Rennes, 7e ch prud'homale, 30 sept. 2021, n° 18/07561
Juridiction : Cour d'appel de Rennes
Numéro(s) : 18/07561
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

7e Ch Prud’homale

ARRÊT N°599/2021

N° RG 18/07561 – N° Portalis DBVL-V-B7C-PKHF

SASU H I B.T.P

C/

M. D Y

Copie exécutoire délivrée

le : 30/09/2021

à : Me VERRANDO

Me LAUDIC-BARON

Me VOISINE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 30 SEPTEMBRE 2021

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Benoît HOLLEAUX, Président de chambre,

Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Hervé KORSEC, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,

GREFFIER :

Madame E F, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 29 Juin 2021, devant Monsieur Hervé KORSEC, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial

En présence de Monsieur X, médiateur judiciaire

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 30 Septembre 2021 par mise à disposition au greffe

****

APPELANTE :

SASU H I B.T.P agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[…]

[…]

Représentée par Me Jean-Edouard ROBIOU DU PONT de la SELARL CABINET D’AVOCATS PARROT – ROBIOU DU PONT, Plaidant, avocat au barreau de NANTES

Représentée par Me Marie VERRANDO de la SELARL LEXAVOUE RENNES ANGERS, Postulant, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉ :

Monsieur D Y

né le […] à

[…]

[…]

Représenté par Me Hélène LAUDIC-BARON de la SELARL LBP AVOCAT, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

INTERVENANTE :

Etablissement Public POLE EMPLOI I

[…]

[…]

Représentée par Me Mélanie VOISINE de la SELARL BALLU-GOUGEON, VOISINE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur G Y a été embauché au sein du GROUPE VINCI le 16 octobre 1995 ; en dernier lieu il occupait les fonctions de chef d’équipe pour le compte de la SAS H I BTP ; il a été licencié pour inaptitude d’origine professionnelle le 27 octobre 2016.

Contestant son licenciement et estimant ne pas avoir été rempli de ses droits, Monsieur Y a saisi le Conseil de prud’hommes de Rennes le 17 mars 2017 afin de le voir, selon le dernier état de sa demande :

Dire son licenciement dépourvu de motif réel et sérieux et condamner l’employeur à lui payer les

sommes suivantes :

— Dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de motif réel et sérieux : 86.000 ',

— Dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité : 15.000 ',

— Indemnité sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile : 2.500 ', outre les dépens.

La défenderesse s’opposait aux prétentions du demandeur dont elle sollicitait la condamnation à lui payer la somme de 2.500 ' titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement rendu le 23 octobre 2018, le Conseil des prud’hommes de Rennes statuait ainsi qu’il suit :

« DIT que le licenciement de M. Y est sans cause réelle et sérieuse;

CONDAMNE la Société H I BTP à payer à M. Y les sommes suivantes :

—  58.000 ' à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts de droit à compter du jugement ;

—  15.000 ' à titre de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à ses obligations de santé et de sécurité au travail, avec intérêts de droit à compter du jugement ;

—  2.500 ' au titre des frais d’instance non compris dans les dépens ;

CONDAMNE la Société H I BTP à rembourser à Pôle Emploi les allocations chômage perçues par M. Y du jour de son licenciement au jour du jugement, dans la limite de six mois d’indemnités ;

DEBOUTE les parties de leurs autres demandes, fins et conclusions ;

CONDAMNE la Société H I BTP aux entiers dépens y compris les frais éventuels d’exécution du présent jugement.»

Suivant déclaration de son avocat en date du 22 novembre 2018 au greffe de la Cour d’appel, la Société H I BTP faisait appel de la décision.

