Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 12 octobre 2021, n° 20/03176

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 1re ch. 1re sect., 12 oct. 2021, n° 20/03176
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 20/03176
Décision précédente : Tribunal judiciaire de Pontoise, 29 juin 2020, N° 18/06797
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

1re chambre 1re section

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

Code nac : 63B

DU 12 OCTOBRE 2021

N° RG 20/03176

N° Portalis DBV3-V-B7E-T56P

AFFAIRE :

D A

C/

X-H Y

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 30 Juin 2020 par le Tribunal Judiciaire de PONTOISE

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 18/06797

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

— la SCP SCP INTERBARREAUX RONZEAU ET ASSOCIES,

— la SELARL JRF & ASSOCIES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DOUZE OCTOBRE DEUX MILLE VINGT ET UN,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Maître D A

1 avenue JF-Kennedy

[…]

représenté par Me Chritiane ROBERTO substituant Me Michel RONZEAU de la SCP SCP INTERBARREAUX RONZEAU ET ASSOCIES, avocat – barreau de VAL D’OISE, vestiaire : 9 – N° du dossier 1826293

APPELANT

****************

Monsieur X-H Y

né le […] à PARIS

de nationalité Française

[…]

[…]

représenté par Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF & ASSOCIES, avocat postulant – barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 -

Me Sarah MELKI substituant Me Arron Benjamin COHEN, avocat – barreau de PARIS, vestiaire : B1131

INTIMÉ

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 21 Juin 2021 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Anna MANES, Présidente chargée du rapport et Madame Anne LELIEVRE, Conseiller.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Anna MANES, Présidente,

Madame Anne LELIEVRE, Conseiller,

Madame Nathalie LAUER, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte sous seing privé du 15 avril 2016, M. Y s’est porté acquéreur d’un bien immobilier situé […] à […]) appartenant à Mme F C constitué de deux bâtiments distincts comportant chacun un local commercial en rez-de-chaussée et des appartements aux premier et deuxième étages ainsi que des places de stationnement, pour la somme de 680 000 euros.

Le 11 juillet 2016, M. Y, mandant, a donné procuration à M. Z, mandataire, de conclure un avant-contrat de vente de l’ensemble immobilier précité, qui prévoyait, en particulier, que le mandataire avait tous pouvoirs pour établir la consistance des lots, signer l’état descriptif de division et le règlement de copropriété qui seront établis par Me A. La procuration précisait en outre, dans un paragraphe intitulé 'Prix', que 'la vente est conclue moyennant le prix que le mandataire fixera librement.' La signature du mandant a fait l’objet d’une authentification par Me A le 12 juillet 2016.

Le 2l avril 2017, Me A a dressé un état descriptif de division et le règlement de copropriété concernant l’ensemble immobilier. Dix-sept lots ont ainsi été créés soit neuf appartements et huit emplacements de parkings.

Prétendant que les lots de copropriété ont été vendus à vil prix et que le notaire a été défaillant pour ne pas l’avoir alerté et donc ne pas avoir respecté le devoir de conseil et d’information pesant sur lui, par acte d’huissier de justice délivré le 20 juin 2018, M. Y l’a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Pontoise aux fins de le voir condamner à lui verser des dommages et intérêts en raison de manquements à ses obligations.

Par jugement contradictoire rendu le 30 juin 2020, le tribunal judiciaire de Pontoise a :

— dit que Me A a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;

— condamné Me A à verser à M. Y les sommes de :

* 432 000 euros de dommages et intérêts,

* 3 000 euros au titre de l’article 700 du code procédure civile ;

— débouté les parties de leurs demandes contraires ou plus amples ;

— condamné Me A aux dépens dont distraction selon l’article 699 du code de procédure civile ;

— dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.

Me A a interjeté appel de cette décision le 10 juillet 2020 à l’encontre de M. Y.

