Cour d'appel de Versailles, 21e chambre, 17 décembre 2020, n° 18/04830

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 21e ch., 17 déc. 2020, n° 18/04830
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 18/04830
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Nanterre, 14 octobre 2018, N° F15/02717
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

21e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 17 DECEMBRE 2020

N° RG 18/04830 – N° Portalis DBV3-V-B7C-SZGN

AFFAIRE :

E X

C/

SA AMERASIA

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 Octobre 2018 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE

N° Chambre :

N° Section : C

N° RG : F15/02717

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Emilie NIEUVIAERT

la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX SEPT DECEMBRE DEUX MILLE VINGT,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Madame E X

née le […] à […]

de nationalité Française

[…]

[…]

[…]

Représentant : Me Emilie NIEUVIAERT, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0566

APPELANTE

****************

SA AMERASIA

N° SIRET : 384 799 490

[…]

[…]

Représentant : Me Léa HADAD TAIEB de la SELEURL LEA HADAD TAIEB, Plaidant, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, vestiaire : PC87

Représentant : Me Chantal DE CARFORT de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 334

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 02 Novembre 2020 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Florence MICHON, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,,

Madame Valérie AMAND, Président,

Madame Florence MICHON, Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU,

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Mme E X a été engagée le 15 juillet 2014 par la société Amerasia, en qualité de

secrétaire comptable, groupe A, selon contrat de travail à durée déterminée pour une durée de trois

mois, moyennant une rémunération brute annuelle de 24 000 euros.

Par avenant du 16 octobre 2014, le contrat à durée déterminée a été transformé en contrat à durée

indéterminée, et la rémunération brute annuelle fixée à 25 500 euros.

La durée du travail était fixée à 35 heures hebdomadaires, avec les horaires suivants ( susceptibles de

modification en raison des nécessités de service) : de 9 heures à 13 heures et de 14 heures à 17

heures.

La société Amerasia a pour activité l’organisation de voyages ou de séjours, individuels ou collectifs.

Elle applique la convention collective nationale de travail du personnel des agences de voyages et de

tourisme du 12 mars 1993.

Elle occupait alors plus de dix salariés.

Le 2 juillet 2015, Mme X a été placée en arrêt de travail, lequel sera prolongé à plusieurs

reprises, jusqu’au 17 décembre 2015.

Le 24 septembre 2015, Mme X a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre d’une demande

de résiliation judiciaire de son contrat de travail, aux torts de l’employeur.

Le 3 novembre 2015, lors de la visite de reprise, le médecin du travail a conclu à l’inaptitude de la

salariée à la reprise de son poste de travail, et le 17 novembre 2015, lors de la seconde visite, il a

confirmé l’inaptitude en ces termes : ' L’état de santé de la salariée la rend inapte à tous postes dans

cette entreprise'.

Le 18 novembre 2015, Mme X a été convoquée à un entretien préalable en vue d’un éventuel

licenciement fixé au 26 novembre 2015, et le 18 décembre 2015, elle a été licenciée pour inaptitude

et impossibilité de reclassement.

Mme X a demandé au conseil de prud’hommes de :

— prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur emportant les effets

d’un licenciement nul,

— à titre subsidiaire, dire que le licenciement pour inaptitude notifié le 23 décembre 2015 est nul,

subsidiairement abusif,

— en tout état de cause,

— dire que la salariée occupe le poste de comptable, classification groupe C

— condamner la société à lui payer : 12 600 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul,

subsidiairement pour licenciement abusif, 12 600 euros de dommages et intérêts en réparation du

préjudice subi du fait du harcèlement moral, 147,75 euros de rappel d’indemnité de licenciement, 4

200 euros d’indemnité compensatrice de préavis (2 mois), 420 euros de congés payés sur préavis, 2

667,53 euros d’indemnité compensatrice de congés payés, 2 341,01 euros de rappel d’heures

supplémentaires, 234,10 euros de congés payés afférents, 400 euros de dommages et intérêts pour

remboursement de frais médicaux,

— ordonner la remise de bulletins de paie, d’une attestation Pôle emploi, d’un reçu pour solde de tout

compte conformes à la décision à intervenir,

— ordonner l’exécution provisoire,

— condamner la société à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de

procédure civile et aux dépens.

La société s’est opposée aux demandes et a sollicité le paiement d’une somme de 3 000 euros en

application de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 15 octobre 2018, notifié le 31 octobre 2018, le conseil ( section commerce) a :

— débouté Mme X de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail suite à des

faits de harcèlement moral et de l’intégralité de ses demandes formulées à ce titre,

— dit que le licenciement de Mme X repose sur une cause réelle et sérieuse,

— débouté Mme X de l’intégralité de ses demandes,

— reçu la demande de la société Amerasia au titre de l’article 700 du code de procédure civile, mais ne

saurait y faire droit,

— laissé les dépens à la charge de Mme X.

Mme X a relevé appel de ce jugement par déclaration électronique le 22 novembre 2018.

Par ordonnance rendue le 7 octobre 2020, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture

de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 2 novembre 2020.

Par dernières conclusions en date du 20 juin 2019, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé

de ses moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile, Mme

X demande à la cour de :

— dire et juger qu’elle occupait un poste de comptable groupe C,

— dire et juger qu’elle a été victime de harcèlement moral, que la société Amerasia a violé son

obligation de sécurité à son égard,

— dire qu’elle a effectué des heures supplémentaires non rémunérées,

En conséquence :

A titre principal,

— prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur emportant les effets

d’un licenciement nul,

A titre subsidiaire,

— dire et juger que le licenciement pour inaptitude est abusif,

En tout état de cause,

— condamner la société Amerasia à lui verser les sommes suivantes :

12 600 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, subsidiairement abusif,

12 600 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et non respect de l’obligation de

sécurité,

147,75 euros à titre de solde d’indemnité de licenciement,

4 200 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

420 euros au titre des congés payés sur préavis,

1 600,03 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés,

2 341,01 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires de juillet 2014 à mars 2015,

234,10 euros au titre des congés payés afférents,

400 euros à titre de dommages et intérêts pour remboursement des frais médicaux,

3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— ordonner la remise, sous astreinte de 100 euros par document et par jour de retard à compter de la

décision à intervenir, d’un bulletin de salaire, d’une attestation Pôle Emploi et d’un certificat de

travail conforme,

— condamner la société Amerasia aux entiers dépens.