Aux termes des écritures de son avocat présentées en cause d’appel, la Société H I BTP demande à la Cour de :

Infirmer le jugement déféré en ce qu’il a dit le licenciement pour inaptitude physique de Monsieur Y sans cause réelle et sérieuse et, statuant à nouveau, dire son licenciement fondé ;

Infirmer le jugement déféré en ce qu’il a condamné H I BTP à payer à Monsieur Y la somme de 15.000 ' à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité et statuant à nouveau, débouter Monsieur Y de toute demande sur ce point ;

Débouter Monsieur Y de l’ensemble de ses demandes plus amples ou contraires ;

Débouter Pôle Emploi de ses demandes et à titre subsidiaire limiter le remboursement à un mois d’allocations ;

Condamner Monsieur Y à payer à H I BTP la somme de 2.500' en application de l’article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, elle rappelle que l’intimé a été victime d’un accident du travail le 31 mai 2011 sans arrêt travail, puis a fait l’objet d’un arrêt de travail à compter du 24 août 2011 jusqu’au 30 novembre 2011 ; souhaitant reprendre son travail, l’intimé a été convoqué, à son initiative, par le médecin du travail le 17 novembre 2011 qui l’a déclaré apte à la reprise sur un poste d’encadrement simple avec interdiction de travail manuel, le médecin du travail ayant validé le poste aménagé par la société H conformément à ses prescriptions ; par la suite, l’intimé a fait l’objet de divers arrêts travail et a souhaité une rupture amiable qui n’a pas abouti et après un nouvel arrêt de travail du 25 avril 2016, il a été déclaré inapte au poste de chef d’équipe le 9 septembre 2016, mais apte à un poste administratif sans manutention ; enfin, suite à une recherche de reclassement, il lui a été lui a été proposé 2 postes de reclassement qu’il a refusés, ensuite de quoi il a été licencié pour inaptitude professionnelle et impossibilité de reclassement le 27 octobre 2016 ; l’appelante conteste tout manquement à son obligation de sécurité et soutient qu’en tout état de cause, le licenciement est causé par l’inaptitude du salarié, l’origine de l’inaptitude relevant du contentieux de la sécurité sociale ; elle estime dans ces conditions le licenciement de l’intimé parfaitement fondé et à titre subsidiaire, elle fait valoir qu’au regard des éléments de l’espèce, le remboursement des indemnités de chômage à Pôle Emploi doit être limité à un mois.

* * *

Par conclusions de son avocat présentées en cause d’appel, Monsieur Y demande à la Cour de :

CONFIMER le jugement en ce qu’il a dit son licenciement dépourvu de motif sérieux ;

CONDAMNER la Société H I BTP à lui verser les sommes suivantes :

—  86.000 ' à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

—  15.000 ' à titre de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de santé et de sécurité au travail,

—  4.000 ' au visa des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile, outre les dépens.

A l’appui de ses prétentions, l’intimé fait valoir que les restrictions posées par le médecin du travail n’ont jamais été mises en 'uvre par l’employeur et qu’il s’est toujours vu imposer, au-delà de son poste d’encadrement, une manutention sur les chantiers ; il soutient que dans la mesure où son poste n’a pas été aménagé, son inaptitude est la conséquence des carences de son employeur ; en outre, il soutient que les propositions de reclassement qui lui ont été faites, soit hôte d’accueil sur le site de Villeurbanne ou approvisionneur sur le site de Courbevoie, ne sont pas sérieuses, outre que l’une d’entre elles n’est pas conforme aux préconisations du médecin du travail ; il estime dès lors que c’est à juste titre que le Conseil des prud’hommes a fait droit à sa demande indemnitaire liée au manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et a dit son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, mais il considère que son préjudice n’a pas été justement réparé et il forme à cet égard un appel incident.

