CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE VOICA c. FRANCE, 10 janvier 2013, 60995/09

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 10 janv. 2013, n° 60995/09
Numéro(s) : 60995/09
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Dalia c. France, 19 février 1998, § 38, Recueil 1998-I
Papon c. France (déc.), no 54210/00, ECHR 2001-XII
Remli c. France, 23 avril 1996, § 33, Recueil des arrêts et décisions 1996-II
Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, § 54, CEDH 2008 -...
Saric c. Danemark (déc.), no 31913/96, 2 février 1999
Selmouni c. France [GC], no 25803/94, §§ 74-75, CEDH 1999-V
Suominen c. Finlande, no 37801/97, § 37, 1er juillet 2003
Tatichvili c. Russie, no 1509/02, § 58, CEDH 2007-III
Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, CEDH 2010-....
Vernillo c. France, 20 février 1991, § 27, série A no 198
Organisation mentionnée :
  • ECHR
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Non-violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale ; Article 6-1 - Procès équitable)
Identifiant HUDOC : 001-115855
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2013:0110JUD006099509
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE VOICA c. FRANCE

(Requête no 60995/09)

ARRÊT

STRASBOURG

10 janvier 2013

DÉFINITIF

10/04/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Voica c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ann Power-Forde,
André Potocki,
Helena Jäderblom,
Aleš Pejchal, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 décembre 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 60995/09) dirigée contre la République française et dont une ressortissante roumaine, Mme Daniela Voica (« la requérante »), a saisi la Cour le 28 octobre 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  La requérante est représentée par Me P. Spinosi, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, Directrice des Affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères.

3.  La requérante allègue une violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait de l’absence de motivation de l’arrêt rendu par la cour d’assises.

4.  Le 25 août 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5.  La requérante est née en 1984 et elle est actuellement détenue.

6.  Le 9 mars 2007, la requérante et M. furent mis en accusation par un juge d’instruction du tribunal de grande instance de Nice pour avoir, à Nice, le 29 mai 2005, volontairement donné la mort à B., ce crime ayant pour objet soit de préparer ou de faciliter un vol, soit de favoriser la fuite ou d’assurer l’impunité des auteurs ou complices de ce délit.

7.  Après un exposé chronologique de l’enquête, le juge releva notamment que, depuis son interpellation, M. avait toujours reconnu sa participation aux faits reprochés et maintenu qu’il avait agi à la demande de sa maîtresse, la requérante. Celle-ci, au contraire, soutenait que M. avait agi à son insu et qu’il ne la mettait en cause que pour tenter d’alléger sa responsabilité. Les constatations matérielles établissaient que les deux mis en examen avaient participé au ligotage de la victime, leurs empreintes digitales étant mêlées sur l’adhésif utilisé. Le juge estima que les explications données par la requérante sur les circonstances dans lesquelles ses empreintes auraient pu être apposées sur l’adhésif étaient « fantaisistes ».

8.  Le juge nota également que les déclarations des proches de la victime montraient qu’elle n’aurait en aucun cas ouvert la porte à un inconnu et que les difficultés d’accès, de nuit, à l’appartement étaient confirmées par le gardien de l’immeuble qui veillait au bon fonctionnement du dispositif électrique d’ouverture. Le juge en concluait que ces éléments rendaient impossible la thèse de la requérante selon laquelle M. aurait commis les faits seul.

9.  Le 9 mars 2007, la cour d’assises des Alpes Maritimes condamna la requérante à vingt ans de réclusion criminelle et M. à vingt-trois ans pour les faits mentionnés dans l’acte d’accusation.

10.  La cour d’assises du Var statua en appel le 4 septembre 2008. Les questions suivantes furent posées à la Cour et au jury à l’issue de l’audience :

« 1. Est-il constant qu’à Nice, département des Alpes-Maritimes, le 29 mai 2005, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription de l’action publique, il a été volontairement donné la mort à [B.] ?