Par ses dernières conclusions notifiées le 17 mai 2021, Me A demande à la cour, au fondement de l’article 1240 du code civil, de :

— le recevoir en son appel et le déclarer bien fondé ;

— infirmer le jugement rendu le 30 juin 2020 par la première chambre du tribunal judiciaire de Pontoise (RG n°18/06797) en l’ensemble de ses dispositions ;

Statuant à nouveau, au visa de l’article 1240 nouveau du code civil,

— juger M. Y mal fondé en l’intégralité de ses arguments, prétentions et demandes de condamnation formulées à son encontre ;

— débouter M. Y de l’intégralité de ses demandes formulées à son encontre ;

— condamner M. Y à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, en cause d’appel ;

— condamner M. Y aux entiers dépens de première instance et de l’instance d’appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions des articles 696 et suivants du code de procédure civile.

Par ses dernières conclusions notifiées le 1er juin 2021, M. Y demande à la cour, au fondement des articles 12 du code de procédure civile, 9 et 25 b) de la loi du 10 juillet 1965, 1240 du code civil, de :

— déclarer Me A mal fondé en son appel interjeté à l’encontre du jugement déféré ;

— le déclarer en revanche bien fondé en son appel incident portant sur le quantum des dommages et intérêts qui lui ont été alloués et le quantum de l’article 700 du code de procédure civile ;

Par conséquent,

— confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a reconnu que Me A a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;

— constater que :

* Me A a manqué à son obligation de conseil,

* cette faute est directement liée au préjudice financier qu’il a subi ;

— l’infirmer en revanche en ce qu’il a limité le montant des dommages et intérêts qui lui a été alloué à la somme de 432 000 euros et à celle de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau sur ces points,

— condamner Me A à lui payer les sommes de :

* 540 000 euros à titre de dommages et intérêts,

* 8 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile comprenant les frais irrépétibles de première instance et d’appel ;

— confirmer le jugement entrepris en ses dispositions non contraires aux présentes ;

— débouter Me A de toutes ses demandes, fins, conclusions plus amples ou contraires ;

— le condamner aux entiers dépens dont distraction conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 3 juin 2021.

SUR CE, LA COUR,

Sur les limites de l’appel,

Il résulte des écritures ci-dessus visées que le débat en cause d’appel se présente dans les mêmes termes qu’en première instance, chacune des parties maintenant ses prétentions telles que soutenues devant les premiers juges.

Sur la faute du notaire de nature à engager sa responsabilité délictuelle

Le tribunal a considéré que la quasi totalité de l’ensemble immobilier, divisé en lots, avait été revendu par M. Y le 21 avril 2017 (lots 1, 2 et 10), le 28 avril 2017 (lots 7, 16 et 17), le 12 mai 2017 (lots 3, 4, 5, 6, 11, 12 et 13), le 19 juillet 2017 (lots 9 et 15), à des prix entre 37,5% à 72% inférieurs à ceux du marché.

Ayant indiqué que si le notaire n’avait pas à se substituer aux parties dans l’appréciation de l’opportunité économique d’une opération, le tribunal a rappelé que le notaire, tenu d’informer les parties, d’attirer leur attention de manière complète et circonstanciée sur la portée et les effets de l’acte auquel il prêtait son concours, devait les aviser des risques des engagements qu’ils se proposaient de souscrire dans des conditions manifestement déséquilibrées eu égard à la particulière modicité du prix qui était de nature à éveiller ses soupçons.

Selon le tribunal, les actes de vente devaient permettre au notaire de déduire que les biens de M. Y ont tous été vendus à un montant inférieur au prix du marché, voire très nettement inférieur pour le bien vendu à M. B. Dès lors, il lui revenait d’informer M. Y de cette situation, ce qu’il ne démontre pas avoir fait.

Il ajoutait que l’absence d’opposition de M. Y alors qu’il était informé de ces prix, le fait qu’il ait eu recours à M. Z, en qualité de mandataire, chargé de fixer librement les prix, ou même que M. Y n’ait pas mis en cause un autre débiteur potentiel, étaient des circonstances inopérantes et, en tout état de cause, elles n’étaient pas susceptibles de l’exonérer de sa responsabilité.

' Moyens des parties

Me A poursuit l’infirmation du jugement en ce qu’il retient l’existence d’une faute de sa part de nature à engager sa responsabilité délictuelle alors que, s’agissant du grief retenu au titre de 'l’insuffisance des prix de vente’ :

* il n’est nullement démontré que, au jour de la signature des actes authentiques rédigés par ses soins, les prix de revente des biens étaient extrêmement éloignés des prix du marché ;

* M. Y s’est prévalu d’estimations de valeurs immobilières postérieures à la vente de sorte que ces éléments sont inopérants.

