Cour administrative d'appel de Marseille, 4 juillet 2014, n° 11MA01756

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Marseille, 4 juill. 2014, n° 11MA01756
Juridiction : Cour administrative d'appel de Marseille
Numéro : 11MA01756
Décision précédente : Tribunal administratif de Nice, 13 avril 2011, N° 0704351, 0902928

Sur les parties

Texte intégral

COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL

DE MARSEILLE

N° 11MA01756


SA EMERA EXPLOITATIONS

___________

Mme Chenal-Peter

Rapporteur

___________

M. Guidal

Rapporteur public

___________

Audience du 17 juin 2014

Lecture du 4 juillet 2014

___________

19-05-01

C

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

La cour administrative d’appel de Marseille

(4e Chambre)

Vu la requête, enregistrée le 5 mai 2011, présentée pour la SA Emera Exploitations, dont le siège est situé XXX à XXX, représentée par son gérant en exercice, par Me Mossé ;

La SA Emera Exploitations demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n°0704351, 0902928 du 14 avril 2011 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations de taxe sur les salaires qu’elle a payées au titre de la période du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2007 ;

2°) de prononcer la décharge de ces impositions, dont le montant s’élève à 179 871 euros ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement d’une somme de 8 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

4°) à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle portant sur la conformité du dispositif instaurant une taxe sur les salaires, tel qu’il est prévu par les dispositions des articles 231 et suivants du code général des impôts, avec le droit de l’Union européenne ;

Elle soutient :

— qu’elle n’a jamais entendu soutenir, contrairement à ce qu’ont estimé les premiers juges, que la taxe sur les salaires présentait les caractéristiques essentielles de la taxe sur la valeur ajoutée ; que la Cour de justice de l’Union européenne a déjà censuré le maintien ou l’institution d’impôts qui ne sont pas indépendants de la taxe sur la valeur ajoutée, telle par exemple que la taxe à l’immatriculation en Belgique ; qu’il en est ainsi de la taxe sur les salaires instituée par l’article 231-1 du code général des impôts ; que d’une part, cette taxe n’a aucune autonomie par rapport à la taxe sur la valeur ajoutée dans son champ d’application, dès lors que le montant de taxe sur les salaires qui est dû par un employeur est proportionnel au montant de ses recettes n’ayant pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ; qu’ainsi, toute modification du régime de la taxe sur la valeur ajoutée au niveau de l’Union européenne entraînerait une modification du régime de la taxe sur les salaires ; que d’autre part, les modalités de détermination de l’assiette de la taxe sur les salaires sont également régies directement par les dispositions applicables en matière de taxe sur la valeur ajoutée ; qu’ainsi la taxe sur les salaires est fonction du montant des recettes ouvrant droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ;

— que la taxe sur les salaires est incompatible avec les principes de liberté d’établissement et de libre prestation des services posés par les articles 49 et 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ; qu’en effet, la taxe sur les salaires est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités des prestataires ; que cette taxe est due par toute employeur, domicilié ou établi en France, à raison des rémunérations qu’il verse à son personnel salarié, quel que soit le lieu où il exerce son activité ; que la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que les mesures fiscales nationales qui entravent l’exercice de la liberté d’établissement et de prestation de services doivent être proportionnées et justifiées par des considérations d’intérêt général ou liées à l’ordre public ; que d’une part, le respect de libre établissement implique que les sociétés qui souhaitent s’établir sur le territoire d’un Etat membre doivent pouvoir choisir la forme sous laquelle elles s’y implantent, conformément à l’article 49 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ; que les sociétés qui ont leur siège en France sont quant à elles contraintes, lorsqu’elles s’établissent dans un autre Etat membre, de privilégier la mutation de leurs salariés, par l’intermédiaire de la création d’une succursale, au détriment de leur simple détachement, car dans ce second cas elle resterait soumise à la taxe sur les salaires ; que ceci constitue bien une atteinte au principe de liberté d’établissement ; que d’autre part, les sociétés françaises sont contraintes de s’établir dans les autres Etats membres, si elles entendent échapper à la taxe sur les salaires, ce qui constitue une restriction à la libre prestation des services prévue par l’article 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