* * *

En cause d’appel, Pôle Emploi I est intervenu volontairement à l’instance et sollicite la condamnation de l’employeur à lui rembourser les indemnités versées à Monsieur Y dans la limite de 6mois, soit la somme de 8.163 ' outre celle de 1.000 ' au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La clôture de l’instruction été prononcée par ordonnance du magistrat de la mise en état le 25 mai 2021 avec fixation de l’affaire à l’audience du 29 juin 2021.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la Cour renvoie, pour un plus ample exposé des moyens des parties, aux conclusions adressées au greffe de la Cour, le 23 juillet 2019 pour la SAS H I BTP, le 9 mai 2019 pour Monsieur G Y et le 21 octobre 2019 pour Pôle Emploi I.

SUR CE, LA COUR

1. Sur le manquement de l’employeur à son obligation légale de sécurité

Si l’indemnisation des dommages résultant d’un accident du travail, qu’il soit ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, relève de la compétence exclusive du tribunal des affaires de sécurité sociale, la juridiction prud’homale est seule compétente pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail et pour allouer, le cas échéant, une indemnisation au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse ; en outre le licenciement pour inaptitude d’un salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse lorsque cette inaptitude est consécutive à un manquement de l’employeur ; il en ressort que le salarié licencié pour inaptitude d’origine professionnelle qui considère que cette dernière est liée à une faute de son employeur et qui sollicite l’allocation d’une indemnisation au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse est bien fondé à saisir la juridiction prud’homale qui connaît de l’application des règles relatives à la rupture du contrat de travail.

L’intimé, qui soutient que son inaptitude est la conséquence du manquement de son employeur d’assurer sa santé et sa sécurité au travail, produit pour en justifier :

— la fiche d’aptitude médicale établie par le médecin du travail le 10 juillet 2007 aux termes de laquelle il a été déclaré apte à la reprise du travail dans le cadre d’un essai avec un poste adapté excluant les travaux à genoux, les montées et descentes répétées d’échelles et d’escaliers et le port de charges lourdes, le salarié devant être revu fin septembre 2007 ;

— une déclaration d’accident du travail sans arrêt de travail du 31 mai 2011 ;

— la fiche d’aptitude médicale de reprise établie le 17 novembre 2011 après un accident du travail par laquelle le médecin du travail l’a déclaré apte à la reprise, avec un poste aménagé d’encadrement simple, excluant les travaux manuels ;

— une fiche médicale d’aptitude après accident du travail établie par le médecin du travail le 26 août 2016, dans le cadre d’une surveillance médicale renforcée (SMR), s’agissant du premier examen visé par de l’article R.4624-31 du code du travail, alors applicable ; il prévoit une inaptitude au poste de chef d’équipe maçon et conducteur d’engins et une rencontre avec l’employeur avec l’étude du poste de travail, le salarié ne pouvant, en attendant, occuper un poste sur chantier ou dépôt, mais pouvant être affecté à un poste administratif sans manutention ; après la deuxième visite le 9 septembre 2016, le médecin du travail a rendu un avis mentionnant qu’à la suite du premier examen du 26 août 2016, de l’étude de poste, de la rencontre avec des représentants de l’employeur réalisée le 6 septembre 2016 et après avis médical spécialisé, Monsieur Y est inapte au poste de chef d’équipe maçon petit travaux et conducteur d’engins; il est rappelé qu’il ne peut être affecté sur un poste sur chantier ou dépôt mais peut être affecté à un poste administratif sans manutention ;

— une attestation de Monsieur J K délégué du personnel, de laquelle il ressort qu’il a visité le chantier Banque de France sur lequel Monsieur Y était affecté avec un intérimaire en avril 2016 ; il relève qu’il y avait beaucoup de manutention et pas de grue et indique qu’à son avis, l’intimé n’avait rien à faire sur ce chantier au regard des restrictions médicales, ainsi

qu’une attestation de Monsieur Z, délégué du personnel, déclarant avoir effectué un grand déplacement avec Monsieur Y pour chauffeur ; il expose qu’il a dû occuper à cette occasion un poste non aménagé avec port de charges lourdes et maniement de marteau-piqueur ;