Par dernières conclusions en date du 5 octobre 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample

exposé de ses moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la

société demande à la cour de :

— dire et juger que les faits de harcèlement allégués par Mme X ne sont ni pertinents ni

admissibles s’agissant de simples remarques relatives à ses manquements professionnels,

— débouter Mme X de sa demande aux fins de voir prononcer la résiliation judiciaire de son

contrat de travail aux torts et griefs de l’employeur, emportant les conséquences d’un licenciement

nul,

Y ajoutant,

— dire et juger que la procédure de licenciement pour inaptitude a bien été respectée par la société,

en conséquence,

— débouter Mme X de ses demandes aux fins de dire et juger que le licenciement pour

inaptitude ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse,

— débouter X de ses demandes portant sur:

12 600 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, subsidiairement abusif,

12 600 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, et non respect de l’obligation

de sécurité,

147,75 euros à titre de solde d’indemnité de licenciement,

4 200 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

420 euros au titre des congés payés sur préavis,

1 600,03 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés,

2 341,01 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires de juillet 2014 à mars 2015,

234,10 euros au titre des congés payés afférents,

400 euros à titre de dommages et intérêts pour remboursement des frais médicaux,

de façon générale,

— débouter Mme X de toutes ses demandes, fins et conclusions,

— confirmer le jugement entrepris rendu le 15 octobre 2018 par le conseil de prud’hommes de

Nanterre section commerce, en toutes ses dispositions,

à titre infiniment subsidiaire et si par extraordinaire la cour devait considérer que le licenciement de

Mme X ne reposait pas sur une cause réelle ni sérieuse,

— débouter Mme X de sa demande aux fins de la voir condamner à lui régler la somme de 12

600 euros en raison de la durée de sa période de travail au sein de cette dernière,

en conséquence :

— voir fixer le montant de cette indemnité à la somme de 4 000 euros en raison du 'barème Macron',

— condamner Mme X à lui payer une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700

du code de procédure civile,

— condamner la même aux entiers dépens qui seront recouvrés par Mme de Carfort, avocat,

conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la demande de requalification du poste :

La salariée sollicite de se voir reconnaître la qualification de comptable, groupe C de la convention

collective. Elle fait valoir qu’elle a été recrutée après avoir postulé à une offre d’emploi de comptable,

qualification agent de maîtrise, qu’elle justifie d’une connaissance précise du métier de comptable,

tant en raison de ses diplômes que de ses expériences professionnelles précédentes, qu’il lui a été

indiqué, à plusieurs reprises, qu’elle avait remplacé la précédente comptable ( 'cf votre prédécesseur,

votre 'prédécesseuse'), et qu’elle effectuait les mêmes tâches que celle-ci, qu’elle a été engagée pour

un salaire de 24 000 euros, soit plus que celui perçu par son prédécesseur, comptable classée en

groupe D après huit ans d’ancienneté, et que dans les faits, elle exerçait les fonctions de comptable,

impliquant une certaine responsabilité et une certaine autonomie, étant en outre la seule salariée du

service comptable, sa supérieure hiérarchique étant la directrice commerciale et non un comptable.

Elle souligne qu’en particulier, elle était chargée du bilan, et que ses fonctions dépassaient ainsi

largement les 'travaux simples de comptabilité selon des directives générales’ prévus pour la

classification en groupe A, qu’elle effectuait bien des tâches de gestion de la comptabilité générale,

outre des tâches liées à l’administration du personnel et à la paie.

La société s’oppose à la demande. Elle souligne que les tâches de la salariée ont été considérablement

allégées par rapport à celles de son prédécesseur, une bonne partie des fonctions comptables

auparavant exécutées par cette dernière étant externalisées au cabinet d’expertise comptable, et que

les tâches confiées à Mme X relevaient bien du poste de secrétaire comptable sur lequel elle

avait été engagée.

Il appartient au salarié qui se prévaut d’une classification conventionnelle différente de celle dont il

bénéficie au titre de son contrat de travail, de démontrer qu’il assure de façon permanente, dans le

cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de la classification qu’il revendique.

Les emplois du groupe C, qui relèvent de la classification techniciens ou agents de maîtrise ( tandis

que les emplois du groupe A relèvent de la classification employés’ ) sont ainsi définis par la

convention collective :

'Définition du groupe : L’emploi implique une bonne maîtrise des diverses compétences de la

spécialité. Il comporte la prise en charge d’un ensemble de tâches ou de fonctions qui lui sont

confiées. Il requiert que le salarié soit capable d’initiative dans la limite de ses responsabilités.

Responsabilité : L’emploi peut impliquer la coordination et/ou l’organisation du travail d’autres

salariés, sans exercer nécessairement d’encadrement hiérarchique.

Autonomie : L’emploi requiert une certaine autonomie du salarié lui permettant d’interpréter et

adapter les normes et procédures dans le cadre de sa mission. Le contrôle du travail peut s’opérer

de manière discontinue. L’emploi peut nécessiter des relations avec des tiers et la formulation de

propositions soit à des tiers, soit à un supérieur hiérarchique.

Technicité : L’emploi implique de la part du salarié une connaissance complète du métier le rendant

apte à exécuter son travail avec une meilleure maîtrise qu’un agent du groupe III. Transmission de

connaissances à d’autres salariés.'

L’emploi de comptable ( relevant du groupe C ou du groupe D) est ainsi défini : ' En charge de la

gestion ou de la supervision de la comptabilité générale. Il peut assurer les écritures d’inventaire. Il

peut avoir la charge de l’administration du personnel et de la paie.'

