Cour d'appel de Versailles, 17e chambre, 15 juin 2022, n° 19/03948

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 17e ch., 15 juin 2022, n° 19/03948
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 19/03948
Importance : Inédit
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Versailles, 13 octobre 2019, N° F16/00746
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Date de dernière mise à jour : 15 octobre 2022
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Texte intégral

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

17e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 15 JUIN 2022

N° RG 19/03948

N° Portalis DBV3-V-B7D-TRBX

AFFAIRE :

[L] [B]

C/

SAS LEONI WIRING SYSTEMS FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 14 octobre 2019 par le Conseil de Prud’hommes de VERSAILLES

Section : E

N° RG : F 16/00746

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Martine DUPUIS

Me Véronique BUQUET-ROUSSEL

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUINZE JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [L] [B]

né le 15 mars 1961

de nationalité française

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 et Me Patricia GOMEZ-TALIMI de la SCP PDGB, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : U0001

APPELANT

****************

SAS LEONI WIRING SYSTEMS FRANCE

N° SIRET : 592 056 303

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Irène NGANDO de la SELARL ALTERLEX, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D703 et Me Véronique BUQUET-ROUSSEL de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 462

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 8 avril 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent BABY, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Clotilde MAUGENDRE, Présidente,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

Par jugement du 14 octobre 2019, le conseil de prud’hommes de Versailles (section encadrement) a :

— fixé la rémunération mensuelle moyenne de M. [B] à 19 504,33 euros,

— débouté M. [B] de l’ensemble de ses demandes à titre principal et subsidiaire,

— débouté la société Leoni Wiring Systems France de sa demande de condamner M. [B] à la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— laissé les dépens à la charge respective des parties.

Par déclaration adressée au greffe le 29 octobre 2019, M. [B] a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 1er février 2022.

Par dernières conclusions remises au greffe le 26 janvier 2022, M. [B] demande à la cour de :

— infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Versailles du 14 octobre 2019 en ce qu’il a :

. fixé sa rémunération mensuelle à la somme de 19 504,33 euros,

. l’a débouté de toutes ses demandes à titre principal et subsidiaire,

. l’a condamné aux dépens,

et statuant à nouveau,

à titre principal,

— dire que le licenciement est nul,

en conséquence,

— condamner la société Leoni à lui verser la somme de 900 000,00 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul,

— condamner la société Leoni à lui verser la somme de 527 018,59 euros à titre de rappel de salaire depuis la rupture de son contrat de travail, outre 52 701,86 euros au titre des congés payés y afférents,

à titre subsidiaire,

— dire que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

en conséquence,

— condamner la société Leoni à lui verser la somme de 900 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

en tout état de cause,

— condamner la société Leoni à lui verser la somme de 436 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,

— condamner la société Leoni à lui verser la somme de 217 835,67 euros à titre de rappel de salaires pour heures supplémentaires impayées de juin 2013 à mai 2016, outre 21 783,57 euros au titre des congés payés y afférents,

— condamner la société Leoni à lui verser la somme de 90 935,52 euros à titre d’indemnité compensatrice en repos obligatoire, outre 9 093,55 euros au titre des congés payés y afférents,

— condamner la société Leoni à lui verser la somme de 218 076,66 euros à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

— condamner la société Leoni à lui verser la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

— ordonner les intérêts de droit à compter de l’introduction de la demande et l’anatocisme.

Par dernières conclusions remises au greffe le 10 janvier 2022, la société Leoni Wiring Systems France demande à la cour de :

— confirmer le jugement rendu le 14 octobre 2019 par le conseil de prud’hommes de Versailles en ce qu’il a débouté M. [B] de l’ensemble de ses demandes,

à titre principal,

— la recevoir dans ses écritures,

— débouter M. [B] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

à titre subsidiaire,

dans l’hypothèse où la cour estimerait devoir faire droit aux demandes de M. [B],

— fixer le salaire mensuel moyen brut de M. [B] à 19 504,33 euros,

— limiter le montant de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 117 025,98 euros,

— débouter M. [B] de ses autres demandes,

en tout état de cause,

— condamner M. [B] à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner M. [B] aux entiers dépens qui seront recouvrés par Me Buquet-Roussel, Avocat, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

LA COUR,

La société Leoni Wiring Systems France a pour activité principale la fabrication d’équipements électriques et électroniques automobiles.

