Cour d'appel de Versailles, 15e chambre, 16 décembre 2020, n° 18/02758

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 15e ch., 16 déc. 2020, n° 18/02758
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 18/02758
Importance : Inédit
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt, 4 juin 2018, N° 15/01848
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Date de dernière mise à jour : 24 septembre 2022
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Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 83H

15e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 16 DECEMBRE 2020

N° RG 18/02758

N° Portalis DBV3-V-B7C-SO4K

AFFAIRE :

[D] [S]

C/

Société ASTEK

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 05 Juin 2018 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Boulogne-Billancourt

N° Section : Activités Diverses

N° RG : 15/01848

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

— Me Rachid BRIHI

— Me Sylvain MERCADIEL

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEIZE DECEMBRE DEUX MILLE VINGT,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [D] [S]

né le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 5] (27), de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 6]

Comparant, assisté par Me Rachid BRIHI de la SELARL Brihi-Koskas & Associés, Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0137 et par Me Eve OUANSON, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0137

APPELANT

****************

Société ASTEK

N° SIRET : 347 989 808

[Adresse 3]

Les Patios – Bâtiment D

[Localité 4]

Représentée par Me Sylvain MERCADIEL, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0511

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 16 novembre 2020 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Isabelle MONTAGNE, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Régine CAPRA, Présidente,

Madame Isabelle MONTAGNE, Présidente,

Madame Perrine ROBERT, Vice-président placé,

Greffier lors des débats : Madame Carine DJELLAL,

FAITS ET PROCEDURE,

[D] [S] a été embauché par la société Astek suivant un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 19 juillet 2004 en qualité de technicien au sein du pôle infogérance, statut ETAM, position 2.1, coefficient 275, en référence aux dispositions de la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils, dite Syntec.

Le salarié a occupé divers mandats représentatifs au sein de la société Astek (délégué du personnel à partir de 2007, délégué syndical, membre du Chsct à partir de 2011, représentant de la section syndicale à partir de 2015, défenseur syndical à partir de 2016).

Le 2 novembre 2015, [D] [S] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt afin d’obtenir des dommages et intérêts au titre de la discrimination syndicale et du harcèlement moral dont il estime être l’objet.

Par jugement prononcé le 5 juin 2018, auquel la cour renvoie pour exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, cette juridiction a débouté [D] [S] de l’ensemble de ses demandes et a condamné celui-ci aux dépens.

Le 22 juin 2018, [D] [S] a interjeté appel à l’encontre de ce jugement.

Par 'conclusions d’appelant récapitulatives et responsives" remises au greffe et notifiées par le Réseau Privé Virtuel des Avocats (Rpva) le 3 novembre 2020, auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l’article 455 du code de procédure civile, [D] [S] demande à la cour d’infirmer le jugement, de juger qu’il a été victime de discrimination pour un motif lié à son appartenance syndicale et à l’exercice des fonctions représentatives du personnel et d’agissements répétés de harcèlement moral, de :

— fixer sa rémunération brute à 3 885 euros,

— ordonner son repositionnement au niveau de qualification cadre position 2.2 coefficient 130 de la convention collective applicable, à compter du jugement à intervenir,

— condamner la société Astek à lui verser les sommes suivantes :

—  322 237,50 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudices professionnel, financier et de retraite, liés à la discrimination syndicale subie,

—  20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait de l’atteinte à son droit à la formation,

—  40 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait de l’atteinte à son droit au maintien de son employabilité et à la non fourniture du travail,

—  50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral et physique lié aux agissements de harcèlement moral,

—  12 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violations des accords collectifs applicables à la relation de travail,

—  8 000 euros HT au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

d’ordonner la capitalisation des intérêts et de condamner la société Astek aux intérêts légaux sur toutes les demandes en paiement des sommes d’argent ainsi qu’aux entiers dépens.

Par 'conclusions d’intimée responsives et récapitulatives n° 2" remises au greffe et notifiées par le Rpva le 3 novembre 2020, auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l’article 455 du code de procédure civile, la société Astek demande à la cour de confirmer le jugement et de débouter [D] [S] de toutes ses demandes.

La clôture de la procédure a été prononcée le 4 novembre 2020.

MOTIVATION

I- Sur la discrimination syndicale

Il ressort des dispositions de l’article L. 1132-1 du code du travail qu’aucun salarié ne peut être sanctionné ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, en raison notamment de ses activités syndicales.

Aux termes de l’article L. 2141-5 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, il est interdit à l’employeur de prendre en considération l’appartenance à un syndicat ou l’exercice d’une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d’avancement, de rémunération et d’octroi d’avantages sociaux de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail.

Aux termes de l’article L. 1134-1 du code du travail, lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance des dispositions relatives au principe de non-discrimination, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte ; au vu de ces éléments, il appartient à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

[D] [S] expose qu’il a subi une discrimination en raison de ses activités représentatives et de son engagement syndical :

— à partir de 2006, par le refus de l’employeur de valoriser les responsabilités et les tâches qui lui ont été confiées entre 2005 et février 2008, empêchant son évolution de carrière, malgré ses demandes et la validation de sa progression par son supérieur hiérarchique, par la régression des tâches et des responsabilités confiées consistant en une perte de responsabilité et conduisant à son discrédit professionnel et par le refus par l’employeur de le faire évoluer professionnellement dès son implication dans les activités syndicales et de représentation du personnel ;

— depuis 2008, par la stagnation constante et pérenne de sa rémunération ;

— depuis 2010, après une tentative frauduleuse et échouée d’éviction, par la privation totale de travail depuis plus de dix ans et par le refus de l’employeur de le repositionner sur une mission, de procéder à son évaluation, de le former et de lui permettre de maintenir ses capacités professionnelles, de sorte que son employabilité est désormais réduite à néant, les agissements de la société Astek ayant perduré après le jugement du conseil de prud’hommes.