Il rappelle que le notaire n’a pas à apprécier l’opportunité économique d’une opération immobilière (1re Civ., 26 septembre 2019, pourvoi n° 18-23.165, 18-21.402 ; 3e Civ., 8 avril 2015, pourvoi n° 13-28.207) ni même du prix de vente fixé entre les parties, hors sa présence, sauf à constater l’existence d’un vil prix, pas plus qu’il n’a pour mission de s’assurer de l’équilibre économique d’une opération d’investissement immobilier lorsqu’il intervient en tant qu’authentificateur d’une convention prise par les parties à l’issue de pourparlers auxquels il n’a pas été associé (Com., 22 mars 2017, pourvoi n° 15-18.405

) ; de même, selon lui, la responsabilité du professionnel du droit ne saurait être retenue s’il

n’est pas intervenu dans les négociations ayant précédé la conclusion du contrat à l’occasion desquelles les conditions économiques de l’opération étaient fixées (1re Civ., 20 janvier 2011, pourvoi n° 10-10.174 ; 1re Civ., 28 novembre 2012, pourvoi n° 11-23.175

).

Il insiste sur le fait qu’il ne revient pas au notaire de rechercher si le prix de vente convenu entre les parties est inférieur au prix du marché, ce d’autant moins que le prix est généralement déterminé au regard d’éléments objectifs tel que l’état du bien immobilier lors de sa mise en vente, de l’offre et de la demande, ce dont le notaire ignore tout.

Il reproche aux premiers juges d’avoir violé les règles ainsi rappelées et d’avoir retenu sa faute pour une prétendue insuffisance du prix de vente, sans avoir constaté le caractère vil du prix.

Il fait valoir que les productions de M. Y étaient et demeurent insuffisantes pour établir l’existence d’un vil prix et que le jugement a accueilli à tort les demandes de M. Y en se fondant sur les seules estimations fournies par ce dernier près d’une année après les ventes litigieuses et à partir des simples photographies et descriptifs produits par lui, sans qu’elles aient donné lieu, antérieurement, à une visite sur place par les professionnels de l’immobilier, sans connaissance de l’état réel de ces biens au jour des ventes alors que :

* l’immeuble acquis auprès des consorts C a été construit en 1930,

* les diagnostics techniques révélaient la présence de plomb et d’amiante,

* les locaux étaient occupés par des preneurs à bail (pièce 2),

* l’attestation de valeur établie le 15 janvier 2018 mentionne expressément que l’estimation a été faite à partir d’un descriptif et de photos ainsi qu’une visite extérieure (pièce adverse 9),

* celle du 2 février 2018 précise également que l’estimation effectuée sur la base d’un simple descriptif, de photos et du titre de propriété, sans qu’aucune visite des lots n’avait été effectuée in situ (pièce adverse n°10),

* celles de valeur portant sur les autres lots sont de même nature (pièces adverses n°11, 12 et 13),

* elles émanent d’une agence immobilière dont le siège social est situé à Paris et qui, à ce titre, ne connaît pas le marché immobilier de la ville d’Argenteuil,

* aucune agence du secteur ne s’est déplacée sur les lieux pour procéder à ces évaluations de sorte qu’il émet des doutes sur la sincérité de ces attestations, en particulier quand il est indiqué que les biens sont situés dans un 'calme absolu’ alors même que l’agence ne s’est pas déplacée sur les lieux et que les biens sont mentionnés comme étant situés en plein centre-ville.

Il prétend donc que ces attestations ne sont ni sérieuses ni probantes.

Me A observe qu’en sa qualité de notaire, il ne disposait d’aucun élément de nature à lui permettre de douter de la pertinence des prix de vente convenus entre les parties et, par voie de conséquence, d’alerter M. Y.

