CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE MEDVEDYEV ET AUTRES c. FRANCE, 10 juillet 2008, 3394/03

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE MEDVEDYEV ET AUTRES c. FRANCE

(Requête no 3394/03)

ARRÊT

STRASBOURG

10 juillet 2008

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 29/03/2010

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Medvedyev et autres c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Peer Lorenzen, Président,
Jean-Paul Costa,
Karel Jungwiert,
Renate Jaeger,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Mirjana Lazarova Trajkovska, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 13 mai et 17 juin 2008,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 3394/03) dirigée contre la République française, dont la Cour a été saisie le 19 décembre 2002 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention ») par MM. Oleksandr Medvedyev et Borys Bilenikin, ressortissants ukrainiens, MM. Nicolae Balaban, Puiu Dodica, Nicu Stelian Manolache et Viorel Petcu, ressortissants roumains, M. Georgios Boreas, ressortissant grec et MM. Sergio Cabrera Leon et Guillermo Luis Eduar Sage Martīnez, ressortissants chiliens (« les requérants »).

2.  Les requérants sont représentés par Me Patrick Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par Mme Edwige Belliard, directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  Le 11 janvier 2006, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l'article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.

4.  Invités à produire des observations en vertu de l'article 36 § 1 de la Convention, les gouvernements grec, roumain et ukrainien n'ont pas fait usage de cette faculté.

5.  Une audience s'est déroulée en public au Palais des droits de l'Homme, à Strasbourg, le 13 mai 2008 (article 54 § 3 du règlement).

Ont comparu :

–  pour le Gouvernement

Mme Anne-Françoise Tissier, sous-directrice des droits de l'homme à la direction des affaires juridiques au ministère des affaires étrangères et européennes, agente,

M. Mostafa Mihraje, conseiller des Affaires étrangères la sous-direction des droits de l'homme de la direction des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères et européennes, conseil,

M. François Martineau, chef du bureau du droit de la mer à la direction centrale du commissariat de la marine nationale,

M. Elie Renard, magistrat à la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice,

M. Serge Segura, sous-directeur du droit de la mer, des pêches et de l'Antarctique à la direction des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères et européennes, conseillers.

–  pour les requérants

Me Patrice Spinosi, conseil.

La Cour a entendu Me Spinosi et Mme Tissier en leurs déclarations ainsi qu'en leurs réponses aux questions de juges.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

6.  Les requérants faisaient partie de l'équipage d'un cargo dénommé Le Winner et battant pavillon cambodgien.

7.  Dans le cadre de la lutte internationale contre les trafics de stupéfiants, les autorités françaises apprirent que ce navire était susceptible de transporter des quantités importantes de drogue.

8.  Par un télégramme diplomatique daté du 7 juin 2002, l'ambassade de France à Phnom Penh informa le ministère de la Défense à Paris que, suite à une demande présentée par l'Office central de répression du trafic illicite de Stupéfiants (« OCRTIS ») sollicitant l'autorisation d'intercepter le Winner, le ministre des Affaires étrangères cambodgien avait, à la demande de l'ambassade, donné personnellement l'accord de son gouvernement.

Le Gouvernement produit une note verbale datée du 7 juin 2002, adressée par le ministère des Affaires étrangères cambodgien à l'ambassade de France à Phnom Penh, aux termes de laquelle :

« Le ministère des affaires étrangères et de la coopération internationale (...) se référant à sa note no 507/2002 en date du 7 juin 2002, a l'honneur de confirmer formellement que le Gouvernement royal du Cambodge autorise les autorités françaises à intercepter, contrôler et engager des poursuites judiciaires contre le bateau Winner, battant pavillon cambodgien (...) appartenant à (...) aux îles Marshall. (...) »

9.  Le commandant de l'aviso Lieutenant de vaisseau Le Hénaff fut chargé par les autorités maritimes françaises de procéder à l'interception du Winner.

10.  Le 13 juin 2002 à 6 heures, le bâtiment français repéra, au large des îles du Cap Vert, un navire de commerce navigant à faible vitesse, n'arborant aucun pavillon mais identifié comme étant le Winner ; il fut procédé à sa reconnaissance suivant les règles du droit international et, par mesure de sécurité, une embarcation rapide fut mise à l'eau. Le cargo changea alors brutalement de cap, cherchant à gêner l'approche de l'aviso. Interrogé sur la fréquence internationale, le bateau demeura muet. Dans le même temps, des colis furent rejetés à la mer depuis la plage arrière par des membres de l'équipage. L'aviso déclina alors son identité et demanda au Winner de stopper tout en arborant le signal du code international SQ (« stoppez sinon j'ouvre le feu sur vous ») ; en l'absence de réponse, et le navire ne déployant toujours pas son pavillon, il fut procédé à un tir de semonce, puis à des tirs d'arrêt. Simultanément, ordre fut donné à l'embarcation mise à l'eau de récupérer les colis jetés à la mer ; elle ne parvint à en repêcher qu'un ; les vérifications ultérieures firent apparaître qu'il contenait 80 à 100 kg d'un produit stupéfiant ayant l'apparence de la cocaïne.

11.  Trois autres colis furent jetés à la mer. Le cargo n'ayant pas cessé sa route et manœuvrant pour empêcher l'embarcation rapide de l'approcher, le préfet maritime de l'Atlantique donna l'ordre d'effectuer des tirs au but sur son avant. Le Winner stoppa alors, et une équipe d'intervention monta à bord et s'en rendit maître par la force des armes ; l'un des membres de l'équipage, blessé par balle, fut évacué sur l'aviso où le médecin du bord le prit en charge, avant d'être transféré à l'hôpital de Brest où il mourut une semaine plus tard. Le reste de l'équipage fut consigné dans les cabines du Winner sous la garde des marins du commando. Un remorqueur fut dépêché de Brest pour prendre en charge le navire lequel, sur ordre du préfet maritime et à la demande du procureur de la République de Brest, fut dérouté sur le port de Brest sous escorte de l'aviso Commandant Bouan.

12.  Le 13 juin 2002, à 11 heures, le procureur de la République de Brest saisit l'OCRTIS de l'enquête de flagrance ; il apparut que le Winner était ciblé par le service des gardes-côtes grecs dans le cadre d'un trafic international de stupéfiants mettant en cause des individus de nationalité grecque.

13.  Le 24 juin 2002, le parquet de Brest ouvrit une information contre X des chefs de direction d'un groupement ayant pour objet la production, la fabrication, l'importation, l'exportation, le transport, la détention, l'offre, la cession, l'acquisition ou l'emploi illicite de stupéfiants et d'importation et exportation illicites de stupéfiants en bande organisée. Deux juges d'instructions furent désignés.

14.  Le 26 juin 2002, à 8 heures 45, le Winner entra dans le port de Brest sous escorte ; l'équipage et la cargaison furent remis aux officiers de police judiciaire agissant sur commission rogatoire de l'un des juges d'instruction, lesquels notifièrent immédiatement aux intéressés leur placement en garde à vue et les droits afférents.

15.  Le Gouvernement affirme que les deux juges d'instruction se sont déplacés les vingt-quatrième et quarante-huitième heures pour notifier à chacun la prolongation de leur garde à vue.

16.  Le 28 juin 2002, MM. Viorel Petcu, Puiu Dodica, Nicolae Balaban et Nicu Stelian Manolache furent mis en examen et placés en détention provisoire et sous mandat de dépôt. Il en alla de même le 29 juin 2002 pour MM. Oleksandr Medvedyev, Bory Bilenikin, Georgios Boreas, Sergio Cabrera Leon, Guillermo Luis Eduar Sage Martinez et deux autres membres de l'équipage (MM. Oleksandor Litetski et Symeon Theophanous).

17.  Les onze personnes susmentionnées saisirent la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes d'une requête en nullité des pièces de la procédure ; invoquant en particulier l'article 5 de la Convention, ils dénonçaient le caractère illégal de l'interception du Winner et l'irrégularité de leur détention à bord pendant treize jours. Par un arrêt du 3 octobre 2002, la chambre de l'instruction rejeta les moyens de nullité soulevés et dit n'y avoir lieu à annulation de pièces de la procédure.

18.  Dans cet arrêt, la chambre de l'instruction rappelle que la lutte internationale contre le trafic de stupéfiants est régie par la convention des Nations Unies contre le trafic de stupéfiants du 30 mars 1961, la convention des Nations Unies sur le droit de la mer signée à Montego Bay le 12 décembre 1982 et la convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes signée à Vienne le 20 décembre 1988, toutes trois ratifiées par la France. Elle retient que si le Cambodge n'a quant à lui pas signé la convention de Vienne qui prévoit en son article 17.3 des dérogations au principe traditionnel de la « loi du pavillon », cela ne privait pas les autorités françaises de la possibilité de « solliciter la coopération du Cambodge pour obtenir de sa part l'autorisation d'intercepter le Winner pour mettre fin au trafic de stupéfiants auquel tout ou partie de son équipage était soupçonné de se livrer », sur le fondement de l'article 108 de la convention de Montego Bay et « par référence » à la convention du 30 mars 1961. Selon la chambre, les dispositions de la convention de Vienne ne s'appliquant pas au Cambodge, il relevait de la compétence de cet Etat de se faire communiquer par l'Etat français les éléments d'information nécessaire lui permettant d'apprécier souverainement le bien fondé de la demande. La chambre juge ensuite que le télégramme diplomatique du 7 juin 2002 émanant de l'ambassade de France établit l'existence d'un « accord donné sans restrictions ni réserves, par le gouvernement du Cambodge à l'opération d'arraisonnement projetée avec toutes ses conséquences, et fait foi jusqu'à preuve contraire ».