— qu’enfin, la taxe sur les salaires est incompatible avec les stipulations de l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et celles de l’article 1er du premier protocole additionnel de cette convention ; que le tribunal administratif de Nice a commis une erreur en considérant qu’elle soulevait un moyen tiré de l’existence d’une discrimination entre un contribuable et la puissance publique alors qu’en réalité, elle avait invoqué le moyen tiré d’une discrimination injustifiée entre des employeurs placés dans une situation comparable, du fait de l’instauration de la taxe sur les salaires ; qu’en premier lieu, l’article 231 du code général des impôts introduit une différence de traitement entre les employeurs placés dans une situation analogue, au regard du secteur professionnel concerné, de l’activité exercée et de la masse salariale, qui n’est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels ; qu’en effet, ces employeurs placés dans des situations identiques n’acquitteront pas la même taxe sur les salaires, en fonction uniquement du montant de leur chiffre d’affaires qui est soumis à taxe sur la valeur ajoutée, ce qui ne saurait constituer un critère objectif et rationnel ; que le barème progressif de la taxe sur les salaires n’a pas pour but de prendre en compte une différence de situation entre les contribuables ; qu’en second lieu, l’exonération prévue par l’article 1er de la loi du 29 novembre 1968 pour les employeurs soumis à la taxe sur la valeur ajoutée sur 90 % au moins de leur chiffre d’affaires, qui avait pour objectif de rétablir la balance des paiements, n’est pas en lien direct avec l’objet de la loi qui l’institue ;

— qu’à titre subsidiaire, si la Cour ne s’estime pas suffisamment éclairée, il lui appartient de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne, sur le fondement de l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 27 octobre 2011, présenté par le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’Etat, qui conclut au rejet de la requête ;

Il soutient :

— qu’à la suite de l’institution d’un versement forfaitaire par un décret du 9 décembre 1948, la taxe sur les salaires a été créée par une loi du 6 janvier 1966 ; que son champ d’application a notamment été réduit par la loi n° 68-1043 du 29 novembre 1968 pour les employeurs soumis à taxe sur la valeur ajoutée ainsi que pour les collectivités locales et leurs groupements ; que les pensions en ont été exonérées à compter de 1971 ; que la taxe sur les salaires est due par les employeurs entrant dans la champ d’application territorial de la taxe, dans les conditions prévues au 1 de l’article 231 du code général des impôts, lorsqu’ils ne sont pas assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée ou sur moins de 90% de leur chiffre d’affaires dans l’année précédent celle du paiement des rémunérations ; que la loi du 29 novembre 1968 visait à limiter les pressions inflationnistes, à soutenir les exportations et à rétablir les comptes intérieurs par le maintien de la taxe sur les salaires pour les entreprises non assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée ;

— que pour juger que la taxe à l’immatriculation instaurée en Belgique ne constituait pas une taxe indépendante par rapport à la taxe sur la valeur ajoutée, la Cour de justice des communautés européennes a pris en compte l’ensemble des modalités d’imposition et d’imbrication des deux taxes, celles-ci portant sur les mêmes biens, ayant le même taux, étant acquittées par les mêmes débiteurs et ayant des faits générateurs étroitement liés ; qu’en revanche, s’il existe un mécanisme de complémentarité entre la taxe sur les salaires et la taxe sur la valeur ajoutée, la taxe sur les salaires ne saurait toutefois être considérée comme présentant un rapport indissociable et complémentaire avec la taxe sur la valeur ajoutée, eu égard aux différences de taux, d’assiette, de redevables et de débiteurs finaux ;