2. Est-il constant qu’à Nice, département des Alpes-Maritimes, le 29 mai 2005, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription de l’action publique, il a été frauduleusement soustrait des objets et du numéraire au préjudice de [B.] ?

3. Le meurtre spécifié à la question no 1 a-t-il eu pour objet soit de préparer ou de faciliter le délit de vol, spécifié à la question no 2, soit de favoriser la fuite ou d’assurer l’impunité des auteurs ou complices de ce délit ?

4. L’accusée Danièle Voica est-elle coupable d’avoir commis le meurtre spécifié à la question no 1 et qualifié à la question no 2 et 3 ?

5. L’accusé [M.] est-il coupable d’avoir commis le meurtre spécifié à la question no 1 et qualifié à la question no 2 et 3 ? »

11.  La Cour et le jury répondirent positivement, à la majorité de dix voix au moins, à ces cinq questions, les quatre questions subsidiaires nos 6 à 9 étant dès lors déclarées sans objet. La requérante et son coaccusé furent condamnés à une peine de réclusion criminelle, respectivement pour une durée de dix-huit et seize ans, assortie d’une période de sûreté des deux tiers. La cour d’assises prononça également l’interdiction définitive de territoire à leur encontre.

12.  La requérante se pourvut en cassation contre cet arrêt. Elle invoquait notamment l’article 6 § 1 de la Convention et l’arrêt Taxquet c. Belgique et soutenait que la formulation des questions posées au jury, vague et abstraite, ne répondait pas aux exigences de motivation du procès équitable, car elle ne permettait pas à l’accusée de connaître les motifs pour lesquels il était répondu positivement ou négativement à celles-ci.

13.  Dans son arrêt du 14 octobre 2009, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle releva notamment qu’étaient reprises dans l’arrêt de condamnation les réponses qu’en leur intime conviction, les magistrats et les jurés composant la cour d’assises d’appel avaient données aux questions sur la culpabilité, les unes, principales, posées conformément au dispositif de la décision de renvoi, les autres, subsidiaires, soumises à la discussion des parties. Elle estima que, dès lors qu’avaient été assurés l’information préalable sur les charges fondant la mise en accusation, le libre exercice des droits de la défense ainsi que le caractère public et contradictoire des débats, l’arrêt satisfaisait aux exigences légales et conventionnelles invoquées.

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

Voir Agnelet c. France, no 61198/08, §§ 29 à 34, 10 janvier 2013.

EN DROIT

14.  La requérante expose qu’en l’absence de motivation de l’arrêt de la cour d’assises d’appel, elle n’a pas bénéficié d’un procès équitable. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

15.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A.  Sur la recevabilité

16.  Après avoir présenté la procédure criminelle, le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité, estimant que la requérante n’a pas épuisé les voies de recours internes. Il considère que les articles 315 et 316 du code de procédure pénale lui permettaient de contester la formulation des questions en déposant des conclusions écrites et de provoquer un incident contentieux sur lequel la cour d’assises devait statuer par un arrêt incident motivé. Par ailleurs, l’article 352 prévoit que la cour d’assises statue dans les mêmes conditions en cas d’incident contentieux à propos des questions dont le président a donné lecture après clôture des débats. Il rappelle que la Cour a déjà considéré, dans les affaires Hakkar et Verrier c. France (respectivement no 43580/04, 7 avril 2009 et no 1958/06, 20 avril 2010), que l’opposition à des questions spéciales et des incidents sur le déroulement d’une audience de cour d’assises doit donner lieu à l’exercice du recours prévu par l’article 315 du code de procédure pénale avant de la saisir. Par conséquent, si la requérante considère que les questions posées étaient laconiques et insuffisantes, à elles-seules, pour motiver ou expliquer les raisons de sa culpabilité, elle aurait dû formuler des contestations ou soulever un incident devant la cour d’assises.