A- Sur les éléments de faits présentés par le salarié au soutien de la discrimination

Il convient d’examiner plus précisément les éléments de faits présentés par le salarié laissant selon lui supposer une discrimination syndicale.

1- Sur le refus de la société Astek de valoriser les responsabilités et les tâches qui ont été confiées au salarié entre 2005 et février 2008, empêchant son évolution de carrière

Il ressort des ordres de mission produits en pièces 2 et 5, d’échanges de courriels professionnels produits en pièces 4, 6, 7 à 9, du tableau des compétences du salarié daté du 8 décembre 2006 produit en pièce 23, de son curriculum vitae interne produit en pièce 24 et de la synthèse de l’entretien de carrière signée par son supérieur hiérarchique le 29 février 2008 produite en pièce 18, que :

— le salarié a été affecté à une mission auprès la Sncf à compter du 1er janvier 2006 puis à une mission auprès de Sfr à compter du 25 septembre 2006 ; les allégations du salarié, accompagnées de quelques courriels rédigés par celui-ci quant à des responsabilités de management et de consultant-expert confiées lors de ces missions ainsi que lors d’une mission chez le client Abbott en 2007 puis en mai 2007 au sein de l’hôpital américain où il aurait exercé des fonctions de coordination technique 'hotline', ne sont pas corroborées par des éléments concrets ;

— le 25 avril 2007, le salarié a sollicité la réévaluation de son contrat de travail au regard des compétence acquises depuis son engagement au sein de la société Astek et de ses nouvelles responsabilités ;

— en novembre 2007, le salarié a été élu sur liste syndicale, délégué du personnel et membre du comité d’entreprise ;

— à l’issue de l’entretien de carrière tenu le 29 février 2008, [A] [M], son responsable hiérarchique a indiqué dans son compte-rendu que le salarié demandait une réévaluation salariale depuis deux ans et un changement de statut au regard des fonctions d’encadrement exercées lors de ses précédentes missions, a préconisé une augmentation de salaire entre mars et septembre 2008 au regard de l’évolution du salarié dans l’entreprise ainsi qu’une formation 'Itil’ à définir.

Si le salarié a effectivement connu une augmentation de rémunération en 2008, il ressort de ses bulletins de paie qu’il occupe à ce jour, depuis son engagement en 2004, le poste de 'technicien micro’ au coefficient 275.

2- Sur la régression des tâches et des responsabilités confiées au salarié consistant en une perte de responsabilité et conduisant à son discrédit professionnel

Il ressort de l’ordre de mission du 23 avril au 31 juillet 2008 au sein du client Abbott, produit en pièce 19, correspondant à la première mission confiée au salarié après son élection au manadta de délégué du personnel et de membre du comité d’entreprise en novembre 2007, que le salarié a été positionné en qualité de 'technicien support'.

Il ressort de l’ordre de mission du 29 décembre 2008 au 2 janvier 2009 produit en pièce 21 que le salarié a été missionné comme 'technicien téléphoniste', et de ses curriculm vitae internes produits en pièces 24, 25, 26, 27, 37 et 38, qu’il a été affecté à des missions chez Orange Distribution en août 2008 puis de janvier 2009 à juin 2009 en qualité de 'technicien micro.

Les allégations du salarié quant à une régression des tâches et responsabilités exercées par rapport aux missions confiées précédemment à la prise de ses mandats représentatifs et syndicaux ne sont pas étayées par des pièces.

3- Sur le refus de l’employeur de faire évoluer le salarié professionnellement dès son implication dans les activités syndicales et de représentation du personnel

Il ressort des pièces 10 à 12 produites par le salarié que par lettre datée du 28 août 2007, remise en mains propres, la société Astek lui a notifié son accord suite à sa demande de suivre une formation 'Microsoft Certified Systems Administrator’ dans le cadre d’un congé individuel de formation et que par lettre datée du 6 août 2007, que le salarié indique avoir reçue postérieurement à la lettre du 28 août 2007, cette même formation lui a été refusée en l’invitant à se rapprocher de son manager pour connaître les motivations du refus.

4- Sur la stagnation constante et pérenne de sa rémunération depuis 2008

Il ressort des bilans sociaux produits par le salarié en pièces 115 à 122 pour les années 2006 à 2013 que les salaires mensuels moyens des non-cadres se sont élevés aux sommes suivantes :

2005 : 1 978 euros

2006 : 2 037,44 euros

2007 : 2 207 euros

2008 : 2 256 euros

2009 : 2 264 euros

2010 : 2 185 euros

2011 : 2 039 euros

2012 : 2 094 euros

2013 : 2 064 euros.