Il souligne qu’en outre les éléments dont il disposait le conduisait au contraire à ne pas douter de la pertinence des prix de vente au regard tant de la description de l’immeuble acquis par M. Y aux consorts C que de la comparaison entre le prix d’achat de l’entier immeuble aux consorts C, divisé en 17 lots, et le prix total de vente d’une partie seulement des lots, soit 7 lots seulement, prix quasiment équivalents.

Il ajoute ne pas être intervenu au titre de la fixation du prix. Il relève que M. Y avait été informé expressément des prix de vente à intervenir, à l’occasion d’échanges de courriels, sans qu’il ne formule aucune observation ou opposition.

Il insiste sur le fait que M. Y a établi une procuration mentionnant que le prix de vente conclu serait librement fixé par son mandataire, M. Z ; que le notaire l’a informé que la première vente interviendrait le 21 avril 2017 (pièce 15) ; que le 19 avril, M. Y l’interrogeait afin d’obtenir communication des prix exacts de chaque lot et de sa situation dans l’immeuble (pièce 16) ; que le jour même, le notaire lui a répondu en fournissant les prix de vente pour chacun des lots concernés ainsi que la situation des lots dans l’immeuble (pièce 17) ; que le 20 avril, sans émettre aucune observation sur les prix, ni opposition, M. Y lui a expressément indiqué qu’il laissait la procuration à M. Z dans les termes précédemment régularisés en novembre 2016 (pièce 18) en précisant que sa compagne serait présente aux signatures et qu’il souhaiterait donner son accord avant celles-ci.

M. Y sollicite la confirmation du jugement en ce qu’il retient, par des motifs pertinents et circonstanciés, l’existence d’une faute à l’encontre de Me A pour avoir failli à son devoir de conseil et d’information envers lui.

Il soutient que ces obligations s’imposent au notaire, peu important les compétences professionnelles de son client et, à l’occasion de la rédaction d’actes authentiques d’aliénation de biens immobiliers, les informations et les conseils prodigués doivent être encore plus avisés.

Il prétend que le notaire est tenu de vérifier le prix de vente d’un bien immobilier à l’aide des nombreux outils mis à sa disposition et, en particulier, en se reportant à la base contenant les transactions immobilières effectuées dans un secteur, surtout lorsque le prix de vente apparaît grossièrement sous-évalué.

Selon lui, compte tenu des prix de revente des biens litigieux, extrêmement éloignés de la valeur du marché, Me A aurait dû effectuer les vérifications nécessaires.

M. Y fait ainsi valoir qu’il revient au notaire, non seulement de garantir la sécurité des actes en donnant forme authentique aux volontés exprimées par les parties, mais également d’en assurer la pleine efficacité en dispensant les conseils nécessaires.

Il indique que si Me A s’était montré diligent, il se serait aperçu que les prix de vente de certains biens étaient largement en dessous du prix du marché. Il affirme avoir été victime d’une collusion entre M. Z, le mandataire de la procuration, et Me A, se traduisant par des valeurs de vente très basses. Il indique avoir fait appel à trois experts immobiliers qui ont estimé la valeur réelle des biens au moment de la vente, en tenant compte de l’état des biens (pièces 10 à 13) et que ceux-ci ont estimé que les quatorze lots vendus pour le montant total de 670 000 euros valaient en réalité 1 220 000 euros. Il soutient donc avoir subi un manque à gagner de 540 000 euros.

Il ajoute que tant le site Meilleur Agent.com (pièce 14) que le site www.immonotaireargus.com (pièce 18) l’ont convaincu de plus fort que les prix proposés étaient lésionnaires, en particulier le lot proposé à M. B.

Il observe qu’il est pour le moins étonnant que Me A ne produise aucune référence issue de cette base de données, soit la base BIEN utilisée par les notaires.

Se fondant sur un arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles (1re chambre, 1re section, du 9 mars 2018, RG n° 16/021168

), il soutient que la motivation des premiers juges s’inscrit dans la droite ligne

de la jurisprudence de cette cour qui a jugé que si le notaire n’était pas tenu de procéder à des recherches particulières sur l’opportunité économique de l’opération envisagée et sur la solvabilité des parties, en l’absence d’éléments d’appréciation qu’il n’a pas à rechercher, il n’en va pas ainsi lorsque l’opération porte, en elle-même, les stigmates de son inopportunité économique, celle-ci pouvant conduire à sa remise en cause.