M. [B] a été engagé par la société Leoni Wiring Systems France en qualité de Co-directeur général (vice-président) de la Business unit PSA, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 1er mai 2008. Ce contrat de travail prévoyait la reprise de l’ancienneté de M. [B] à compter de sa date d’entrée dans le groupe, soit le 28 août 1984.

Par avenant en date du 1er juillet 2011, M. [B] a été promu au titre de senior vice-président de la Business Unit Renault-Nissan.

Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective e des ingénieurs et cadres de la métallurgie.

L’effectif de la société était de plus de 10 salariés.

Fin 2015, le groupe Leoni a envisagé un plan de réorganisation des activités et à compter de mars 2016, le cabinet de conseil en stratégie Bain & Co a été chargé de conduire cette réorganisation.

Par lettre du 29 avril 2016, M. [B] a été convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 9 mai 2016.

M. [B] a été licencié par lettre du 12 mai 2016 dans les termes suivants :

« Monsieur,

Nous faisons suite à notre entretien préalable qui s’est tenu le 9 mai dernier, au cours duquel nous vous avons exposé les motifs pour lesquels nous devions envisager votre licenciement et avons recueilli vos explications sur ce projet.

Cet entretien n’a malheureusement pas permis de modifier notre appréciation des faits, et nous sommes donc contraints de vous notifier par la présente votre licenciement pour les faits suivants :

Opposition systématique et désaccords récurrents avec les stratégies et demandes de votre hiérarchie.

Vous êtes employé par notre entreprise comme Senior Vice-Président de la Business Unit Renault-Nissan.

Au vu de l’importance des fonctions qui vous ont été confiées, nous devons pouvoir compter sur votre collaboration pleine et entière. Ceci est d’autant plus vrai dans le contexte actuel de transformation du Groupe lequel demande un engagement sans faille des membres de la direction au sein de notre entreprise.

Or depuis plusieurs mois, nous devons constater que vous vous opposez de façon récurrente aux objectifs et à la stratégie définie par votre hiérarchie.

Chaque demande, même la plus simple, fait ainsi l’objet de votre part d’interrogations difficilement compréhensibles, chaque décision de discussions et d’objections abruptes.

Vous reconnaissez ces faits, tout en prétendant ne pas vouloir bloquer les évolutions nécessaires, mais simplement souhaiter informer votre hiérarchie sur l’état d’esprit des salariés et « vous assurer que nous aurons une bonne réponse pour les motiver ».

Mais au contraire votre attitude de scepticisme et d’opposition systématique aux projets occasionne des pertes de temps récurrentes pour votre hiérarchie ; elle suscite surtout les plus grandes inquiétudes concernant votre soutien à la stratégie de notre entreprise.

Cette divergence de point de vue et cet antagonisme récurrents impliquent l’impossibilité d’une collaboration normale, pourtant particulièrement indispensable à la bonne marche de l’entreprise vu vos responsabilités.

Vous avez déjà été alerté sur le caractère gênant de votre attitude régulièrement affichée ; en vain, et vous n’avez pas jugé bon de modifier votre comportement.

Dans ces conditions nous sommes contraints de vous notifier par la présente votre licenciement.

Votre préavis, d’une durée de 6 mois, débutera à compter de la première présentation de la présente ; nous vous dispensons d’effectuer ce préavis.

A la fin de votre contrat nous tiendrons à votre disposition votre solde de tout compte, votre certificat de travail, votre attestation Pôle Emploi.