Il ressort du tableau relatif à l’évolution de la rémunération du salarié produit en pièces 111 et 111 bis, et des bulletins de paie des mois de janvier 2015, 2016, 2017, 2018, 2019 et 2020 produits en pièce 138, qu’entre 2004 et 2020, le salarié a connu une augmentation individuelle de salaire octroyée en février 2008, étalée jusqu’en 2009 et une augmentation de salaire d’un montant de 50 euros brut en application de la NAO en 2017, et que son salaire mensuel qui s’élevait à 1 834 euros en 2004 et 2005, a été augmenté progressivement à 2 527,59 euros en 2009, puis est resté à ce niveau jusqu’en 2016 avant d’être porté à 2 577,59 euros en 2017. Le bulletin de paie de janvier 2020, mentionne un salaire de 2 606,03 euros.

5- Sur la tentative d’éviction frauduleuse par l’employeur

Il résulte de :

— la pièce 80 intitulée 'projet de cession de l’activité infogérance au sein de la société Astek – cartographie de l’effectif de juillet 2010",

— la décision de l’inspectrice du travail du 28 septembre 2010 refusant d’autoriser le transfert du contrat de travail de [D] [S] produite en pièce 81,

— la décision du ministre du travail du 18 avril 2011 confirmant la décision de l’inspectrice du travail produite en pièce 84,

— la décision du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 3 février 2014, statuant sur la requête de la société Astek aux fins d’annulation de la décision de l’inspectrice du travail du 28 septembre 2010 et demandant l’autorisation du transfert du contrat de travail de [D] [S] à la société Osiatis, rejetant la requête de la société Astek, produite en pièce 85,

que les autorités administratives et la juridiction administrative ont retenu l’existence d’un lien entre l’activité de [D] [S] dans le cadre de l’exercice de ses mandats et le transfert de son contrat de travail envisagé par l’employeur vers la société Osiatis.

6- Sur la privation progressive de travail depuis 2007 en raison de son implication syndicale, devenue totale depuis plus de dix ans et sur le refus de l’employeur de le repositionner sur une mission

[D] [S] estime que la privation discriminatoire de travail dont il a été victime s’est faite progressivement, à savoir :

— entre 2007 et 2010, par une sous-activité progressive en raison de son activisme de plus en plus important, de son élection en novembre 2007 et de l’exercice de ses différents mandats de représentation du personnel, précisant qu’entre janvier 2008 et décembre 2010, il a connu quinze mois d’inactivité totale,

— entre 2010 et 2014, par la non-fourniture de travail et la privation de toute activité professionnelle en rétorsion, tout au long de la procédure, du refus de transfert de son contrat de travail par la société Astek, précisant que pendant les cinquante-six mois qui ont suivi sa dernière mission chez Orange Distribution, il n’a eu aucun travail ni aucune activité professionnelle,

— entre 2014 et jusqu’à ce jour, par le refus de tout repositionnement sur une mission malgré ses démarches et demandes et l’intervention des délégués du personnel.

[D] [S] relève que le juge administratif a considéré que sa situation de sous-activité professionnelle résulte de la durée des périodes d’intermission qu’il a connue depuis 2007 au sujet desquelles la société Astek n’apporte aucun explication ou justification particulières.

Il résulte des courriels et lettre produits en pièces 31, 32, 33, 34, 3 et 39 et du curriculum vitae interne du salarié du mois d’octobre 2014 produit en pièce 38, qu’alors que la décision du tribunal administratif est intervenue le 3 février 2014, le salarié n’a été reçu par un membre de l’encadrement qu’au mois de septembre 2014, sans toutefois que celui-ci se voit attribuer une mission, malgré la transmission à l’employeur de son curriculum vitae actualisé.

Il résulte du compte-rendu de la réunion du 16 mars 2015 à laquelle participaient des membres de la direction et un membre de la délégation du personnel, à la suite du droit d’alerte déclenché par la délégation du personnel le 4 mars 2015, sur la situation de [D] [S], ainsi que du compte-rendu de la réunion du 20 mars 2015 sur le même sujet avec les mêmes participants au cours de laquelle [D] [S] a été entendu, produite en pièce 98, que le salarié ne bénéficie plus de mandats syndicaux et n’a plus de mandat de représentation depuis février 2015 et se trouve sans mission, ni activité au sein de la société Astek.

Par plusieurs lettres datées des 23 mars 2015, produites en pièces 92, 93, 94, 95 et 96, [D] [S] a alerté le contrôleur de sécurité de la Cramif, l’inspection du travail, la médecine du travail et des instances syndicales sur sa situation relevant, selon lui, d’une dicrimination et d’un harcèlement moral.

Le salarié a été reçu en entretien annuel le 1er avril 2015 par [E] [U]. Il ressort du compte-rendu de cet entretien signé par [E] [U], produit en pièce 101, qu’aucune perspective concrète n’a été définie par la société au regard des souhaits du salarié d’intégrer un poste en structure, de revaloriser sa rémunération, de changer de statut pour devenir cadre, de changer de fonction, tant au niveau de l’activité que de la formation à envisager pour une remise à niveau de ses compétences.

Par courriel adressé le 8 avril 2015 à l’employeur par [A] [K], délégué du personnel, produit en pièce 100, celui-ci a constaté que les réunions des 16 et 20 mars 2015 sont restées sans engagement de l’employeur pour remédier à la situation de [D] [S].