17.  La requérante considère tout d’abord que l’exception du Gouvernement ne peut être retenue, dès lors que la Cour de cassation elle-même a jugé ce grief recevable. En outre, elle relève que les articles 315 et 316 du code de procédure pénale n’instituent pas une voie de recours, et encore moins une voie de recours utile pour se plaindre de l’absence de motivation des arrêts d’assises. On ne saurait exiger d’un accusé de soulever un incident contentieux pour être éclairé sur une culpabilité et une peine qui n’ont pas été prononcées et qui ne sont qu’éventuelles avant le délibéré. Par ailleurs, depuis un arrêt de 1999, la Cour de cassation a toujours censuré les tentatives des cours d’assises de motiver leurs décisions autrement que par l’ensemble des réponses données par le jury aux questions posées (Cass. crim., 15 décembre 1999, 2 arrêts, Bull. crim. nos 307 et 308, puis de manière constante, avec notamment plusieurs arrêts en 2011).

18.  La Cour rappelle que la finalité de l’article 35 est de ménager aux Etats contractants l’occasion de prévenir ou redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne soient soumises aux organes de la Convention (voir, par exemple, Remli c. France, 23 avril 1996, § 33, Recueil des arrêts et décisions 1996-II, et Selmouni c. France, [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999-V).

19.  Néanmoins, les dispositions de l’article 35 de la Convention ne prescrivent l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir, notamment, Vernillo c. France, 20 février 1991, § 27, série A no 198, Dalia c. France, 19 février 1998, § 38, Recueil 1998-I, et Selmouni, précité, § 75).

20.  En l’espèce, la Cour note tout d’abord que la Cour de cassation a répondu au moyen de la requérante tiré de l’absence de motivation, sans lui opposer ni évoquer le défaut de recours aux possibilités offertes par les articles 315 et 316 du code de procédure pénale.

21.  Par ailleurs, elle constate que les jurisprudences invoquées par le Gouvernement ne sont pas transposables en l’espèce et que le recours invoqué n’est pas susceptible de redresser le grief soulevé devant elle. En effet, comme le relève d’ailleurs le Gouvernement dans ses observations sur le fond, la requérante « considère que la seule question qui fonde le présent recours est celle de la ‘motivation des décisions des cours d’assises’ ». Le grief de la requérante ne concerne donc pas la formulation des questions posées à la cour et au jury, ou encore un incident dans le déroulement des débats, mais le fait que l’arrêt de la cour d’assises, postérieur non seulement à la lecture desdites questions par le président, mais également au délibéré pendant lequel il a été décidé de la culpabilité de l’accusé et de la peine infligée, ne soit pas motivé. Ainsi, la formulation des questions ne constitue pas le cœur du grief en l’espèce : elle ne représente qu’un critère identifié parmi d’autres par la Cour dans sa jurisprudence pour apprécier, dans le cadre de l’examen sur le bien-fondé, le respect de l’article 6 en cas d’absence de motivation de l’arrêt lui-même.

22.  L’exception soulevée par le Gouvernement doit donc être rejetée.

23.  Par ailleurs, la Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Arguments des parties

24.  La requérante souligne, à titre liminaire, que le système français a été modifié, après que la Cour eut condamné la Belgique dans l’affaire Taxquet c. Belgique ([GC], no 926/05, CEDH 2010-....), par la loi no 2011‑939 du 10 août 2011 qui a inséré dans le code de procédure pénale un article 365-1 prévoyant une motivation. A ses yeux, il s’agit d’un aveu implicite d’absence de conformité aux exigences du procès équitable, d’autant plus marqué qu’il intervient après de nombreuses discussions et interrogations doctrinales et jurisprudentielles en France à la suite de l’arrêt Taxquet (précité). Elle note en particulier que, contrairement à ce qu’affirme l’agent du Gouvernement, les travaux préparatoires attestent de la volonté de prise en compte de la jurisprudence de la Cour, à l’instar notamment de l’étude d’impact du 11 avril 2011, publiée sur le site internet du Sénat. Cette étude précise que « le projet introduit une motivation obligatoire des arrêts de cours d’assises, afin de tirer les conséquences de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ».