— une attestation du médecin du travail du 4 mars 2019 qui certifie avoir effectué, le 13 avril 2016, une étude du poste de travail de Monsieur Y sur le chantier de la Banque de France en vue d’un aménagement et d’une évaluation des possibilités de mise en 'uvre des restrictions ;

— diverses ordonnances prescrivant des antalgiques, une ceinture lombaire et notamment un repos couché strict de 4 à 5 jours en août 2017, ainsi qu’un compte rendu radiologique du 7 août 2017 ayant objectivé une discopathie dégénérative aux étages L3-L4 et L4-L5 avec un pincement discal, suivi d’une infiltration pour sciatique L5 gauche ;

— la notification par la CPAM d’une pension d’invalidité catégorie 2 de 50 %, le 4 décembre 2017.

Pour sa part, aux fins d’établir qu’il s’est conformé aux prescriptions du médecin du travail, l’employeur produit :

— un arrêt de travail de prolongation pour accident du travail ou maladie professionnelle du 6 octobre 2011 ;

— une lettre de contestation des circonstances de l’accident du travail du 31 mai 2011 émanant de Monsieur Y, dans le cadre de laquelle il explique que l’accident du travail s’est produit alors qu’il décoffrait une ventilation avec un gros pied de biche, et que si un arrêt de travail immédiat n’a pas été nécessaire, ensuite de cet accident, il a dû par la suite subir plusieurs interventions chirurgicales et a été en arrêt de travail pendant plusieurs mois ;

— la déclaration d’accident du travail du 31 mai 2011 établi par l’employeur de laquelle il ressort que cet accident n’a pas été suivi d’un arrêt de travail ;

— une lettre du médecin du travail adressée à l’employeur le 17 novembre 2011 suite à la visite de reprise du salarié, par laquelle il indique que son état clinique actuel interdisant toute activité manuelle, le poste aménagé actuel proposé (encadrement de salariés) convient très bien et que Monsieur Y est donc apte à ce poste ;

— une lettre adressée par l’intimé à son employeur le 11 janvier 2013 par laquelle il demande un licenciement amiable au motif que suite à toutes les opérations subies, sa place sur des chantiers n’est plus adaptée ainsi qu’une lettre du 15 avril 2014 par laquelle il indique qu’il accepterait de mettre fin au contrat contre la somme de 48.000 ' au lieu des 20.000 ' proposés ;

— un arrêt de travail de rechute du 25 mai 2013, suite à accident du travail ou maladie professionnelle, suivi de divers arrêts de prolongation et de rechute pour les mêmes motifs entre 2015 et 2016 ;

— la brochure TrajeOH publiée par le groupe VINCI, prévoyant les mesures d’accompagnement liées aux problèmes de santé ou d’aptitude au travail, ainsi que divers échanges de courriels entre 2014 et 2016 desquels il ressort que l’intimé ne s’est pas investi dans le montage d’un dossier FONGECIF pour la création d’une entreprise, que les propositions d’entretien sont restées sans suite et que son dossier a alors été classé ;

— une notification de la CPAM du 27 février 2015 refusant de reconnaître le caractère professionnel de la rechute déclarée par le salarié ;

— une note de suivi du poste de travail de Monsieur Y réalisée par l’employeur après sa reprise le 13 avril 2016 sur un chantier ; il est mentionné que les tâches réalisées s’apparentent à de la

petite maçonnerie et qu’après reprise, le médecin du travail a donné son accord pour un essai de reprise sur un poste sans port de charges supérieures à 20 kg, sans utilisation de machines-outils et sans contraintes posturales (bras droit au-dessus de la ligne des épaule) ; il y est précisé que depuis le 11 avril, Monsieur Y travaille en binôme sur le chantier; son poste de travail est décrit avec précision et illustré par des photographies ; il en ressort qu’il a travaillé à genoux pour déblayer une petite tranchée utilisant la main gauche pour racler et porter le seau et les deux mains pour mettre les débris dans le seau, qu’il était assisté par son collègue pour le port de la poubelle en utilisant sa main gauche et pour le port de tuyaux béton (environ 40 kg) ; il est mentionné que Monsieur Y utilise sa main gauche pour le port de charges et pour effectuer les tâches qui nécessitent de lever le bras mais qu’il lui est impossible de porter des banches dont le poids est d’environ 45 kg, même à deux, ainsi que les tâches nécessitant de lever le bras droit ;

