Cour de cassation, Chambre criminelle, 10 janvier 2023, 21-85.526, Inédit

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
Cass. crim., 10 janv. 2023, n° 21-85.526
Juridiction : Cour de cassation
Numéro(s) de pourvoi : 21-85.526
Importance : Inédit
Décision précédente : Cour d'appel de Paris, 14 septembre 2021
Dispositif : Cassation
Date de dernière mise à jour : 17 janvier 2023
Identifiant Légifrance : JURITEXT000047023423
Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2023:CR00032
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Texte intégral

N° X 21-85.526 F-D

N° 00032

MAS2

10 JANVIER 2023

CASSATION PARTIELLE

REJET

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,

DU 10 JANVIER 2023

Le ministre chargé de l’économie, d’une part, et les sociétés [8], [7], [6], [5], [4] et [3], d’autre part, ont formé des pourvois contre l’ordonnance n° 58 du premier président de la cour d’appel de Paris, en date du 15 septembre 2021, qui a prononcé sur les demandes d’annulation des opérations de visite et de saisie, effectuées par la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes en vue de rechercher la preuve de pratiques commerciales prohibées, formées par les secondes.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires, en demande et en défense, et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Michon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat du ministre chargé de l’économie, les observations de la SCP Spinosi, avocat des sociétés [8], [7], [6], [5], [4] et [3], et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l’audience publique du 29 novembre 2022

où étaient présents M. Bonnal, président, M. Michon, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’ordonnance attaquée et des pièces de procédure ce qui suit.

2. La société [8] a notamment pour filiales les sociétés [7], [6], [5], [4] et [3] (sociétés [8]), dont les activités s’exercent dans le domaine des assurances affinitaires (extensions de garantie), de l’abonnement à des programmes d’avantages, de la création de sites internet, et des services événementiels.

3. Sur demande du ministre chargé de l’économie, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a, le 8 septembre 2020, ouvert une enquête portant sur l’existence de pratiques commerciales trompeuses réprimées par les articles L. 121-2 et suivants du code de la consommation dans les secteurs d’activité susvisés.

4. Saisi par requête du 9 septembre 2020, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris, par ordonnance du 11 septembre suivant, au visa des articles L. 512-51 et suivants du code de la consommation, a autorisé le service national d’enquêtes (SNE) de la DGCCRF à pratiquer, avant le 15 novembre 2020, des opérations de visite et de saisie dans les locaux des sociétés [8] et de toutes celles du même groupe situées aux mêmes adresses, d’une part, [Adresse 2], d’autre part, [Adresse 1] (26), adressant délégation, s’agissant de ces derniers, au juge compétent du tribunal judiciaire de Valence.

5. Trois autres ordonnances ont été rendues. La première l’a été le 21 septembre 2020, par le magistrat commis, la deuxième, rectificative, le 24 septembre suivant, par ce même juge, et la troisième, également rectificative, le 29 octobre 2020, par le magistrat saisi initialement, aux fins de prorogation du délai susvisé et de désignation d’officiers de police judiciaire pour l’exploitation des données et documents saisis.

6. Les opérations de visite et de saisie se sont déroulées dans l’ensemble des locaux visés les 24 et 25 septembre 2020.

7. Les sociétés [8] ont exercé des recours contre le déroulement de ces opérations.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen proposé pour les sociétés [8]

8. Il n’est pas de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen proposé pour les sociétés [8]

Enoncé du moyen

9. Le moyen critique l’ordonnance attaquée en ce qu’elle a déclaré irrecevable la demande de nullité des procès-verbaux de notification n° 24092020/2/N et n° 03102020/1/SFP-N des sociétés [8], alors :