25.  Elle considère que la motivation des décisions de justice est le seul moyen de vérifier que les exigences du procès équitable ont été effectivement respectées. L’arrêt de la Grande Chambre dans l’affaire Taxquet (précitée) constitue le cadre de référence et les précisions apportées par rapport à l’arrêt de la chambre ne changent rien au fait que la France doit être condamnée lorsqu’un accusé n’a pas bénéficié de garanties l’ayant mis à même de comprendre le verdict. La requérante estime que les différences entre les systèmes belges et français sont mineures : dans les deux cas, l’accusé est mis en accusation aux termes d’une instruction, un acte d’accusation est rédigé, puis lu à l’audience, les questions posées au jury doivent résulter de l’acte d’accusation et respecter certaines formes, des questions sont posées au jury par le président de la cour d’assises à l’issue des débats et la cour doit statuer par un arrêt motivé en cas de contestation des questions.

26.  En France, la décision de mise en accusation ne se prononce que sur la suffisance de charge pour renvoyer l’accusé devant une cour d’assises et elle est lue avant les débats au cours desquels les jurés se forgent, ensuite, leur intime conviction. Partant, si cette décision précise les charges qui justifient le renvoi, elle n’explique pas les raisons pour lesquelles le jury a par la suite retenu la culpabilité de l’accusé. La réforme réalisée par la loi du 10 août 2011 précise d’ailleurs que la motivation, annexée à la feuille de questions, consiste justement « dans l’énoncé des principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l’accusé, ont convaincu la cour d’assises » (article 365-1 du code de procédure pénale).

27.  Quant à l’existence d’un double degré de juridiction, elle indique que le pouvoir d’interjeter appel et l’obligation de motivation sont deux garanties totalement distinctes. La possibilité d’interjeter appel ne permet pas de compenser le risque d’arbitraire et de permettre à l’accusé de comprendre les raisons de sa condamnation. L’exigence de motivation, rappelée dans la jurisprudence de la Cour, permettrait en outre un meilleur contrôle de la légalité des décisions au niveau interne par la Cour de cassation.

28.  La requérante considère par ailleurs qu’un examen in concreto de son affaire permet de constater une méconnaissance des exigences de l’article 6. Tout d’abord, l’ordonnance de mise en accusation ne se prononce que sur les charges, avant les débats : elle ne peut donc ni se prononcer sur la culpabilité et sur la peine, ni contenir aucun élément qui résulterait des débats. Or il n’est pas certain que les jurés ayant assisté aux débats se soient fondés sur les mêmes éléments que les juridictions d’instruction.

29.  En l’espèce, la requérante précise qu’elle a toujours clamé son innocence. Elle a été mise en accusation avec un coaccusé par la même ordonnance du 9 mars 2007 et de manière strictement identique. Au cours de son procès, cinq questions ont été posées, dont trois sur le meurtre et le vol de manière générale et abstraite (questions no 1 à 3), la quatrième et la cinquième portant sur la commission des infractions respectivement par la requérante et son coaccusé. Ces questions ne permettent notamment pas, étant les mêmes pour les deux coaccusés, de connaître son implication réelle. Elle ne comprend pas les raisons pour lesquelles elle a finalement été déclarée coupable et condamnée à une peine supérieure (de deux ans) à celle de son coaccusé, et ce d’autant que l’ordonnance de mise en accusation portait pourtant sur les mêmes faits et relevait une « participation conjointe ». Rien ne vient donc justifier la différence de peine expressément relevée par la Cour dans son arrêt Taxquet (précité) pour constater une violation de la Convention. Quant à la question no 3 sur les circonstances aggravantes, elle contenait des propositions alternatives, ce que ne conteste pas le Gouvernement : partant, la requérante indique ne pouvoir comprendre ni les raisons de la déclaration de culpabilité ni les raisons d’une prétendue plus grande implication dans les faits qui ont conduit le jury à la punir plus sévèrement que son coaccusé.