Nous vous informons que vous avez la faculté de conserver, pendant douze mois, le bénéfice des garanties de prévoyance et de frais de santé applicables dans l’entreprise, sous réserve que vous soyez pris en charge au titre de l’assurance chômage. Vous disposez d’un délai de dix jours à compter de la fin de votre contrat de travail pour renoncer par écrit au maintien de ces garanties.

Vous trouverez ci-joint un bordereau de réponse pour nous informer de votre décision. Vous trouverez également ci-joint la notice d’information précisant les modalités de mise en 'uvre de cet avantage.

Pour le cas où votre contrat contiendrait une clause de non-concurrence, nous vous informons que nous vous en dispensons.

Veuillez agréer, Monsieur, nos salutations distinguées ».

M. [B] a bénéficié d’un préavis de 6 mois qu’il a été dispensé d’effectuer.

Le 27 mai 2016, M. [B] a saisi le conseil de prud’hommes de Versailles afin de contester son licenciement et obtenir le paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.

SUR CE,

Sur les demandes en lien avec le temps de travail du salarié :

La société tient le salarié pour un cadre dirigeant, ce que ce dernier conteste, soutenant en substance que les conditions réelles de son emploi n’étaient pas celles d’un cadre dirigeant puisqu’il ne disposait pas d’une totale latitude dans l’organisation de son temps de travail, n’était pas habilité à prendre de décisions de façon autonome, puisque la société n’établit pas qu’il jouissait une rémunération parmi les plus hautes pratiquées au sein de l’entreprise et puisqu’il ne participait pas à la direction de l’entreprise.

L’article L. 3111-2 du code du travail dispose : « Les cadres dirigeants ne sont pas soumis aux dispositions des titres II et III.

Sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement. »

Pour déterminer si un salarié a la qualité de cadre dirigeant, il appartient au juge d’examiner la fonction qu’il occupe réellement au regard de chacun des critères cumulatifs énoncés par l’article L. 3111-2.

En l’espèce, le contrat de travail du salarié prévoyait en son article 5 que « l’autonomie dont bénéficie le salarié dans la prise de décision fait que celle-ci relève de la catégorie des cadres dirigeants (') ». C’est cependant à l’aune des fonctions réellement exercées par le salarié qu’il convient d’apprécier cette qualité.

A cet égard, il importe de relever qu’en vertu d’une note de nomination du 1er mai 2008, le salarié était nommé co-directeur de la business unit PSA ; il est ajouté que « M. [B] relève directement du directeur de Leoni Wiring Systems France » (pièce 7.3 E). Il en découle que le salarié n’avait, lorsqu’il a été engagé, pas d’autre supérieur hiérarchique que le directeur de la société lui-même.

Il n’est pas établi que le salarié était astreint à un quelconque aucun horaire de travail.

Le salarié a été engagé à la position III C de la classification de la convention collective. Il importe de relever qu’il découle de l’article 21 de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972, applicable à la relation contractuelle, que la position III C est la plus haute classification prévue. Ce texte précise : « Position repère III C : L’existence d’un tel poste ne se justifie que par la valeur technique exigée par la nature de l’entreprise, par l’importance de l’établissement ou par la nécessité d’une coordination entre plusieurs services ou activités. La place hiérarchique d’un ingénieur ou cadre de cette position lui donne le commandement sur un ou plusieurs ingénieurs ou cadres des positions précédentes. L’occupation de ce poste exige la plus large autonomie de jugement et d’initiative. Une telle classification résulte aussi de l’importance particulière des responsabilités scientifique, technique, commerciale, administrative ou de gestion confiées à l’intéressé en raison du niveau de son expérience et de ses connaissances sans que sa position dans la hiérarchie réponde à la définition ci-dessus ni même à celles prévues aux repères III A et III B. ».