— un document manuscrit et non daté émanant de l’intimé, intitulé résumé de ma situation, par lequel il expose qu’il a subi cinq opérations des genoux et qu’il est contraint à des efforts liés à des défauts d’organisation comme l’enlèvement de grues alors qu’il reste beaucoup de manutention et qu’il doit alors porter le matériel à la main sur plusieurs étages ; il mentionne en outre une opération pour le traitement de deux hernies et son accident du travail ayant entraîné une lésion à l’épaule droite.

Il ressort de ce qui précède qu’à compter de l’année 2007, Monsieur Y a vu son aptitude à son poste progressivement restreinte par les prescriptions du médecin du travail ; ainsi il a été déclaré par le médecin du travail, le 10 juillet 2007, apte à un essai de reprise de poste excluant les travaux à genoux ou accroupis, des montées descentes répétées d’échelles ou d’escabeaux et le port de charges lourdes puis, suite à une nouvelle visite de reprise le 17 novembre 2011, apte à la reprise de poste sans travail manuel, avec un rôle d’encadrement simple, avant d’être déclaré inapte à un poste sur chantiers ou dépôts lors de la première visite de reprise du 26 août 2016 ; or les attestations produites par l’intimé visant à établir que son poste de travail n’a pas été aménagé conformément à ces prescriptions, bien que particulièrement imprécises, sont toutefois confirmées par le suivi du poste établi par l’employeur après reprise du travail par Monsieur Y le 13 avril 2016 qui laisse apparaître des photographies, apparemment de l’intimé, à genoux devant une tranchée vidant un saut de gravats ou portant une poubelle de gravats et en tout cas réalisant des travaux de manutention, qualifiés par l’employeur de petite maçonnerie ; s’il est mentionné dans cette fiche de suivi qu’il s’agissait là d’un essai convenu avec le médecin du travail, le docteur A, il n’est produit aucune fiche médicale d’aptitude remettant en cause celle du 17 novembre 2011 excluant des travaux manuels, que le docteur A avait précédemment établie, étant relevé que le salarié devait être revu dans les 3 mois et faisait l’objet d’une surveillance médicale renforcée.

Il s’ensuit que non seulement l’employeur ne justifie pas avoir aménagé le poste de travail de l’intimé conformément aux préconisations du médecin du travail excluant des travaux manuels, tel qu’il résulte de la fiche d’aptitude médicale du 17 novembre 2011, mais qu’il est suffisamment établi qu’il n’a pas veillé à la mise en 'uvre de ces prescriptions.

Il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement entrepris qui a dit que l’inaptitude de l’intimé trouvait sa cause dans le comportement fautif de l’employeur qui a manqué à son obligation d’assurer tant sa sécurité que sa santé au travail, en sorte et que son licenciement pour inaptitude d’origine professionnelle est sans cause réelle et sérieuse.

2. Sur le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement

Conformément aux dispositions de l’article L.1226-10 du code du travail, alors applicables, lorsqu’à l’issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités après avis des délégués du personnel, la méconnaissance de cette procédure l’exposant au paiement de l’indemnité prévue par l’article L.1226-15 du code du travail ; les règles spécifiques aux victimes

d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle s’appliquent dès lors, d’une part que l’inaptitude du salarié ou les réserves affectant son aptitude ont au moins partiellement une origine professionnelle, quel que soit le moment où elle est constatée et d’autre part que l’employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.