Les considérations développées par la salariée concernant l’annonce à partir de laquelle elle a été

recrutée, la désignation d’une comptable du groupe D comme étant ' son prédécesseur', ou son niveau

de rémunération, lequel est librement déterminé entre les parties dès lors qu’il est conforme aux

minima légaux et conventionnels ou encore l’énumération, faite par ses soins dans un courrier

adressé à son employeur, des tâches qu’elle dit exécuter sont inopérantes, dès lors qu’il appartient à la

salariée de rapporter la preuve qu’elle exécutait de façon permanente les tâches et responsabilités

relevant de la classification de comptable.

Or en l’espèce, la salariée ne procède que par affirmations, sans rapporter la preuve qu’elle exécutait

de façon permanente la gestion ou la supervision de la comptabilité générale, les écritures

d’inventaire, l’administration du personnel et de la paie, ni qu’elle exécutait ses tâches avec le degré

de responsabilité, d’autonomie et de responsabilité décrits ci-dessus.

Ainsi, le courrier de l’employeur du 31 juillet 2013 dont elle se prévaut lui reproche, pour l’essentiel,

des erreurs ou des retards de saisie, et l’absence de rapprochements bancaires, et les pièces

démontrant selon elle qu’elle était chargée d’établir le bilan ne justifient pas que la responsabilité lui

incombait effectivement, même si elle a pu intervenir dans la transmission des éléments nécessaires à

son établissement par l’expert comptable.

Enfin, les éléments produits par la société confirment que nombre de tâches incombant avant

l’arrivée de Mme X à la comptable ont été transférées à un cabinet extérieur, comme le

confirme le courrier électronique établi par M. Y en ces termes : ' Je vous confirme qu’après

le départ de Madame G H, notre cabinet s’est chargé de la supervision comptable de la

société Amerasia et de l’établissement de l’intégralité des déclarations fiscales et sociales. La gestion

des payes était déjà historiquement dévolue à notre cabinet. En effet, la société a embauché une

secrétaire comptable au lieu d’une comptable. De ce fait, une bonne partie des opérations est passée

sous l’autorité de notre cabinet.'

Mme X, qui ne rapporte pas la preuve qu’elle exécutait, concrètement et de manière

permanente les tâches et responsabilités relevant d’un comptable du groupe C, doit être déboutée de

sa demande. Le jugement est confirmé sur ce point.

Sur le harcèlement moral :

La salariée soutient qu’elle a fait l’objet de harcèlement moral. Elle fait valoir qu’elle a supporté une

charge de travail excessive, et qu’elle a subi des pressions, reproches quotidiens et dénigrements de

la part de sa supérieure hiérarchique, Mme Z, sans que son employeur n’intervienne, et qu’enfin,

à partir du moment où elle s’est trouvée en arrêt de travail le 2 juillet 2015, la société a multiplié les

blocages administratifs, rendant sa situation difficile et obligeant l’inspecteur du travail, informé de

la situation, à intervenir. En conséquence de sa charge de travail excessive, et de l’attitude de sa

supérieure hiérarchique, elle a été soumise à un stress permanent, qui a eu pour conséquence une

détérioration importante et rapide de son état de santé, tant mental que physique. Ainsi, elle a été à

partir du 2 juillet 2015 en arrêt de travail, régulièrement prolongé, pour état dépressif réactionnel, et

traitée.

La société exclut tout harcèlement moral au préjudice de Mme X. Elle considère que la

surcharge alléguée relevait d’un manque d’organisation de la part de la salariée, et souligne que cette

dernière avait été soulagée d’une partie de ses tâches, parce qu’elle se plaignait d’une surcharge, ce

dont elle se plaint désormais comme constitutif de harcèlement moral, et qu’en outre, en sus de

l’externalisation d’une partie des tâches auprès du cabinet comptable, la salariée bénéficiait de la mise

à disposition d’un stagiaire pour l’aider, et de la prise en charge de certaines de ses tâches par les

autres salariés de la société. S’agissant des pressions, reproches et dénigrements allégués par la

salariée, elle fait valoir que c’est cette dernière qui faisait preuve d’agressivité, à l’égard de clients et

collaborateurs de la société, et y compris à l’égard de Mme Z, et qu’il ne résulte d’aucune des

pièces que Mme X produit aux débats qu’elle aurait fait l’objet, d’insultes, d’un dénigrement

quelconque ou de propos désobligeants, seules pouvant lui être faites des remarques parfaitement

justifiées tant sur son comportement agressif que sur les nombreuses erreurs commises dans son

travail et ses retards répétés. Elle critique, par ailleurs, les attestations sur lesquelles s’appuie Mme

X, faisant valoir qu’elles sont contradictoires ou proviennent d’une salariée qui l’a elle-même

attraite en justice, sans succès. Enfin, elle soutient que tous les documents administratifs de la

salariée lui ont été adressés, par la société Y, chargée de la tenue de la comptabilité, et qu’il

n’est en rien justifié que la salariée n’aurait pas perçu, ou ne percevait pas, ses indemnités d’arrêt

maladie.

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements

répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de

travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale

ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l’article L. 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n°2016-1088

du 8 août 2016, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et

L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en

entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Au

vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas

constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à

tout harcèlement. Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un

harcèlement moral , il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié,

en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits

matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement

moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge

d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel

harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout

harcèlement.

La salariée fait valoir, en premier lieu, qu’elle a supporté une charge de travail excessive, et ce dès sa

prise de fonction, notamment en raison du retard accumulé par son prédécesseur et des désordres

considérables dans la comptabilité, auxquels se sont ajoutées de nombreuses urgences comme un

contrôle URSSAF. Du fait de cette surcharge, elle a dû exécuter de nombreuses heures

supplémentaires, et notamment venir travailler plusieurs samedis.