7- Sur le refus de l’employeur de procéder à l’évaluation du salarié, de le former et de lui permettre de maintenir ses capacités professionnelles, de sorte que son employabilité est désormais réduite à néant

[D] [S] expose qu’alors que la société comptait en 2016 plus de 900 salariés, et malgré l’existence d’un dispositif d’évaluation des salariés au sein de l’entreprise, il n’a bénéficié que d’un seul et unique entretien d’évaluation en février 2008 pendant toute la relation de travail, et n’a, malgré les alertes des délégués du personnel et de lui-même ainsi que ses demandes, reçu aucune formation lui permettant de maintenir ses capacités professionnelles alors que depuis 2010, il a été privé de fourniture de travail par l’employeur.

8- Sur la perpétuation des faits après le jugement du conseil de prud’hommes

Il ressort d’un échange de courriels entre le salarié et l’employeur en novembre et décembre 2019, produit en pièce 124, que le salarié a rappelé qu’il n’avait pas bénéficié d’un entretien professionnel de fin de mandat, ni eu d’entretien professionnel depuis 2015, qu’il n’avait pas reçu de proposition de formation, ni de courrier l’invitant à prendre l’initiative d’une formation professionnelle, qu’il n’avait reçu aucune offre de poste en interne, qu’aucune proposition de mission correspondant à son niveau actuel de compétence ne lui avait plus été adressée depuis 2017, celui-ci précisant que les missions proposées n’avaient aucune chance d’aboutir au regard de son niveau de compétences techniques dans son domaine d’activité réduit à néant depuis des années, 'matériels, logiciels, langages, méthodes, procédures et bonnes pratiques ayant soit totalement changé, soit largement trop évolué', pour qu’il puisse reprendre son activité passée sans une remise à niveau complète et donc de longue durée, qu’il n’avait toujours aucun contact avec l’entreprise et n’était même pas convié aux réunions d’intermission régulièrement tenues.

Il résulte d’échanges de courriels entre le salarié et l’employeur en novembre et décembre 2019, produits en pièces 124 à 130, ainsi que d’une lettre adressée par le salarié à l’inspection du travail datée du 31 décembre 2019 portant comme objet 'signalement de faits de harcèlement’ produite en pièce 134, que le salarié a considéré que la proposition de mission au Secours Catholique que lui a faite l’employeur en dernier lieu n’était pas adaptée à son profil et à ses compétences et relevait d’un délit de marchandage en raison d’un détachement illicite de salariés.

Le salarié précise que la première proposition de l’employeur de participation à une formation depuis dix ans ne lui a été adressée que le 27 janvier 2020, ainsi qu’il résulte d’un échange de courriels produit en pièce 137, et qu’il lui a été adressé une proposition de poste de technicien d’exploitation le 28 février 2020 non par la société Astek mais par une des sociétés du groupe, la société Intitek, produite en pièce 139, ce qu’il a dénoncé auprès de sa hiérarchie, ainsi qu’il résulte d’échanges de courriels produits en pièce 140.

[D] [S] indique enfin avoir reçu une proposition de mission irréalisable à la veille de l’audience de clôture de la présente procédure, manifestement pour servir la cause de l’employeur et instrumentaliser la justice pour échapper à sa condamnation.

Les éléments de fait présentés par [D] [S], pris dans leur ensemble, laissent présumer l’existence d’une discrimination syndicale.

Il incombe par conséquent à la société Astek de rapporter la preuve que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

B- Sur les éléments justificatifs fournis par la société Astek

La société Astek réplique en premier lieu que le salarié a attendu 2015 pour former sa demande alors que la situation de discrimination durerait depuis 2007 et qu’il ne juge pas utile de solliciter la résiliation judiciaire du contat de travail ; que l’exercice par le salarié de jusqu’à six mandats de représentation du personnel cumulés a diminué son temps de présence au sein de la société, ce qui peut constituer une difficulté pour les clients de la société qui souhaitent bénéficier d’un intervenant présent et disponible à temps plein.

Ces considérations générales ne constituent pas des éléments objectifs justifiant les éléments de fait présentés par [D] [S] relatif à la discrimination qu’il indique avoir subie.

Puis la société Astek estime que l’allégation de refus de valoriser ses tâches et responsabilités n’est pas fondée dans la mesure où le salarié a exercé des mandats depuis quasiment le début de la relation de travail et qu’elle lui a confié des missions avec des responsabilités importantes.

La société Astek conteste la prétendue rétrogradation et la perte de responsabilité du salarié, en estimant que les accusations du salarié sont vagues. Elle relève que le salarié n’a jamais fait valoir au cours de la relation de travail que les missions confiées étaient sous-qualifiées ou que les responsabilités confiées ne correspondaient pas à sa qualification.

La société Astek estime ensuite que le fait d’avoir usé des voies de recours légales contre la décision de l’inspecteur du travail relevait de son droit sans constituer un comportement discriminatoire, celle-ci précisant qu’elle n’a pas interjeté appel de la décision du tribunal administratif de Cergy-Pontoise et observant que le salarié a manifesté la volonté de rester au sein de la société Astek qu’il accuse pourtant de discrimination, harcèlement et mise au placard.

La société Astek critique ainsi les allégations du salarié, mais ne fournit pas d’élément objectif expliquant pour quelle raison à partir de 2007, soit à partir du moment où il a été élu à des mandats de représentation du personnel, le salarié ne s’est plus vu confier de mission à partir de 2010, n’a pas été formé à l’évolution technique de ses fonctions et n’a pas bénéficié d’entretien annuel d’évaluation.