Lorsque l’entreprise fait partie d’un groupe, les possibilités de reclassement doivent être recherchées à l’intérieur du groupe auquel elle appartient, parmi les entreprises dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation permettent la permutation de tout ou partie du personnel, peu important qu’elles appartiennent ou non à un même secteur d’activité.

C’est à l’employeur de démontrer qu’il s’est acquitté de son obligation de reclassement, laquelle est de moyens, et de rapporter la preuve de l’impossibilité de reclassement qu’il allègue et qu’il a tout tenté à cette fin de manière loyale et de bonne foi.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 27 octobre 2016, Monsieur Y était licencié pour inaptitude avec impossibilité de reclassement en ces termes :

« Par lettre du 14 octobre dernier, nous vous avons convoqué pour le 24 octobre afin de nous entretenir de l’éventuelle mesure de licenciement que nous envisagions à votre encontre.

A la suite de cette convocation, vous vous êtes présenté assisté de Mr J K Délégué du personnel de H I BTP Rennes/Vannes.

Au cours de cet entretien, nous vous avons indiqué les motifs de la décision que nous envisagions à votre encontre et vous avez pu de votre côté, fournir vos explications.

A l’issue d’une première visite médicale de reprise du 26/08/2016, le médecin du travail vous a déclaré « inapte au poste de Chef d’Equipe maçon petits travaux et conducteur d’engins et inapte à tout poste sur chantier ou au dépôt.»

Une étude de poste a été réalisée le 6 septembre 2016 en concertation avec le Dr A, Médecin du travail.

A l’issue d’une seconde visite médicale de reprise le 9 septembre 2016, le médecin du travail vous a déclaré «Inapte au poste, apte à un autre. Après avis spécialisé médical Mr C est inapte au poste de chef d’équipe maçon petits travaux et conducteur d’engin. Confirmation des restrictions citées sur la précédente fiche: pas de poste sur chantier ou au dépôt II pourrait être affecté à un poste administratif sans manutention. »

Vous n’avez pas souhaité poursuivre la démarche « Trajeo’h » que nous avions initiée au mois de juin 2016, en vue de prévenir une désinsertion professionnelle.

Les recherches menées au sein de l’entreprise et auprès des sociétés filiales du groupe VINCI nous ont permis d’identifier deux postes de travail disponibles et compatibles avec vos restrictions médicales :

- un poste d’Hôte d’accueil situé à […]

- un poste d’Approvisionneur situé à Courbevoie (92).

Après consultation des Délégués du personnel sur ces propositions de reclassement le 07/10/2016, dont l’avis était favorable quant au contenu du poste mais défavorable au regard de la localisation, nous vous avons adressé ces propositions de poste le 10 octobre 2016.

Par courrier du 12 octobre vous nous avez fait connaitre votre décision de refus de ces propositions.

Nous sommes aujourd’hui au regret de vous confirmer que nous n’avons aucun autre poste disponible qui pourrait convenir à votre état de santé.

En conséquence, nous sommes contraints de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour inaptitude professionnelle et impossibilité de reclassement tant au sein de la société qu’au sein du groupe VINCI.

Votre contrat de travail prendra fin à la date d’envoi du présent courrier.

Compte tenu de l’origine professionnelle de l’inaptitude, c’est l’indemnité spéciale de licenciement, prévue à l’article L 1226-14 et suivant du code du travail, qui vous est due.

