Cour d'appel de Toulouse, 4eme chambre section 2, 4 février 2022, n° 19/04691

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Toulouse, 4e ch. sect. 2, 4 févr. 2022, n° 19/04691
Juridiction : Cour d'appel de Toulouse
Numéro(s) : 19/04691
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Toulouse, 22 septembre 2019, N° 19/00261
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

04/02/2022

ARRÊT N° 2022/55

N° RG 19/04691 – N° Portalis DBVI-V-B7D-NISG


APB/VM


Décision déférée du 23 Septembre 2019 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de TOULOUSE ( 19/00261)


I J-K

C X


C/

SAS THALES AVS FRANCE


INFIRMATION TOTALE


Grosse délivrée le 04 février 2022

à :


- Maître L’HÔTE


- Maître LEPLAIDEUR


REPUBLIQUE FRANCAISE


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 2

***


ARRÊT DU QUATRE FEVRIER DEUX MILLE VINGT DEUX

***

APPELANTE

Madame C X

[…]

[…]


Représentée par Me Véronique L’HOTE de la SCP CABINET SABATTE ET ASSOCIEES, avocat au barreau de TOULOUSE INTIMÉE

SAS THALES AVS FRANCE

[…]

[…]


Représentée par Me Stéphane LEPLAIDEUR de la SELARL CAPSTAN SUD OUEST, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR


En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Janvier 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant C. BRISSET, présidente, A. PIERRE-BLANCHARD, conseillère, chargées du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :


C. BRISSET, présidente


A. PIERRE-BLANCHARD, conseillère


F. CROISILLE-CABROL, conseillère

Greffière, lors des débats : A. RAVEANE

ARRET :


- CONRADICTOIRE


- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties


- signé par C. BRISSET, présidente, et par A. RAVEANE, greffière de chambre

EXPOSÉ DU LITIGE :

Mme C X a été embauchée à compter du 9 mars 1981 par la société Thalès Avionics en qualité d’agent gestion production, niveau 4, échelon 1 de la convention collective de la métallurgie de la région parisienne, suivant contrat de travail à durée indéterminée.

Mme X a été investie de plusieurs mandats de représentant du personnel à compter de 1984, à savoir déléguée du personnel et membre du CHSCT.


Elle a en outre été élue conseiller prud’homal de 1992 à 2008, membre de la commission locale égalité femmes/hommes jusqu’en 2018 et conseiller salarié.


Suivant avenant du 4 juillet 1996, Mme X a occupé les fonctions de customer service engineer, statut agent de maîtrise, niveau 5.1.

Mme X a été mutée en région toulousaine courant 2001, et a occupé les fonctions de coordinateur financier puis à compter de 2008, d’administrateur des ventes, conservant sa classification au niveau 5.1.


Le16 avril 2008, Mme X a saisi le conseil de prud’hommes de Saint Gaudens pour, au principal, voir juger qu’elle a été victime d’une discrimination syndicale.


En parallèle, Mme X a saisi le conseil de prud’homme de Saint-Gaudens en sa formation des référés d’une demande de provision sur rappel de salaire.


Par arrêt du 19 novembre 2008, la chambre sociale de la cour d’appel de Toulouse a confirmé l’ordonnance de référé du 17 juin 2008 par laquelle le conseil de prud’hommes de Saint-Gaudens a condamné la société Thalès à verser à Mme X une provision de 41 000 €, et elle a condamné l’employeur à verser à la salariée la somme de 1 200 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.


Par jugement du 19 juin 2009, le conseil de prud’hommes de Saint Gaudens a jugé que Mme X avait fait l’objet d’une discrimination syndicale et a notamment condamné la société Thalès Avionics à des rappels de salaire sur la période de 2005 à 2008 ainsi qu’à des dommages-intérêts.


Le poste de Mme X a été supprimé, et en juin 2010 elle a donc été nommée sur un poste d’analyste processus opérations, toujours au niveau 5.1.