Au dernier état de la relation contractuelle, le salarié était directeur de la business unit Renault-Nissan et, ainsi que le montre son profil linkedin (pièce 26 E), il encadrait directement 80 salariés. A l’époque du licenciement, le salarié dépendait hiérarchiquement de M. [W] lequel d’une part était directeur du business group européen et d’autre part reportait au président du groupe au niveau mondial (pièce 12 S). Comme le fait justement observer la société, le salarié faisait donc partie du premier cercle de direction du groupe Leoni. Il était aussi membre du « Comité France » (pièce 22 E). La fiche de fonction du salarié (pièce 27 E) montre qu’il jouissait du degré de responsabilité maximum (4 sur 4) pour chacune des missions qui lui étaient confiées, à savoir :

. définir la stratégie de la business unit,

. préparer et réaliser le budget,

. assurer le leadership de la société en déployant le système de production Leoni,

. respecter et faire respecter les règles dans tous domaines,

. assurer la contribution de la business unit au regard des objectifs du management de la société,

. piloter les processus : plan stratégique, amélioration continue et gestion des risques.

Cette même fiche de fonction (toujours pièce 27 E ' page 1) montre que le salarié avait une délégation de signature ainsi rédigée « has the authority to engage and sign, after control of financial department all the BU Renault-Nissan expenses ».

En ce qui concerne sa rémunération, les parties sont en désaccord sur son évaluation : selon le salarié, il percevait une rémunération brute mensuelle de 36 346,11 euros sur la base d’une rémunération qui intègre les heures supplémentaires qu’il a effectuées ; selon la société, il percevait une rémunération mensuelle de 19 504,33 euros selon une moyenne déterminée par les 12 derniers mois de salaire précédant son licenciement. Ce désaccord intéresse la référence salariale à prendre en considération pour la détermination des indemnités diverses qui sont demandées.

La cour constate en tout état de cause qu’exception faite des heures supplémentaires qui sont réclamées par ailleurs, le salarié a perçu entre mai 2015 et avril 2016 soit sur une année avant le licenciement une somme totale de 173 595,34 euros sur la base de sa classification III C outre une prime de 64 372 euros (cf. attestation Pôle emploi en pièce 19 E) ce qui lui offrait une rémunération annuelle de 237 967,34 euros.

Certes, le salarié expose que l’employeur n’établit pas qu’il s’agissait d’une des rémunérations les plus élevées de la société. Toutefois, il ne conteste pas que la société comptait 480 salariés et que seuls 13 cadres jouissaient de la position III C dont il faut rappeler que c’est la position la plus haute définie par la convention collective. Dès lors, il est manifeste que le salarié percevait une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans son entreprise.

En synthèse de ce qui précède, le salarié s’est dans les faits vu confier des responsabilités dont l’importance impliquait une grande indépendance dans l’organisation de son emploi du temps. Il était habilité à prendre des décisions de façon largement autonome et percevait une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans l’entreprise. Il participait à la direction de l’entreprise.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a retenu que le salarié était cadre dirigeant et en ce qu’il l’a débouté de ses demandes au titre des heures supplémentaires, des congés payés afférents, de l’indemnité compensatrice en repos obligatoire et des congés payés afférents et enfin de sa demande au titre du travail dissimulé.

Sur la rupture :

Le salarié soutient que son licenciement est nul comme caractérisant une sanction à sa liberté d’expression dont il n’a pas abusé ; subsidiairement, il le considère comme dépourvu de cause réelle et sérieuse motifs pris d’une part de ce que le motif est vague et inconsistant et d’autre part que le grief n’est pas établi.

En application de l’article L. 1232-6 du code du travail, dans sa version en vigueur lors des faits, la lettre de licenciement fixe les limites du litige « en ce qui concerne les motifs de licenciement » et lie les parties et le juge, qui ne peut rechercher d’autres faits pour justifier le licenciement.

L’article L. 1232-1 du code du travail dispose que tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

Les faits invoqués comme constitutifs d’une cause réelle et sérieuse de licenciement doivent non seulement être objectivement établis mais encore imputables au salarié, à titre personnel et à raison des fonctions qui lui sont confiées par son contrat individuel de travail.