Compte tenu en outre de votre reconnaissance de travailleur handicapé vous percevrez une indemnité compensatrice de préavis non effectué correspondante à 3 mois de salaire’ »

Aux fins de justifier qu’il a satisfait à son obligation de reclassement, l’employeur produit, outre le dispositif d’accompagnement du groupe VINCI à une reconversion externe (TrajeOH) auquel l’intimé n’a pas donné suite, une lettre du 10 octobre 2016 par laquelle l’appelante lui rappelle sa lettre du 12 septembre précédent lui faisant part de l’engagement de recherches de reclassement au sein du groupe ; il produit en outre une note du 12 septembre 2016 mentionnant sur un tableau les directions opérationnelles du groupe qui ont été interrogées sur les possibilités de reclassement de l’intimé, à laquelle est jointe sa fiche d’aptitude médicale, avec un coupon réponse (a un poste à proposer, souhaite plus de renseignements, souhaite rencontrer la personne concernée ou ne donne pas suite) ainsi que 18 réponses, entre le 13 et le 16 septembre 2016, des responsables ressources humaines destinataires, indiquant ne pas donner suite.

L’employeur justifie enfin avoir réuni les délégués du personnel auxquels a été exposé la situation de l’intimé victime d’un accident du travail le 31 mai 2011 et déclaré en rechute le 25 mars 2016 avec une reconnaissance de travailleur handicapé depuis le 10 mars 2016 ; il leur est précisé qu’à l’issue des recherches de reclassement, deux postes ont été identifiés au sein du groupe, soit un poste d’hôte d’accueil à Villeurbanne et un poste d’approvisionneur à Courbevoie ; les délégués du personnel ont observé que les postes proposés paraissaient compatibles avec les contraintes médicales émises par le médecin du travail, mais ont estimé la localisation de ces postes insatisfaisante.

Pour sa part, l’intimé produit la proposition de reclassement portant sur les deux postes retenus par l’employeur qui lui a été adressé le 10 octobre 2016, avec le descriptif des postes ; il n’est pas inutile de relever que le groupe fait état d’un réseau de 391 implantations dans l’ensemble du territoire employant plus de 21.000 collaborateurs ; s’agissant du poste hôte(sse) d’accueil à Villeurbanne, il est précisé que le collaborateur sera rattaché à l’assistante du secrétariat général avec en charge l’accueil téléphonique et physique, la gestion du courrier et diverses tâches administratives ; il est demandé la maîtrise des outils informatiques Word, Excel, PowerPoint et une formation CAP-BEP à BAC en secrétariat et une première expérience significative sur des missions similaires ; s’agissant du poste approvisionneur, basé à Courbevoie, le collaborateur est en charge d’une procédure d’achat centralisée et de la gestion d’un magasin général sur base logistique (réception commandes et envois, suivi des livraisons et stocks, rapprochements et contrôles).

Indépendamment du point de savoir si l’intimé, qui indique être de nationalité portugaise et ne pouvoir tenir un standard téléphonique, pas plus qu’il ne maîtrise pas les outils informatiques, disposait des capacités pour occuper les postes proposés, il y a lieu de relever qu’il n’est produit aucune pièce permettant d’établir qu’aucun poste plus adapté au plan fonctionnel ou au plan géographique n’était disponible, fusse le registre du personnel de la société H I BTP ; en outre, il n’est produit que quelques réponses sommaires des établissements consultés, toutes

négatives, l’employeur ne fournissant sans aucune explication sur la façon dont ont été identifiés les postes de reclassement proposés ; il n’est pas inutile de relever enfin que l’emploi administratif visé par le médecin du travail n’était qu’une proposition, les restrictions posées portant sur un poste hors chantiers ou dépôts et sans manutention.

Dans la mesure où il n’est produit que des éléments très parcellaires manifestement insuffisants pour justifier d’une recherche effective au sein du groupe d’un poste hors chantiers et hors dépôts sans manutention conforme aux prescriptions du médecin du travail et conforme aux capacités de l’intimé, l’employeur échoue à établir qu’il a procédé à une recherche loyale et complète de reclassement et il y a lieu de dire encore de ce chef le licenciement de Monsieur Y dépourvu de cause réelle et sérieuse.

3.Sur les conséquences de l’absence de cause réelle et sérieuse

Monsieur Y comptait lors du licenciement plus de deux ans d’ancienneté dans l’entreprise de sorte qu’il relève du régime d’indemnisation de l’article L.1235-3 du code du travail, en sa rédaction applicable aux faits de l’espèce.