— qu’il a déjà été jugé par le Conseil d’Etat que la taxe sur les salaires ne saurait être regardée comme portant atteinte au principe communautaire de liberté d’établissement, qui implique notamment le libre choix entre la formule de la filiale et celle de la succursale ; qu’est contraire à un tel principe par exemple, le fait qu’une entreprise qui a son siège en France et qui crée un établissement dans un autre Etat membre se trouve dans une situation fiscale moins favorable que si cette dernière entité était créée en France ; qu’en l’espèce, en vertu de l’article 231 du code général des impôts, toute société établie en France qui a la qualité d’employeur est soumise aux règles d’imposition à la taxe sur les salaires, à raison des rémunérations qu’elle paye à son personnel salarié, sans distinction selon le lieu de domicile du salarié ou le lieu où il exerce son activité ; qu’une société reste donc redevable de la taxe sur les salaires, pour les employés qu’elle détache hors de France auprès de clients étrangers, même si ces derniers supportent en réalité la rémunération desdits salariés ; que les règles d’imposition ne varient pas selon que la société possède ou non des établissements dans d’autres Etats membres ; qu’il n’existe aucune discrimination selon que le salarié exerce ou non ses fonctions en France ; que la possibilité pour une société de décider de créer un établissement indépendant à l’étranger plutôt qu’une filiale et d’y muter son personnel ne saurait dépendre uniquement de l’obligation de devoir s’acquitter ou non de la taxe sur les salaires ; qu’il ne peut donc être considéré qu’il existerait une obligation en la matière, qui serait la conséquence de la seule taxe sur les salaires ;

— que la société requérante ne démontre pas en quoi la taxe sur les salaires affecterait différemment les prestations de service réalisées entre Etats membres et les mêmes prestations réalisées à l’intérieur du territoire français ; qu’en effet, l’imposition à la taxe sur les salaires dépend uniquement de l’établissement de l’employeur en France et non de la circonstance que la prestation rendue soit destinée à un preneur domicilié en France ou dans un autre Etat membre ; qu’à l’inverse, les employeurs établis à l’étranger rendant des prestations de services à des preneurs français ou étrangers ne sont pas soumis à la taxe sur les salaires ; qu’au demeurant, les Etats membres bénéficient d’une certaine autonomie en matière fiscale ; que par suite, cette taxe ne saurait être regardée comme portant atteinte au principe communautaire de libre prestation des services à l’intérieur de l’Union européenne ;

— qu’il a déjà été jugé que les dispositions de l’article 231 du code général des impôts n’introduisent pas une discrimination au sens des stipulations de l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans l’exercice du droit au respect des biens prévu par l’article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble son premier protocole additionnel ;

Vu le traité instituant la Communauté européenne et le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

Vu la sixième directive n° 77/388 du Conseil des communautés européennes du 17 mai 1977 modifiée, relative à l’harmonisation des législations des Etats membres en matière de taxes sur le chiffre d’affaires ;

Vu la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 17 juin 2014,

— le rapport de Mme Chenal-Peter, rapporteur ;

— et les conclusions de M. Guidal, rapporteur public ;

Considérant que la SA Emera Exploitations, qui exploite des résidences pour personnes âgées, a acquitté la taxe sur les salaires au titre de la période comprise entre le 1er janvier 2004 au 31 décembre 2007 ; que cette société relève appel du jugement en date du 14 avril 2011 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces cotisations de taxe sur les salaires ;

Sur le bien-fondé des impositions :

Considérant, en premier lieu, que la SA Emera exploitations fait valoir que la taxe sur les salaires se caractérise par une absence d’autonomie par rapport à la taxe sur la valeur ajoutée, que ce soit dans son champ d’application ou dans ses modalités de calcul, en méconnaissance de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil des communautés européennes du 17 mai 1977 et du système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;

Considérant qu’aux termes du paragraphe 1 de l’article 33 de la sixième directive du 17 mai 1977, relative à l’harmonisation des législations des Etats membres en matière de taxe sur le chiffre d’affaires, dont les dispositions sont reprises à l’article 401 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée : « Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, notamment de celles prévues par les dispositions communautaires en vigueur relatives au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise, les dispositions de la présente directive ne font pas obstacle au maintien ou à l’introduction par un Etat membre de taxes sur les contrats d’assurance, sur les jeux et paris, d’accises, de droits d’enregistrement, et, plus généralement, de tous impôts, droits et taxes n’ayant pas le caractère de taxes sur le chiffre d’affaires, à condition, toutefois, que ces impôts, droits et taxes ne donnent pas lieu dans les échanges entre Etats membres à des formalités liées au passage d’une frontière. » ;