« 1°/ que le premier président saisi d’un recours portant sur le déroulement des opérations de visite et de saisie est également saisi de la question de la régularité des procès-verbaux établis à cette occasion, peu important que ceux-ci soient ou non expressément visés dans l’acte de recours ; qu’en déclarant irrecevables les moyens dirigés contre les procès-verbaux de notification des ordonnances du juge des libertés et de la détention au motif que les actes de recours ne comportaient pas le numéro de ces procès-verbaux et que ceux-ci n’y étaient pas annexés (arrêt attaqué, p. 19), cependant qu’il était saisi d’une contestation sur le déroulement des opérations de visite et de saisie diligentées les 24 et 25 septembre 2020 à Paris et Romans-sur-Isère et par suite de la régularité de tous les procès-verbaux établis à cette occasion, en ce compris les procès-verbaux de notification des ordonnances, le premier président a méconnu son office en ajoutant à la loi une condition qu’elle ne prévoit pas et a ainsi violé l’article L. 512-64 du code de la consommation, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu’en tout état de cause, en exigeant que soit visé dans l’acte de recours l’ensemble des procès-verbaux établis lors des opérations de visite et de saisie à peine d’irrecevabilité des moyens ensuite dirigés contre ces actes, le premier président a fait preuve d’un formalisme excessif susceptible de porter atteinte à l’équité de la procédure et, ce faisant, a méconnu l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. »

Réponse de la Cour

10. Pour déclarer irrecevables leurs demandes en annulation des procès-verbaux de notification des ordonnances du juge des libertés et de la détention, l’ordonnance attaquée énonce que les parties requérantes n’ont pas visé ces derniers dans leurs recours, qu’elles ont cantonnés aux procès-verbaux de visite et de saisie et au procès-verbal « d’expurgation », qu’il en résulte que la Cour n’est pas saisie des recours contre les procès-verbaux de notification des ordonnances.

11. Le premier président ajoute que, pour chacun des recours, les requérantes ont bien précisé le numéro de procès-verbal concerné et n’ont pas joint de copie des procès-verbaux de notification à leurs recours.

12. C’est à tort que le premier président a considéré que l’absence de mention des procès-verbaux de notification dans les déclarations de recours rendait irrecevables les critiques dirigées contre ces derniers.

13. En effet, l’article L. 512-64 du code de la consommation institue un recours contre le déroulement de l’ensemble des opérations de visite et de saisie. Il n’exige pas que soit, dès la déclaration de recours, identifié chacun des actes qui a vocation à être critiqué, dès lors que les opérations visées par le recours sont identifiées.

14. Cependant, l’ordonnance n’encourt pas la censure, pour les motifs qui suivent.

15. Tout d’abord, l’objet des procès-verbaux de notification est d’établir que l’ordonnance autorisant la visite, sur laquelle figure le rappel des voies de recours, a bien été notifiée à l’occupant des lieux lorsque celui-ci est présent, et sans qu’il n’y ait lieu de procéder à un rappel oral desdites voies de recours.

16. Ensuite, les ordonnances d’autorisation de visite et de saisie ne sont notifiées, lors de la visite, qu’à l’occupant des lieux, sans que cela ne rende les opérations inopposables aux autres parties mises en cause, une procédure de notification particulière étant prévue pour ces dernières.

17. Par ailleurs, le procès-verbal « d’expurgation » du 3 octobre 2020 n’avait pas à mentionner de voies de recours, dans la mesure où il ne constitue que le prolongement d’opérations de visite et de saisie, effectuées en exécution d’ordonnances régulièrement notifiées.

18. Enfin, les sociétés [8], qui ont exercé, collectivement, des recours tant contre l’ordonnance autorisant les saisies que contre le déroulement des opérations, ne justifient ni même n’allèguent l’existence d’un grief résultant d’une éventuelle difficulté tenant à ce que deux procès-verbaux distincts portaient le même numéro.

19. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Sur le deuxième moyen proposé pour les sociétés [8]

Enoncé du moyen

20. Le moyen critique l’ordonnance attaquée en ce qu’elle a déclaré réguliers les procès-verbaux des opérations de visite et de saisie et d’expurgation des 24 et 25 septembre 2020 et du 3 novembre 2020 et a rejeté les demandes d’annulation de ces opérations, alors :

« 1°/ que toute ingérence dans le droit au respect de la vie privée et de la correspondance doit être proportionnée ; qu’en refusant d’annuler les opérations de visite et de saisie diligentées les 24 et 25 septembre 2020, lorsque les agents de l’administration ont procédé à une saisie massive et indifférenciée portant sur plusieurs centaines de milliers de documents et fichiers informatiques et qui s’analyse en une ingérence disproportionnée dans le droit au respect de la vie privée et de la correspondance de ces sociétés, au motif inopérant que le groupe disposerait de nombreux collaborateurs, et lorsqu’il relevait que les documents saisis ne concernaient que quinze de ces collaborateurs (ordonnance attaquée, p. 23), le premier président a violé les articles 8 de la Convention européenne et L. 512-51 à L. 512-65 du code de la consommation ;

2°/ que les procès-verbaux et inventaires dressés par l’administration doivent mettre le juge en mesure de vérifier que les documents saisis entrent dans l’objet de l’autorisation accordée par le juge des libertés et de la détention ; qu’en se bornant, pour refuser d’annuler les procès-verbaux de visite et de saisie, à retenir que ceux-ci indiquent que les agents ont « constaté la présence de données entrant dans le champ de l’autorisation de visite et de saisie » (ordonnance attaquée, p. 20), lorsque ces procès-verbaux ne disent rien du mode opératoire retenu par les agents pour s’assurer de ne saisir que les documents utiles à l’enquête, le premier président a méconnu les articles L. 512-51 à L. 512-65 et R. 512-40 du code de la consommation, ensemble l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ;

3°/ qu’en omettant de répondre au moyen pris de l’imprécision des inventaires dressés par l’administration qui « se composent de 18 fichiers Excel pour la plupart ne listant même pas les éléments saisis » (conclusions, p. 37), le premier président n’a pas justifié sa décision au regard des articles L. 512-51 à L. 512-65 et R. 512-40 du code de la consommation, ensemble de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ;

4°/ qu’il appartient au premier président de la cour d’appel, saisi d’allégations selon lesquelles certaines pièces saisies sont étrangères au but de l’autorisation accordée par le juge des libertés et de la détention, de rechercher si ces pièces entrent dans les prévisions de cette autorisation ; qu’en l’espèce, en se bornant à retenir que les procès-verbaux de saisie indiquaient que les agents s’étaient assurés que les données saisies entraient dans le champ de l’autorisation donnée par le juge des libertés et de la détention (ordonnance attaquée, p. 23), sans procéder lui-même à cette vérification, le premier président a méconnu son office et a violé les articles 8 de la Convention européenne et L. 512-51 à L. 512-65 du code de la consommation ;

5°/ qu’en se bornant, pour refuser d’annuler la saisie d’éléments relevant de la vie privée et de documents concernant des sociétés non visées par l’ordonnance, à énoncer qu'« il résulte d’un examen in concreto de ces éléments (…) qu’ils entrent dans le périmètre de l’ordonnance » (ordonnance attaquée, pp. 23-24), sans jamais le démontrer, le premier président n’a pas mis la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle et n’a pas justifié sa décision au regard des articles 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, L. 512-64 du code de la consommation, ensemble des articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

21. Pour rejeter le moyen de nullité tiré du caractère massif et indifférencié des saisies opérées, l’ordonnance attaquée énonce notamment que les agents ont effectué un tri entre les documents saisis et ont ciblé l’activité de quinze collaborateurs, sur un effectif total de deux mille quatre cent personnes, susceptibles d’être impliqués dans les pratiques suspectées.

22. En se déterminant ainsi, par des motifs exempts d’insuffisance comme de contradiction, le premier président a souverainement estimé que ces saisies n’étaient pas massives et indifférenciées.

23. Dès lors, le grief doit être écarté.

Sur le deuxième moyen, pris en ses deuxième et quatrième branches

24. Pour écarter le moyen de nullité tiré de l’absence de communication du mode opératoire utilisé pour la sélection des documents saisis, l’ordonnance attaquée relève que les procès-verbaux ont été signés par le représentant de l’occupant des lieux qui n’a émis aucune réserve, et qu’il appartient à la partie qui conteste la saisie de documents qui, selon elle, se trouveraient hors du champ de l’autorisation, de les identifier spécialement.