Il prétend donc qu’en s’abstenant d’attirer son attention sur l’incongruité d’une procuration sans indication de prix ainsi que sur des valeurs de cession particulièrement basses, Me A n’a pas assuré la loyauté de l’opération en s’abstenant de mettre en garde son client de manière circonstanciée contre les risques encourus.

Il ajoute qu’en application de l’article 1988 du code civil, ce mandat était rédigé en termes trop généraux, qu’il n’était pas exprès et que le notaire en n’informant pas son client des insuffisances intrinsèques de ce mandat, en ne le conseillant pas des risques qu’il encourait en procédant ainsi, a commis une faute de nature à engager sa responsabilité délictuelle.

Il conteste les allégations de Me A selon lesquelles le déséquilibre économique flagrant n’est pas établi alors que le tribunal judiciaire de Pontoise a parfaitement motivé sa décision, qu’il produit des attestations pertinentes et probantes portant sur l’estimation de la valeur de ses biens, à partir de descriptifs et de photos et de visites extérieures sur les lieux (pièces 10 à 15).

Il insiste sur le fait que le loft vendu à M. B présentait une superficie de 200 m² et n’a été vendu qu’au prix de 150 000 euros soit 750 euros le m² ; que le prix moyen d’un bien à Argenteuil dans ce secteur est de 3 000 euros le m² (pièce 16) ; que ce bien a été précisément estimé à la valeur de 440 000 euros (pièces 17 et 18).

Il soutient que mieux informé, il ne l’aurait certainement pas vendu à ce prix, ce que les premiers juges ont parfaitement compris, alors que le but qu’il poursuivait à l’occasion de cette opération était de réaliser une plus-value.

Selon lui, de l’ensemble des développements qui précède, il a démontré que Me A avait manqué à ses obligations de vigilance, de conseil et d’information.

' Appréciation de la cour

Le notaire, qui, prêtant son concours à l’établissement d’un acte doit veiller à son utilité et à son efficacité, est également tenu à l’égard de toutes les parties, quelles que soient leurs compétences personnelles, à une obligation de conseil et, le cas échéant, de mise en garde en ce qui concerne, notamment, les conséquences et risques des stipulations convenues, sous réserve que celles-ci n’aient pas été immuablement arrêtées ou qu’elles n’aient pas produit leurs effets antérieurement.

Le devoir de conseil est impératif et le notaire ne peut s’y dérober en alléguant qu’il s’est borné à donner une forme authentique aux conventions des parties, ou en se prévalant des compétences ou connaissances personnelles de son client, ou de l’intervention d’autres professionnels à ses côtés.

Le devoir de conseil est particulièrement impérieux en matière fiscale.

En revanche, le client, qui a fait le choix d’une opération dont les risques lui ont été clairement désignés, ne peut pas obtenir la condamnation du notaire à l’indemniser des conséquences de leur réalisation.

De même, le notaire, qui n’est pas soumis à une obligation de conseil et de mise en garde concernant la solvabilité des parties ou l’opportunité économique d’une opération en l’absence d’éléments d’appréciation qu’il n’a pas à rechercher, n’est pas tenu d’informer l’acquéreur du risque d’échec du programme immobilier, qu’il ne pouvait suspecter au jour de la signature de la vente (1re Civ., 26 septembre 2019, pourvoi n° 18-23.166, 18-21.403 qui a cassé l’arrêt de la cour d’appel de Versailles cité par l’intimé condamnant le notaire aux motifs qu’il aurait dû attirer l’attention de l’acquéreur sur l’aléa essentiel de cette opération que représentait l’absence de garantie de bonne fin des travaux, dont le succès était économiquement subordonné à la réhabilitation complète de l’immeuble

).

Découle de l’exigence d’efficacité et de sécurité une obligation d’investigation qui s’inscrit dans la logique de sécurité juridique qui fonde la fonction notariale. Pour ce faire, le notaire doit rechercher la volonté des parties, prendre toutes les initiatives nécessaires, se renseigner avec précision afin de déceler les obstacles juridiques qui pourraient s’opposer à l’efficacité de l’acte qu’il instrumente.