Considérant que l’objet de cet article est d’éviter que soient instaurés ou maintenus des impôts, droits et taxes qui, du fait qu’ils grèvent la circulation des biens et des services d’une façon comparable à la taxe sur la valeur ajoutée, compromettent le fonctionnement du système commun de cette dernière ; que doivent être considérés comme tels les impôts, droits et taxes qui présentent les caractéristiques essentielles de cette taxe ; que cet article ne fait en revanche pas obstacle au maintien ou à l’introduction d’autres types d’impôts, droits et taxes, et en particulier de taxes assises sur les salaires versés par les entreprises, dès lors que ces impôts, droits ou taxes ne présentent pas les caractéristiques essentielles de la taxe sur la valeur ajoutée ;

Considérant que la taxe sur la valeur ajoutée s’applique de manière générale aux transactions ayant pour objet des biens ou des services, qu’elle est proportionnelle au prix de ces biens et de ces services, qu’elle est perçue à chaque stade du processus de production et de distribution et, enfin, qu’elle s’applique à la valeur ajoutée des biens et des services, la taxe due lors d’une transaction étant calculée après déduction de celle qui a été payée lors de la transaction précédente ;

Considérant que la taxe sur les salaires est quant à elle régie par les dispositions de l’article 231 du code général des impôts, aux termes desquelles, dans leur rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée : « 1. Les sommes payées à titre de rémunérations sont soumises à une taxe sur les salaires égale à 4,25 % de leur montant… à la charge des personnes ou organismes, à l’exception des collectivités locales et de leurs groupements, des services départementaux de lutte contre l’incendie, des centres d’action sociale dotés d’une personnalité propre lorsqu’ils sont subventionnés par les collectivités locales, du centre de formation des personnels communaux et des caisses des écoles, qui paient ces rémunérations lorsqu’ils ne sont pas assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée ou ne l’ont pas été sur 90 % au moins de leur chiffre d’affaires au titre de l’année civile précédant celle du paiement desdites rémunérations.. L’assiette de la taxe due par ces personnes ou organismes est constituée par une partie des rémunérations versées, déterminée en appliquant à l’ensemble de ces rémunérations le rapport existant, au titre de cette même année, entre le chiffre d’affaires qui n’a pas été passible de la taxe sur la valeur ajoutée et le chiffre d’affaires total. Le chiffre d’affaires qui n’a pas été assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée en totalité ou sur 90 % au moins de son montant, ainsi que le chiffre d’affaires total mentionné au dénominateur du rapport s’entendent du total des recettes et autres produits, y compris ceux correspondant à des opérations qui n’entrent pas dans le champ d’application de la taxe sur la valeur ajoutée. Le chiffre d’affaires qui n’a pas été passible de la taxe sur la valeur ajoutée mentionné au numérateur du rapport s’entend du total des recettes et autres produits qui n’ont pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée… » ; qu’en vertu du 2 de l’article 51 de l’annexe III à ce code, la taxe sur les salaires est calculée sur le montant total des rémunérations effectivement payées par ces personnes à l’ensemble de leur personnel, y compris la valeur des avantages en nature, quels que soient l’importance des rémunérations et le lieu du domicile des bénéficiaires ; qu’il résulte de ces dispositions que la taxe sur les salaires est due par tout employeur établi en France à raison des rémunérations qu’il verse à son personnel salarié, même si celui-ci est employé hors de France ;