25. En se déterminant ainsi, le premier président a fait une exacte application des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.

26. En premier lieu, aucune disposition légale n’autorise la partie faisant l’objet d’une visite à se faire communiquer le mode opératoire et notamment les mots-clés utilisés pour la sélection des documents devant être saisis.

27. En second lieu, il appartient à l’entreprise objet des visites et saisies, qui est en mesure d’établir si les documents saisis entrent ou non dans les prévisions de l’ordonnance d’autorisation qui lui a été notifiée, de désigner précisément les documents qu’elle estime étrangers au champ de l’enquête, pour qu’ils ne soient pas saisis ou, si elle s’est abstenue d’informer les enquêteurs à ce propos, pour en obtenir l’annulation.

28. Ainsi, les griefs ne sont pas fondés.

Sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche

29. Pour rejeter la demande de nullité des procès-verbaux d’opérations de visite et de saisie, tirée de l’imprécision des inventaires des pièces saisies établis par l’administration, l’ordonnance attaquée retient qu’aucune forme n’est prescrite concernant leur constitution.

30. En statuant ainsi, et dès lors que l’article L. 512-59 du code de la consommation ne soumet les inventaires à aucune forme particulière, le premier président a fait l’exacte application des textes visés au moyen.

31. Dès lors, le grief doit être écarté.

Sur le deuxième moyen, pris en sa cinquième branche

32. Pour écarter le moyen de nullité de la saisie d’éléments relevant du respect de la vie privée, d’une part, et concernant des sociétés ([6], [7], [9]) non visées par l’autorisation, d’autre part, l’ordonnance attaquée relève, concernant les premiers, que ces éléments, après examen, ne peuvent être considérés comme étant seulement d’ordre privé, et, concernant les seconds, qu’il ressort d’un examen in concreto que les sociétés concernées sont en lien d’affaires avec les sociétés visées dans l’ordonnance du juge des libertés et de la détention.

33. En statuant ainsi, le premier président a fait l’exacte application des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.

34. En premier lieu, l’appréciation de ce que les documents ressortent, ou non, de la vie privée, relève de son pouvoir souverain d’appréciation.

35. En second lieu, sont saisissables les documents et supports d’information qui sont en lien avec l’objet de l’enquête et se trouvent dans les lieux que le juge a désignés ou sont accessibles depuis ceux-ci, peu important qu’ils concernent des personnes qui ne sont pas visées par l’ordonnance.

36. Ainsi, le grief n’est pas fondé.

Mais sur le premier moyen proposé pour le ministre chargé de l’économie

Enoncé du moyen

37. Le moyen critique l’ordonnance attaquée en ce qu’elle a déclaré irrégulière et a annulé la saisie de trois cent huit courriels recensés dans la pièce n° 72 des parties requérantes, sans possibilité pour l’administration d’en garder copie ni d’en faire usage, alors :

« 1°/ que le juge ne peut fonder sa décision sur un document non soumis à la libre discussion des parties ; qu’en retenant, pour faire droit à la demande de restitution des 308 mails listés en pièce n° 72, que « contrairement à ce qu’affirme l’administration, les parties requérantes produisent aux débats les 308 emails listés en pièce n° 72 (clé USB produite le 4 mai 2021) » (arrêt, p. 23), cependant qu’il ne ressort ni des mentions de l’ordonnance, ni des pièces de procédure, comprenant notamment les conclusions des parties et le bordereau de pièces communiquées annexé aux conclusions des sociétés requérantes, qu’une clé USB contenant les 308 emails litigieux aurait été régulièrement communiquée à l’administration par les requérantes, le premier président, qui a fondé sa décision sur un document non soumis à la libre discussion des parties, a violé l’article préliminaire du code de procédure pénale et l’article 16 du code de procédure civile, ensemble le principe du contradictoire ;