Toutefois, tenu d’une obligation de moyen, le notaire n’est pas soumis à une obligation d’investigation illimitée ; son étendue dépend des possibilités effectives de contrôle et de vérification. En effet, la responsabilité du notaire, qui aura accompli les contrôles juridiques nécessaires, ne peut être engagée que si l’officier public pouvait suspecter l’inefficacité de l’acte, douter de l’efficacité de l’opération envisagée, dans ce cas, il peut lui être reproché de ne pas avoir accompli des investigations complémentaires.

En l’espèce, il résulte des productions que sur 17 lots, 12 ont été vendus pour un montant total de 570 000 euros, que deux lots supplémentaires, les lots 9 et 15, ont été vendus au prix de 100 000 euros de sorte que le prix total de vente de 14 lots s’est élevé à la somme de 670 000 euros.

Il restait donc trois lots à vendre.

M. Y justifie avoir vendu, le 2 juillet 2019, le lot 8, soit un appartement de 55 m², au prix de 155 000 euros de sorte que la vente de 15 lots a rapporté la somme totale de 825 000 euros à M. Y alors qu’il a acheté l’immeuble en entier au prix de 680 000 euros.

Il n’apparaît pas compte tenu des éléments susmentionnés que le prix de vente de ces 14 lots puisse être qualifié de vil, de dérisoire ou d’insignifiant d’autant moins que, comme le souligne le notaire, l’immeuble date de 1930, que les dossiers techniques avant vente révèlent l’existence de matériaux et produits contenant de l’amiante dans le lot 10, local commercial, et qu’il n’est pas justifié que ces biens, occupés, aient fait l’objet de travaux de rénovation postérieurement à l’achat de l’immeuble en 2016.

En outre, comme le relève Me A, les attestations produites par M. Y sur la valeur 'réelle’ des biens ne sont pas suffisantes pour établir la vileté du prix. C’est ainsi que :

* celle relative à un local commercial a été faite à partir du descriptif, de photos prises par M. Y et d’une visite extérieure (pièces 9 et 16),

* celles relatives aux lots 1, 2, 3, 4, 5, 6, 11, 12, 13, 7, 9, 16 et 17 ont été établies à partir d’un descriptif réalisé par M. Y, de photos prises par lui et d’un titre de propriété, sans transport sur les lieux (pièces 10, 11, 12, 13).

Les pièces 14 et 27, qui concernent des estimations du prix au mètre carré de biens dans le secteur concerné provenant du site Meilleurs Agents et celui des notaires de Paris, n’apparaissent pas suffisantes pour caractériser l’existence du vil prix allégué en ce qu’il s’agit de valeurs générales sans rapport avec les caractéristiques propres de chaque bien en cause.

M. Y ne caractérise pas plus l’existence d’éléments particuliers, hormis le prix dont il vient d’être dit qu’il n’apparaît ni vil ni dérisoire ni insignifiant, qui aurait permis au notaire de suspecter au jour de la signature des ventes l’inefficacité de l’acte, de douter de l’efficacité de l’opération envisagée, de penser que l’opération de valorisation souhaitée par M. Y n’était pas efficace de sorte qu’il lui fallait accomplir des investigations complémentaires, en particulier sur le prix de vente proposé par le mandataire.

Comme le rappelle très justement Me A, le notaire n’a pas à apprécier l’opportunité économique d’une opération immobilière, ni même du prix de vente fixé entre les parties, hors sa présence. A cet égard, force est de constater que M. Y ne prétend ni ne justifie que le notaire

soit intervenu dans le processus d’établissement du prix proposé par le mandataire. De même, c’est exactement que Me A soutient qu’il n’a pas pour mission de s’assurer de l’équilibre économique d’une opération d’investissement immobilier lorsqu’il intervient en tant qu’authentificateur d’une convention prise par les parties à l’issue de pourparlers auxquels il n’a pas été associé. En l’espèce, M. Y ne justifie pas que Me A soit intervenu dans les pourparlers entre M. Z, mandataire, et M. Y, mandant.