30.  La requérante note ensuite que la période de sûreté des deux tiers pour la réclusion et la peine complémentaire d’interdiction du territoire ne sont pas justifiées. Elle note que si cette dernière avait été prononcée par un tribunal correctionnel, la loi aurait exigé une décision « spécialement motivée » et que rien ne justifie qu’une cour d’assises soit dispensée d’une telle obligation.

31.  Enfin, elle estime que les quatre questions subsidiaires lues par le président à l’issue des débats, en raison d’une requalification possible, démontre l’évolution de la situation par rapport à la décision de mise en accusation et témoigne de l’exigence de motivation sur une question aussi importante que la qualification des faits (et donc de la peine encourue, en l’espèce la réclusion criminelle à perpétuité ou limitée à quinze ans).

32.  Le Gouvernement estime, à la lumière des critères dégagés dans l’arrêt de la chambre Taxquet c. Belgique du 13 janvier 2009, que la procédure criminelle suivie en l’espèce répondait aux exigences conventionnelles. Il indique tout d’abord que l’obligation de motiver les décisions de justice, qui ne figure pas dans la Convention, doit être considérée comme l’une des composantes du procès pris dans son ensemble et auquel il faut se référer. Partant, la Cour ne remet pas en cause l’absence de motivation des arrêts de cour d’assises en droit français : ce constat d’une chambre dans la décision Papon c. France du 15 novembre 2001 (no 54210/00, § 26, CEDH 2001-XII) a donc été confirmé par la Grande Chambre dans l’arrêt Taxquet (précité, §§ 90 et 93). La motivation ne constitue pas le seul moyen de comprendre la décision, dès lors que la décision de la cour d’assises sur la culpabilité est le fruit d’un raisonnement que l’intéressé peut comprendre et reconstruire grâce à un ensemble de garanties entourant le déroulement du procès (Taxquet, précité, § 92).

33.  Le Gouvernement ajoute que, pour tous les accusés, la lecture est faite non seulement de l’ordonnance de mise en accusation ou de l’arrêt de la chambre de l’instruction, mais également, devant les cours d’assises d’appel, des questions posées à la première cour d’assises, de ses réponses et de sa décision.

34.  Il précise que les charges, exposées oralement, sont ensuite discutées contradictoirement. Au cours des débats d’assises, chaque élément de preuve est discuté et l’accusé est assisté d’un avocat, dont le rôle est aussi d’informer et de conseiller ses clients.

35.  Le Gouvernement insiste en outre sur le fait que les magistrats et les jurés se retirent immédiatement après la fin des débats et la lecture des questions : le dossier de la procédure ne leur étant pas accessible, ils ne se prononcent que sur les éléments contradictoirement débattus. Il relève qu’à la différence du système belge, dans lequel les jurés délibèrent seuls, le système français fait jouer un rôle important aux magistrats professionnels tout au long de la procédure et durant le délibéré.

36.  Enfin, le Gouvernement rappelle que, depuis la loi du 15 juin 2000, les décisions des cours d’assises sont susceptibles d’un réexamen par une cour d’assises statuant en appel et dans une composition élargie, ce qui faisait défaut dans l’affaire Taxquet (précitée, § 99).

37.  S’agissant de la situation spécifique de la requérante, le Gouvernement estime que l’ordonnance de mise en accusation, qui détermine la saisine de la Cour et les questions principales sur lesquelles les jurés doivent statuer, est particulièrement motivée : après avoir décrit de façon détaillée les faits reprochés et les investigations, elle expose l’ensemble des charges qui pouvaient être retenues contre elle. Il ajoute qu’ont également été lus, outre cette ordonnance, l’arrêt de la cour d’assises de première instance, ainsi que les questions et les réponses du jury. La requérante, assistée de son conseil, a notamment pu, au cours des deux jours d’audience, librement se défendre et discuter chacun des éléments de preuve produits. Le Gouvernement estime par ailleurs que les faits, malgré les dénégations de l’intéressée, ne présentaient pas de difficulté particulière et qu’elle comparaissait avec un seul coaccusé.