Les attestations de Mme A ( pièces 67 et 72), qui font état en termes généraux d’une 'surcharge

de travail permanente’ de la majorité des salariés, des 'délais de plus en plus courts’ et de l’absence de

moyens ne font pas état, spécialement, d’une surcharge de travail subie par Mme X, dont

Mme A se borne à indiquer, sans autre précision, qu’elle a 'subi les conséquences du mauvais

management de Mme Z', tandis que l’attestation de Mme B ( pièce 73) porte sur une période

( du 1er septembre 2008 au 27 mai 2011) durant laquelle Mme X n’était pas dans l’entreprise,

et ne mentionne en rien une charge de travail excessive qu’aurait subie cette dernière.

Le fait que Mme X se soit plainte à plusieurs reprises de sa charge de travail, ainsi qu’il

résulte des mails et courriers qu’elle verse aux débats, ne suffit pas en soi à établir la réalité d’une

charge de travail excessive.

De même, cette preuve ne résulte pas du seul constat qu’elle a été engagée, à l’origine, pour faire face

à un accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise découlant d’un retard accumulé par le

comptable de la société, ni du constat qu’elle a pu, le cas échéant, exécuter des heures

supplémentaires ou travailler certains samedi, la salariée indiquant au demeurant elle-même que les

heures de travail qu’elle a exécutées certains samedis ont été compensées par du repos.

Ainsi, la salariée n’établit pas qu’elle a été soumise, par son employeur, à une charge de travail

excessive. Ce premier fait est donc écarté.

La salariée invoque, en second lieu, le management délétère de sa supérieure hiérarchique, par la

pression et l’agressivité, le manque de moyens, des conditions de travail exécrables, l’absence de

soutien de la direction, qu’elle a subi durant toute sa période d’activité au sein de la société. Elle

expose que Mme Z lui a fait subir quotidiennement des pressions, reproches et remarques

humiliantes, qu’elle s’est acharnée à la dévaloriser et à la dénigrer, et à remettre en cause son travail

et ses compétences, parfois en fabriquant elle-même les erreurs qu’elle lui reprochait ensuite, ou en

lui donnant des ordres en contradiction avec les instructions du président de la société. Parce qu’elle

avait relevé des erreurs dans les bulletins de salaire, et imposé la correction de ces erreurs, Mme

Z lui a retiré progressivement une partie de ses fonctions et responsabilités : service de paie,

service tickets restaurant, dossiers de clients individuels. Le 6 janvier 2015, elle a été la seule de

l’équipe à ne pas être conviée par Mme Z à un déjeuner au restaurant.

Si les éléments produits par la salariée attestent de difficultés rencontrées par certaines salariées avec

Mme Z, force est de constater qu’aucun fait susceptible de constituer des pressions, aucun

reproche ou remarque humiliante, dévalorisante ou dénigrante, aucune remise en cause injustifiée du

travail de la salariée et de ses compétences n’est rapporté de manière précise, ni établi, concernant

Mme X personnellement. Mme A atteste que Mme X ' a subi des critiques et

une pression de la part de Mme Z', mais en termes généraux, et sans indication de faits

particuliers, et il en est de même du témoignage de Mme I, salariée de la société du 7 juillet

2014 au 4 mars 2015 . Celle-ci atteste ' avoir été témoin à plusieurs reprises des remarques faites sur

un ton agressif de Mlle Z envers E J [ X ], notamment lorsque celle-ci

défendait les droits des salariés et la convention collective', et que Mme X était victime au

quotidien des remarques de Mme Z, surtout depuis qu’elle avait rappelé à cette dernière son

obligation d’indemniser une salariée qui s’était absentée pour cause d’enfant malade, mais sans

donner aucune précision sur les propos tenus à cette occasion. Ces faits ne sont donc pas

matériellement établis.

En dehors de courriers électroniques ou de courriers, adressés au dirigeant de la société, et dont elle

est elle-même l’auteur, Mme X ne produit aucun élément justifiant de la matérialité des faits

qu’elle y rapporte, tenant au fait que Mme Z K délibérément des erreurs pour les lui

reprocher ensuite, ou lui fournirait des instructions en contradiction avec celles du président de la

société. Ces faits sont donc écartés.

S’agissant du retrait de fonctions et de responsabilités invoqué, le seul élément produit par la salariée,

en dehors d’écrits dont elle est elle-même l’auteur et qui sont en conséquence dépourvus de force

probante, est un courrier électronique par lequel Mme Z confirme à la salariée que, concernant le

service paye, elle n’a plus à s’occuper des envois d’informations concernant l’établissement des payes

(tableau…). Ceci ne caractérise pas un retrait de fonctions au-delà de l’exercice par l’employeur de

son pouvoir de direction et d’organisation de l’exécution des tâches dans l’entreprise, surtout alors

que la salariée s’était plaint d’une charge de travail excessive, ni un retrait de responsabilités. Ce fait

n’est donc pas matériellement établi.

Le fait que Mme X ait été la seule du service à ne pas être conviée à un déjeuner d’équipe au

restaurant est en revanche matériellement établi. Mme C précise que ces faits se sont produits à

l’occasion d’un stage de formation sur un nouveau logiciel, organisé les mardi 6 et mercredi 7 janvier

2015 dans les bureaux de la société à Puteaux, et les relate en ces termes : 'Le mardi 6 janvier, Melle

Z L nous a tous conviés, à savoir l’équipe Amerasia Ouest et Amerasia Puteaux ainsi que le

formateur, à déjeuner ensemble dans un restaurant à proximité, sauf Mme E X qui n’a

pas été autorisée à venir et qui a reçu l’ordre de rester au bureau. Ce refus m’a étonné vu que nous

étions tous réunis.' Ceci est confirmé par Mme I : 'Le 6 janvier 2015, seule E X

n’a pas été conviée. Tout le monde, y compris notre salariée en alternance (…) y était. La directrice

commerciale, Mlle L Z, a prétexté qu’il fallait que quelqu’un reste à l’agence pour s’occuper

des appels bien que nous aurions pu transférer ces appels sur nos portables comme à l’habitude.