19.  La chambre considère cependant que cet accord ne dispensait pas les autorités françaises de se conformer aux règles de procédures prévues par la convention de Vienne et les articles 12 et suivants de loi du 15 juillet 1994 modifiée. Or, souligne-t-elle, les autorités n'ont pas manqué à cette obligation dans les circonstances de la cause. La chambre retient en effet, au vu des procès-verbaux dressés par le commandant du Lieutenant de Vaisseau Le Hénaff que, lorsque l'aviso est arrivé en vue du Winner celui-ci « n'arborait aucun pavillon » et son commandant « non seulement n'a[vait] pas répondu aux demandes d'identification contrairement aux règles du droit international et n'a[vait] pas stoppé son navire, mais faisant preuve d'un comportement agressif, a[vait] entamé une série de manœuvres dangereuses mettant en péril la sécurité du bâtiment de la marine nationale et la vie des marins ayant pris place à bord de l'embarcation rapide », et que les membres de l'équipage du Winner jetaient à la mer des colis contenant de la cocaïne en quantité. Il y avait donc, d'après la chambre, des « motifs raisonnables » de soupçonner que le Winner se livrait à un trafic de drogue, de sorte qu' « en faisant usage de la force pour arraisonner le Winner et en prenant des mesures de contrôle et de coercition appropriées à l'égard de l'équipage consigné dans ses cabines et à la prise en charge de la conduite du navire », le commandant de l'aviso s'était « strictement conformé » aux stipulations de l'article 17.4 de la convention de Vienne (« lorsqu'à la suite de l'arraisonnement et de la visite du navire, des preuves de participation à un trafic illicite sont découvertes, peuvent être prises les mesures appropriées à l'égard du navire, des personnes qui se trouvaient à bord et de la cargaison ») et aux dispositions de la loi du 15 juillet 1994 modifiée, qui réglemente le recours à des mesures de coercition comprenant, si nécessaire l'emploi de la force en cas de refus par un navire de se soumettre à une mesure de contrôle (articles 1 à 10), et prévoit la mise en œuvre des mesures de contrôle et de coercition prévues par le droit international dans le cas particulier de la lutte contre le trafic de stupéfiants (articles 12 à 14).

20.  La chambre rejette ensuite la thèse des requérants selon laquelle l'article 13 de la loi du 15 juillet 1994 modifiée ne prévoit que des mesures d'assistance de nature administrative exclusives de toute coercition à l'égard des personnes, cet article mentionnant de manière générale que les autorités maritimes désignées sont habilitées à exécuter ou à faire exécuter « les mesures de contrôle et de coercition prévues par le droit international » et l'article 17.4 c) de la convention de Vienne en matière de trafic de stupéfiants prévoyant expressément « la prise de mesures appropriées à l'égard des personnes qui se trouvent à bord ». Si, admet la chambre, la nature de ces mesures n'est pas précisée, ce texte « emporte pour le moins la possibilité pour l'autorité marine responsable, de limiter si nécessaire, la liberté d'aller et de venir de l'équipage du navire arraisonné, sauf à vider cette disposition de toute signification et mettre gravement en danger la sécurité des hommes de prise en charge du navire ». Sur ce tout dernier point, elle considère « qu'il ne peut en effet être exclu dans le cadre de telles opérations menées en haute mer contre des trafiquants de drogue internationaux que l'équipage dispose d'armes cachées et qu'il cherche à reprendre par la force le contrôle du bateau » ; elle en déduit que « le fait d'avoir consigné les membres de l'équipage du Winner dans les cabines (...) sous la garde des hommes du commando pour permettre la prise en charge en toute sécurité de la conduite du navire, relève bien des mesures appropriées prévues par l'article 17.4 c) de la convention de Vienne ».

21.  Enfin, la chambre considère que la loi du 15 juillet 1994 « déroge nécessairement aux règles de procédure pénale de droit commun pour tenir compte de la spécificité de la lutte contre le trafic illicite de stupéfiants à bord des navires en haute mer conformément aux règles du droit international et de l'impossibilité matérielle, compte tenu des délais de navigation, pour rejoindre le port de détournement, d'appliquer les règles ordinaires de la garde à vue et de la présentation à un magistrat ». Elle en déduit que les restrictions apportées à la liberté d'aller et venir de l'équipage d'un navire arraisonné, autorisées en cette matière par la convention des Nations Unies signée à Vienne le 20 décembre 1988, ne sont pas contraires à l'article 5 § 3 de la Convention et ne constituent pas une rétention illégale. Elle relève ne outre qu'en l'espèce, dès l'arrivée du Winner, les membres de l'équipage ont été remis à des officiers de police judiciaire et placés en garde à vue avec notification immédiate de leurs droits, puis présentés au juge d'instruction.

22.  Le pourvoi formé par les requérants (au moyen notamment d'une violation de l'article 5 § 3 de la Convention) fut rejeté par un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 15 janvier 2003. Selon la haute juridiction, « en statuant ainsi, et dès lors que le Cambodge, Etat du pavillon, a[vait] expressément et sans restriction, autorisé les autorités françaises à procéder à l'arraisonnement du Winner et que seules [avaient] été prises, conformément à l'article 17 de la convention de Vienne, des mesures appropriées à l'égard des personnes se trouvant à bord, lesquelles [avaient] été régulièrement placées en garde à vue dès leur débarquement sur le territoire français, la chambre de l'instruction [avait] justifié sa décision ».

23.  Par un arrêt du 28 mai 2005, la cour d'assises spéciale d'Ille-et-Vilaine déclara MM. Georgios Boreas, Symeon Theophanous, Guillermo Sage Martinez et Sergio Cabrera Leon coupables de tentative d'importation non autorisée de stupéfiants commise en bande organisée et les condamna respectivement à vingt ans, dix-huit ans, dix ans et trois ans d'emprisonnement ; elle déclara les autres requérants acquittés des accusations portées contre eux. L'issue de l'appel qui fut ensuite interjeté n'a pas été précisée par les parties.

II.  LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENT

24.  La France est partie à la convention des Nations Unies « contre le trafic illicite des stupéfiants et substances psychotropes », faite à Vienne le 20 décembre 1988, dont l'article 17 ainsi rédigé :

« Trafic illicite par mer

1. Les Parties coopèrent dans toute la mesure du possible en vue de mettre fin au trafic illicite par mer, en conformité avec le droit international de la mer.

2. Une Partie qui a des motifs raisonnables de soupçonner qu'un navire battant son pavillon ou n'arborant aucun pavillon ou ne portant aucune immatriculation se livre au trafic illicite peut demander aux autres Parties de l'aider à mettre fin à cette utilisation. Les Parties ainsi requises fournissent cette assistance dans la limite des moyens dont elles disposent.

3. Une Partie qui a des motifs raisonnables de soupçonner qu'un navire exerçant la liberté de navigation conformément au droit international et battant le pavillon ou portant une immatriculation d'une autre Partie se livre au trafic illicite peut le notifier à l'Etat du pavillon, demander confirmation de l'immatriculation et, si celle-ci est confirmée, demander l'autorisation à cet Etat de prendre les mesures appropriées à l'égard de ce navire.

4. Conformément aux dispositions du paragraphe 3 ou aux traités en vigueur entre elles ou à tous autres accords ou arrangements conclus par ailleurs entre ces Parties, l'Etat du pavillon peut notamment autoriser l'Etat requérant à :

a. arraisonner le navire

b. visiter le navire

c. si des preuves de participation à un trafic illicite sont découvertes, prendre les mesures appropriées à l'égard du navire, des personnes qui se trouvent à bord et de la cargaison.

5. Lorsqu'une mesure est prise en application du présent article, les Parties intéressées tiennent dûment compte de la nécessité de ne pas porter atteinte à la sécurité de la vie en mer et à celle du navire et de sa cargaison, et de ne pas porter préjudice aux intérêts commerciaux et juridiques de l'Etat du pavillon ou de tout autre Etat intéressé.

6. L'Etat du pavillon peut, dans la mesure compatible avec ses obligations au titre du paragraphe 1 du présent article, subordonner son autorisation à des conditions arrêtées d'un commun accord entre lui et l'Etat requérant, notamment en ce qui concerne la responsabilité.

7. Aux fins des paragraphes 3 et 4 du présent article, chaque Partie répond sans retard à toute demande que lui adresse une autre Partie en vue de déterminer si un navire qui bat son pavillon y est autorisé et aux demandes d'autorisation présentées en application du paragraphe 3. Au moment où il devient Partie à la présente convention, chaque Etat désigne l'autorité ou, le cas échéant, les autorités habilitées à recevoir de telles demandes et à y répondre. Dans le mois qui suit cette désignation, le Secrétaire général notifie à toutes les autres Parties l'autorité désignée par chacune d'elles.