2°/ que les correspondances échangées entre le client et son avocat peuvent être saisies dans le cadre des opérations de visite prévues aux articles L. 512-51 et suivants du code de la consommation dès lors qu’elles ne concernent pas l’exercice des droits de la défense ; que le premier président, statuant sur la régularité de ces opérations, ne peut donc ordonner la restitution des correspondances entre l’occupant des lieux visités et un avocat en raison de leur confidentialité que si celles-ci sont en lien avec l’exercice des droits de la défense ; qu’en se bornant à retenir, pour faire droit à la demande de restitution des 308 mails listés en pièce n° 72, qu’ « il résulte de l’examen in concreto des éléments de la pièce n° 72 qu’il s’agit d’échanges mails entre l’avocat et son client, et qu’en l’espèce, ces mails sont couverts par le privilège légal » (arrêt, p. 23), sans constater que ces mails étaient en lien avec l’exercice des droits de la défense, le premier président n’a pas justifié sa décision au regard des articles L. 512-51, L. 512-59 du code de la consommation et 66-5 de la loi du 31 décembre 1971. »

Réponse de la Cour

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Vu l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme :

38. En vertu de ce texte, le juge ne peut fonder sa décision sur un document non soumis à la libre discussion des parties.

39. Pour faire droit aux conclusions des sociétés tendant à voir annuler la saisie de trois cent huit courriels, l’ordonnance attaquée indique que, contrairement à ce qu’affirme l’administration, les parties requérantes produisent aux débats ces courriels listés en pièce n° 72 (clé USB produite le 4 mai 2021) pour lesquels elles estiment que ces éléments sont couverts par le secret professionnel.

40. Le juge en déduit que ces éléments ont été communiqués.

41. En se déterminant ainsi, le premier président a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

42. En effet, il ressort des conclusions des parties et du bordereau des pièces communiquées par les sociétés [8] que la clé USB contenant les courriels en question n’a pas fait l’objet d’une communication à l’administration, les pièces communiquées étant uniquement constituées d’inventaires et de tableaux.

43. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Et sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Vu les articles 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, L. 512-51 et L. 512-64 du code de la consommation :

44. Si, selon les principes rappelés par le premier de ces textes, les correspondances échangées entre le client et son avocat sont, en toutes matières, couvertes par le secret professionnel, il demeure qu’elles peuvent notamment être saisies dans le cadre des opérations de visite prévues par le deuxième dès lors qu’elles ne concernent pas l’exercice des droits de la défense.

45. Il résulte du troisième de ces textes que le premier président, statuant sur la régularité de ces opérations ne peut prononcer la nullité de la saisie de correspondances entre l’une des personnes visées à l’alinéa 2 dudit texte et un avocat en raison de leur confidentialité que si celles-ci sont en lien avec l’exercice des droits de la défense.

46. Pour faire droit à la demande des sociétés [8] de voir annuler la saisie de trois cent huit courriels, l’ordonnance attaquée énonce qu’il résulte de l’examen in concreto des éléments de la pièce n° 72 qu’il s’agit d’échanges électroniques entre l’avocat et son client et qu’en l’espèce, ces courriels sont couverts par le privilège légal.

47. En se déterminant ainsi, le premier président a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

48. En effet, la référence au seul « privilège légal », notion inconnue en droit français mais qui, dans les systèmes juridiques où elle existe, englobe des échanges sans lien avec l’exercice des droits de la défense, ne permet pas de caractériser que les courriels en question relevaient de l’exercice de ces derniers.

49. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Et sur le second moyen proposé pour le ministre chargé de l’économie

Enoncé du moyen

50. Le moyen critique l’ordonnance attaquée en ce qu’elle a déclaré irrégulière et a annulé la saisie des documents listés dans les pièces n° 59 modifiée, 78-1 à 78-6 des parties requérantes, sans possibilité pour l’administration d’en garder copie ni d’en faire usage, alors :

« 1°/ que le juge ne peut fonder sa décision sur un document non soumis à la libre discussion des parties ; qu’en se fondant, pour faire droit à la demande de restitution des documents listés dans les pièces n° 59 modifiée, 78-1 à 78-6, sur l’examen des documents litigieux figurant dans une clé USB « produite le 4 mai 2021 » (arrêt, p. 24), cependant qu’il ne ressort ni des mentions de l’ordonnance, ni des pièces de procédure, comprenant notamment les conclusions des parties et le bordereau de pièces communiquées annexé aux conclusions des sociétés requérantes, qu’une clé USB contenant les documents litigieux ait été régulièrement communiquée à l’administration par les requérantes, le premier président, qui a fondé sa décision sur un document non soumis à la libre discussion des parties, a violé l’article préliminaire du code de procédure pénale et l’article 16 du code de procédure civile, ensemble le principe du contradictoire ;

2°/ que lors des opérations de visite et de saisie réalisées, sur autorisation du juge des libertés et de la détention, pour la recherche et la constatation de pratiques commerciales trompeuses visées à l’article L. 121-2 du code de la consommation, les agents habilités peuvent procéder à la saisie de tous objets, documents et supports d’information utiles aux besoins de l’enquête ; que dès lors, entre dans le champ de l’autorisation du juge des libertés et de la détention la saisie de tout élément en lien avec l’enquête portant sur des pratiques commerciales trompeuses et la recherche de preuve de telles pratiques, objet de l’autorisation du juge des libertés et de la détention ; qu’en retenant, pour faire droit à la demande de restitution des documents listés dans les pièces n° 59 modifiée, 78-1 à 78-6, qu’ « il résulte d’un examen in concreto des pièces produites par les parties requérantes qu’il s’agit de documents faisant état d’échanges entre les sociétés visées par l’ordonnance du JLD et des sociétés qui exercent leur activité à l’étranger, et qui sont exploitées à partir d’entités juridiquement distinctes des sociétés visées par l’ordonnance, que l’ordonnance du JLD ne fait état d’aucun élément d’extranéité, que les pièces produites doivent être considérées comme n’entrant pas dans le champ du périmètre du JLD » (arrêt, p. 24), cependant que l’absence de mention d’élément d’extranéité dans l’ordonnance du juge des libertés et de la détention (JLD) autorisant les opérations de visite et de saisie ne pouvait suffire à démontrer l’absence de lien entre l’enquête pour pratique commerciale trompeuse, objet de l’autorisation du JLD, et les documents litigieux faisant état d’échanges entre les sociétés visées par l’ordonnance du JLD et des sociétés filiales exerçant leur activité à l’étranger, le premier président a statué par un motif inopérant et n’a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 512-51, L. 512-52 et L. 512-59 du code de la consommation ;

3°/ que lors des opérations de visite et de saisie réalisées, sur autorisation du juge des libertés et de la détention, pour la recherche et la constatation de pratiques commerciales trompeuses visées à l’article L. 121-2 du code de la consommation, les agents habilités peuvent procéder à la saisie de tous objets, documents et supports d’information utiles aux besoins de l’enquête ; que dès lors, entre dans le champ de l’autorisation du juge des libertés et de la détention la saisie de tout élément en lien avec l’enquête portant sur des pratiques commerciales trompeuses et la recherche de preuve de telles pratiques, objet de l’autorisation du juge des libertés et de la détention ; qu’en retenant, pour faire droit à la demande de restitution des documents listés dans les pièces n° 59 modifiée, 78-1 à 78-6, qu’ « il résulte d’un examen in concreto des pièces produites par les parties requérantes qu’il s’agit de documents faisant état d’échanges entre les sociétés visées par l’ordonnance du JLD et des sociétés qui exercent leur activité à l’étranger, et qui sont exploitées à partir d’entités juridiquement distinctes des sociétés visées par l’ordonnance, que l’ordonnance du JLD ne fait état d’aucun élément d’extranéité, que les pièces produites doivent être considérées comme n’entrant pas dans le champ du périmètre du JLD » (arrêt, p. 24), sans rechercher, comme il y était invité (conclusions du Ministre chargé de l’économie, p. 51), si les documents litigieux relatifs aux filiales européennes du groupe pouvaient contenir des éléments utiles à l’établissement de la preuve de pratiques constitutives du délit de pratique commerciale trompeuse, objet de l’autorisation du juge des libertés et de la détention, le premier président n’a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 512-51, L. 512-52 et L. 512-59 du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

Sur le second moyen, pris en sa première branche

Vu l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme :

51. En vertu de ce texte, le juge ne peut fonder sa décision sur un document non soumis à la libre discussion des parties.