La société Astek fait valoir qu’elle ne souhaitait pas laisser le salarié sans mission, sollicitant une mise à jour de son curriculum vitae et le conviant aux réunions d’intermission, que toutes les tentatives de repositionnement en clientèle ont échoué en raison du manque de motivation du salarié et de sa volonté de se consacrer uniquement à ses activités syndicales, au besoin dans le cadre d’un poste de permanent syndical au sein de la société. Elle relève que le salarié a refusé plusieurs missions et a manifesté sa volonté de rompre toute communication avec l’entreprise, rendant ainsi son repositionnement impossible, et que le salarié reproche à son employeur une situation qu’il a lui-même très largement contribuée à entretenir.

Au soutien de son argumentation, elle produit des échanges de courriels avec le salarié en pièces 1, 2 et 3, dont il ressort qu’une proposition de mission auprès de la Sncf lui a été faite le 11 mars 2015, mais que le salarié a fait valoir que : 'Le niveau requis semble supérieur à mes aptitudes actuelles', qu’il reste 'quelques détails administratifs à régler’ et indiquant 'difficile d’intéresser un client après 7 ans d’inactivité, sans aucun maintien dans l’emploi et sans la moindre formation'.

Elle produit en outre l’auto-évaluation préalable à l’entretien annuel d’évaluation du salarié du 1er avril 2015, en pièce 4, afin d’illustrer l’état d’esprit négatif du salarié et son absence de motivation pour être positionné sur une mission.

Il en ressort que celui-ci a exprimé le souhait d’intégrer la structure d’Astek, 'n’étant plus employable auprès des clients d’Astek au regard du changement de politique commerciale axée sur des ingénieurs', à des fonctions de responsable sécurité/incendie/services généraux, et a indiqué, s’agissant des souhaits pour l’année à venir, 'que l’on prenne en compte mes souhaits au lieu de chercher à m’imposer des missions sans correspondance avec mes capacités actuelles, que l’on me considère enfin dans le respect dû à ma personne comme n’importe quel autre salarié syndiqué ou non. Que l’on rattrape également les justes augmentations non attribuées en raison d’un défaut d’entretien annuel depuis 2008 et de la discrimination dont je suis victime. Réévaluation de mon contrat de travail en accord avec mes souhaits et non de façon unilatérale'.

La société produit encore :

— en pièce 5, un courriel de transmission du profil du salarié auprès d’un client le 27 octobre 2015, ainsi que des échanges de courriels avec le salarié en septembre et octobre 2017 en pièce 6, dont il ressort qu’une mission lui a été proposée auprès de Orange Business Services le 22 septembre 2017 mais que celui-ci l’a déclinée en raison de son manque de compétences ;

— en pièces 7 et 8, des échanges de courriels avec le salarié en mars et avril 2020 dont il ressort que [I] [S], ingénieur d’affaires de la société Intitek, filiale du groupe Astek, a directement pris attache avec le salarié pour lui proposer une mission, que celui-ci n’y a pas donné suite en critiquant le procédé de 'démarchage’ d’une société extérieure, et que [E] [R], directrice exécutrice, supérieure hiérarchique du salarié, lui a rappelé être dans l’attente de la mise à jour de son dossier de compétences ;

— en pièce 9, des échanges de courriels avec le salarié en décembre 2019 et janvier 2020, dont il ressort qu’il lui a été proposé une mission auprès du Secours Catholique, que celui-ci a déclinée, ainsi qu’une formation du 5 au 7 février 2020 intitulée 'GLPI, Gestion du parc informatique et service desk’ ;

— en pièce 10, un courriel de [V] [G], directeur des opérations ITS, lui demandant le 20 octobre 2020 de le rappeler au sujet des congés de fin d’année auquel le salarié a répondu dans un courriel du même jour : 'Pour des raisons juridiques, je ne communique plus avec aucun représentant du groupe Astek que par mail ou courrier. [H] d’en prendre note’ ;

— en pièce 11, un courriel adressé au salarié le 29 octobre 2020 lui faisant part d’une opportunité de mission chez Orange auquel le salarié a répondu le 30 octobre 2020 en invitant l’interlocuteur à 'étudier plus attentivement mon dossier de compétences notamment en terme d’employabilité et de formation me concernant pour les 13 dernières années’ et à se rapprocher du service juridique avant de poursuivre dans cette démarche.

La société Astek précise que, suite au refus d’exercer un congé individuel de formation en août 2007, le salarié n’a plus jamais réitéré cette demande, n’a jamais contesté le refus de l’employeur et n’a pas présenté de réclamation auprès des délégués du personnel ou de l’inspection du travail, en ajoutant que celui-ci a sollicité une formation dans le cadre de son DIF par la suite qui lui a été accordée, ainsi qu’il résulte de la pièce 29 du salarié relative à un certificat de stage du 31 juillet 2012.

