Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 3 mars 2022, n° 19/04347

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Rouen, ch. soc., 3 mars 2022, n° 19/04347
Juridiction : Cour d'appel de Rouen
Numéro(s) : 19/04347
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Louviers, 29 octobre 2019
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

N° RG 19/04347 – N° Portalis DBV2-V-B7D-IKRA

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 03 MARS 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :


Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE LOUVIERS du 30 Octobre 2019

APPELANTE :

SA SANOFI PASTEUR

[…]

[…]

représentée par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Christophe PLAGNIOL, avocat au barreau des HAUTS-DE-SEINE

INTIME :

Monsieur X Y

[…]

[…]

représenté par Me Lucile MATRAND, avocat au barreau de l’EURE substitué par Me Mehdi LOCATELLI, avocat au barreau de l’EURE

COMPOSITION DE LA COUR :


Lors des débats et du délibéré :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Monsieur CAUBET, Conseiller

Madame BACHELET, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :


A l’audience publique du 18 Janvier 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 03 Mars 2022 ARRET :


CONTRADICTOIRE


Prononcé le 03 Mars 2022, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. X Y a été engagé en qualité d’opérateur de production par la SA Sanofi Pasteur par contrat de travail à durée déterminée du 13 novembre 2017 au 30 avril 2018, prolongé jusqu’au 23 décembre 2018, puis par contrat de mission du 8 juin 2019 au 6 novembre 2019.


Les relations contractuelles des parties étaient soumises à la convention collective de l’industrie pharmaceutique.


Par requête du 29 août 2019, M. X Y a saisi le conseil de prud’hommes de Louviers en requalification de sa relation de travail avec la SA Sanofi Pasteur en contrat de travail à durée indéterminée et paiement d’indemnités.


Par jugement du 30 octobre 2019, le conseil a prononcé la requalification de la relation de travail entre M. X Y et la SA Sanofi Pasteur en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 13 novembre 2017, condamné la SA Sanofi Pasteur à verser à M. X Y les sommes suivantes :

indemnité de requalification : 2 629,96 euros,• indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile : 400 euros,•

rappelé que la décision prononçant la requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée est exécutoire de droit à titre provisoire, débouté la SA Sanofi Pasteur de ses demandes et l’a condamnée aux dépens.


La SA Sanofi Pasteur a interjeté appel le 7 novembre 2019.


Par conclusions remises le 12 janvier 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la SA Sanofi Pasteur demande à la cour de déclarer son appel recevable et bien fondé, d’infirmer le jugement rendu en toutes ses dispositions, statuant à nouveau, dire que les chefs de demande de M. X Y sont mal fondés, débouter M. X Y de l’intégralité de ses demandes, le condamner à lui verser la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.


Par conclusions remises le 31 décembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, M. X Y demande à la cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement, y ajoutant, condamner la SA Sanofi Pasteur à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en appel, ainsi qu’aux entiers dépens.


En accord avec les parties, l’ordonnance de clôture de la procédure rendue le 6 janvier 2022 a été fait l’objet d’un rabat et la procédure a été clôturée à l’audience du 18 janvier 2022 avant l’ouverture des débats.
MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la requalification du contrat de travail à durée déterminée


Selon l’article L. 1242-1 du code du travail, un contrat de travail durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.


L’article L. 1242-2 du même code dispose que, sous réserve des contrats spéciaux prévus à l’article L. 1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire et seulement dans les cinq cas qu’il énumère, parmi lesquels figurent le remplacement d’un salarié, l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise et les emplois saisonniers ou pour lesquels, dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par convention ou accord collectif étendu, il est d’usage de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois.


Au terme de l’article L. 1242-12 du code du travail, le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif, et notamment les mentions énumérées par ce texte ; à défaut, il est réputé être conclu pour une durée indéterminée.


L’article L.1242-13 du code du travail édicte que ce contrat est remis au salarié, au plus tard, dans les deux jours ouvrables suivant l’embauche.


Selon l’article L.1245-1du code du travail, est réputé à durée indéterminée tout contrat conclu en méconnaissance des dispositions des articles L.1242-1 à L.1242-4, et 1242- 6 à L.1242- 8, et 1242-12 alinéa 1, et 1243-11 alinéa 1, L.1243-13, et 1244-3 et L.1244-4 du même code.


Le motif du recours à un contrat de travail à durée déterminée s’apprécie au jour de sa conclusion.