La salariée fait valoir, en troisième lieu, que durant qu’elle était en arrêt de travail, la société a refusé

d’établir l’attestation de salaire nécessaire, et a ignoré ses demandes en ce sens, ce qui a retardé son

indemnisation par la CPAM, et obligé l’inspecteur du travail à intervenir ; ainsi, elle a attendu le 7

août 2015 pour régulariser l’attestation de salaire qui aurait dû être établie depuis plus d’un mois, et

qui était sollicitée depuis plus de deux semaines. Elle reproche également à la société, et plus

particulièrement à Mme Z, d’avoir délibérément fait de la rétention sur son bulletin de salaire du

mois de juin 2015, refusant de le lui adresser par courrier sous prétexte qu’il était d’usage de le

déposer sur son bureau, et lui imposant de venir le chercher, alors même qu’elle était en arrêt

maladie ; en outre, la société lui a envoyé un bulletin truffé d’erreurs. Elle reproche aussi à la société

de lui avoir délibérément envoyé son bulletin de salaire du mois de novembre 2015 sous une adresse

incomplète, alors que concomitamment, elle apposait une adresse exacte sur les courriers qu’elle lui

adressait dans le cadre de la procédure de licenciement, conduisant là encore l’inspection du travail à

intervenir. Et enfin, la société ne lui a adressé, pour le mois de décembre 2015, qu’un duplicata de

son bulletin de salaire, l’obligeant à réclamer, à plusieurs reprises, le bulletin original.

La salariée produit un échange de courriers électroniques du mois de juillet 2015, justifiant qu’elle a

demandé à son employeur, le 22 juillet :

— de lui adresser sa fiche de paie du mois de juin 2015 par courrier et par mail,

— de l’informer si le cabinet d’expertise comptable avait adressé l’attestation de salaire relative à son

arrêt de travail à la caisse primaire d’assurance maladie de Nanterre, qui disait n’avoir rien reçu,

et que l’employeur, en la personne de Mme Z, a répondu en ces termes : ' Nous vous indiquons

que votre fiche de paie ( comme à chaque fois) celle-ci a été remise sur votre bureau fin juin. Comme

avec nos salariés du siège les fiches de paies sont remises sur les bureaux de chacun; la vôtre

également. Nous n’avons jamais adressées celles-ci par courrier pour les salariés du siège', sans

apporter de réponse s’agissant de l’attestation destinée à la CPAM.

La salariée justifie qu’elle a renouvelé sa demande par lettres recommandées avec demande d’avis de

réception, du 23 juillet 2015, expliquant qu’elle ne peut venir au bureau récupérer son bulletin de

paie, et que sans ce document elle ne peut accomplir ses démarches, puis le 27 juillet 2015, et

également le 31 juillet 2015. Elle justifie également avoir écrit à l’inspection du travail le 31 juillet

2015, et que le contrôleur du travail a prié l’employeur, par courrier du 3 août 2015, de délivrer le

bulletin de salaire du mois de juin 2015 à sa salariée, par tous moyens, et d’adresser l’attestation de

salaire auprès de la CPAM de Nanterre. Elle justifie encore avoir reçu finalement ses bulletins de

paie de juin et de juillet 2015 le 4 août 2015, et que le 6 août 2015, selon un courrier électronique en

ce sens, la CPAM disposait bien de ses arrêts de travail, mais était 'toujours dans l’attente de la

réception de l’attestation de salaire établie par [son] employeur, indispensable au versement de [ses

] indemnités journalières'.

Le retard de l’employeur est matériellement établi, en revanche aucun élément objectif ne vient

attester qu’il aurait été délibéré.

S’agissant du bulletin de paie du mois de novembre 2015, la salariée produit des échanges de

courriers et courriers électroniques entre elle-même et la société, et la société et l’inspection du

travail. Il en résulte qu’elle a sollicité son bulletin de paie du mois de novembre 2015 le 11 décembre

2015, et que celui-ci lui a bien été envoyé par courrier, mais a ensuite été retourné à la société avec la

mention 'défaut d’accès et d’adressage'. Le défaut en question réside, selon le contrôleur du travail,

dans le fait que le nom du bâtiment et le numéro de l’appartement n’étaient pas indiqués. Les seuls

éléments produits ne permettent pas toutefois de prouver le caractère délibéré de ce défaut

d’adressage, qui ne saurait résulter du seul fait que le contrôleur du travail s’est interrogé à ce sujet.

S’agissant du bulletin de paie du mois de novembre 2015, les faits allégués par la société ne sont

donc pas matériellement établis.

Enfin, les faits relatifs au bulletin de salaire du mois de décembre 2015 et aux erreurs affectant les

documents de rupture selon la salariée sont postérieurs à la rupture du contrat de travail.

La salariée verse aux débats, par ailleurs, divers éléments médicaux attestant d’une dégradation de

son état de santé.

Il ressort de ces éléments qu’elle a rencontré à plusieurs reprises le médecin du travail, lequel l’a

finalement déclarée inapte à son poste.

Par ailleurs, la salariée justifie avoir fait l’objet d’un suivi par un psychiatre, lequel a rapporté qu’elle

décrivait des 'troubles anxieux avec somatisations', et des troubles du sommeil, qu’elle mettait en

rapport avec le comportement humiliant et dévalorisant de sa supérieure hiérarchique, et qu’il

convenait à son sens qu’elle soit reconnue inapte à son poste, afin de la protéger.

La salariée justifie encore avoir suivi une consultation médicale de souffrance au travail, le docteur

Chebbi constatant, à l’examen un état de stress post-traumatique, ' en relation très vraisemblable avec

des conditions de travail dégradées depuis la fin décembre 2014", justifiant selon lui une inaptitude

au poste.

En définitive, il est matériellement établi que la salariée a été la seule à ne pas être conviée, au mois

de janvier 2015, à un déjeuner réunissant les autres salariés de l’entreprise, et que l’employeur a tardé

à lui envoyer, en suite de son placement en arrêt maladie, son bulletin de paie du mois de juin 2015,

et qu’il a également tardé à adresser à la CPAM les justificatifs salariaux nécessaires à la mise en

place de ces droits.