8. Une Partie qui a pris une des mesures prévues au présent article informe sans retard l'Etat du pavillon concerné des résultats de cette mesure.

9. Les Parties envisageront de conclure des accords ou arrangements bilatéraux ou régionaux en vue de donner effet aux dispositions du présent article ou d'en renforcer l'efficacité.

10. Les mesures prises en application du paragraphe 4 ne sont exécutées que par des navires de guerre ou des aéronefs militaires, ou d'autres navires ou aéronefs à ce dûment habilités portant visiblement une marque extérieure et identifiables comme étant au service de l'Etat.

11. Toute mesure prise conformément au présent article tient dûment compte, conformément au droit international de la mer, de la nécessité de ne pas empiéter sur les droits et obligations et l'exercice de la compétence des Etats côtiers, ni de porter atteinte à ces droits, obligations ou compétence. »

En revanche, la France n'a pas signé l'accord « relatif au trafic illicite par mer, mettant en œuvre l'article 17 de la convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes » fait à Strasbourg le 31 janvier 1995 et entré en vigueur le 1er mai 2000.

25.  Inséré par la loi no 96-359 du 29 avril 1996 « relative au trafic de stupéfiants en haute mer et portant adaptation de la législation française à l'article 17 de la convention des Nations Unies contre le trafic illicite des stupéfiants et substances psychotropes faite à Vienne le 20 décembre 1988 », l'article 13 de la loi no 94-589 du 15 juillet 1994 « relative aux modalités de l'exercice par l'Etat de ses pouvoirs de contrôle en mer » est libellé comme il suit (dans sa version applicable à l'époque des faits de la cause) :

« Lorsqu'il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu'un trafic de stupéfiants se commet à bord de l'un des navires visés à l'article 12 et se trouvant en dehors des eaux territoriales, les commandants des bâtiments de l'Etat et les commandants de bord des aéronefs de l'Etat, chargés de la surveillance en mer, sont habilités à exécuter ou à faire exécuter, sous l'autorité du préfet maritime, qui en avise le procureur de la République, les mesures de contrôle et de coercition prévues par le droit international et la présente loi. »

L'article 12 de la loi précise (dans sa version applicable à l'époque des faits de la cause) que l'article 13 s'applique, outre aux navires battant pavillon français, « aux navires battant pavillon d'un Etat partie à la convention de Vienne du 20 décembre 1988 autre que la France, ou régulièrement immatriculés dans un de ces Etats, à la demande ou avec l'accord de l'Etat du pavillon » (dans sa version modifiée par la loi no 2005-371 du 22 avril 2005, l'article 12 vise les « navires battant pavillon d'un Etat qui a sollicité l'intervention de la France ou agréé sa demande d'intervention ») et « aux navires n'arborant aucun pavillon ou sans nationalité ». Il ajoute que « la recherche, la constatation, la poursuite et le jugement des infractions constitutives de trafic de stupéfiants et commises en mer » sont en outre régies par les dispositions suivantes  (dans leur version applicable à l'époque des faits de la cause) :

« Chapitre Ier. - Des mesures prises à la demande ou avec l'accord d'un Etat partie à la convention précitée faite à Vienne le 20 décembre 1988

Article 14

I. - Lorsqu'il décide la visite du navire, à la demande ou avec l'accord d'un Etat partie à la convention précitée, le commandant peut faire procéder à la saisie des produits stupéfiants découverts et des objets ou documents qui paraissent liés à un trafic de stupéfiants.

Ils sont placés sous scellés en présence du capitaine du navire ou de toute personne se trouvant à bord de celui-ci.

II. - Le commandant peut ordonner le déroutement du navire vers une position ou un port appropriés lorsque des investigations approfondies qui ne peuvent être effectuées en mer doivent être diligentées à bord.

Le déroutement peut également être ordonné vers un point situé dans les eaux internationales lorsque l'Etat du pavillon en formule expressément la demande, en vue de la prise en charge du navire.

III. - Le compte rendu d'exécution des mesures prises en application de l'article 17 de la convention de Vienne ainsi que les produits, objets ou documents placés sous scellés sont remis aux autorités de l'Etat du pavillon lorsque aucune suite judiciaire n'est donnée sur le territoire français.

Chapitre II. - De la compétence des juridictions françaises

Article 15

Les auteurs ou complices d'infractions de trafic de stupéfiants commises en haute mer peuvent être poursuivis et jugés par les juridictions françaises lorsque des accords bilatéraux ou multilatéraux ou des arrangements particuliers sont conclus entre les Etats parties à la convention de Vienne.

Les arrangements particuliers sont transmis par la voie diplomatique aux autorités françaises, accompagnés des éléments permettant de soupçonner qu'un trafic de stupéfiants est commis sur un navire.

Une copie de ces documents est transmise par tout moyen et dans les plus brefs délais au procureur de la République.

Article 16

Outre les officiers de police judiciaire agissant conformément aux dispositions du code de procédure pénale, les agents des douanes ainsi que, lorsqu'ils sont spécialement habilités dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, les commandants des bâtiments de l'Etat, les officiers de la marine nationale embarqués sur ces bâtiments et les commandants de bord des aéronefs de l'Etat, chargés de la surveillance en mer, peuvent constater les infractions en matière de trafic de stupéfiants et en rechercher les auteurs selon les modalités suivantes :

I. - Le procureur de la République compétent est informé préalablement et par tout moyen des opérations envisagées en vue de la recherche et de la constatation des infractions.

Les infractions sont constatées par des procès-verbaux qui font foi jusqu'à preuve du contraire. Ces procès-verbaux sont transmis au procureur de la République dans les plus brefs délais et au plus tard dans les quinze jours qui suivent les opérations. Copie en est remise à la personne intéressée.

II. - Il peut être procédé avec l'autorisation, sauf extrême urgence, du procureur de la République à des perquisitions et à la saisie des produits stupéfiants ainsi que des objets ou documents qui paraissent provenir de la commission d'une infraction à la législation sur les stupéfiants, ou qui paraissent servir à la commettre. Cette autorisation est transmise par tout moyen.

Les produits, objets ou documents saisis sont placés immédiatement sous scellés.

Les perquisitions et saisies peuvent être opérées à bord du navire en dehors des heures prévues à l'article 59 du code de procédure pénale. »

26.  La France est également partie à la convention unique sur les stupéfiants du 30 mars 1961, dont l'article 35 est ainsi libellé :

« Compte dûment tenu de leurs régimes constitutionnel, juridique et administratif, les Parties:

a) Assureront sur le plan national une coordination de l'action préventive et répressive contre le trafic illicite; à cette fin, elles pourront utilement désigner un service approprié chargé de cette coordination;

b) S'assisteront mutuellement dans la lutte contre le trafic illicite;

c) Coopéreront étroitement entre elles et avec les organisations internationales compétentes dont elles sont membres afin de mener une lutte coordonnée contre le trafic illicite;

d) Veilleront à ce que la coopération internationale des services appropriés soit effectuée par des voies rapides;

e) S'assureront que, lorsque des pièces de justice sont transmises entre des pays pour la poursuite d'une action judiciaire, la transmission sera effectuée par des voies rapides à l'adresse des instances désignées par les Parties; cette disposition ne porte pas atteinte au droit des Parties de demander que les pièces de justice leur soient envoyées par la voie diplomatique.

f) Fourniront à l'Organe et à la Commission, si elles le jugent approprié, par l'intermédiaire du Secrétaire général, outre les renseignements requis en vertu de l'art. 18, des renseignements ayant trait aux activités illicites constatées à l'intérieur de leurs frontières et relatives notamment à la culture, à la production, à la fabrication, à l'usage et au trafic illicites des stupéfiants; et

g) Fourniront les renseignements visés au paragraphe précédent, dans toute la mesure du possible de la manière et aux dates que l'Organe fixera, de son côté, à la demande d'une Partie, l'Organe pourra l'aider à fournir ces renseignements et soutenir ses efforts en vue de réduire les activités illicites en matière de stupéfiants à l'intérieur des frontières de celle-ci. »

27.  Quant aux articles 108 et 110 de la convention des Nation Unies sur le droit de la mer faite à Montego Bay le 15 décembre 1982, ils sont rédigés comme il suit :

« Article 108 : Trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes

1. Tous les Etats coopèrent à la répression du trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes auquel se livrent, en violation des conventions internationales, des navires naviguant en haute mer.

2. Tout Etat qui a de sérieuses raisons de penser qu'un navire battant son pavillon se livre au trafic illicite de stupéfiants ou de substances psychotropes peut demander la coopération d'autres Etats pour mettre fin à ce trafic. »

« Article 110 : Droit de visite

1. Sauf dans les cas où l'intervention procède de pouvoirs conférés par traité, un navire de guerre qui croise en haute mer un navire étranger, autre qu'un navire jouissant de l'immunité prévue aux articles 95 et 96, ne peut l'arraisonner que s'il a de sérieuses raisons de soupçonner que ce navire:

a) se livre à la piraterie;

b) se livre au transport d'esclaves;

c) sert à des émissions non autorisées, l'Etat du pavillon du navire de guerre ayant juridiction en vertu de l'article 109;

d) est sans nationalité; ou

e) a en réalité la même nationalité que le navire de guerre, bien qu'il batte pavillon étranger ou refuse d'arborer son pavillon.