Les effets de la requalification, lorsqu’elle est prononcée, remonte à la date du premier contrat à durée déterminée irrégulier.


En application des dispositions de l’article L.1251-6 du code du travail, il peut être fait appel à un salarié temporaire pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire et seulement pour remplacer un salarié absent ou en cas d’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise.


En tout état de cause, selon l’article L.1251-5 du code du travail, le contrat de mission, quel que soit son motif ne peut avoir pour objet, ni pour effet de pourvoir durablement à un emploi lié à l’activité normale ou permanente de l’entreprise utilisatrice.


Selon l’article L.1251-40 du même code, lorsqu’une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d’une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des dispositions des articles L.1251-5 à L.1251-7, L.1251-10 à L.1251-12, L.1251-30 à L.1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission.


En cas de litige sur le motif du recours, il incombe à l’entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat de mission.


En l’espèce, M. X Y sollicite la requalification de ses contrats précaires aux motifs que la société Sanofi Pasteur a institutionnalisé le 'tiers temps’ pour les salariés précaires en employant de manière continuelle des salariés en contrats précaires pour un prétendu accroissement temporaire d’activité en appliquant le délai de carence aux salariés et non au poste de travail, que la violation du délai de carence emporte automatiquement requalification, qu’il a occupé un emploi durable lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, laquelle est caractérisée même lorsque l’activité connaît des variations, dès lors qu’elles interviennent de manière régulière suivant un mode d’organisation identique, que la mise en place de la troisième ligne SD renouvelée d’année en année n’emporte pas d’accroissement temporaire d’activité, pas plus que la qualification de la ligne seringue 3, rappelant qu’il appartient à l’employeur d’apporter la preuve de la licité du motif du recours.


La société Sanofi Pasteur s’oppose à la demande puisque les motifs de recours pour lesquels M. X Y a été engagé sont réguliers, que son activité dépend des commandes saisonnières du vaccin de la grippe pour les hémisphères nord et sud et des commandes ponctuelles pour les autres vaccins en fonction des appels d’offres, de sorte que le volume des commandes est par essence incertain, et qu’elle a été confrontée à du retard de production pour diverses raisons.


La société Sanofi Pasteur est spécialisée dans la fabrication de vaccins humains et son site de production situé à Val de Reuil assure la distribution mondiale de tous les vaccins fabriqués par la société Sanofi Pasteur en France et les opérations industrielles de la production biologique des antigènes au stade 'vrac’ jusqu’à la production de produits finis, à savoir les vaccins et leur distribution dans le monde.


Le site de Val de Reuil est le premier producteur mondial de vaccin contre la grippe saisonnière pour les hémisphères nord et sud.

M. X Y a été lié à la SA Sanofi Pasteur par les contrats suivants :


- du 13 novembre 2017 au 30 avril 2018, prolongé par avenant du 24 avril 2018 jusqu’au 23 décembre 2018 : contrat de travail à durée déterminée pour accroissement temporaire d’activité lié à la mise en place d’une troisième ligne en samedi et dimanche en qualité d’opérateur 2 formulation répartition liquide,


- du 8 juin 2019 au 6 novembre 2019 : contrat de travail temporaire pour accroissement temporaire d’activité pour combler les besoins en production de seringues lié à la qualification/ démarrage de la nouvelle ligne LS3 encore en phase de test en équipe semaine en qualité d’opérateur 3 formulation répartition liquide 210 3C.


La SA Sanofi Pasteur invoque l’augmentation des volumes de seringues à répartir sur l’atelier 'Répartition liquide’ en raison :


- du retard pris dans la qualification de la nouvelle ligne seringue qui ralentit la production, de sorte qu’elle n’est pas en capacité d’honorer l’ensemble des commandes qui sont reportées d’une année sur l’autre,


- du retard dans la transmission des souches par l’OMS réduisant ainsi le délai dont elle dispose pour fabriquer un vaccin contre la grippe de plus en plus complexe et le distribuer à temps pour la campagne annuelle de vaccination.


Il n’est pas discuté que l’augmentation de la demande client a impliqué que la SA Sanofi Pasteur augmente sa capacité de production et que pour ce faire, elle a mis en place une nouvelle ligne de répartition de seringues dénommée LS3 à partir de 2016, laquelle devait être opérationnelle en juin 2018 mais a connu des retards pour finalement débuter lors de la campagne grippe HN2019.