Pris dans leur ensemble, les seuls faits ainsi établis par la salariée ne permettent pas de présumer

l’existence d’un harcèlement moral, étant relevé que le constat d’une souffrance au travail d’un salarié

n’implique pas, pour autant, que le harcèlement moral qu’il dénonce soit effectivement établi.

En conséquence, le harcèlement moral invoqué est écarté.

Sur le manquement à l’obligation de sécurité :

La salariée reproche à la société sa défaillance dans les mesures de prévention et de sécurité

nécessaires pour éviter le développement de risques psychosociaux. Non seulement elle a laissé

Mme Z l’encadrer, de façon particulièrement nocive pour sa santé ( surcharge de travail, perte

d’autonomie, management par la pression et sensation persistante d’être volontairement acculée à la

faute) qui a été le déclencheur d’une décompensation psychologique réactionnelle majeure, mais

également, elle a laissé cette situation perdurer, en dépit de ses alertes. La société a

systématiquement pris le parti de Mme Z, sans jamais déclencher d’enquête, ni même s’assurer, a

minima, de la véracité ou non des accusations formulées. Elle n’a pas non plus pris en compte sa

souffrance, ni en rien cherché à y remédier, et ses demandes de rendez vous ou de médiation sont

restées lettre morte. Durant son arrêt de travail, la société n’a jamais montré non plus le moindre

signe qu’elle envisageait de trouver une solution pour permettre son retour à son activité

professionnelle. Ainsi, la société a gravement manqué à son obligation de sécurité, conduisant à la

dégradation manifeste de son état de santé.

La société considère qu’il ne peut lui être reproché d’avoir manqué à son obligation de sécurité. Elle

souligne que Mme X, qui travaillait dans un bureau et non pas sur un chantier, n’exécutait pas

de tâches nécessitant le respect d’une obligation de sécurité sur le plan physique, de sorte que 'sur le

plan du droit du travail, [elle] n’avait aucune précaution particulière à prendre de ce chef'.

L’article L.1152-4 du code du travail dispose que l’employeur prend toutes dispositions nécessaires

en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral et l’article L. 4121-1 lui fait obligation de

prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale des

travailleurs.

Ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la

sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de

harcèlement moral, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par

les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et qui, informé de l’existence de faits

susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire

cesser.

Il résulte des courriers électroniques qu’elle verse aux débats que Mme X a à plusieurs

reprises informé le dirigeant de la société de difficultés rencontrées avec notamment Mme Z. Le

2 juin 2015, Mme X a ainsi sollicité un rendez-vous. Le 23 juin 2015, elle a évoqué,

notamment, le fait que Mme Z l’agressait quotidiennement et haussait la voix, elle a fait mention

expressément du fait qu’elle se faisait 'harceler chaque jour’ par Mme Z, et a sollicité une

nouvelle fois, un rendez vous, en demandant à son employeur de 'trouver une solution’ pour que cela

cesse, et notamment, suggéré une médiation.

Cette demande de rendez vous a encore été renouvelée le 25 juin suivant, la salariée indiquant qu’elle

ne 'pouvait plus travailler dans ces conditions', et ajoutant : 'Jusqu’à présent vous ne m’avez pas fixé

de rendez vous afin de trouver une entente à ce conflit car cela nuit à la bonne marche de la société'.

Force est de constater que, face à ces alertes et demandes répétées de la salariée, l’employeur ne

justifie en rien avoir mis en oeuvre une quelconque mesure de protection. Il n’est justifié d’aucun

rendez-vous accordé à Mme X conformément à sa demande, ni d’aucune mesure d’enquête ou

même de simple vérification du bien fondé de ses plaintes. Et ce alors qu’il résulte des pièces

produites par la salariée que la problématique du management de Mme Z et même d’un

harcèlement avait déjà été évoquée au sein de l’entreprise, par d’autres salariés. Loin de prendre en

compte les doléances de Mme X, l’employeur leur a opposé une 'fin de non recevoir'

exprimée en ces termes selon son courrier du 8 juillet 2015 : ' Mlle Z est une collaboratrice qui a

l’esprit d’entreprise, celle-ci est dans notre effectif depuis 21 ans et a toujours fait preuve de

discernement vis à vis de ces collègues qui eux également sont présents depuis quelques années ;

nous n’allons pas remettre en question l’intégration et son implication dans l’entreprise sur un

simple fait de votre part qui est injustifié et qui plus est provient d’une personne qui n’est présente

que depuis quelques mois dans nos effectifs ; vous en conviendrez'. Enfin, comme le fait valoir la

salariée, l’employeur ne justifie en rien qu’il a, durant l’arrêt maladie de Mme X, envisagé de

prendre en compte ses doléances pour faciliter, le cas échéant, son retour dans son emploi.

Ainsi, l’employeur, en ne prenant aucune mesure pour assurer la protection de la santé de Mme

X, qui dénonçait, notamment, des faits de harcèlement, a manqué à son obligation de sécurité,

peu important que les faits de harcèlement moral ne soient en définitive pas établis.

Le manquement de l’employeur est donc caractérisé, et le préjudice subi par Mme X du fait

de ce manquement sera réparé par l’allocation d’une somme de 1 500 euros de dommages et intérêts,

laquelle inclut le remboursement des frais médicaux sollicité par la salariée.

Le jugement déféré est infirmé en conséquence.

Sur les heures supplémentaires :

La salariée soutient qu’elle a exécuté 138,50 heures supplémentaires qui ne lui ont pas été

rémunérées, et qui n’ont pas non plus été compensées, entre le mois de juillet 2014 et le mois de mars

2015, et sollicite à ce titre un rappel de salaire de 2 341,01 euros. Elle fait valoir qu’au regard de la

quantité excessive de travail à laquelle elle était soumise, qui ne pouvait matériellement être exécutée

dans le cadre d’une semaine de 35 heures, et dans le contexte de harcèlement subi, et de la pression

continuelle imposée par Mme Z, elle a redoublé d’efforts pour démontrer la qualité de son

travail, et qu’en outre, alors que sa journée de travail était censée se terminer à 17 heures, M. D,

le dirigeant, et Mme Z la retenaient régulièrement au-delà de cet horaire pour des urgences. Elle

ajoute que la société ne justifie pas des heures effectivement réalisées.