38.  Concernant les questions posées au jury, il estime qu’elles étaient suffisamment précises pour servir de fondement à la décision et qu’elles ne présentaient aucune complexité. La question no 1 portait sur le fait principal avec de nombreuses indications (date et lieu de commission des faits, identité de la victime, éléments constitutifs de l’infraction d’homicide volontaire). La circonstance aggravante relative à la corrélation entre le meurtre et le délit de vol a fait l’objet des questions no 2 (pour caractériser les faits de vol) et no 3 (pour déterminer l’objet du meurtre). La question no 4 portait sur la culpabilité de la requérante dans la commission du meurtre spécifié et qualifié aux questions nos 1 à 3 (la question no 5 concernait le coaccusé).

39.  S’agissant des questions subsidiaires nos 6 à 9, le président a précisé qu’il envisageait de les poser en ce que les débats faisaient apparaître une qualification du fait principal différente de celle retenue dans la décision de mise en accusation. L’accusée n’a formulée aucune observation sur les questions principales et subsidiaires.

2.  Appréciation de la Cour

a.  Principes généraux

40. La Cour rappelle que la Convention ne requiert pas que les jurés donnent les raisons de leur décision et que l’article 6 ne s’oppose pas à ce qu’un accusé soit jugé par un jury populaire même dans le cas où son verdict n’est pas motivé. L’absence de motivation d’un arrêt qui résulte de ce que la culpabilité d’un requérant avait été déterminée par un jury populaire n’est pas, en soi, contraire à la Convention (Saric c. Danemark (déc.), no 31913/96, 2 février 1999, et Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 89, CEDH 2010 -...).

41.  Il n’en demeure pas moins que pour que les exigences d’un procès équitable soient respectées, le public et, au premier chef, l’accusé doivent être à même de comprendre le verdict qui a été rendu. C’est là une garantie essentielle contre l’arbitraire. Or, comme la Cour l’a déjà souvent souligné, la prééminence du droit et la lutte contre l’arbitraire sont des principes qui sous-tendent la Convention (Taxquet, précité, § 90). Dans le domaine de la justice, ces principes servent à asseoir la confiance de l’opinion publique dans une justice objective et transparente, l’un des fondements de toute société démocratique (Suominen c. Finlande, no 37801/97, § 37, 1er juillet 2003, Tatichvili c. Russie, no 1509/02, § 58, CEDH 2007-III, et Taxquet, précité).

42.  La Cour rappelle également que devant les cours d’assises avec participation d’un jury populaire, il faut s’accommoder des particularités de la procédure où, le plus souvent, les jurés ne sont pas tenus de – ou ne peuvent pas – motiver leur conviction (Taxquet, précité, § 92). Dans ce cas, l’article 6 exige de rechercher si l’accusé a pu bénéficier des garanties suffisantes de nature à écarter tout risque d’arbitraire et à lui permettre de comprendre les raisons de sa condamnation. Ces garanties procédurales peuvent consister par exemple en des instructions ou éclaircissements donnés par le président de la cour d’assises aux jurés quant aux problèmes juridiques posés ou aux éléments de preuve produits, et en des questions précises, non équivoques soumises au jury par ce magistrat, de nature à former une trame apte à servir de fondement au verdict ou à compenser adéquatement l’absence de motivation des réponses du jury (ibidem, et Papon c. France (déc.), no 54210/00, ECHR 2001-XII). Enfin, doit être prise en compte, lorsqu’elle existe, la possibilité pour l’accusé d’exercer des voies de recours.