2. Dans les cas visés au paragraphe 1, le navire de guerre peut procéder à la vérification des titres autorisant le port du pavillon. A cette fin, il peut dépêcher une embarcation, sous le commandement d'un officier, auprès du navire suspect. Si, après vérification des documents, les soupçons subsistent, il peut poursuivre l'examen à bord du navire, en agissant avec tous les égards possibles.

3. Si les soupçons se révèlent dénués de fondement, le navire arraisonné est indemnisé de toute perte ou de tout dommage éventuel, à condition qu'il n'ait commis aucun acte le rendant suspect.

4. Les présentes dispositions s'appliquent mutatis mutandis aux aéronefs militaires.

5. Les présentes dispositions s'appliquent également à tous autres navires ou aéronefs dûment autorisés et portant des marques extérieures indiquant clairement qu'ils sont affectés à un service public. »

EN DROIT

I.SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 §§ 1 ET 3 DE LA CONVENTION

28.  Les requérants se disent victimes d'une privation arbitraire de liberté. Ils soulignent tout d'abord qu'ils ont été détenus sur le Winner durant treize jours sous la surveillance des forces militaires françaises sans que cette détention ait été contrôlée par une autorité judiciaire, et en déduisent qu'ils n'ont pas été « aussitôt » traduits devant un juge comme l'exige cette disposition. Ils dénoncent aussi l'imprécision des textes fondant cette privation de liberté. Ils invoquent l'article 5 de la Convention, dont les paragraphes 3 et 5 sont ainsi libellés :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

c)  s'il a été arrêté et détenu en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction ou qu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci ;

(...)

3.  Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience.

(...) ».

A.Thèses des parties

1. Le Gouvernement

29.  Le Gouvernement souligne la nécessité de prendre en compte, dans le cadre de l'analyse des circonstances de l'espèce, les impératifs de la lutte contre le trafic illicite de stupéfiants et de la responsabilité collective des Etats dans ce domaine. Il ajoute que c'est pour assumer sa part de cette responsabilité que la France est intervenue en l'espèce, mobilisant à ses frais pendant plusieurs jours deux bâtiments de la marine nationale.

30.  Ceci étant, le Gouvernement, admet qu'à bord du Winner, les requérants étaient privés de liberté au sens de l'article 5 de la Convention, ceci durant treize jours (du 13 juin 2002, date de l'interception du bateau, au 26 juin 2002, date de son arrivée au port de Brest). Cependant, il considère que cette privation de liberté était conforme aux exigences dudit article, soulignant tout d'abord qu'elle s'est effectuée « selon les voies légales » comme l'exige le premier paragraphe de cette disposition.

31.  A cet égard, le Gouvernement se réfère à trois conventions internationales. Premièrement : la convention de Montego Bay sur le droit de la mer du 15 décembre 1982, dont l'article 108 pose le principe d'une coopération entre les Etats pour la répression du trafic illicite de stupéfiants auquel se livrent, en violation des conventions internationales, des navires navigant en haute mer puisqu'il prévoit qu'un Etat qui a de sérieuses raisons de penser qu'un navire battant son pavillon se livre à un tel trafic peut demander la coopération d'autres Etats pour y mettre fin, et dont l'article 110 autorise les Etats à arraisonner un navire en haute mer s'ils ont de sérieuses raisons de soupçonner qu'il est sans nationalité. Deuxièmement : la convention sur les stupéfiants du 30 mars 1961, ratifiée par la France et signée par le Cambodge, qui prévoit en son article 35 que les Etats signataires s'accordent une assistance mutuelle dans la lutte contre le trafic illicite de stupéfiant. Troisièmement : la convention de Vienne du 19 décembre 1988 contre le trafic illicite des stupéfiants et de substances psychotropes (non ratifiée par le Cambodge), qui organise et améliore la coopération esquissée par la convention de Montego Bay. En particulier, cette dernière prévoit explicitement, lorsqu'il y a « motif raisonnable de soupçon de trafic illicite », la possibilité pour un Etat partie de formuler une demande d'intervention sur un navire étranger auprès des autorités de l'Etat dont il bat pavillon et, en cas d'accord, de visiter ledit navire puis, en cas d'infraction, de prendre « toutes les mesures appropriées à l'égard du navire, des personnes et de la cargaison ».

32.  Certes, indique le Gouvernement, le Cambodge n'a pas ratifié la convention de Vienne ; rien n'empêchait cependant la France et ce dernier de s'en inspirer et de conclure, sur le fondement de l'article 108 de la convention de Montego Bay et de la convention du 30 mars 1961, un accord ad hoc par lequel les autorités cambodgienne autorisaient la France à arraisonner le Winner et à prendre des mesures privatives de liberté. Selon le Gouvernement, les règles du droit international permettent à un Etat d'exercer momentanément sa juridiction sur un bâtiment relevant normalement de la juridiction d'un autre Etat dès lors que ce dernier l'y autorise, fût-ce comme en l'espèce par une « note verbale ». Se référant à la jurisprudence Plateau continental de la mer Egée de la Cour internationale de justice (arrêt Grèce c. Turquie du 19 décembre 1978), il souligne à cet égard que le formalisme n'est pas déterminant.

33.  Le Gouvernement se fonde en outre sur la loi no 94-589 du 15 juillet 1994 relative aux modalités de l'exercice par l'Etat de ses pouvoirs de contrôle en mer, dont l'article 13 prévoit que lorsqu'il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu'un trafic de stupéfiant se commet à bord d'un navire battant pavillon d'un Etat partie à la convention de Vienne ou –tel le Winner – n'arborant aucun pavillon, et se trouvant en dehors des eaux territoriales, les commandants des bâtiments de l'Etat chargés de la surveillance en mer, sont habilités à exécuter ou à faire exécuter les « mesures de contrôle et de coercition » prévues par le droit international et la présente loi. Enfin, le Gouvernement rappelle que l'article L. 1521-5 du code de la défense, dans sa rédaction issue de la loi no 2005-371 du 22 avril 2005, dispose désormais que « pendant le transit consécutif au détournement, les commandants de bord peuvent prendre les mesures de coercition nécessaires et adaptées en vue d'assurer la préservation du navire et de sa cargaison et la sécurité des personnes se trouvant à bord ».

34.  Selon le Gouvernement, en renvoyant aux « mesures de contrôle et de coercition prévues par le droit international et la [loi du 15 juillet 1994] » et aux « mesure appropriées », les normes applicables étaient suffisamment précises pour fonder une privation de liberté dans les conditions requises par l'article 5 § 1 de la Convention. En se livrant à un trafic illicite de stupéfiant en haute mer, les requérants ne pouvaient au demeurant que s'attendre à ce que leur navire soit intercepté par tout Etat luttant contre ce fléau. A cela s'ajouterait le fait qu'en autorisant la France à procéder à l' « interception », au « contrôle » et à « l'engagement de procédures judiciaires » à l'encontre du Winner, les autorités cambodgiennes auraient aussi – cela en serait la conséquence nécessaire – autorisé le détournement du navire vers la France et la privation de liberté de son équipage.

35.  Ensuite, renvoyant à la décision Rigopoulos c. Espagne du 12 janvier 1999 (no 37388/97, Recueil des arrêts et décisions 1999-II), le Gouvernement soutient que, vu les circonstances exceptionnelles de l'espèce, il doit être considéré que les requérants ont été « aussitôt traduit[s] devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires », comme l'exige l'article 5 § 3 de la Convention.

36.  Selon lui, la privation de liberté subie à bord du Winner n'a duré que le temps strictement nécessaire au déroutement du navire vers un port français : comme dans l'affaire Rigopoulos, les autorités se trouvaient devant l'impossibilité matérielle d'amener physiquement les requérants devant un juge d'instruction dans un délai plus court, eu égard à la distance à parcourir jusqu'à Brest (3 500 km) et au fait qu'en raison des conditions météorologiques et de son mauvais état, le Winner ne pouvait avancer qu'à la vitesse de 5 nœuds. Certes, à l'inverse du cas Rigopoulos, il n'était pas envisageable que le juge de la liberté et de la détention soit saisi afin de décider du placement en détention provisoire des requérants, une telle décision ne pouvant intervenir qu'après mise en examen, laquelle suppose que le juge d'instruction ait préalablement entendu le ou les intéressés. Cependant, estime le Gouvernement, conformément au droit interne applicable lorsqu'il y a interception en mer, d'une part, la privation de liberté litigieuse s'est déroulée sous le contrôle d'une « autorité judicaire », le procureur de la République, et, d'autre part, les requérants ont bénéficié des garanties propres à cette procédure spécifique. Sur ce dernier point, le Gouvernement indique que, dans le cadre de cette procédure, aucun interrogatoire ne peut être mené – ceci « afin de garantir des auditions ultérieures dans un cadre judiciaire » –, la fouille corporelle est exclue, le procureur de la République est informé préalablement des opérations envisagées en vue de la recherche et de la constatation des infractions, et les intéressés reçoivent copie des procès-verbaux de ces opérations. En l'espèce, souligne le Gouvernement, le parquet de Brest a été constamment tenu informé dès le 7 juin 2002, et c'est lui qui a autorisé les saisies et perquisitions et qui, le 24 juin 2002, a ouvert une information « afin de s'assurer que tous les droits de la défense soient préservés dans un cadre judiciaire précis » ; par ailleurs, dès l'interception, le capitaine du Winner a reçu copie des procès-verbaux établis par la marine nationale et a été informé de toutes les opérations au fur et à mesure de leur déroulement, et la visite et la fouille se sont déroulées en sa présence.