En outre, contrairement à ce que soutient M. Y, le mandat n’encourt pas les griefs du moyen dès lors qu’il prévoit expressément son objet. Ainsi, il y est indiqué, en particulier, qu’il est destiné à conclure un avant-contrat de vente d’un immeuble exactement désigné lequel sera divisé en lots de copropriété après établissement d’un état descriptif de division (EDD) et le règlement de copropriété établi par Me A ; que le mandataire a tous pouvoirs pour établir la consistance des lots et signer l’EDD et le règlement de copropriété ; qu’il sera également chargé de vendre, par suite de la réalisation des conditions suspensives comprises dans l’avant contrat. S’agissant du grief portant sur l’absence de prix, il est effectivement prévu que la vente est 'conclue moyennant le prix que le mandataire fixera librement'. Une telle clause, dans les circonstances de l’espèce apparaît habituelle et justifiée dès lors que, au moment de la signature de cette procuration, soit le 11 juillet 2016, l’immeuble n’était pas encore découpé en lots de copropriété, ce qui n’est intervenu qu’en avril 2017, de sorte que l’évaluation du prix de chaque lot ne pouvait encore être déterminée.

De plus, il ressort des pièces versées aux débats que le notaire a authentifié la signature du mandant et a donc pu s’assurer de son accord sur les termes de la procuration.

Il a encore adressé, le 19 avril 2017, le projet de règlement de copropriété et informé, le même jour, M. Y que les ventes des lots 1, 2, 10 à la SCI Dunant G le 21 avril 2017, en son étude, au prix de 120 000 euros ; que celles des lots 7, 16 et 17 à M. B G le 28 avril à 11 heures, en son étude, au prix de 150 000 euros ; que la date de la signature de celles des lots 3 à 6 et 11 à 13 à la société Zerimmo, au prix de 300 000 euros n’était pas encore programmée.

Le notaire a de plus précisé que le produit de ces ventes sera versé à la Société Générale en remboursement du prêt de 459 000 euros et que, après chaque vente, il lui communiquera le décompte de celle-ci et qu’il était dans l’attente de ses éventuelles observations.

A cet envoi, M. Y a répondu le 19 avril 2017 à 20 heures 14 qu’il souhaitait recevoir une autre procuration pour que sa compagne soit son mandataire pour ces ventes à sa place sans faire d’observations particulières sur les prix de ces lots identifiés grâce au règlement de copropriété qu’il détenait.

Le 20 avril 2017 à 00 heure 15, M. Y indiquait à Me A qu’il laissait la procuration à 'Eric’ (M. Z), qu’il souhaitait que sa compagne soit présente et donne son accord avant toute signature et priait le notaire de ne pas informer 'Eric’ de ses hésitations.

Il apparaît ainsi que M. Y disposait de suffisamment de temps et de latitude pour mettre fin à la procuration et désigner un autre mandataire ce qu’il n’a pas fait.

Le fait que la compagne de M. Y ait ou non été présente au moment de la signature des ventes est sans conséquence dès lors que le mandataire demeurait M. Z à qui le mandat confiait toute compétence pour signer et représenter M. Y.

Il découle de ce qui précède que c’est à tort que les premiers juges ont retenu l’existence d’une faute du notaire pour ne pas avoir attiré l’attention de M. Y sur les prix de vente litigieux.

Sur les autres manquements reprochés au notaire

* La portée du mandat de procuration

Contrairement aux griefs du moyen et pour les raisons susmentionnées, le mandat de vente litigieux est bien exprès et respecte les dispositions de l’article 1988 du code civil.

* La caducité des promesses de vente

Le moyen développé par M. Y tiré de la caducité de la promesse de vente B est inopérant dès lors que la vente a été régularisée et que ni l’acquéreur ni le vendeur ne l’ont dénoncée. Au surplus, l’intimé ne caractérise pas l’existence d’un préjudice découlant pour lui de l’absence d’information donnée par le notaire aux effets d’une promesse caduque ni n’en demande réparation.

De même, à supposer que le notaire ait commis une faute en n’informant pas M. Y de la signature imminente de l’acte authentique 'vente Grappazi', en l’absence de démonstration de l’existence d’un préjudice en lien avec la faute alléguée, le moyen soulevé par M. Y apparaît également inopérant.