43.  Eu égard au fait que le respect des exigences du procès équitable s’apprécie sur la base de la procédure dans son ensemble et dans le contexte spécifique du système juridique concerné, la tâche de la Cour, face à un verdict non motivé, consiste donc à examiner si, à la lumière de toutes les circonstances de la cause, la procédure suivie a offert suffisamment de garanties contre l’arbitraire et a permis à l’accusé de comprendre sa condamnation (Taxquet, précité, § 93). Ce faisant, elle doit garder à l’esprit que c’est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques (Salduz c. Turquie, [GC] no 36391/02, § 54, CEDH 2008 -..., et ibidem).

44.  Dans l’arrêt Taxquet (précité), la Cour a examiné l’apport combiné de l’acte d’accusation et des questions posées au jury. S’agissant de l’acte d’accusation, qui est lu au début du procès, elle a relevé que s’il indique la nature du délit et les circonstances qui déterminent la peine, ainsi que l’énumération chronologique des investigations et les déclarations des personnes entendues, il ne démontre pas « les éléments à charge qui, pour l’accusation, pouvaient être retenus contre l’intéressé ». Surtout, elle en a relevé la « portée limitée » en pratique, dès lors qu’il intervient « avant les débats qui doivent servir de base à l’intime conviction du jury » (§ 95).

45.  Quant aux questions, au nombre de trente-deux pour huit accusés, dont quatre seulement pour le requérant, elles étaient rédigées de façon identique et laconique, sans référence « à aucune circonstance concrète et particulière qui aurait pu permettre au requérant de comprendre le verdict de condamnation », à la différence de l’affaire Papon, où la cour d’assises s’était référée aux réponses du jury à chacune des 768 questions posées par le président de cette cour (§ 96).

46.  Il ressort de l’arrêt Taxquet (précité) que l’examen conjugué de l’acte d’accusation et des questions posées au jury doit permettre de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés durant le procès, avaient en définitive conduit les jurés à répondre par l’affirmative aux quatre questions le concernant, et ce afin de pouvoir notamment : différencier les coaccusés entre eux ; comprendre le choix d’une qualification plutôt qu’une autre ; connaître les motifs pour lesquels des coaccusés sont moins responsables aux yeux du jury et donc moins sévèrement punis ; justifier le recours aux circonstances aggravantes (§ 97). Autrement dit, il faut des questions à la fois précises et individualisées (§ 98).

b.  Application de ces principes au cas d’espèce

47.  La Cour constate d’emblée que tous les accusés, à l’instar de la requérante, bénéficient d’un certain nombre d’informations et de garanties durant la procédure criminelle française : l’ordonnance de mise en accusation ou l’arrêt de la chambre de l’instruction en cas d’appel sont lus dans leur intégralité par le greffier au cours des audiences d’assises ; les charges sont exposées oralement puis discutées contradictoirement, chaque élément de preuve étant débattu et l’accusé étant assisté d’un avocat ; les magistrats et les jurés se retirent immédiatement après la fin des débats et la lecture des questions, sans disposer du dossier de la procédure ; ils ne se prononcent donc que sur les éléments contradictoirement examinés au cours des débats. Par ailleurs, les décisions des cours d’assises sont susceptibles d’un réexamen par une cour d’assises statuant en appel et dans une composition élargie.

48.  S’agissant de l’apport combiné de l’acte de mise en accusation et des questions posées au jury en l’espèce, la Cour relève tout d’abord que la requérante était coaccusée des faits jugés par la cour d’assises et que les faits n’étaient pas particulièrement complexes.