La société s’oppose à la demande. Elle soutient qu’elle n’a jamais demandé à Mme X

d’exécuter des heures supplémentaires, bien au contraire, et que les heures supplémentaires qu’elle a

pu toutefois exécuter, de sa propre initiative, lui ont été réglées par des jours de repos. Elle souligne

qu’aux dires mêmes de la salariée, s’il lui arrivait de rester plus tard le soir, c’était pour compenser ses

retards du matin, ce qui ne constitue pas l’exécution d’heures supplémentaires. Elle considère que la

salariée ne rapporte pas la preuve des heures qu’elle effectuait.

Aux termes de l’article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés

dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les

documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur

prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l’article L. 3171-3 du même code, dans sa

rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l’employeur tient à la

disposition de l’inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le

temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle

ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

Enfin, selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre

d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les

horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à

l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les

mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque

salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et

infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail

accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment

précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à

l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en

produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces

éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient

l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de

son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

A l’appui de sa demande, la salariée produit un décompte qu’elle a établi, reprenant, pour chaque

mois, de juillet 2014 à mars 2015, les dates auxquelles elle prétend avoir exécuté des heures

supplémentaires, le nombre d’ 'heures supplémentaires’ effectué chaque jour, et le total des heures

supplémentaires sur chaque mois. Elle produit également l’attestation de Mme I, déjà

évoquée, qui indique qu’elle 'ne prenait pas de pause déjeuner et restait le soir souvent jusque 18

heures'.

Ces éléments, alors que la salariée était soumise à un horaire de début et de fin de travail précisé

dans son contrat de travail, sont suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre en

produisant ses propres éléments.

L’employeur critique les éléments produits par la salariée, mais ne verse pour sa part aucun

justificatif des horaires exécutés effectivement par sa salariée, et ce alors qu’il résulte des pièces sur

lesquelles il s’appuie que les horaires de travail de Mme X étaient t surveillés et qu’il avait

connaissance de dépassements d’horaires. En témoignent le mail en date du 10 juin 2015 produit aux

débats : ' Cette semaine j’ai constaté que tous les matins il y avait une arrivée à +/- 10 mn’ ' Le fait

de partir plus tard le soir si tenté que cela soit vrai est de votre fait et non du fonctionnement de

l’entreprise’ ' sans doute avez vous une organisation à revoir pour que votre travail soit fait

normalement pendant vos heures de travail', et également le courrier adressé le 8 juillet 2015 par

l’employeur : 'Nous ne vous avons jamais demandé d’effectuer une quelconque heure

supplémentaire ; vous avez de votre propre initiative effectué ces heures afin de vous mettre à jour

comme vous le souhaitiez des dossiers comptables que vous jugiez mal classés. Ces heures

supplémentaires que vous avez prises pour convenance personnelle vous ont au surplus été réglées

par les jours de repos que vous avez pris, que nous aurions pu refuser et que nous vous avons

accordé'.

Il ressort de l’ensemble des éléments produits par les parties, que la salariée a bien exécuté des heures

supplémentaires, avec l’autorisation de son employeur, fût-elle implicite, mais dans une proportion

moindre que ce qu’elle indique. Le montant de la créance en résultant s’établit à 450 euros bruts,

outre 45 euros bruts au titre des congés payés afférents.

Le jugement est infirmé en conséquence.

Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail :

La salariée considère que les manquements commis par l’employeur sont suffisamment graves pour

justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail. En effet, l’employeur a laissé perdurer, malgré

les alertes, le harcèlement moral mis en oeuvre à son encontre, et a minima, n’a pris aucune mesure

pour remédier aux difficultés relationnelles et à la situation de stress dans laquelle elle était

contrainte d’exécuter ses fonctions, et qui ont eu des conséquences importantes sur sa santé. La

salariée sollicite en conséquence l’infirmation du jugement, et le prononcé de la résiliation judiciaire,

produisant les effets d’un licenciement nul, et à titre subsidiaire sans cause réelle et sérieuse.

La société conclut au rejet de cette demande.

La résiliation judiciaire du contrat de travail est prononcée à l’initiative du salarié et aux torts

de1'employeur, lorsque sont établis des manquements par ce dernier à ses obligations d’une gravité

suffisante pour faire obstacle à la poursuite du contrat de travail. Dans ce cas, la résiliation du contrat

produit, selon le cas, les effets d’un licenciement nul ou d’un licenciement sans cause réelle et

sérieuse.

Le harcèlement moral dénoncé par Mme X n’est pas établi. En revanche, il est établi que

l’employeur a manqué à son obligation de sécurité, en s’abstenant de mettre en oeuvre une

quelconque mesure à la suite des plaintes de la salariée concernant sa supérieure hiérarchique, et il

est également établi que les difficultés rencontrées par la salariée sur son lieu de travail, même si

elles ne sont pas susceptibles de constituer un harcèlement moral, ont dégradé sa santé, au point

qu’elle a été déclarée inapte à tout emploi dans l’entreprise par le médecin du travail.

Ce manquement est suffisamment grave pour faire obstacle à la poursuite du contrat de travail, en

sorte qu’il y a lieu de faire droit à la demande de résiliation du contrat de travail, prenant effet au 18

décembre 2015, date du licenciement de Mme X.

La résiliation étant justifiée non pas par des faits de harcèlement moral, écartés par la cour, mais par

le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, elle produit les effets d’un licenciement

sans cause réelle et sérieuse.