52. Pour faire droit aux conclusions des sociétés tendant à voir annuler la saisie des documents visés en pièces n° 59 modifiée, 78-1 à 78-6 des sociétés requérantes, l’ordonnance attaquée indique que les sociétés [8] contestent la saisie des documents visés dans ces pièces et figurant sur la clé USB produite le 4 mai 2021.

53. Le juge en déduit que ces éléments ont été communiqués.

54. En se déterminant ainsi, le premier président a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

55. En effet, il ressort des conclusions des parties et du bordereau des pièces communiquées par les sociétés [8] que la clé USB contenant les courriels en cause n’a pas fait l’objet d’une communication à l’administration, les pièces communiquées n° 59, 78-1 à 78-6 étant constituées d’inventaires et de tableaux.

56. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Et sur le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Vu les articles L. 512-59 du code de la consommation, 113-2 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :

57. En application du premier de ces textes, sont saisissables les documents et supports d’information qui sont en lien avec l’objet de l’enquête et se trouvent dans les lieux que le juge a désignés ou sont accessibles depuis ceux-ci.

58. En vertu du deuxième de ces textes, les juridictions françaises sont compétentes pour connaître d’infractions dont un élément au moins a été commis sur le territoire français. Il en est ainsi, notamment, lorsque l’infraction a été décidée ou organisée sur le territoire français.

59. En vertu du troisième, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

60. Pour annuler la saisie et ordonner la restitution des documents mentionnés dans les pièces n° 59, 78-1 à 78-6 des sociétés requérantes, le premier président énonce qu’il résulte d’un examen in concreto des pièces produites par les parties requérantes qu’il s’agit de documents faisant état d’échanges entre les sociétés visées par l’ordonnance du juge des libertés et de la détention et des sociétés qui exercent leur activité à l’étranger, et qui sont exploitées à partir d’entités juridiquement distinctes des sociétés visées dans l’ordonnance, que l’ordonnance du juge des libertés et de la détention ne fait état d’aucun élément d’extranéité, que les pièces produites par les parties doivent être considérées comme n’entrant pas dans le périmètre de celle-ci.

61. En statuant ainsi, par des motifs impropres à exclure que les documents puissent être pertinents pour établir la preuve de pratiques commerciales trompeuses décidées ou organisées sur le territoire national, le premier président n’a pas justifié sa décision.

62. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

63. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à l’annulation de la saisie et à la restitution des trois cent huit courriels mentionnés en pièce n° 72 des sociétés [8], et à l’annulation de la saisie et à la restitution des documents visés dans les pièces n° 59, 78-1 à 78-6 de ces mêmes sociétés. Les autres dispositions seront donc maintenues.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur les pourvois formés par les sociétés [8], [7], [6], [5], [4] et [3] :

Les REJETTE ;

Sur le pourvoi formé par le ministre chargé de l’économie :

CASSE et ANNULE l’ordonnance susvisée du premier président de la cour d’appel de Paris, en date du 15 septembre 2021, mais en ses seules dispositions ayant ordonné l’annulation de la saisie, la restitution des trois cent huit courriels mentionnés en pièce n° 72 des sociétés [8], l’annulation de la saisie et la restitution des documents visés dans les pièces n° 59, 78-1 à 78-6 de ces mêmes sociétés, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu’il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la juridiction du premier président de la cour d’appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe du premier président de la cour d’appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l’ordonnance partiellement annulée ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix janvier deux mille vingt-trois.

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Cour de cassation, Chambre criminelle, 10 janvier 2023, 21-85.526, Inédit