49.  Par ailleurs, l’ordonnance de mise en accusation avait une portée limitée, puisqu’elle intervenait avant les débats qui constituent le cœur du procès, ce dont conviennent les parties. Concernant les constatations de fait reprises par cet acte et leur utilité pour comprendre le verdict prononcé contre la requérante, la Cour ne saurait se livrer à des spéculations sur le point de savoir si elles ont ou non influencé le délibéré et l’arrêt finalement rendu par la cour d’assises. Elle relève cependant que l’ordonnance de mise en accusation présentait de manière très circonstanciée les évènements, ainsi que les positions des coaccusés qui faisaient clairement apparaître deux thèses contraires : d’une part, celle de la requérante, qui niait toute participation aux faits et déclarait ne pas avoir été présente sur les lieux du crime, malgré certains éléments tendant à prouver le contraire ; d’autre part, celle de son coaccusé qui, dès sa garde à vue, avait reconnu les faits en donnant des explications détaillées, tout en expliquant avoir agi sous la direction de la requérante, laquelle aurait tout planifié (paragraphe 7 ci‑dessus).

50.  Quant aux questions, elles s’avèrent d’autant plus importantes que le Gouvernement indique lui-même que, pendant le délibéré, les magistrats et les jurés ne disposent pas du dossier de la procédure et qu’ils se prononcent sur les seuls éléments contradictoirement discutés au cours des débats, même s’ils disposaient également en l’espèce, conformément à l’article 347 du code de procédure pénale, de l’ordonnance de mise en accusation.

51.  Sur les cinq questions posées, trois portaient sur les infractions, évoquant en termes généraux l’homicide volontaire (question no 1), le vol d’objets ou de numéraire (question no 2) et le fait que le meurtre aurait servi soit à préparer le vol, soit à permettre le fuite ou l’impunité des accusés (question no 3). Les quatrième et cinquième questions visaient personnellement chacun des coaccusés.

52.  La requérante se plaint de ne pouvoir comprendre pourquoi elle a été condamnée plus sévèrement que son coaccusé en appel, contrairement au verdict rendu par la cour d’assises de première instance. La Cour estime cependant que si les questions ne comportent de référence « à aucune circonstance concrète et particulière qui aurait pu permettre [à la requérante] de comprendre le verdict de condamnation » (Taxquet, précité, § 96), il n’en va pas de même de l’ordonnance de mise en accusation. En effet, elle rappelle qu’il ressortait clairement de cette dernière que chacun des deux coaccusés soutenait une version des faits qui impliquait nécessairement la responsabilité principale ou exclusive de l’autre. La Cour retient que le juge d’instruction, dans son ordonnance de mise en accusation, a conclu que les éléments du dossier rendaient impossible la thèse de la requérante selon laquelle M. aurait agi seul (paragraphe 8 ci-dessus). Partant, au vu de l’examen conjugué de l’acte d’accusation et des questions posées au jury, la requérante ne saurait prétendre ignorer la raison pour laquelle sa peine, prononcée en fonction des responsabilités respectives de chacun des coaccusés, a pu être successivement inférieure et supérieure à celle de son coaccusé.

53.  En conclusion, la Cour estime qu’en l’espèce la requérante a disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son encontre.

54.  Enfin, la Cour prend note de la réforme intervenue depuis l’époque des faits, avec l’adoption de la loi no 2011-939 du 10 août 2011 qui a notamment inséré, dans le code de procédure pénale, un nouvel article 365-1. Ce dernier prévoit dorénavant une motivation de l’arrêt rendu par une cour d’assises dans un document qui est appelé « feuille de motivation » et annexé à la feuille des questions. En cas de condamnation, la loi exige que la motivation reprenne les éléments qui ont été exposés pendant les délibérations et qui ont convaincu la cour d’assises pour chacun des faits reprochés à l’accusé. Aux yeux de la Cour, une telle réforme, semble donc a priori susceptible de renforcer significativement les garanties contre l’arbitraire et de favoriser la compréhension de la condamnation par l’accusé, conformément aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention.

55.  En l’espèce, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable ;

2.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 janvier 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

              Claudia WesterdiekMark Villiger
GreffièrePrésident

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure pénale
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CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE VOICA c. FRANCE, 10 janvier 2013, 60995/09