* L’existence d’un conflit d’intérêt patent

—  Moyens des parties

M. Y fait valoir que M. B est un client habituel de Me A ; que le notaire est en communication directe et permanente avec M. Z ; que le message WhatsApp constaté par l’huissier de justice (pièce 15) démontre la collusion entre M. Z et Me A ; que les diagnostics eux-mêmes ont été réalisés par des entreprises associées à M. Z ; que M. Z est lui-même un client régulier de Me A ; que, en contravention avec les règles proscrivant les conflits d’intérêts, Me A a fait intervenir la société de diagnostics gérée par M. Z et a procédé, sans son accord, au règlement des diagnostics techniques réalisés ; qu’il n’a pas récupéré auprès des acquéreurs le prorata des taxes foncières.

M. Y en déduit qu’en agissant de la sorte Me A a participé à la réalisation du préjudice subi par lui.

Me A conteste la réalité des griefs ainsi avancés par M. Y.

' Appréciation de la cour

Le message WhatsApp n’est pas de nature à démontrer l’existence d’un conflit d’intérêt patent ni même d’une collusion frauduleuse entre M. Z et Me A pour lui nuire. Les propos qui y sont rapportés sont décousus et n’établissent pas la réalité d’une collusion entre le notaire, le mandataire et les sociétés de diagnostics qui sont des personnes morales distinctes de leur gérant, personne physique, et contre lesquelles il n’est reproché ni de ne pas avoir réalisé la prestation escomptée ni de l’avoir exécutée de manière défaillante.

De même, contrairement à ce que soutient M. Y, il ressort des pièces 21 et 22 produites par Me A que les taxes foncières ont bien été récupérées au prorata temporis et remboursées à M. Y.

En définitive, les griefs soulevés par M. Y ne sont pas fondés.

Au surplus, s’agissant des griefs tirés du paiement des factures relatives aux contrôles techniques et aux taxes foncières, à supposer que ces manquements soient établis, dans la mesure où M. Y ne sollicite pas le remboursement de ces sommes, les moyens développés par l’intimé apparaissent inopérants.

* La nécessaire et impérieuse rédaction du règlement de copropriété préalablement à la vente

Les griefs de M. Y tirés de l’absence de rédaction d’un règlement de copropriété antérieurement aux ventes et la jurisprudence citée à l’appui du moyen ( 3e Civ., 11 février 2009, pourvoi n° 07-20.237, Bull. 2009, III, n° 37

) sont inopérants dès lors qu’il ne sollicite pas la nullité de la

transaction et qu’il ne prouve pas que les ventes réalisées seraient inefficaces.

Au surplus, c’est exactement que le notaire fait valoir que la copropriété suppose l’existence d’au moins deux propriétaires qui se partageront l’immeuble divisé en lots ce qui suppose la préexistence d’une première vente.

En tout état de cause, M. Y n’explicite, ne caractérise ni ne justifie l’existence du préjudice qu’il subirait en lien avec la faute alléguée.

En définitive, il découle de l’ensemble des développements qui précède que l’existence d’une faute imputable à Me A, d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice allégué consistant dans la perte de chance de vendre les lots à des prix supérieurs n’est pas démontrée.

Le jugement en ce qu’il dit que Me A a commis une faute de nature à engager sa responsabilité et le condamne à verser à M. Y la somme de 432 000 euros de dommages et intérêts sera infirmé.

Par voie de conséquence, les demandes de M. Y seront rejetées.

Sur les demandes accessoires

Le sens du présent arrêt conduit à infirmer le jugement en ses dispositions relatives à l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

M. Y, partie perdante, supportera les dépens de première instance et d’appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile. Ses demandes fondées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile seront nécessairement rejetées.

Il apparaît équitable d’allouer la somme de 3 000 euros à Me A sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,

INFIRME le jugement ;

Statuant à nouveau,

REJETTE les demandes de M. Y ;

CONDAMNE M. Y aux dépens de première instance et d’appel ;

DIT qu’ils seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. Y à payer à Me A la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE toutes autres demandes.

— prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

— signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,

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Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 12 octobre 2021, n° 20/03176