Il résulte de l’article L. 1235-1 du code du travail que la charge de la preuve de la cause réelle et sérieuse du licenciement n’incombe pas spécialement à aucune des parties mais que le doute doit profiter au salarié.

Pour satisfaire à l’exigence de motivation imposée par l’article L. 1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement doit comporter l’énoncé de faits précis et contrôlables, à défaut de quoi le licenciement doit être jugé sans cause réelle et sérieuse.

En l’espèce, le salarié a été licencié pour un motif disciplinaire tenant à son opposition systématique et abrupte et à ses désaccords récurrents avec les stratégies et demandes de sa hiérarchie. Le motif ainsi allégué n’est en rien vague et inconsistant ; il est au contraire précis et vérifiable.

Sauf abus caractérisé par la tenue de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, le salarié jouit de la liberté d’expression dans l’entreprise.

En pièce 17, la société produit un courriel du salarié qui, selon elle, est « particulièrement véhément ». Ce courriel, daté du 25 avril 2016, pour être abrupt et direct, n’est pas particulièrement véhément. Tout au plus fait-il état d’incompréhensions, le salarié s’étonnant de ce que n’ait pas été pris en compte le fait qu’avant le projet de réorganisation il avait déjà réduit ses effectifs de 3 personnes. Il fait aussi état de craintes pour l’avenir clairement exprimées : d’abord sur la forte réduction « de 27 » ce qui « va tuer le service au client » et ensuite sur le fait que « si nous cassons l’organisation, nous repartirons en arrière très vite » pour des raisons que le salarié explique par des questions de culture d’entreprise et par une trop grande rapidité du changement.

La société ne produit pas d’autre pièce et commente, pour l’essentiel, les allégations que le salarié présente dans ses conclusions ainsi que les pièces que ce dernier produit (pièces 26, 27, 28 et 33 qui sont des courriels des 12, 18, 20 avril et 3 mai 2016). De ces pièces il résulte que le salarié communiquait avec le cabinet de conseil en stratégie Bain & Co chargé de conduire la réorganisation de la société décidée par le groupe. A part le fait que le salarié répondait audit cabinet, la cour n’y décèle pas le caractère récurrent de l’opposition qui lui est reprochée, la manifestation d’interrogations « difficilement compréhensibles », ou encore l’attitude de « scepticisme et d’opposition systématique » dénoncés par l’employeur dans la lettre de licenciement.

Le fait que le salarié donne son avis sur les modifications envisagées est d’ailleurs consubstantiel à sa qualité de cadre dirigeant de sorte que le courriel que le salarié a rédigé le 25 avril 2016 n’est pas constitutif d’une faute.

Incidemment, il doit être observé qu’il est reproché au salarié une opposition « depuis plusieurs mois » et que la société a engagé la procédure de licenciement le 29 avril 2016 alors que le 4 janvier 2016, le salarié était félicité par M. [O], son président et N+2 (pièce 4 S), que le 13 mars 2016, il était bien noté (pièce 24 S), que le 9 mai, le salarié était félicité par M. [W], son N+1. Certes, ces félicitations tiennent de toute évidence à ce que la BU Renault-Nissan était classée en première place des BU pour l’année 2015 (cf. certificat du 31 mai 2016 en pièce 6 S) et c’est l’attitude d’opposition du salarié qui lui est reprochée, ce qui est indépendant de ses résultats. Mais comme il a été vu, l’attitude d’opposition systématique reprochée au salarié n’est pas caractérisée et les observations qu’il a faites le 25 avril 2016 ne caractérisent pas une faute.

Il se déduit de ce qui précède qu’en réalité, le salarié a été sanctionné pour avoir manifesté son avis sur la réorganisation envisagée par le groupe. Dès lors que les avis exprimés par le salarié n’étaient pas abusifs, au sens où ils n’étaient ni injurieux, ni diffamatoires, ni excessifs, il n’a fait qu’user de la liberté d’expression dans l’entreprise qui lui est reconnue comme un droit fondamental. Ayant été sanctionné pour avoir fait un usage licite de ce droit, son licenciement est nul.