Il résulte des dispositions précitées que si le licenciement survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié ou en cas de refus par l’une ou l’autre des parties allouer au salarié une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois d’activité.

Au moment du licenciement, l’intimé était âgé de 52 ans, avait une ancienneté de 21 ans dans l’entreprise et bénéficiait d’un salaire mensuel brut de 2.396 '.

Au-delà de l’indemnité minimale, le salarié doit justifier de l’existence d’un préjudice supplémentaire ; à cet égard, l’intimé expose que depuis son licenciement, il suit des formations dans le cadre de chantiers de réinsertion, sans toutefois en justifier ; il établit sa qualité de salarié handicapé qui rendra sa réinsertion plus difficile sans toutefois justifier de ses recherches effectives.

Il convient en conséquence de confirmer encore le jugement entrepris, qui par une juste évaluation de son préjudice, a alloué à l’appelant la somme de 58.000 ' à titre de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

4. Sur les dommages et intérêts complémentaires pour manquement de l’employeur à son obligation légale de sécurité

L’intimé fait valoir, qu’au-delà des seules conséquences du licenciement, les manquements de l’employeur à son obligation de sécurité ont contribué à la dégradation de son état de santé et à son état dépressif chronique, ayant rendu nécessaire plusieurs hospitalisations depuis son licenciement et il justifie qu’il était encore suivi par un médecin psychiatre en 2019.

Il y a lieu en conséquence de confirmer sur ce point encore le jugement déféré qui a alloué à Monsieur Y, en réparation de son préjudice de ce chef, la somme de 15.000 ' à titre de dommages et intérêts.

5. Sur l’application de l’article L.1235-4 du code du travail

L’article L.1235-4 du code du travail, en sa rédaction alors applicable, dispose que, dans les cas prévus aux articles L.1235-3 et L.1235-11, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois.

Ces dispositions ont vocation à recevoir application en la présente espèce et dans la mesure où Pôle Emploi I justifie par voie d’intervention, suivant son décompte du 2 octobre 2019, avoir versé à Monsieur Y, la somme de 8.122,63 ', l’appelante sera condamnée à lui rembourser la somme ainsi réclamée.

6. Sur les dépens et l’application de l’article 700 du Code de procédure civile

Il apparaîtrait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur Y les frais irrépétibles non compris dans les dépens et la SAS H I BTP sera condamnée à lui payer la somme de 3.500 ' au titre de l’article 700 du Code de procédure civile pour la procédure de première instance et celle d’appel, le jugement devant être infirmé en ce qu’il a fait droit à la demande pour la somme de 2.500 ' en première instance.

Par ailleurs, l’équité ne commande pas de faire application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, s’agissant de la demande formée par Pôle Emploi I, intervenant volontaire.

La SAS H I BTP qui succombe sera condamnée aux dépens d’appel en ce compris les dépens de l’intervenant volontaire.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME le jugement du Conseil des prud’hommes de Rennes, sauf en ce qui concerne la somme allouée au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

STATUANT à nouveau dans cette limite et Y AJOUTANT :

-Ordonne le remboursement par la SAS H I BTP à Pôle Emploi I des indemnités de chômage versées à Monsieur G Y dans la limite de six mois d’allocations, soit la somme de 8.122,63 '.

-Condamne la SAS H I BTP à payer à Monsieur G Y, la somme de 3.500 ' par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, tant en première instance qu’en cause d’appel.

-Déboute Pôle Emploi I de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile en instance d’appel ;

CONDAMNE la SAS H I BTP aux entiers dépens d’appel en ce y compris les dépens de Pôle Emploi I, partie intervenante volontaire.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code du travail
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Cour d'appel de Rennes, 7ème ch prud'homale, 30 septembre 2021, n° 18/07561