Par arrêt du 28 novembre 2013, la cour d’appel de Toulouse a confirmé le jugement du conseil de prud’hommes de Saint Gaudens précité sur l’existence d’une discrimination syndicale, l’a réformé à la hausse sur le quantum des rappels de salaire et les dommages-intérêts alloués, a fixé le salaire de Mme X en le réévaluant à hauteur de 3 510,60 € par mois hors prime d’ancienneté pour un temps partiel équivalent à 4/5 d’un temps complet, et a reclassé Mme X au niveau cadre position 2 à compter du 1er juillet 1996, en estimant que le poste de customer service engineer de niveau 5.1 correspondait effectivement à un poste de cadre niveau 2.

Mme X a saisi la cour d’appel de Toulouse d’une requête en rectification d’erreur matérielle en date du 16 avril 2014, relative à la fixation de son salaire et au calcul du rappel de salaire.


L’arrêt de la cour d’appel de Toulouse du 28 novembre 2013 a fait l’objet d’un arrêt en rectification d’erreur matérielle en date du 27 février 2015, ordonnant la rectification du montant du rappel de salaire alloué (133 469,12 € au lieu de 130 543,70 €) et rejetant la demande de Mme X au titre de la fixation de son salaire.

Mme X a alors saisi la formation de référé du conseil de prud’hommes de Toulouse par acte introductif d’instance du 26 octobre 2015 au terme duquel elle a sollicité la fixation de son salaire de base à hauteur de 4 630,26 €, estimant qu’un équivalent à la prime d’ancienneté versée uniquement aux non-cadres aurait dû être intégré dans sa rémunération lors de sa classification au statut cadre.


Le juge départiteur, statuant en référé, a renvoyé Mme X à mieux se pourvoir par ordonnance du 14 avril 2016.


Le 5 septembre 2017, Mme X a saisi le conseil de prud’hommes de Toulouse afin, au principal, de constater une discrimination syndicale dont elle serait de nouveau victime, ainsi que de statuer sur sa rémunération annuelle.


Le 1er janvier 2018, la société Thalès Avionics a été absorbée par la SAS Thalès AVS France.


Le 1er juillet 2018, Mme X a quitté les effectifs de la société Thalès AVS France afin de liquider ses droits à la retraite.


L’affaire introduite le 5 septembre 2017 a été radiée le 18 février 2019, le conseil de prud’hommes de Toulouse a refusé le rabat de l’ordonnance de clôture.
Le 21 février 2019, Mme X a réintroduit la même affaire devant le conseil de prud’hommes de Toulouse.

Par jugement du 23 septembre 2019, le conseil de prud’hommes de Toulouse a:


- déclaré irrecevable l’action de Mme X tendant à remettre en cause les effets des arrêts de la cour d’appel de Toulouse des 28 novembre 2013 et 27 février 2015,


A ce titre,


- débouté Mme X de l’ensemble de ses demandes,


- condamné Mme X aux entiers dépens de l’instance,


- débouté la société Thalès AVS France SAS du surplus de ses demandes.

Mme X a relevé appel de ce jugement le 28 octobre 2019, énonçant dans son acte d’appel les chefs critiqués du jugement.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 23 décembre 2021, auxquelles il est expressément fait référence, Mme X demande à la cour de:


- ordonner le rabat de l’ordonnance de clôture en date du 14 décembre 2021,


- fixer la clôture au jour de l’audience de plaidoirie,


- débouter la SAS Thalès Avs France de sa fin de non-recevoir tirée de l’article 910-4 du code de procédure civile, Mme X n’ayant formulé aucune nouvelle prétention,


- infirmer le jugement entrepris,


Statuant à nouveau,


- dire Mme X recevable et bien fondée en ses demandes,


- condamner la SAS Thalès Avs France à verser à Mme X la somme de 255235€ de dommages et intérêts au titre du préjudice salarial, de carrière, de retraite et moral, au titre de la récidive de discrimination,


- dire que les sommes allouées à Mme X seront assorties des intérêts au taux légal majoré de 5 points à l’expiration d’un délai de 2 mois à compter du présent jugement conformément à l’article L.313-3 du code monétaire et financier,


- dire que ces intérêts pourront être capitalisés s’ils sont dus au moins pour une année

entière, conformément aux dispositions de l’article 1154 du code civil,


- dire que la cour se réserve la liquidation des intérêts en cas de contestation,