La rupture du contrat de travail produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Mme X est fondée, en premier lieu, à obtenir le paiement d’une indemnité compensatrice de

préavis correspondant à la rémunération brute qu’elle aurait perçue si elle avait travaillé pendant la

période du délai-congé.

En vertu de la convention collective, Mme X étant employée du groupe A, et disposant d’une

ancienneté comprise entre 1 mois et moins de 2 ans, le préavis est fixé à 1 mois. En conséquence, il

lui sera alloué la somme de 2 100 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre

celle de 210 euros bruts au titre des congés payés afférents.

La salariée peut également prétendre au règlement d’une indemnité de licenciement, selon les

modalités définies par la convention collective. La salariée, dont le calcul n’est pas utilement critiqué

par la société, est fondée à obtenir la somme de 147,75 euros à titre de solde de l’indemnité de

licenciement.

Conformément à l’article L. 1235-5 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n°

2017-1387 du 22 septembre 2017, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié qui

compte moins de deux ans d’ancienneté doit être indemnisé en fonction du préjudice subi. Par

ailleurs, il résulte de l’article L. 1235-5 du code du travail que la perte injustifiée de son emploi par le

salarié lui cause un préjudice dont il appartient au juge d’apprécier l’étendue.

La salariée fait valoir qu’elle a été contrainte de demander une résiliation judiciaire de son contrat de

travail en raison de l’attitude de sa supérieure hiérarchique et de son employeur, et en l’absence de

tout signe montrant que ce dernier était prêt à corriger la situation et à rétablir des conditions de

travail saines et pérennes. Elle indique qu’elle a éprouvé d’importantes difficultés pour retrouver un

emploi, du fait notamment de son état de santé précaire, qu’elle est restée au chômage durant huit

mois, et qu’elle n’a retrouvé qu’un emploi précaire, à durée déterminée et à temps partiel, pour un

salaire très inférieur à celui perçu auparavant.

Au regard de l’ancienneté de la salariée, de son âge, des conditions de la rupture du contrat de travail,

des justificatifs produits concernant sa situation professionnelle postérieurement à la rupture, le

préjudice résultant du licenciement, qui contrairement à ce que soutient la société ne se confond pas

avec celui résultant du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, doit être arrêté à la

somme de 4 000 euros.

Sur l’indemnité compensatrice de congés payés :

La salariée sollicite un solde d’indemnité compensatrice de congés payés de 1 600,03 euros. Elle fait

valoir, au visa des articles 39.1 et 31 de la convention collective, que les absences pour maladie

professionnelle, quelle que soit leur durée, et les absences pour maladie autre que professionnelle,

sur les périodes indemnisées par l’employeur, sont assimilées à du travail effectif, qu’en l’occurrence,

ses arrêts de travail avaient pour origine une situation de harcèlement moral dans un contexte de

surcharge de travail ayant entraîné une grave dépression, et qu’en conséquence, elle a acquis des

congés payés sur toute la période du 15 juillet 2014 au 24 décembre 2015, soit 44 jours, pour

lesquels elle aurait dû percevoir une indemnité compensatrice de congés payés de 4 267,56 euros, au

lieu de celle de 2 667,53 euros versée par l’employeur.

En application des stipulations de la convention collective, les absences pour accident du travail ou

maladie professionnelle, quelle que soit leur durée, et les absences pour cause de maladie ou

d’accident, autre que professionnel, pour les périodes indemnisées par l’employeur ouvrent droit à

congé.

Le harcèlement moral étant écarté, et la surcharge de travail n’étant pas caractérisée, Mme X,

qui ne fournit pas d’autre élément à l’appui de sa demande, et qui n’ a pas été placée en arrêt de

travail pour maladie professionnelle, ne peut prétendre avoir acquis des congés payés durant tout son

temps d’absence.

En application de la convention collective, compte tenu de l’ancienneté de la salariée, la durée de la

période d’indemnisation est de deux mois. Mme X a donc acquis, sur cette période, en

application de l’article L.3241-3 du code du travail, un droit à congé de cinq jours. Au vu des

éléments produits par la salariée, non utilement contestés par l’employeur, le montant du solde

d’indemnité compensatrice de congés payés restant dû s’établit à 678,62 euros bruts.

Le jugement déféré est infirmé en conséquence.

Sur la remise des documents sociaux :

Il sera ordonné à la société de remettre à la salariée un bulletin de salaire récapitulatif, une attestation

Pôle emploi et un certificat de travail conformes aux termes du présent arrêt. En revanche, il n’est pas

nécessaire de fixer une astreinte pour assurer l’exécution de cette obligation.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Partie condamnée, la société doit supporter les dépens de première instance et d’appel.

Il sera en outre alloué à la salariée une somme totale de 3 000 euros en application des dispositions

de l’article 700 du code de procédure civile, à la charge de la société qui est déboutée de sa propre

demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe

Infirme le jugement rendu le 15 octobre 2018 par le conseil de prud’hommes de Nanterre (section

commerce), sauf en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande de requalification d’emploi,

Statuant à nouveau, et y ajoutant,

Prononce la résiliation du contrat de travail conclu entre les parties, à effet au 18 novembre 2015,

Dit que la résiliation produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Condamne la société Amerasia à payer à Mme X les sommes suivantes :

—  1 500 euros de dommages et intérêts pour non respect de l’obligation de sécurité,

—  450 euros bruts à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires,

—  45 euros bruts au titre des congés payés afférents,

—  2 100 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de prévis,

—  210 euros bruts au titre des congés payés afférents,

—  147,75 euros à titre de solde d’indemnité de licenciement,

—  4 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

—  678,62 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de congés payés,

—  3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Ordonne à la société Amerasia de remettre à Mme X un bulletin de salaire récapitulatif, une

attestation Pôle emploi et un certificat de travail conformes aux termes du présent arrêt,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne la société Amerasia aux dépens.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été

préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de

procédure civile.

Signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Monsieur TAMPREAU, Greffier,

auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

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Cour d'appel de Versailles, 21e chambre, 17 décembre 2020, n° 18/04830