37.  Enfin, le Gouvernement affirme que c'est dans le strict respect du code de procédure pénale qu'à leur arrivée au port de Brest, le 24 juin 2002, les membres de l'équipage ont été placés en garde à vue dans le cadre de l'information judiciaire ouverte contre X, du chef d'infractions à la législation sur les stupéfiants. Le Gouvernement souligne que, dès leur arrivée, les intéressés ont été remis à des officiers de police judiciaire –agissant sur commission rogatoire – qui leur ont notifié leur placement en garde à vue et les droits y afférents ; les deux juges d'instructions se sont déplacés les vingt-quatrième et quarante-huitième heures pour notifier à chacun la prolongation de sa garde à vue. Quant à la garde à vue elle-même, considérant en particulier le nombre des requérants et le besoin de recourir à des interprètes pour procéder à leur interrogatoire, il se trouverait justifié sur toute sa durée par les nécessités de l'enquête.

38.  En conclusion, le Gouvernement demande à la Cour de rejeter la requête pour « défaut de fondement ».

2.Les requérants

39.  Les requérants contestent la thèse du Gouvernement selon laquelle la privation de liberté qu'ils ont subie à bord du Winner était conforme aux « voies légales » au sens de l'article 5 § 1.

40.  Premièrement, selon eux, cette privation de liberté était dépourvue de base légale, que l'on envisage celle-ci sous l'angle du droit international ou du droit interne.

41.  La convention de Montego Bay serait en effet inapplicable en l'espèce dès lors que, si son article 108 autorise les Etats qui soupçonnent de trafic de stupéfiants un navire battant leur pavillon à demander la coopération à d'autres Etats pour mettre fin au trafic, l'Etat demandeur n'était pas la Cambodge mais la France. Or la seule acceptation de l'Etat cambodgien ne pourrait être assimilée à une demande de coopération faite à la France pour arraisonner un navire battant pavillon cambodgien, seule configuration prévue par l'article 108 de la convention de Montego Bay. Quant à la Convention de Vienne du 20 décembre 1988, elle ne serait pas opposable au Cambodge qui n'y est pas partie, si bien que les navires battant pavillon de cet Etat ne pourraient être abordés en haute mer sur son fondement.

42.  S'agissant d'un « prétendu accord bilatéral ad hoc » entre la France et le Cambodge, il ressortirait en tout état de cause des écrits mêmes du Gouvernement qu'il ne portait que sur une « demande d'interception » et que les autorités cambodgiennes se sont bornées à autoriser « l'opération d'arraisonnement » ; en d'autres termes, à supposer que ce prétendu accord ait une valeur juridique alors qu'il a une simple note verbale pour support – laquelle de surcroît n'avait pas été versée aux débats dans le cadre de la procédure interne –, il ne justifiait que l'interception du Winner, pas la détention de son équipage.

43.  La loi no 94-589 du 15 juillet 1994 serait pareillement inopérante dès lors que, s'il ressort de ses articles 12 et 13 que les commandants de bord peuvent, en dehors des eaux territoriales, en cas de soupçons de trafic de stupéfiants, exécuter ou faire exécuter « les mesures de contrôle et de coercition prévues par le droit international et la présente loi », cela ne serait possible qu'à l'égard des navires battant pavillon français ou d'un autre Etat partie à la convention de Vienne du 20 décembre 1988, immatriculés dans un de ces Etats, ou n'arborant aucun pavillon ou sans nationalité. Or, selon les requérants, le Winner n'entrait dans aucune de ces catégories. A cet égard, ils soulignent tout particulièrement que le Gouvernement se contredit en soutenant, d'un côté, que, préalablement à l'interception, il a sollicité l'autorisation du Cambodge qu'il tenait pour l'Etat du pavillon et, de l'autre, que ce bateau n'arborait aucun pavillon ou était sans nationalité. Il est selon eux manifeste qu'au moment de l'arraisonnement, les autorités françaises avaient identifié le Winner : il n'y aurait jamais eu de doute ni sur la nature du navire abordé ni sur sa nationalité.

44.  La cause des requérants se distinguerait ainsi de l'affaire Rigopoulos précitée, qui concernait l'interception par les autorités espagnoles d'un navire panaméen et la prise de mesures coercitives à l'égard de l'équipage, l'Espagne et le Panama étant tous deux parties à la convention de Vienne et donc soumis à son article 17.

45.  Deuxièmement, en tout état de cause, les dispositions de droit interne et international précitées ne seraient pas suffisamment précises quant aux mesures privatives de liberté susceptibles d'être prises pour pouvoir être qualifiées de loi au sens de l'article 5. Les requérants soulignent à cet égard que l'article 13 de la loi du 15 juillet 1994 se borne à indiquer que les autorités maritimes sont habilitées à exécuter et à faire exécuter « les mesures de contrôle et de coercition prévues par le droit international » et que la convention de Vienne, en son article 17.4 c), ne prévoit que « la prise de mesures appropriées à l'égard des personnes qui se trouvent à bord ». La loi no 2005-371 du 22 avril 2005, qui prévoit désormais explicitement la possibilité pour les commandants de prendre des mesures de coercition, serait un « aveu implicite » de l'insuffisance des textes antérieurs sur ce point.

46.  Sur le terrain de l'article 5 § 3, les requérants mettent en exergue le fait que dans l'affaire Rigopoulos précitée, dans laquelle la Cour a jugé manifestement mal fondé un grief similaire au leur, la mesure privative de liberté litigieuse avait été prise par un « magistrat » au sens de cette disposition. Tel n'aurait pas été le cas en leur cause. En effet, à supposer qu'il soit avéré que le procureur de la République était tenu informé pendant toute la durée du transit des opérations se déroulant à bord du Winner, il ne s'agirait pas là d'un « magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires » au sens de l'article 5 § 3. Sur ce point, se référant parmi d'autres à l'arrêt Huber c. Suisse du 23 octobre 1990 (série A no 188), les requérants soulignent notamment qu'il manque au représentant du ministère public français l'indépendance à l'égard de l'exécutif pour pouvoir être ainsi qualifié, le parquet français étant placé sous l'autorité du gouvernement, via la Chancellerie.

47.  Par ailleurs, indiquent les requérants, dans l'affaire Rigopoulos, les autorités ont fait au mieux pour rester dans le cadre de la procédure pénale espagnole ; en particulier, la juridiction d'instruction a pris soin de rendre dans les trois jours suivant l'interception, une ordonnance déclarant que, l'échéance du délai légal de soixante-douze heures au terme duquel une personne détenue doit être libérée ou présentée à l'autorité judiciaire approchant, il convenait de régulariser la situation des membres de l'équipage privés de liberté et de les placer en détention provisoire. Rien n'empêchait les autorités françaises de faire de même en leur cause, en contactant un juge par téléphone pour obtenir son accord quant au maintien des membres de l'équipage en détention à bord du Winner et en informant ces derniers de leurs droits et des faits dont ils étaient soupçonnés, et en leur permettant de prendre contact avec un avocat et de prévenir leur famille. De surcroît, soulignent les requérants, à leur arrivée à Brest, ils ont été placés en garde à vue durant quarante-huit à soixante-douze heures, comme s'ils venaient d'être arrêtés, alors qu'ils avaient déjà été détenus treize jours à bord. Ils ont ainsi attendu quinze à seize jours avant d'être présentés à un « magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ».

B.Appréciation de la Cour

1.  Sur la recevabilité

48.  La Cour constate que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Relevant par ailleurs qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité, elle la déclare recevable.

2.  Sur le fond

49.  A titre liminaire, la Cour souligne qu'elle partage le point de vue du Gouvernement selon lequel il faut garder à l'esprit que les mesures prises par les autorités françaises à l'encontre du Winner et de son équipage s'inscrivaient dans le cadre de la participation de la France à la lutte contre le trafic international de stupéfiants. Comme elle l'a à maintes reprises indiqué, vu les ravages de la drogue, elle conçoit en particulier que les autorités des Etats parties fassent preuve d'une grande fermeté à l'égard de ceux qui contribuent à la propagation de ce fléau. Cependant, aussi légitime qu'elle soit, une telle fin ne saurait justifier tous les moyens : lesdits Etats sont tenus de garantir à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés garantis par la Convention et les Protocoles additionnels qu'ils ont ratifiés, en toutes circonstances et dans les seules limites prévues par ces mêmes textes. Vu l' « importance primordiale » que revêt l'article 5 de la Convention (McKay c. Royaume-Uni [GC], arrêt du 3 octobre 2006, no 543/03, CEDH 2006-X, § 30), ils se doivent d'être spécialement vigilants à cet égard lorsque, comme en l'espèce, une privation de liberté au sens de cette disposition est en cause.