- condamner la société la SAS Thalès Avs France à verser à Mme X la somme de 5 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,


- débouter la SAS Thalès Avs France de l’intégralité de ses demandes et la condamner aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 13 décembre 2021 auxquelles il est expressément fait référence, la société Thalès AVS France demande à la cour de:


- recevoir la société Thalès AVS France en ses écritures,


- confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré l’action de Mme X irrecevable

dès lors qu’elle heurte l’autorité de la chose jugée,


En conséquence, et in limine litis,


- déclarer irrecevable l’action de Mme X tendant à remettre en cause les effets des arrêts de la cour d’appel de Toulouse des 28 novembre 2013 et 27 février 2015,


Sur le fond,


- juger irrecevable la demande nouvelle de Mme X tendant à obtenir la condamnation de la société Thalès AVS France à lui verser un complément d’indemnité de départ en retraite :


- en raison de son caractère tardif et contrevenant à l’obligation de concentration de prétentions,


- ou, à défaut, en raison de son caractère prescrit,


- débouter Mme X de toutes ses prétentions,


- condamner Mme X à verser à la société Thalès AVS France la somme de 3 000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.


L’ordonnance de clôture initialement intervenue le 14 décembre 2021 a été révoquée par le magistrat chargé de la mise en état le 6 janvier 2022, sur accord des parties, afin d’admettre les conclusions tardives de l’intimée intervenues la veille de la clôture et les conclusions de l’appelante intervenues après la clôture.


Une nouvelle clôture de la procédure a été prononcée le 6 janvier 2022 avant ouverture des débats devant la cour.

MOTIFS :

Sur l’irrecevabilité des demandes de Mme X soulevée par la société Thalès AVS France, relative à l’autorité de chose jugée :


La société Thalès AVS France soutient l’irrecevabilité des demandes de l’appelante relatives à :


- l’intégration de la prime d’ancienneté au salaire de base,


- le montant du salaire pour l’année 2013,


- la classification professionnelle,


- la discrimination syndicale ou fondée sur le sexe, relative à une période antérieure à 2014.


Elle estime que les demandes de Mme X se heurtent à l’autorité de chose jugée, car elle demande de nouveau que soit intégrée la prime d’ancienneté à son salaire de base alors que cette prétention aurait été rejetée par les arrêts aujourd’hui définitifs du 28 novembre 2013 et du 27 février 2015 ; que Mme X entendrait contester dans le cadre de la présente instance la fixation de son salaire à 3510,60 € à compter de novembre 2013, en faisant un calcul pour les années suivantes ne tenant pas compte de cette fixation, mais en intégrant des primes de façon non conforme à la décision.


De même, la salariée soutiendrait à tort qu’elle devrait bénéficier d’un salaire équivalent à celui des cadres 3A alors qu’il a été définitivement jugé qu’elle devait être classée au niveau 2, et elle se comparerait de nouveau à Mme Y alors que les arrêts précités ont classé Mme X à un niveau inférieur à celui de cette salariée.


Cependant, et en premier lieu, la cour observe que les demandes de Mme X visent une discrimination syndicale à compter de 2014, et donc non examinée par la cour lors des instances précédentes visant la période de 2005 jusqu’au 31 octobre 2013 pour les rappels de salaires, et la période de 1984 à 2005 pour les dommages intérêts.


De ce seul fait, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a déclaré toutes les demandes irrecevables comme se heurtant au principe d’autorité de chose jugée.


Par ailleurs, contrairement à ce qu’indique la société Thalès AVS France, les arrêts rendus par la présente cour des 28 novembre 2013 et 27 février 2015 n’ont nullement jugé que Mme X n’aurait pas droit à l’intégration de sa prime d’ancienneté dans sa rémunération lors de son passage au statut cadre, puisque ces décisions ont simplement statué sur la fixation du salaire de base à un montant précis ' hors prime d’ancienneté'.


Le litige reste donc entier sur la question de savoir si, à ce salaire de base déjà fixé et dont le montant est effectivement couvert par l’autorité de chose jugée, il convient d’y adjoindre la prime d’ancienneté revendiquée par Mme X. Cette demande est parfaitement recevable.