Alors qu’aucune des pièces produites par la société Astek ne se rapporte à une période antérieure à mars 2015, contemporaine à la saisine par le salarié de la délégation du personnel d’une demande d’ouverture d’une enquête pour discrimination syndicale, la cour constate que la société Astek n’apporte aucun élément précis et objectif quant au refus opposé au salarié en 2007 d’exercer son droit au DIF, quant au fait que le salarié ne s’est vu proposer aucune mission, ni aucun travail entre 2010 et 2015, quant au fait qu’il n’a bénéficié tout au long de la relation contractuelle, qui dure depuis seize ans, que d’un seul entretien d’évaluation en février 2008 et d’un entretien d’auto-évaluation le 1er avril 2015 et quant au fait que sa carrière n’a pas évolué depuis son embauche.

La société Astek relève en outre que le salaire de [D] [S] de 1 834 euros en 2004 a progressé de 38 % puisqu’il était de 2 527,59 euros en 2015, alors que l’inflation cumulée sur cette période est de 18 %, et que son salaire se situe dans la moyenne de la catégorie ETAM et son coefficient 275. Ce fait est exact comme précédemment constaté au regard des éléments produits.

Elle souligne que le salarié ne se compare à aucun autre salarié placé dans la même situation que lui. Toutefois, la comparaison avec des salariés placés dans la même situation n’est pas un critère nécessaire pour établir des faits laissant supposer l’existence d’une discrimination en raison de l’activité syndicale et de l’exercice de mandats représentatifs.

Au regard des éléments fournis par les parties, la cour retient l’existence d’une discrimination en raison de l’exercice de ses activités syndicale dont a été l’objet [D] [S] de la part de la société Astek.

C- Sur le repositionnement au niveau de la qualification cadre

Sur la réparation du préjudice subi du fait de la discrimination, [D] [S] demande à être positionné au statut cadre position 2.2 coefficient 130 suivant l’annexe II de la convention collective Syntec applicable.

Il expose qu’à partir de juin 2005 et avant que l’employeur décide de le rétrograder en termes de responsabilités et tâches, il s’est vu confier la responsabilité du management d’une équipe et celle de renégocier les conditions de la mission pour l’adapter aux besoins variables du client ; qu’en 2006, il a été positionné sur une mission chez Sfr en qualité de responsable support bureautique avec des tâches et missions confiées de niveau bien supérieur à sa qualification, chargé d’une mission de consultant-expert dans le cadre du projet 'help desk', que ses responsabilités étendues dépassaient le cadre d’une intervention technique ; qu’en février 2007 pour une mission chez Abbott, il a été positionné en qualité de consultant expert 'help desk’ dans le cadre d’un projet relatif au remplacement du logiciel de gestion des appels et la modification du parc informatique et qu’en mai 2007, au sein de l’Hôpital américain de [Localité 6], il a été positionné en tant que coordinateur technique hotline dans le cadre de la mise en place d’un système interne de 'help desk’ et la modification du parc informatique ; qu’ainsi, il aurait dû dès 2005 être positionné au statut cadre position 2.2 coefficient 130.

La société Astek considère que le repositionnement en statut cadre position 2.2 coefficient 130 est irréaliste, le salarié ne justifiant pas de la réalisation de mission permettant cette progression automatique et définitive.

D’une part, il appartient au salarié qui se prévaut d’une classification conventionnelle différente de celle dont il bénéficie au titre de son contrat de travail, de démontrer qu’il assure de façon permanente, dans le cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de la classification qu’il revendique.

L’annexe II de la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils prévoit la classification en position 2.2 coefficient 130 des ingénieurs et cadres qui remplissent les conditions de la position 2.1, c’est-à-dire les 'ingénieurs et cadres ayant au moins 2 ans de pratique de la profession, qualités intellectuelles et humaines leur permettant de se mettre rapidement au courant des travaux d’études. Coordonnent éventuellement les travaux de techniciens, agents de maîtrise, dessinateurs ou employés, travaillant aux même tâches qu’eux dans les corps d’état étudiés par le bureau d’études’ et, en outre, partant d’instructions précises de leur supérieur, doivent prendre des initiatives et assumer des responsabilités que nécessite la réalisation de ces instructions, étudient des projets courants et peuvent participer à leur exécution, ingénieurs d’études ou de recherches, mais sans fonction de commandement.

En l’espèce, les pièces 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 23, 24 produites par [D] [S], déjà analysées dans le cadre des développements sur la discrimination, sur lesquelles il fonde sa demande de repositionnement au statut cadre position 2.2 coefficient 130 ne démontrent pas que celui-ci a exercé effectivement, de façon permanente, antérieurement à la prise de ses mandats représentatifs et syndicaux en 2007, les tâches et responsabilités relevant de ce statut, de cette position et de ce coefficient.

En effet, les pièces 2 et 5 sont des ordres de mission chez les clients Sncf en 2006 et Sfr en 2006 ; les pièces 3, 4, 5, 6, 7 et 8 sont des courriels adressés par le salarié qui ne permettent pas d’établir que les missions et tâches qu’il a accomplies entrent dans la définition conventionnelle applicable au statut cadre position 2.2 coefficient 130, à défaut de précision sur les tâches réellement accomplies ; les pièces 23, à savoir le tableau des compéneces du salarié du 8 décembre 2006, et 24, à savoir son curriculum vitae interne, émanant du salarié, ne sont pas plus suffisamment précises pour établir que celui-ci remplissait les tâches et missions du statut cadre qu’il revendique.

D’autre part, la reconnaissance d’une discrimination syndicale n’a pas pour effet d’octroyer à un salarié le classement hiérarchique et salarial dont il estime relever.