50.  Ceci étant souligné, la Cour constate, d'une part, que nul ne conteste qu'entre le 13 juin 2002 (date de l'interception du Winner) et le 26 juin 2002 (date de son arrivée au port de Brest) le Winner et son équipage étaient sous le contrôle des forces militaires françaises, de sorte que, bien qu'en dehors du territoire français, ils se trouvaient sous la juridiction de la France au sens de l'article 1er de la Convention. Elle relève, d'autre part, que les parties s'accordent à considérer que durant toute cette période à bord du Winner – puis durant leur garde à vue – les requérants étaient privés de liberté au sens de l'article 5 de la Convention, « en vue d'être conduit[s] devant l'autorité judiciaire compétente » (article 5 § 1 c)).

51.  Tel est aussi le point de vue de la Cour, qui renvoie en sus à la décision Rigopoulos précitée.

52.  Les parties s'opposent en revanche sur les questions de savoir si la privation de liberté subie par les requérants à bord du Winner s'est effectuée « selon les voies légales » comme l'exige le paragraphe 1 de l'article 5 de la Convention, et si, conformément au paragraphe 3 de ce même article, ils ont été « aussitôt traduit[s] devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ».

a.Sur l'article 5 § 1

53.   La Cour rappelle que l'article 5 § 1 impose avant tout que toute arrestation ou détention ait une base légale en droit interne. Ces termes ne se bornent pas à renvoyer au droit interne ; ils concernent aussi la qualité de la « loi » ; ils la veulent compatible avec la prééminence du droit, notion inhérente à l'ensemble des articles de la Convention. Pour rechercher si une privation de liberté a respecté le « principe de légalité interne », il incombe à la Cour d'apprécier non seulement la législation en vigueur dans le domaine considéré, mais aussi la qualité des autres normes juridiques applicables aux intéressés y compris le cas échéant celles qui trouvent leur source dans le droit international. Pareille qualité implique que des normes autorisant une privation de liberté soient suffisamment accessibles et précises afin d'éviter tout danger d'arbitraire ; dans tous les cas, elles doivent offrir une protection adéquate et la sécurité juridique nécessaires pour prévenir les atteintes arbitraires de la puissance publique aux droits garantis par la Convention (Amuur c. France, arrêt du 25 juin 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, §§ 50 et 53).

54.  La Cour constate que le droit international pose le principe de la liberté de navigation en haute mer, sauf les pouvoirs de contrôle et de coercition des navires par ceux de l'Etat de leur pavillon. Les navires d'Etats tiers peuvent cependant, procéder à de tels contrôles, même sans l'accord préalable de l'Etat du pavillon, en cas de sérieuses raisons de soupçonner que le navire se livre au transport d'esclaves ou à la piraterie, sert à des émissions radiophoniques non autorisées, est sans nationalité ou a en réalité la même nationalité que le navire qui procède au contrôle bien qu'il batte pavillon étranger ou refuse d'arborer son pavillon (voir notamment l'article 110 de la convention de Montego Bay précitée), ou bien lorsque des traités spécifiques le prévoient. L'article 17 de la convention de Vienne contre le trafic illicite des stupéfiants et substances psychotropes (précitée), relatif au « trafic illicite par mer » prévoit ainsi, au-delà de la coopération des Etats parties en vue de mettre fin au trafic illicite (paragraphe 1), la possibilité pour tout Etat partie qui a des « motifs raisonnables de soupçonner » qu'un navire battant le pavillon ou portant une immatriculation d'un autre Etat partie se livre à un tel trafic, de le notifier à cet Etat, de demander confirmation de l'immatriculation et, s'il y a confirmation, de « demander l'autorisation à cet Etat de prendre les mesures appropriées à l'égard de ce navire » (paragraphe 3). Le paragraphe 4 de l'article 17 précise que l'Etat du pavillon peut notamment autoriser l'Etat requérant à arraisonner et visiter le navire et, « si des preuves de participation à un trafic illicite sont découvertes, [à] prendre les mesures appropriées à l'égard du navire, des personnes qui se trouvent à bord et de la cargaison ».

55.  Ensuite, la loi du 15 juillet 1994 « relative aux modalités de l'exercice par l'Etat de ses pouvoirs de contrôle en mer », dans sa version modifiée par la loi du 29 avril 1996 « relative au trafic de stupéfiants en haute mer et portant adaptation de la législation française à l'article 17 de la convention des Nations Unies contre le trafic illicite des stupéfiants et substances psychotropes faite à Vienne le 20 décembre 1988 », habilite les commandants des bâtiments de l'Etat (notamment) chargés de la surveillance en mer, lorsqu'il existe des « motifs raisonnables de soupçonner qu'un trafic de stupéfiants se commet à bord » d'un navire se trouvant en dehors des eaux territoriales et battant pavillon français ou d'un Etat partie à la convention de Vienne susmentionnée, ou régulièrement immatriculés dans un de ces Etats, à exécuter ou à faire exécuter, sous l'autorité du préfet maritime, qui en avise le procureur de la République, les « mesures de contrôle et de coercition » prévues par le droit international et ladite loi. Quant aux mesures pouvant être ainsi prises « à la demande ou avec l'accord d'un Etat partie à la convention précitée [de] Vienne [du] 20 décembre 1988 » en vertu de cette loi, l'article 14 mentionne la « visite du navire » , la « saisie des produits stupéfiants découverts et des objets ou documents qui paraissent liés à un trafic de stupéfiants » et leur mise sous scellés, et le « déroutement du navire » notamment « vers une position ou un port appropriés lorsque des investigations approfondies qui ne peuvent être effectuées en mer doivent être diligentées à bord ».

56.  La Cour relève que la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes a retenu que, le Cambodge n'étant pas partie à la convention de Vienne susmentionnée, les mesures prises nonobstant le « principe traditionnel de la « loi du pavillon » » par les autorités françaises en haute mer contre le Winner et son équipage ne pouvaient trouver leur fondement légal dans les dérogations à ce principe prévues par l'article 17 § 3 de cette convention. La chambre de l'instruction a cependant considéré que cela ne faisait pas obstacle à ce que lesdites autorités « sollicite[nt] la coopération du Cambodge pour obtenir de sa part l'autorisation d'intercepter le Winner pour mettre fin au trafic de stupéfiants auquel tout ou partie de son équipage était soupçonné de se livrer ». Selon elle, elles étaient fondées à le faire sur la base de l'article 108 de la convention de Montego Bay, qui prévoit que « tous les Etats coopèrent à la répression du trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes auquel se livrent, en violation des conventions internationales, des navires naviguant en haute mer » et que « tout Etat qui a de sérieuses raisons de penser qu'un navire battant son pavillon se livre [à un tel trafic] peut demander la coopération d'autres Etats pour mettre fin à ce trafic », et « par référence » à la convention unique sur les stupéfiants du 30 mars 1961 (dont l'article 35 pose le principe d'assistance mutuelle entre les parties dans la lutte contre le trafic illicite). D'après la chambre de l'instruction, les mesures prises en l'espèce à l'égard du Winner et de son équipage trouvaient en conséquence leur fondement dans l'accord « donné sans restrictions ni réserves » aux autorités françaises par le gouvernement cambodgien pour « l'opération d'arraisonnement projetées avec toutes ses conséquences », dans la limite quand même du respect par elle des règles de procédures prévues par la convention de Vienne et la loi du 15 juillet 1994 relative aux modalités de l'exercice par l'Etat de ses pouvoirs de contrôle en mer « qui, en ses articles 12 et suivants, définit la compétence des commandants des bâtiments de l'Etat et la recherche, la constatation, la poursuite et le jugement par les juridictions françaises des infractions constitutives de trafic de stupéfiants commises en mer ». La chambre de l'instruction s'est ensuite convaincue qu' « en faisant usage de la force pour arraisonner le Winner et en prenant des mesures de contrôle et de coercitions appropriées à l'égard de l'équipage consigné dans ses cabines et à la prise en charge de la conduite du navire », le commandant de l'aviso s'était « strictement conformé » aux dispositions de cette loi et aux stipulations de l'article 17 § 4 de la convention de Vienne.

57.  La Cour n'est pas entièrement convaincue par cette approche. D'abord, en ce qu'elle renvoie à des conventions internationales auxquelles le Cambodge n'est pas partie. Ensuite, parce qu'elle repose sur des dispositions législatives qui, à l'époque des faits, ne prévoyaient l'intervention extraterritoriale des autorités françaises que – outre sur les navires français – sur des « navires battant pavillon d'un Etat partie à la convention de Vienne du 20 décembre 1988 [non ratifiée par le Cambodge, comme indiqué précédemment] (...) ou régulièrement immatriculés dans un de ces Etats, à la demande ou avec l'accord de l'Etat du pavillon », et des navires n'arborant aucun pavillon ou sans nationalité. Or il est permis de douter que, dans les circonstances de la cause, le Winner entrait dans l'une ou l'autre de ces catégories. La Cour relève d'ailleurs que, dans sa version actuelle (issue de la loi no 2005-371 du 22 avril 2005), la loi du 15 juillet 1994  vise plus généralement les « navires battant pavillon d'un Etat qui a sollicité l'intervention de la France ou agréé sa demande d'intervention » ; cette modification tend à indiquer que le législateur voyait une insuffisance dans la version applicable à l'époque des faits en ce qu'elle faisait référence aux seuls Etats parties à la convention de Vienne. La Cour constate aussi, à l'instar des requérants, que la thèse du Gouvernement relative à l'applicabilité et au respect en l'espèce desdites dispositions législatives repose sur une contradiction. Il soutient en effet à cette fin qu'au moment de l'interception, le Winner n'arborait aucun pavillon, alors qu'il expose à d'autres égards que les autorités françaises s'étaient préalablement assurées auprès des autorités du Cambodge de l'immatriculation du bateau dans ce pays, et qu'il ressort de l'arrêt de la chambre de l'instruction qu'il était identifié comme étant le Winner avant le début des opérations.