Quant au détail des calculs effectués par Mme X, laquelle se compare à une salariée classée au niveau 3, alors qu’il a été définitivement jugé que Mme X devait être classée au niveau 2, il ne s’agit pas d’une prétention à proprement parler dont la recevabilité devrait être examinée à ce stade, et il appartiendra à la cour de dire, dans le cadre de l’examen au fond ci-après, si les calculs de la salariée sont fondés ou non, le cas échéant à la lumière des décisions déjà rendues.

Sur l’irrecevabilité de la demande relative au complément d’indemnité de départ en retraite :


La société Thalès AVS France soutient que Mme X sollicite au travers de sa demande d’indemnisation pour discrimination syndicale, un complément d’indemnité de départ en retraite ; qu’il s’agit d’une demande nouvelle en cause d’appel, irrecevable en application de l’article 564 du code de procédure civile. Cette demande heurterait également le principe de concentration des prétentions dans les premières écritures, fixé par l’article 910-4 du code de procédure civile, et subsidiairement, serait prescrite.


Cependant, ainsi que l’indique Mme X, aucune prétention n’est formulée dans le dispositif de ses conclusions au titre d’un complément d’indemnité de départ en retraite; l’appelante se contente d’évoquer cette perte d’indemnité-retraite dans les éléments composant le préjudice lié à la discrimination, dont elle demande réparation sous forme de dommages-intérêts globaux.


La cour estime ainsi qu’il n’existe aucune irrecevabilité, l’évolution d’une demande indemnitaire ne caractérisant pas une demande nouvelle.

Sur la discrimination syndicale :


Par application de l’article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l’article 1er de la loi du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L.3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m’urs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap.


Et l’article 1er de la loi du 27 mai 2008 définit comme suit les différentes formes de discrimination :


- constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non appartenance , vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou de son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre, ne l’est, ne l’a été, ou ne l’aura été, dans une situation comparable,


- constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique, neutre en apparence, mais susceptible d’entraîner, pour l’un des motifs précités, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires ou appropriés,


- la discrimination inclut tout agissement lié à l’un des motifs précités et tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement hostile, dégradant, humiliant ou offensant .


L’article L 1134 – 1 du code du travail prévoit qu’en cas de litige relatif à l’application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l’article 1er de la loi du 27 mai 2008 .


Au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination .


Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles .


En l’espèce, Mme X soutient qu’elle a été victime d’une 'récidive’ de discrimination syndicale de la part de son employeur après l’arrêt de la cour du 28 novembre 2013, et présente à la cour les éléments suivants :

1°) son salaire a baissé sans explication mathématique entre 2013 et 2014, passant de 60 349 € annuels en 2013 pour un temps plein, toutes primes incluses, à 56601 € en 2014, et sans rattrapage du niveau de 2013 par la suite, y compris jusqu’en 2018,

2°) elle n’a perçu ensuite aucune augmentation en 2015 et 2018, de sorte qu’elle ne percevait que 58 924 € en 2018 (contre 60 349 € en 2013), et que les extraits NAO montrent que Mme X est toujours en deçà des augmentations générales et individuelles,

3°) elle a dû changer 4 fois de poste et de métier en 5 ans en raison des suppressions de postes et des modifications de services, elle donc dû s’adapter, ce qui a entravé son évolution et conduit à des évaluations ne lui permettant pas d’atteindre les niveaux 'en maîtrise’ ou 'excellente’ comme ses collègues occupant le même poste durant plusieurs années,

4°) elle a été placée dans un bureau isolé avec des personnes extérieures ou de passage, voire d’autres militants syndicaux,

5°) à la suite de l’intervention des délégués du personnel et d’une expertise ordonnée par le CHSCT il a été mis en évidence un prélèvement abusif sur le compteur de la salariée de 227,94 heures de travail et 18 jours de congés payés entre 2005 et 2013, or il a été demandé à Mme X en février 2014 de solder ces éléments en trois mois, sans tenir compte de sa vie familiale, de ses obligations professionnelles, et sans revoir à la baisse les objectifs qui lui étaient fixés,

6°) à la suite de l’arrêt du 28 novembre 2013, l’employeur s’est livré à une gestion incompréhensible des charges sociales, aboutissant à délivrer à la salariée des bulletins de paie avec un salaire net minime et des charges sociales comprises entre 40 et 93%, sans fournir la moindre explication et sans répondre aux protestations relayées par les syndicats et délégués du personnel.