Considérant, d’une part, qu’il résulte de ces dispositions que les cotisations de taxe sur les salaires, qui sont assises sur les rémunérations ou une partie des rémunérations versées par ses redevables, ne sont pas établies d’une manière générale sur la base des transactions réalisées par ceux-ci et portant sur des biens ou des services, ni calculées proportionnellement au prix acquitté par le client, ni perçues à chaque stade du processus de production et de distribution, après déduction des droits acquittés lors de la transaction précédente ; que, dans ces conditions, la taxe sur les salaires ne présente pas les caractéristiques essentielles de la taxe sur la valeur ajoutée ; qu’à cet égard, la société requérante ne peut utilement se prévaloir de ce que dans un arrêt n°C-391/85 rendu le 2 février 1988, la Cour de justice des communautés européennes aurait déclaré incompatible avec la taxe sur la valeur ajoutée la taxe sur l’immatriculation des véhicules en Belgique applicable après la vente de véhicules, dès lors que la taxe sur les salaires, qui n’est pas acquittée par le consommateur final, ne s’applique ni dans les mêmes circonstances, ni sur les mêmes opérations ;

Considérant, d’autre part, que la circonstance que la taxe sur les salaires ne frappe que les entreprises exonérées de taxe sur la valeur ajoutée ou non soumises à cette taxe sur au moins 90 % de leur chiffre d’affaires n’a pas pour effet de lui conférer le caractère d’une taxe sur le chiffre d’affaires prohibée par l’article 33 de la sixième directive ; que si la société requérante soutient que le champ d’application de la taxe sur les salaires ne serait pas autonome au regard de celui applicable à la taxe sur la valeur ajoutée, que son assiette serait dépendante de celle applicable en matière de taxe sur la valeur ajoutée et que cette corrélation affecte l’exercice du droit d’option des entreprises à la taxe sur la valeur ajoutée, ces circonstances sont, par elles-mêmes, inopérantes, dès lors qu’aucune disposition communautaire ne fait obstacle à ce qu’un Etat membre institue un impôt direct qui frappe l’assiette constituée par les salaires et qui ne touche que les entreprises exonérées de taxe sur la valeur ajoutée ou non soumises à cette taxe sur 90 % au moins de leur chiffre d’affaires ;

Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes de l’article 43 du traité instituant la Communauté européenne en vigueur pendant les années d’imposition en litige : « Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un Etat membre dans le territoire d’un autre Etat membre sont interdites. Cette interdiction s’étend également aux restrictions à la création d’agences, de succursales ou de filiales par les ressortissants d’un Etat membre établis sur le territoire d’un Etat membre. / La liberté d’établissement comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises, et notamment de sociétés au sens de l’article 48, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d’établissement pour ses propres ressortissants (…) » ; que les stipulations de l’article 48 de ce traité étendent aux sociétés l’application de ces stipulations ; qu’aux termes de l’article 49 dudit traité: « Dans le cadre des dispositions visées ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de la Communauté sont interdites à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un pays de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation (…) » ;

Considérant, d’une part, que, si la société requérante fait valoir que les dispositions de l’article 231 du code général des impôts ont pour effet de l’inciter à créer des établissements secondaires dans les Etats membres où elle entend développer ses activités et d’inciter les entités d’un autre Etat membre à créer en France des succursales non dotées de personnalité juridique propre plutôt que d’y ouvrir un établissement secondaire sous la forme d’une filiale pour échapper à l’assujettissement à la taxe sur les salaires, de telles conséquences ne sont pas de nature à caractériser une restriction à la liberté d’établissement des ressortissants d’un Etat membre dans le territoire d’un autre Etat membre, prohibée par les articles 43 et 48 du traité instituant la Communauté européenne ; que la circonstance que la réglementation relative à la taxe sur les salaires conduirait la société requérante à privilégier la mutation de ses salariés dans ses « filiales européennes » plutôt que leur détachement dans ces entités n’est pas, par elle-même, de nature à constituer une entrave au principe de liberté d’établissement au sein des Etats membres ; qu’en effet, une personne morale établie en France entrant dans le champ de la taxe sur les salaires est soumise indistinctement au paiement de cet impôt pour les rémunérations versées à l’ensemble des salariés qu’elle emploie, que ceux-ci exercent leurs fonctions en France ou dans un autre Etat membre ; qu’en outre, la création par cette personne morale d’une filiale dans un autre Etat membre se traduit par l’application du même régime d’imposition que celui de ses établissements secondaires situés en France ; qu’enfin, la possibilité offerte à la personne morale de créer un établissement indépendant dans un autre Etat membre, ou de muter son personnel plutôt que de le détacher afin de ne pas être assujettie à la taxe, ne saurait constituer, par elle-même, une entrave à la liberté d’établissement ;