58.  Il reste certes que les autorités françaises sont intervenues avec l'accord préalable du Cambodge, ce dont atteste  la note verbale du 7 juin 2002 par laquelle le ministre des Affaires étrangères cambodgien déclare confirmer formellement que son gouvernement « autorise les autorités françaises à intercepter, contrôler et engager des poursuites judiciaires » contre « le bateau Winner ». La Cour est à cet égard prête à suivre le raisonnement de la chambre de l'instruction en ce qu'il revient à considérer que, vu l'article 108 de la convention de Montego Bay, l'interception et la prise de contrôle du Winner par les autorités françaises trouvaient un fondement juridique dans cet accord. En revanche, considérant les termes de la note verbale, elle doute fort que l'on puisse en déduire comme l'a fait la chambre de l'instruction, que cet accord couvre non seulement « l'arraisonnement projeté » mais aussi « toutes ses conséquences », y compris la privation de liberté de treize jours imposée aux membres de l'équipage à bord du navire.

59.  En d'autres termes, la Cour estime que l'on ne peut déduire de ce seul accord que la détention litigieuse avait une base légale au sens de l'article 5 § 1 de la Convention.

60.  Force est par ailleurs de constater que la loi du 15 juillet 1994 n'envisage pas plus précisément une privation de liberté du type et de la durée de celle subie par les requérants. Ses articles 12 à 14 renvoient en effet à la prise de « mesures de contrôle et de coercition prévues par le droit international et la présente loi » (article 13). Or, comme indiqué précédemment, les mesures prévues par la loi elle-même se résument à l'identification et à la visite du navire, à la saisie et au placement sous scellés des produits stupéfiants découverts à bord, et à l'éventuel déroutement du navire vers un port ou une position appropriée lorsque des investigations approfondies ne peuvent être menées en pleine mer (ou vers un point situé dans les eaux internationales lorsque l'Etat du pavillon en formule expressément la demande, en vue de la prise en charge du navire).

S'agissant du droit international, premièrement, l'article 17 de la convention de Vienne – auquel se réfère dans ce contexte la chambre de l'instruction – se borne en tout état de cause à envisager en son paragraphe 3 la prise par l'Etat intervenant de « mesures appropriées » à l'encontre du navire en question et, en son paragraphe 4, à viser l'arraisonnement et la visite du navire ainsi que, « si des preuves de participation à un trafic illicite sont découvertes », des « mesures appropriées à l'égard du navire, des personnes qui se trouvent à bord et de la cargaison » (article 17 § 4.c.). Deuxièmement, le Gouvernement ne fait état d'aucune disposition de droit international à cet égard plus précise.

61.  En outre, la Cour considère que les normes juridiques susévoquées n'offrent pas une protection adéquate contre les atteintes arbitraires au droit à la liberté. En effet, aucune de ces normes ne vise expressément la privation de liberté des membres de l'équipage du navire intercepté. Il s'ensuit qu'elles n'encadrent pas les conditions de la privation de liberté à bord, notamment quant aux possibilités pour les intéressés de contacter un avocat ou des proches. Par ailleurs, elles omettent de la placer sous le contrôle d'une autorité judiciaire (voir, mutatis mutandis, l'arrêt Amuur précité, § 53). Certes, comme le souligne le Gouvernement, les mesures prises en application de la loi du 15 juillet 1994 le sont sous le contrôle du procureur de la République : il en est avisé par le préfet maritime (article 13 de la loi) et il est « informé préalablement par tout moyen des opérations envisagées en vue de la recherche et de la constatation des infractions » (article 16 de la loi) ; de plus, les intéressés reçoivent copie des procès-verbaux constatant les infractions (ibidem) et, à en croire le Gouvernement, aucun interrogatoire ne peut être mené à bord et la fouille corporelle est exclue. Force est cependant de constater que le procureur de la République n'est pas une « autorité judiciaire » au sens que la jurisprudence de la Cour donne à cette notion : comme le soulignent les requérants, il lui manque en particulier l'indépendance à l'égard du pouvoir exécutif pour pouvoir être ainsi qualifié (voir Schiesser c. Suisse, arrêt du 4 décembre 1979, série A no 34, §§ 29-30).

62.  En conséquence, et eu égard tout particulièrement à « l'adhésion scrupuleuse à la prééminence du droit » qu'impose l'article 5 de la Convention (voir McKay précité, mêmes références), on ne saurait dire que les requérants ont été privés de leur liberté « selon les voies légales », au sens du paragraphe 1 de cette disposition.

63.  Partant, il y a eu violation de l'article 5 § 1 de la Convention.

b.Sur l'article 5 § 3

64.  Doit également être examinée la question que pose sur le terrain de l'article 5 § 3 de la Convention la durée de la privation de liberté subie par les requérants : treize jours à bord du Winner auxquels s'ajoutent – selon les cas – deux ou trois jours de garde à vue à Brest. Sur ce tout dernier point, le Gouvernement affirme certes que les deux juges d'instruction se sont déplacés les vingt-quatrième et quarante-huitième heures pour notifier à chacun des intéressés la prolongation de leur garde à vue. Cette thèse, à l'appui de laquelle le Gouvernement ne produit aucun élément, n'est cependant corroborée ni par l'exposé des faits figurant dans l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes du 3 octobre 2002 ni par aucun pièce du dossier. Il y a lieu de toutes façons de retenir que les requérants n'ont été présentés à « un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires » au sens de l'article 5 § 3 qu'au moment de leur comparution devant le juge des libertés et de la détention en vue de leur placement en détention provisoire (le 28 juin 2002 pour les uns, le 29 pour les autres), soit après quinze ou seize jours de privation de liberté.

65.  Or comme la Cour l'a souligné dans la décision Rigopoulos précitée, un tel délai est en principe incompatible avec l' « exigence de promptitude » qu'expriment les termes « aussitôt traduite » que l'on trouve dans cette disposition. Seules des « circonstances tout à fait exceptionnelles » pourraient le justifier, étant toutefois entendu que rien ne saurait dispenser les Etats parties de l'obligation d'offrir en toutes circonstances aux personnes se trouvant sous leur juridiction des garanties adéquates contre les privations arbitraires de liberté.

66.  L'affaire Rigopoulos concernait l'interception en haute mer par la police des douanes espagnoles d'un navire battant pavillon panaméen et transportant de la cocaïne, puis la détention de son équipage – dont le requérant, son capitaine – durant seize jours, le temps de son convoiement vers un port espagnol. La Cour a conclu au défaut manifeste de fondement du grief tiré de l'article 5 § 3, au motif que « compte tenu des circonstances tout à fait exceptionnelles de (...) l'affaire, on ne saurait conclure que le délai qui s'est écoulé entre le moment de la mise en détention du requérant et sa présentation au juge d'instruction a excédé la promptitude telle qu'elle est conçue au paragraphe 3 [de l']article [5] ». Elle a relevé au titre de ces circonstances que la distance à parcourir était « considérable » (le navire se trouvait à 5 500 km du territoire espagnol au moment de son interception) et qu'un retard de quarante-trois heures, qui avait été provoqué par des actes de résistance de membres de l'équipage, ne « saurait être imputable aux autorités espagnoles » ; elle en a déduit qu'il existait « une impossibilité matérielle d'amener physiquement le requérant devant le juge d'instruction dans un délai plus court ». Elle a en outre pris en compte le fait qu'à son arrivée sur le sol espagnol, le requérant avait immédiatement été transféré à Madrid par avion et, dès le lendemain, traduit devant l'autorité judiciaire. Enfin, elle a jugé « peu réaliste » la possibilité évoquée par le requérant que, plutôt que d'être convoyé vers l'Espagne, le navire fût dérouté vers l'île britannique de l'Ascension, celle-ci se trouvant à environ 1 600 km du lieu de l'interception.

67.  Au moment de son interception, le Winner se trouvait lui aussi en haute mer, loin des côtes françaises, à une distance du même ordre que celle dont il était question dans l'affaire Rigopoulos, et rien n'indique que son acheminement vers la France ait pris plus de temps que nécessaire. Par ailleurs, les requérants ne prétendent pas qu'il était envisageable de les remettre aux autorités d'un pays plus proche que la France, où ils auraient pu être rapidement traduits devant une autorité judiciaire. La présente espèce se rapproche donc grandement de l'affaire Rigopoulos : il y avait pareillement une impossibilité matérielle d'amener « physiquement » les requérants devant une telle autorité dans un délai plus bref.