Sur le point 1°), Mme X produit effectivement ses bulletins de paie ainsi que des tableaux explicatifs en pièces n° 33 et 34-1 à 34-5, ainsi qu’un tableau en page 13 de ses conclusions, dont il résulte que :


- la cour d’appel par son arrêt du 28 novembre 2013 rectifié par celui du 27 février 2015 a alloué à Mme X un rappel de salaire à compter de 2005 (pour tenir compte de la prescription) en estimant que la salariée devait bénéficier du statut cadre au niveau 2 dès 1996, et a fixé son salaire pour 2013 à la fois en tenant compte de cette classification et en se fondant sur un panel dont la rémunération médiane correspondait à celle de Mme Y, pourtant classée au niveau 3 mais dont la situation à l’embauche était comparable à celle de Mme X, Mme Y n’ayant subi aucune discrimination avait évolué au niveau 3, de sorte qu’il était pertinent de comparer ces salariées ;


-la rémunération de Mme X a ainsi été fixée à 3510,60 € bruts par mois hors prime d’ancienneté pour un temps partiel à 4/5ème, soit 4388,26 € par mois sur la base d’un temps plein, à compter du 1er novembre 2013 ; cette disposition bénéficie de l’autorité de chose jugée comme l’a rappelé la cour dans son arrêt rectificatif du 27 février 2015 ;


-au 1er novembre 2013, avant intervention de la cour, la salariée était toujours classée dans les non-cadres (dits 'mensuels’ chez Thalès), et bénéficiait d’une prime d’ancienneté de 237 € par mois ;


-en exécution de cette décision, si l’on ajoute les rappels de salaire alloués à la rémunération de base, la prime d’ancienneté et la prime des non-cadres déjà perçues par la salariée sur 2013, on aboutit à une rémunération annuelle reconstituée sur 2013 de 60'349 € en base temps plein ;


- à la lecture des éléments produits par les parties, Mme X, classée au statut cadre niveau 2 à compter du 1er novembre 2013, n’a plus perçu la prime réservée aux non-cadres puisqu’elle devait percevoir une rémunération variable réservée aux cadres, ce qui est logique, mais n’a pas non plus perçu la prime d’ancienneté, ceci a abouti à lui octroyer une rémunération en base temps plein de 56'601 € en 2014, 55'956 € en 2015,56 1970 € en 2016, 58'213 € en 2017, et 31 766 € pour les 6 premiers mois de l’année 2018 (Mme X n’actualisant pas ses chiffres sur la période postérieure).


À l’analyse de ces éléments, la rémunération de la salariée a effectivement baissé dès 2014 sans pouvoir atteindre en 2017 le niveau fixé par la cour en novembre 2013.

Sur l’absence d’augmentation salariale visée au point 2°), Mme X démontre par les tableaux produits, déjà cités, qu’elle n’a perçu aucune augmentation de son salaire de base en 2014, ni en 2015, ni en 2018 ; le tableau récapitulatif des salariés en contrat à durée indéterminée sans augmentation individuelle sur la période 2014 – 2015 produit en pièce n°19 par Mme X montre qu’elle est la seule cadre LR8 (=niveau 2) de l’ensemble de l’effectif Thalès tous sites confondus à ne pas avoir bénéficié d’augmentations individuelles ; de même le tableau produit en pièce n° 34-4 établi à partir des NAO montre que, alors que la salariée ne perçoit aucune augmentation individuelle en 2014 et 2015, la moyenne des augmentations individuelles versées aux femmes de plus de 55 ans comme elle était de 2,73 % en 2014 et 1,95 % en 2015, et était pour Mme Y qui est la médiane du panel retenu en 2013 par la présente cour de 2,5 % en 2014 et de 3,1 % en 2015 ; ce même tableau montre que sur 834 cadres du site de Toulouse, Mme X est la seule à n’avoir bénéficié d’aucune augmentation individuelle en 2015.