Considérant, d’autre part, que l’assujettissement à la taxe sur les salaires dépend uniquement de l’établissement de l’employeur en France et non de la circonstance que la prestation rendue soit destinée à un preneur domicilié en France ou dans un autre Etat membre ; que, dès lors, les stipulations de l’article 49 du traité instituant la Communauté européenne qui prohibent les restrictions à la libre prestation de services n’ont pas été méconnues par les dispositions de l’article 231 du code général des impôts, alors même que ces dispositions législatives pourraient inciter les opérateurs français à établir des établissements indépendants à l’étranger dans un autre Etat membre pour effectuer des prestations qui échapperaient ainsi à l’assujettissement à la taxe sur les salaires ;

Considérant, en troisième lieu, qu’aux termes de l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation » ; qu’aux termes de l’article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes » ;

Considérant qu’une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations précitées de l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, si elle n’est pas assortie de conditions objectives et raisonnables, c’est à dire si elle ne poursuit pas un objectif d’utilité publique, ou si elle n’est pas fondée sur des critères rationnels en rapport avec les buts de la loi ;

Considérant que la SA Emera Exploitations soutient que ces stipulations auraient été méconnues au motif que deux employeurs ayant une activité identique dans le même secteur d’activité et ayant la même masse salariale sont placés dans la même situation et ne peuvent ainsi être traités différemment ; que, toutefois, elle admet que l’assujettissement à la taxe sur les salaires des employeurs dépend du montant du chiffre d’affaires non soumis à la taxe sur la valeur ajoutée ; que l’assiette de la taxe est fonction du rapport existant entre le chiffre d’affaires passible de la taxe sur la valeur ajoutée et le chiffre d’affaires total ; que les entreprises dont le chiffre d’affaires est au moins pour 10 % constitué de recettes ou de produits non assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée sont placées dans une situation différente des entreprises entièrement assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée ; que, par suite, la différence de traitement est justifiée par les différences de situation dans laquelle sont placées ces entreprises alors même qu’elles présenteraient, par ailleurs, des analogies ; qu’en soumettant à la taxe sur les salaires les entreprises qui ne sont pas assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée ou le sont pour moins de 90 % de leur chiffre d’affaires, l’article 231 du code général des impôts poursuit un objectif d’intérêt public et se fonde sur des critères rationnels en rapport avec les objectifs du prélèvement qu’il institue ; que la société requérante reconnaît d’ailleurs que la décision d’exonérer de taxe sur les salaires les entreprises françaises qui sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée pour 90 % de leur chiffre d’affaires avait pour objet de rétablir la balance des paiements de la France à la date à laquelle ce dispositif a été institué ; que les critères retenus étaient donc raisonnables et en lien direct avec l’objet de la loi ; que, dès lors, les stipulations combinées des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel à cette convention n’ont pas été méconnues ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il y ait lieu de saisir à titre préjudiciel la Cour de justice de l’Union européenne, que la SA Emera Exploitations n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. » ;

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l’Etat, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, verse à la SA Emera Exploitations quelque somme que ce soit au titre des frais qu’elle a exposés et non compris dans les dépens ;

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la SA Emera Exploitations est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SA Emera Exploitations et au ministre des finances et des comptes publics.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal sud-est.

Délibéré après l’audience du 17 juin 2014 où siégeaient :

— M. Cherrier, président de chambre,

— M. Martin, président assesseur,

— Mme Chenal-Peter, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 4 juillet 2014.

Le rapporteur, Le président,

A-L. CHENAL-PETER P. CHERRIER

Le greffier,

M. PHOUMMAVONGSA

La République mande et ordonne au ministre des finances et des comptes publiques en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

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