En l’espèce, aucun des éléments fournis par le salarié ne permet de retenir que son évolution de carrière, s’il n’avait pas subi de discrimination en raison de ses activités syndicales, l’aurait conduit à une classification au statut cadre à la position et au coefficient qu’il revendique.

Il n’y a donc pas lieu de fixer la rémunération brute de base à la somme de 3 885 euros, correspondant à la classification cadre, position 2.2 coefficient 130.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté [D] [S] de sa demande de repositionnement au niveau de qualification cadre position 2.2 coefficient 130 de la convention collective dite Syntec.

D- Sur la réparation des préjudices subis par le salarié

L’absence de formation professionnelle délivrée au salarié constitue un manquement de l’employeur à son obligation d’assurer l’adaptation du salarié à son poste de travail, et de veiller au maintien de sa capacité à exercer un emploi. Le préjudice en résultant pour le salarié sera réparé par l’allocation de dommages et intérêts à hauteur de 10 000 euros.

Le fait de ne pas fournir de travail au salarié pendant plusieurs années, ce qui a entraîné des répercussions sur son employabilité dans le secteur technique qui est le sien, lui a causé un préjudice moral qui sera réparé par l’allocation de dommages et intérêts à hauteur de 10 000 euros.

La discrimination syndicale subie qui s’est traduite par l’absence d’évolution salariale significative depuis 2009, a causé au salarié un préjudice professionnel, financier et de retraite, qui sera réparé par l’octroi de dommages et intérêts à hauteur de 50 000 euros.

Le jugement sera infirmé en ce qu’il a débouté le salarié de ces chefs de demandes de réparation de préjudices et la société Astek sera condamnée à lui payer les sommes sus-mentionnées.

II- Sur le harcèlement moral

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l’article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction applicable au litige, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et, au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

A- Sur les éléments de faits présentés par le salarié au soutien du harcèlement moral

Au soutien des agissements de harcèlement moral qu’il allègue, [D] [S], produisant les pièces sus-analysées dans les développements relatifs à la discrimination syndicale, invoque une stratégie de mise à l’écart et de déstabilisation définie par l’employeur ainsi qu’un isolement de la communauté de travail par la privation de travail et d’affectation pendant dix ans, conduisant à sa déconsidération au point de ne même plus exister dans l’entreprise, agissements qui ont conduit à porter atteinte à ses droits, sa santé et sa dignité et à altérer totalement son avenir professionnel.

Il convient d’examiner les éléments de fait présentés par le salarié.

1- S’agissant de la stratégie de mise à l’écart et de déstabilisation définie par l’employeur

[D] [S] expose que plus son implication et son activisime de représentation du personnel ont été importants, plus l’employeur s’est employé à porter atteinte à son avenir professionnel dans l’entreprise ; qu’à partir de 2008, refusant de récompenser son investissement et le mérite des responsabilités qu’il assumait, l’employeur a procédé à une involution dans ses missions, ses responsabilités et ses tâches afin de le déstabiliser et le démotiver ; qu’il a ainsi été missionné en 2008 chez le client Abbott en qualité de simple technicien après avoir effectué une mission un an auparavant auprès de ce client comme consultant 'expert desk’ ; qu’il a ensuite alterné de longues périodes d’intermission et des missions en tant que simple technicien en informatique, voire même en téléphonie, totalement déconnecté de son savoir-faire et ses compétences ; que devant le refus de transfert du contrat de travail par l’inspection du travail, l’employeur a procédé à une déstabilisation en refusant de prendre en compte le 'curriculum vitae’ qu’il lui remettait pour être repositionné sur une mission, en refusant de le repositionner sur une mission pendant des années et, encore aujourd’hui, en exerçant des pressions sur lui.

2- S’agissant de l’isolement de la communauté de travail par la privation de travail et d’affectation pendant dix ans, conduisant à sa déconsidération au point de ne même plus exister dans l’entreprise

[D] [S] expose qu’à partir de 2011, la mise à l’écart qu’il subissait jusqu’alors est devenue un isolement total de la communauté de travail par sa privation de travail, décidée par l’employeur, malgré ses nombreux souhaits d’être repositionné sur une mission ; que depuis la fin de l’année 2010, il se trouve en attente d’un repositionnement sur une mission, sans aucun travail, sans aucune mission ou réalisation à entreprendre, sans aucune tâche à réaliser, sans aucun interlocuteur professionnel, sans collègues, sans supérieur hiérarchique, sans être convié aux réunions de travail, sans bureau, sans même bénéficier des augmentations collectives générales depuis 2009, totalement isolé et éloigné des autres salariés de l’entreprise ; que l’employeur est resté inerte suite à l’alerte portée par la délégation du personnel, ce qui constitue un manquement à l’obligation de sécurité ; que depuis septembre 2017, il n’a plus aucun contact professionnel de quelque nature que ce soit avec la société Astek et n’est plus convié aux réunions d’intermission qui se tiennent pourtant assez régulièrement ; que le 27 janvier 2020, alors qu’il est venu sur les lieux de l’entreprise pour assister un salarié à un entretien préalable à un licenciement, les deux représentants de la direction se sont prêtés à un jeu de rôle irrespectueux et offensant, relaté par le salarié qu’il assistait en pièce 136, qu’il lui a été prêté un comportement fautif et menaçant de manière diffamatoire et qu’il a déposé une main courante produite en pièce 137.