Mme X démontre également qu’elle a bénéficié d’une rémunération variable inférieure à la rémunération variable moyenne distribuée aux cadres du niveau 2 :


Elle a perçu une rémunération variable :


-de 7,66 % en 2015 contre une moyenne de 8,65 %,


-de 8,6 % en 2016 contre une moyenne de 9,01 %,


-de 9,21 % en 2017 contre une moyenne de 9,28 %.


L’absence d’augmentation et la stagnation salariale de Mme X sont donc établies.

Sur le point 3°) relatif aux différents changements de postes et de métiers par la salariée au sein de la société Thalès, il s’agit d’un fait établi par les pièces produites et non contesté au demeurant par l’employeur.

Mme X produit les éléments relatifs aux autres salariés du panel déjà retenu par la cour et réutilisé dans le cadre de la présente instance ; ces salariés n’ont pas été soumis aux changements incessants de poste déplorés par Mme X puisque :


-Mme G-H est dans son poste depuis près de 13 ans,


-Mme Z est dans son poste depuis plus de 20 ans,


-Mme Y est dans son poste depuis 17 ans,


-M. A est dans son poste depuis plus de 20 ans.

Sur le point 4°) relatif à l’isolement de la salariée, il est produit l’attestation de M. E F, ingénieur informaticien et délégué du personnel CGT au sein de la société Thalès AVS France ; celui-ci indique que la justice l’a reconnu comme discriminé par l’employeur ; qu’à la suite d’une réorganisation en 2018 il a été rattaché au département dans lequel travaillait Mme X, son déménagement a été organisé et il a rejoint Mme X qui était seule dans son bureau ; il indique avoir été séparé de ses collègues avec lesquels il travaillait pour être placé dans le bureau de Mme X, et avait le sentiment que l’employeur ne voulait pas les 'mélanger’ avec les autres salariés.


L’isolement dénoncé est donc établi.

Sur le point 5°) relatif aux congés et heures indûment prélevées, la salariée se réfère dans ses conclusions à une pièce n°54 constituée par un courrier de la CGT au CHSCT le 8 septembre 2014 évoquant la souffrance au travail de la salariée mais ne faisant pas référence à l’obligation de solder les congés et heures indûment prélevées.


Ce fait ne peut être considéré comme établi.

Sur le point 6°) relatif à la gestion incohérente des charges sociales sur les bulletins de paie de la salariée, le courrier de la CGT précité y fait expressément référence en dénonçant qu’il manquait depuis plusieurs mois entre 40 % et 93 % du salaire net de Mme X, et qu’en avril 2014 il avait été établi un bulletin de salaire d’un montant de 255,75 € nets. Les répercussions psychologiques de cette situation étaient soulignées, tout comme dans le courrier du 31 octobre 2014 par lequel M. B, délégué du personnel, alertait la responsable des relations sociales de l’établissement de Toulouse sur cette situation vécue par Mme X : salaire brut de 3510,60 € pour avril 2014 mais salaire net de 255 € sur ce même mois avec des calculs de charges salariales de 93 % sans aucun courrier ni explication préalable.


Ce fait est donc établi.


La cour estime que parmi les faits présentés par Mme X, ceux qui sont établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’une discrimination syndicale à son égard.


En réponse, force est de constater que la société Thalès AVS France n’objective pas ces faits par des éléments étrangers à toute discrimination.


Celle-ci conteste toute discrimination en critiquant pour l’essentiel les tableaux et calculs établis par la salariée.


Sur les points 1°) et 2°), elle indique que Mme X ne peut fonder ses calculs sur le niveau 3A sans contrevenir à l’autorité de chose jugée, alors que Mme X prend en référence le salaire médian de Mme Y, certes cadre 3, mais dont le salaire a été retenu par la cour de manière définitive comme médian et donc fiable pour comparer la situation de Mme X, Mme Y étant incluse dans le panel validé définitivement par la cour.


Par ailleurs, le panel proposé par la société Thalès AVS France exclut les hommes cadres, et ce sans justification ; et même en ne prenant que les femmes, il apparaît que Mme X est en deçà du salaire médian (Mme Y : 62 299 €, Mme Z: 65 581 €).