68.  S'il est vrai que l'affaire s'en distingue en ce qu'à leur arrivée à Brest, après déjà treize jours de détention en mer, les requérants ont été placés en garde à vue durant deux jours pour les uns, trois jours pour les autres, avant d'être présentés à un « juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires » au sens de l'article 5 § 3 de la Convention, la durée totale de la privation de liberté qu'ils ont ainsi subie demeure comparable à celle que dénonçait le requérant Rigopoulos. Par ailleurs, la Cour juge raisonnable l'argument du Gouvernement selon lequel cette garde à vue et sa durée s'expliquent par les nécessités de l'enquête, eu égard au nombre des requérants et à l'obligation de recourir à des interprètes pour procéder à leur interrogatoire. Il reste certes que la détention imposée aux requérants à bord du Winner n'était pas sous la supervision d'une « autorité judiciaire » au sens de l'article 5 (le procureur de la République n'ayant pas cette qualité ; paragraphe 61 ci-dessus), alors que la privation de liberté subie par M. Rigopoulos était « intervenue sur ordre et sous le contrôle strict » du tribunal central d'instruction de Madrid : à l'inverse de ce dernier, ils n'ont pas bénéficié de la protection contre l'arbitraire qu'offre un encadrement de cette nature. Cet élément, que la Cour a dûment examiné à l'aune du premier paragraphe de l'article 5, ne met toutefois pas en cause le fait que la durée de la privation de liberté subie par les requérants se trouve justifiée par les « circonstances tout à fait exceptionnelles » susexposées, notamment par l'inévitable délai d'acheminement du Winner vers la France.

69.  Partant, il n'y a pas eu violation de l'article 5 § 3 de la Convention.

II.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

70.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

71.  Les requérants réclament chacun 10 000 euros (EUR) pour préjudice moral.

72.  Le Gouvernement considère que ces demandes sont « excessives, non justifiées et dénuées de tout lien de causalité avec les griefs soulevés ».

73.  La Cour considère que les requérants ont subi un tort moral certain, mais estime que le constat de violation auquel elle parvient constitue par lui-même une satisfaction équitable suffisante.

B.  Frais et dépens

74.  Les requérants réclament 5 000 EUR pour leurs frais et dépens devant la Cour. Ils produisent une demande de provision portant sur un tel montant, établie le 25 septembre 2006 par leur conseil.

75.  Le Gouvernement invite la Cour à rejeter les prétentions des requérants.

76.  La Cour constate tout d'abord que les requérants ont produit un justificatif pertinent à l'appui de leur demande. Estimant ensuite que le montant réclamé n'est pas excessif, elle y fait droit et alloue 5 000 EUR aux requérants conjointement pour frais et dépens.

C.  Intérêts moratoires

77.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1.  Déclare, à l'unanimité, la requête recevable ;

2.  Dit, à l'unanimité, qu'il y a eu violation de l'article 5 § 1 de la Convention ;

3.  Dit, par quatre voix contre trois, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 5 § 3 de la Convention ;

4.  Dit, à l'unanimité, que le constat de violation de l'article 5 § 1 fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par les requérants ;

5.  Dit, à l'unanimité,

a)  que l'Etat défendeur doit verser aux requérants conjointement, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt par les requérants, pour frais et dépens ;

b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6.  Rejette, à l'unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 juillet 2008 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia WesterdiekPeer Lorenzen
GreffièrePrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé de l'opinion partiellement dissidente de la juge Berro-Lefèvre, à laquelle se rallient les juges Lorenzen et Lazarova Trajkovska.

P.L.
C.W.


OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE LA JUGE BERRO-LEFÈVRE, A LAQUELLE SE RALLIENT LES JUGES LORENZEN ET LAZAROVA TRAJKOVSKA

Je ne partage pas l'avis de la majorité selon lequel il n'y a pas eu, en l'espèce, violation de l'article 5 § 3 de la Convention,  dans une situation où il n'est pas contesté que la détention des requérants a duré treize jours à bord du Winner, auxquels s'ajoutent, selon les cas, deux ou trois jours de garde à vue à Brest.

Dans l'affaire Rigopoulos, la Cour a conclu au défaut manifeste de fondement du grief tiré de l'article 5 § 3, prenant en compte les circonstances tout à fait exceptionnelles de l'affaire, et l'impossibilité matérielle d'amener physiquement le requérant devant le juge d'instruction dans un délai plus court.

Au moment de son interception, le Winner se trouvait lui aussi loin des côtes françaises, et rien n'indique que son acheminement ait pris plus de temps que nécessaire. Il y avait ici aussi une impossibilité matérielle d'amener physiquement les requérants devant une autorité judiciaire dans un délai plus bref.

En revanche, ce qui distingue la présente affaire de l'affaire Rigopoulos, c'est qu'à leur arrivée à Brest, après treize jours de détention en mer, les requérants ont été placés en garde à vue pendant deux jours pour les uns, trois jours pour les autres, avant d'être présentés à un juge ou un magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires, mis en examen et placés en détention provisoire. Cette mesure a été appliquée à l'ensemble de l'équipage, quel que soit le degré d'implication des requérants dans le trafic allégué, et je note d'ailleurs que certains d'entre eux ont été acquittés par la cour d'assises spéciale d'Ille-etVilaine.

Je ne vois pas d'explication raisonnable, et les arguments du Gouvernement sur ce point ne m'ont pas convaincue, au fait que les requérants n'ont pas, dès leur arrivée à Brest, été mis en examen et présentés au juge de la détention et des libertés, alors pourtant que l'opération d'interception était planifiée depuis plusieurs semaines, l'instruction avait été ouverte et des juges d'instruction désignés dès le 24 juin 2002.

Compte tenu des treize jours de privation de liberté déjà subis par les requérants à bord du Winner, je considère que les deux ou trois jours de garde à vue supplémentaires qui leur ont été infligés ne s'accordent pas avec l'exigence de promptitude qu'expriment les termes « aussitôt traduite ». Or, cette exigence de promptitude, notamment, protège les justiciables contre une détention prolongée aux mains des autorités policières ou administratives.

L'espèce se distingue encore plus de l'affaire Rigopoulos par le fait que la détention imposée aux requérants n'était pas sous la supervision d'un « juge ou  un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judicaires », mais du procureur de la République, lequel, comme le souligne l'arrêt sur le terrain de l'article 5 § 1 (paragraphe 61), n'a pas cette qualité au sens de la jurisprudence de la Cour (arrêts Schiesser c. Suisse, du 4 décembre 1979, série A no 34, §§ 29-30, et Huber c. Suisse, du 23 octobre 1990, série A no 188), alors que la privation de liberté subie par A. Rigopoulos est intervenue sous le contrôle strict du tribunal central d'instruction de Madrid – juridiction d'instruction spécialisée, indépendante de l'exécutif.

A. Rigopoulos a été immédiatement et par ordonnance motivée placé en détention provisoire pendant le déroutement du navire, à l'expiration des premières soixante-douze heures de détention, de sorte qu'il y a bien eu dans son cas un contrôle juridictionnel de la privation de liberté au terme de la période légale de garde à vue.

Or, à l'inverse de ce dernier, l'équipage du Winner n'a pas bénéficié de la protection contre l'arbitraire qu'offre un encadrement de cette nature. L'arrêt relève cette lacune au paragraphe 68, mais n'en tire aucune conséquence quant à l'article 5 § 3, se bornant à renvoyer aux « circonstances exceptionnelles » de l'affaire.

Je suis consciente que, s'agissant de trafic de stupéfiants, les autorités nationales doivent faire preuve de fermeté à l'égard de ceux qui contribuent à la propagation de ce fléau (voir, par exemple, les arrêts Maslov c. Autriche, [GC], no 1638/08, du 23 juin 2008, § 80, Dalia c. France, du 19 février 1998, Recueil 1998-I § 54, et Baghli c. France, du 30 novembre 1999, no 34374/97, CEDH 1999-VIII, § 48).

Cependant, comme l'indique à juste titre le présent arrêt en son paragraphe 49, « une telle fin ne saurait justifier tous les moyens ».

La Cour a toujours rappelé l'importance des dispositions de l'article 5 dans le système de la Convention : elles consacrent un droit fondamental de l'homme, à savoir la protection de l'individu contre les atteintes arbitraires de l'Etat à sa liberté (voir, notamment, les arrêts Saadi c. Royaume-Uni [GC], du 29 janvier 2008, no 13229/03, CEDH 2008-..., § 63, Winterwerp c. Pays Bas, du 24 octobre 1979, série A no 33, § 37 et Brogan et autres c. Royaume Uni, du 29 novembre 1988, série A, no 145-B, § 58).

La France ne disposait pas, dans le cas d'espèce, d'un cadre législatif offrant suffisamment de garanties contre les privations arbitraires de liberté, et aucune circonstance exceptionnelle n'a justifié, selon moi, un délai de présentation de quinze ou seize jours devant une autorité judiciaire.

Partant, je considère qu'il y a violation de l'article 5 § 3 de la Convention.

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CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE MEDVEDYEV ET AUTRES c. FRANCE, 10 juillet 2008, 3394/03