Néanmoins, alors que la création d’une nouvelle ligne n’engendre pas une suppression de celles existantes et qu’elle est dictée par la nécessité de faire face à un besoin grandissant de production, le besoin de main d’oeuvre est alors structurel sur l’ensemble des lignes, de sorte que le transfert d’un certain nombre de salariés vers la ligne en cours de qualification doit être compensé par des emplois permanents sur la ligne déjà qualifiée, et non par des recrutements précaires, surtout deux ans après le début de la mise en oeuvre du projet, peu important le retard pris, puisque la procédure de qualification fait partie d’un processus normal et connu de la SA Sanofi Pasteur et ne présente pas de caractère exceptionnel.


Aussi, le recours à M. X Y pendant treize mois s’inscrit dans l’activité permanente de la SA Sanofi Pasteur, peu important que pour y faire face à sa production, la société ait dû mettre en place une troisième ligne en samedi-dimanche, dans l’attente de la qualification de la troisième ligne, les salariés alors affectés sur cette organisation transitoire l’étant pour faire face à l’activité normale et permanente de l’entreprise.


Par ailleurs, sur la période concernée par le recrutement de M. X Y, la SA Sanofi Pasteur ne peut invoquer de manière pertinente la variation s’agissant des dates de transmission par l’OMS des souches nécessaires à la fabrication du vaccin contre la grippe.


En effet, il résulte des éléments du débat que pour l’hémisphère nord, ces transmissions ont eu lieu aux dates suivantes :


- campagne 2013-2014 : 21 février 2013


- campagne 2014-2015 : 20 février 2014


- campagne 2015-2016 : 26 février 2015


- campagne 2016-2017 : 25 février 2016


- campagne 2017-2018 : 2 mars 2017


- campagne 2018-2019 : 22 février 2018

et pour l’hémisphère sud, aux dates suivantes :


- campagne 2013 : 20 septembre 2012


- campagne 2014: 26 septembre 2013


- campagne 2015 : 25 septembre 2014


- campagne 2016 : 24 septembre 2015


- campagne 2017 : 29 septembre 2016


- campagne 2018 : 28 septembre 2017


- campagne 2019 : 27 septembre 2018.


Ainsi, alors que depuis plusieurs années, la transmission s’effectue à la même période sous réserve d’une variation de quelques jours, cela n’a pas pour effet de réduire de manière significative le temps de l’ensemble des étapes d’élaboration, fabrication et d’expédition du vaccin, générateur de ce fait d’un accroissement temporaire d’activité justifiant le recours aux contrats précaires, mais relève du fonctionnement normal, mais intermittent de l’activité de fabrication de vaccins pour la grippe.


Il n’est pas davantage établi que la complexification du vaccin liée à la transmission de plusieurs souches ait un impact réel sur le temps de production du vaccin une fois ces souches communiquées par l’OMS. M. X Y a donc occupé un emploi permanent lié à l’activité normale de la SA Sanofi Pasteur dès l’origine de la relation contractuelle, de sorte que, sans qu’il soit nécessaire de répondre aux autres moyens des parties tendant aux mêmes fins, la cour confirme le jugement entrepris ayant prononcé la requalification du contrat de travail en contrat à durée indéterminée à compter du 13 novembre 2017.

Sur les conséquences de la requalification


Compte tenu de la requalification en contrat à durée indéterminée à effet au 13 novembre 2017, le salarié est fondé à obtenir une indemnité de requalification conformément aux dispositions de l’article L.1251-41 du code du travail égale à au moins un mois de salaire.


Alors qu’il n’est pas discuté que le dernier salaire de M. X Y s’élevait à 2 629,96 euros bruts, il y a lieu de lui allouer cette somme à titre d’indemnité de requalification, confirmant en ce sens le jugement entrepris.

Sur les dépens et frais irrépétibles


En qualité de partie principalement succombante, la SA Sanofi Pasteur est condamnée aux entiers dépens, déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer à M. X Y la somme de 1 000 euros pour les frais générés par l’instance et non compris dans les dépens, en sus de la somme allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS

LA COUR


Statuant par arrêt contradictoire,


Confirme le jugement entrepris ;


Y ajoutant,


Condamne la SA Sanofi Pasteur à payer à M. X Y la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;


Déboute la SA Sanofi Pasteur de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile en appel ;


Condamne la SA Sanofi Pasteur aux entiers dépens de première d’instance et d’appel.


La greffière La présidente
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