De plus, la cour constate comme le soutient Mme X, que l’employeur produit des tableaux ne permettant pas une comparaison pertinente des situations puisque les salaires intègrent parfois les primes, parfois non, ou bien prennent en compte un salaire moyen et non médian, ou encore incluent Mme X alors que le salarié dont la discrimination est allégué doit être exclu du panel de comparaison, à défaut les moyennes sont faussées. Le tableau n° 34-1 produit par la salariée montre ces incohérences.


La société Thalès AVS France oppose encore à Mme X que ses calculs sont faussés car elle y intégrerait une prime d’ancienneté dont les cadres ne bénéficient pas, et alors même que la cour d’appel a exclu le bénéfice de cette prime pour la salariée dans son arrêt du 28 novembre 2013.


Or, ainsi qu’il a été indiqué précédemment, la cour n’a nullement statué en ce sens et s’est contentée de fixer un salaire de base « hors prime d’ancienneté » ce qui laisse le soin à l’employeur de procéder aux calculs adéquats conformément à sa pratique interne consistant à intégrer la prime d’ancienneté au salaire lorsque salarié non-cadre accède au statut cadre. Les chiffres présentés par la société Thalès AVS France relatifs à la rémunération de la salariée ne sont donc pas pertinents puisqu’ils excluent cette prime d’ancienneté.


En effet, il résulte du propre document de l’employeur dénommé « système de rémunération ' Thalès

» produit en pièce n° 32 par la salariée que :


-les non-cadres sont rémunérés sur 13 mois et perçoivent une prime d’ancienneté ainsi qu’une prime variable collective sur objectifs,


- les cadres sont rémunérés sur 12 mois et la prime d’ancienneté qu’ils percevaient avant leur passage au statut cadre est intégrée dans le salaire de base, ils perçoivent en outre une part variable.


Les éléments chiffrés présentés par la salariée montrent qu’en réalité l’employeur s’est abstenu d’intégrer la prime d’ancienneté de Mme X dans sa rémunération, c’est-à-dire de l’ajouter au salaire de base tel que défini par la cour d’appel lorsque cette dernière a classé Mme X au statut cadre.


Cet agissement ne reçoit aucune explication objective étrangère à toute discrimination.


Sur la rémunération variable inférieure à la moyenne et sur l’absence d’augmentation individuelle certaines années, la société Thalès AVS France soutient que rien ne permet d’accorder à la salariée une évolution de salaire plus favorable qu’aux autres salariés dans la mesure où ses évaluations sont plus faibles que tous les autres salariés du panel, et produit en ce sens un tableau comparatif des évaluations en page 20 de ses conclusions.


La société Thalès AVS France produit également les comptes-rendus des entretiens d’évaluation de Mme X en date des 27 février 2015, 14 avril 2016 et 28 février 2017.


À la lecture de ces éléments, la cour observe que les objectifs sont notés comme 'atteints', ou 'en adéquation', certains objectifs sont même notés comme 'tenus et dépassés', et que certains sont objectifs sont notés comme « non commencés » car remplacés par un autre objectif prioritaire selon l’évaluateur.


La salariée est notée sur certains items 'en adéquation’ et sur d’autres items 'en construction’ mais avec l’observation : 'C fait preuve de beaucoup d’investissement sur ce nouveau périmètre informatique', ce qu’elle explique parfaitement par les changements incessants de fonctions qui lui sont imposés et la nécessité de s’y adapter.


Aucune des évaluations ne comporte d’éléments défavorables, celles-ci révèlent au contraire l’implication et les capacités d’adaptation de la salariée aux différentes postes (postes de project manager, puis data manager, puis data manager- support sur les trois exercices évalués).


La cour estime qu’au vu de ces éléments, la société Thalès AVS France n’explique pas par des éléments objectifs l’absence totale d’augmentation allouée à la salariée en 2014, 2015 et 2017, et la faiblesse de sa rémunération variable au regard de la moyenne allouée aux autres salariés.


Sur les points 3°) à 6°) l’employeur ne fournit strictement aucune explication concrète.


En conséquence, la cour estime que la discrimination syndicale est établie à l’égard de Mme X à compter de la fin de l’année 2013 et jusqu’à son départ en retraite le 1er juillet 2018.