Dès lors, infirmant le jugement, il conviendra de dire le licenciement nul.

Le salarié victime d’un licenciement nul qui ne demande pas sa réintégration a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à six mois de salaire.

Le salarié ne demande pas sa réintégration au cas d’espèce. Il peut donc prétendre à une indemnité d’un montant supérieur ou égal à six mois de salaire.

Compte tenu de l’ancienneté du salarié (32 ans), de son niveau de rémunération (19 830 euros mensuels), de son âge (55 ans lors du licenciement) de ce qu’il a retrouvé un emploi chez Valeo dès le 19 septembre 2016 lui offrant cependant une rémunération inférieure (12 529 euros par mois comme le montre sa pièce 49 ' bulletin de paie du mois de décembre 2017 affichant un net fiscal cumulé de 150 348,33 euros), il convient d’évaluer le préjudice qui résulte, pour lui, de la perte de son emploi à la somme de 300 000 euros, somme au paiement de laquelle, l’employeur sera condamné.

Le salarié demande en outre la condamnation de l’employeur à lui verser la somme de 527 018,59 euros à titre de rappel de salaire depuis la rupture de son contrat de travail, outre 52 701,86 euros au titre des congés payés y afférents. Cette demande ne se conçoit que si le salarié demande sa réintégration. Or il ne la demande pas. De là il suit que le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de ce chef de demande.

Sur la demande de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire :

Le salarié tire argument de son ancienneté et du fait qu’il a été dispensé d’exécuter son préavis pour en déduire que son licenciement était vexatoire, étant précisé que le 12 mai 2016, le responsable des ressources humaines, prévenu de son arrivée dans les locaux de la société, s’est présenté dans son bureau vers 8h30 pour lui remettre sa lettre de dispense d’activité et lui demander de quitter immédiatement le bâtiment.

En réplique, la société expose qu’elle a remis au salarié en mains propres la lettre de licenciement qui le dispensait de préavis ; qu’elle était fondée à dispenser le salarié de préavis dès le 12 mai, ce qui n’est pas vexatoire.

La dispense de préavis est permise par la loi. En ayant usé d’une faculté que la loi lui offrait, la société n’a pas commis de faute caractéristique d’un licenciement vexatoire. Par ailleurs, l’ancienneté du salarié a déjà été prise en compte lorsque a été évaluée son indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse. Par conséquent, le critère de l’ancienneté ne se présente pas comme un critère distinct susceptible d’entraîner de façon autonome une réparation.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de ce chef de demande.

Sur les intérêts :

La condamnation au paiement d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse a une vocation indemnitaire et sera assortie des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

L’article 1343-2 du code civil (dans sa nouvelle rédaction) dispose que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l’a prévu ou si une décision de justice le précise. La demande ayant été formée par le salarié et la loi n’imposant aucune condition pour l’accueillir, il y a lieu, en application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil, d’ordonner la capitalisation des intérêts.

Celle-ci portera sur des intérêts dus au moins pour une année entière.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Succombant, la société sera condamnée aux dépens.

Il conviendra de condamner la société à payer au salarié une indemnité de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais de première instance et en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :

INFIRME partiellement le jugement,

Statuant à nouveau,

DIT que le licenciement de M. [B] est nul,

CONDAMNE la société Leoni Wiring Systems France à payer à M. [B] la somme de

300 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

ORDONNE la capitalisation des intérêts dus pour une année entière,

CONFIRME le jugement pour le surplus,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,

CONDAMNE la société Leoni Wiring Systems France à payer à M. [B] la somme de

2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais de première instance et en cause d’appel,

CONDAMNE la société Leoni Wiring Systems France aux dépens.

. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Clotilde MAUGENDRE, Présidente et par Madame Dorothée MARCINEK, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente

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