Les faits présentés par [D] [S], pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et, au vu de ces éléments, il incombe à la société Astek de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

B- Sur les éléments justificatifs fournis par la société Astek

Contestant tout harcèlement moral et relevant qu’aucune demande indemnitaire en lien avec un harcèlement moral n’a été formée par le salarié lors de la saisine du conseil de prud’hommes en novembre 2015, la société Astek réplique que les faits que présente le salarié au soutien de sa prétention, identiques à ceux développés au soutien de la demande de discrimination, ne sont pas établis, celui-ci se livrant à une appréciation subjective des conditions d’exécution de son contrat de travail.

La société Astek estime que ni le fait de positionner le salarié sur une mission conforme à son contrat de travail, quand bien même il aurait réalisé pour ce même client une précédente mission impliquant des responsabilités plus importantes, ni le fait qu’il a régulièrement actualisé son curriculum vitae, ce qu’il a d’ailleurs fait à sa demande, ne caractérisent une situation de harcèlement moral.

Elle indique que sa responsable hiérarchique n’a jamais cessé de réaliser des points de situations avec lui pour trouver des pistes constructives comme il ressort des échanges de courriels produits par le salarié, dont celui-ci fait une interprétation très discutable.

Elle estime enfin que les réunions des délégués du personnel dans le suivi du droit d’alerte ne permettent pas non plus de caractériser des agissements de harcèlement moral, et que le salarié ne démontre pas la dégradation de ses conditions de travail, ni la détérioration de son état de santé ou la compromission de son avenir en lien avec cette prétendue dégradation des conditions de travail.

Force est de constater que la société Astek se borne à critiquer les faits présentés par le salarié ainsi que son argumentation au soutien du harcèlement moral, mais que celle-ci ne fournit aucun élément objectif expliquant l’évolution de la situation du salarié pendant toute la relation de travail jusqu’à ce jour, qui se traduit concrètement par un isolement de la communauté de travail dans laquelle se trouve le salarié à la suite d’agissements répétés de non-fourniture de travail. Cette situation évolutive a eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Le harcèlement moral est établi.

C- Sur la réparation du préjudice

Le salarié n’établit pas de préjudice physique que lui aurait causé le harcèlement subi.

Le harcèlement moral lui a causé un préjudice moral qui sera réparé par l’allocation de dommages et intérêts à hauteur de 10 000 euros que la société Astek sera condamnée à lui payer. Le jugement sera infirmé sur ce chef.

III- Sur le non-respect par l’employeur des accords collectifs

[D] [S] fait valoir que la société Astek a violé l’article 3 de la convention collective applicable protégeant le droit syndical, la liberté d’opinion et la représentation du personnel, les accords collectifs d’entreprise garantissant la protection du droit syndical et la représentation du personnel, ainsi que le droit à l’emploi et les mesures pour maintenir l’employabilité des salariés seniors.

La société Astek réplique que la nature comme l’étendue d’un préjudice causé par le non-respect allégué des accords collectifs ne sont pas établies par le salarié.

L’employeur n’a certes pas respecté les dispositions de la convention collective applicable relatives à l’exercice du droit syndical dans l’entreprise, mais [D] [S] ne démontre pas l’existence d’un préjudice spécifique subi par ce manquement distinct des préjudices moraux résultant notamment de la discrimination déjà réparés. Il sera débouté de cette demande. Le jugement sera confirmé sur ce point.

IV- Sur le cours des intérêts et leur capitalisation

Les créances indemnitaires produiront des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée en application de l’article 1343-2 du code civil.

V- Sur les dépens

Le jugement sera infirmé en ce qu’il a condamné [D] [S] aux dépens.

La société Astek sera condamnée aux dépens exposés en première instance et en cause d’appel.

VI- Sur les frais irrépétibles

La société Astek sera condamnée à payer à [D] [S] la somme de 3 000 euros au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant par arrêt contradictoire mis à disposition des parties au greffe,

INFIRME le jugement en ce qu’il a débouté [D] [S] de ses demandes de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait de l’atteinte à son droit à la formation, du préjudice moral subi du fait de l’atteinte à son droit au maintien de son employabilité et à la non-fourniture du travail, des préjudices professionnel, financier et de retraite liés à la discrimination syndicale subie, et du préjudice lié aux agissements de harcèlement moral, et en ce qu’il a condamné [D] [S] aux dépens,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

CONDAMNE la société Astek à payer à [D] [S] les sommes suivantes :

—  10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait de l’atteinte à son droit à la formation,

—  10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait de l’atteinte à son droit au maintien de son employabilité et à la non-fourniture du travail,

—  50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices professionnel, financier et de retraite, liés à la discrimination syndicale subie,

—  10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral lié aux agissements de harcèlement moral,

RAPPELLE que les créances indemnitaires produisent des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

ORDONNE la capitalisation des intérêts,

CONFIRME le jugement pour le surplus des dispositions,

Y ajoutant,

CONDAMNE la société Astek à payer à [D] [S] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE les parties du surplus des demandes,

CONDAMNE la société Astek aux entiers dépens.

— Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— Signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Carine DJELLAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER,LA PRÉSIDENTE,

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Cour d'appel de Versailles, 15e chambre, 16 décembre 2020, n° 18/02758