Sur l’indemnisation du préjudice :

Mme X sollicite la somme de 255 235 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice salarial, de carrière, de retraite et moral, résultant de la discrimination.


Elle procède, pour l’évaluation de son préjudice salarial, à une comparaison de sa rémunération avec celle des salariés composant le panel retenu par Thalès et par la cour en 2013, avec une médiane constituée soit par Mme Y, soit par Mme Z.

Mme X présente à la cour en pièce n° 36 un tableau de calcul de son préjudice salarial de 2014 à 2018, en cohérence avec les éléments retenus par la cour précédemment, ainsi qu’en pièce n° 34-3 les rémunérations détaillées des salariés du panel de 2013 à 2017; il résulte de l’ensemble de ces éléments un préjudice salarial de 47'735 € entre le 1er novembre 2013 et le 30 juin 2018.


Elle procède ensuite au chiffrage de la perte de ses droits à retraite sur 25 ans, ainsi que le manque à gagner sur son indemnité de départ en retraite qui aurait dû être calculée sur les salaires reconstitués conformément à l’accord de groupe du 22 novembre 2006.


La société Thalès AVS France ne saurait valablement opposer à cette demande que le préjudice serait inexistant puisque la cour allouerait un rappel de salaire sur lequel des cotisations retraite seraient versées, alors que seuls des dommages intérêts sont sollicités.


Par ailleurs, l’employeur se prévaut de données de l’INSEE pour affirmer que l’espérance de vie pour les femmes nées en 1956 comme Madame X serait de 71,7 ans et non 87 ans comme elle le soutient pour ses calculs, or il résulte du document qu’il produit lui-même qu’en 2019, l’espérance de vie des femmes âgées de 60 ans est en moyenne de 27,8 ans supplémentaires.


Toutefois la cour ne validera pas la méthode de calcul utilisée par Mme X, omettant de tenir compte du barème de capitalisation applicable en la matière puisque l’indemnisation du préjudice de retraite qu’elle demande correspond en réalité à la capitalisation d’une rente viagère et ne peut répondre à la formule mathématique proposée par la salariée.


En conséquence, tenant compte du préjudice salarial, de carrière, de retraite et moral, résultant de la discrimination subie par Mme X de fin 2013 à 2018, la cour allouera à celle-ci la somme totale de 140 000 € à titre de dommages-intérêts.

Sur le surplus des demandes :


Il sera fait droit à la demande de capitalisation des intérêts, et rappelé que les sommes allouées à Mme X porteront intérêts au taux légal majoré de 5 points à l’expiration d’un délai de 2 mois à compter du présent arrêt conformément à l’article L.313-3 du code monétaire et financier.


En revanche, la cour rappelle que toute contestation sur l’exécution du présent arrêt relèvera du juge de l’exécution, de sorte que la salariée ne peut pas demander que la cour se réserve le contentieux lié à la liquidation des intérêts.


La société Thalès AVS France, succombante, sera condamnée aux dépens de première instance infirmation du jugement déféré ainsi qu’aux dépens d’appel et à payer à Mme X la somme de 4000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :


Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,


Dit que les demandes de Mme X sont recevables,


Dit que Mme X a été victime d’une discrimination syndicale du 1er novembre 2013 au 30 juin 2018,


Condamne la société Thalès AVS France à payer à Mme X la somme de 140'000€ à titre de dommages intérêts,


Rappelle que les sommes allouées à Mme X seront assorties des intérêts au taux légal majoré de 5 points à l’expiration d’un délai de 2 mois à compter du présent arrêt conformément à l’article L.313-3 du code monétaire et financier,


Dit que ces intérêts pourront être capitalisés s’ils sont dus au moins pour une année

entière, conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil,


Condamne la société la SAS Thalès Avs France à verser à Mme X la somme de 4000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,


Rejette le surplus des demandes,


Condamne la société Thalès AVS France aux entiers dépens.


Le présent arrêt a été signé par Catherine BRISSET, présidente, et par Arrielle RAVEANE, greffière.


LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


A. RAVEANE C. BRISSET

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Cour d'appel de Toulouse, 4eme chambre section 2, 4 février 2022, n° 19/04691