CJCE, n° C-410/96, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Procédure pénale contre André Ambry, 14 mai 1998

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 14 mai 1998, Ambry, C-410/96
Numéro(s) : C-410/96
Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 14 mai 1998. # Procédure pénale contre André Ambry. # Demande de décision préjudicielle: Tribunal de grande instance de Metz - France. # Libre prestation des services - Libre circulation des capitaux - Octroi d'une garantie financière - Recours par une agence de voyages, pour disposer de la garantie nécessaire à l'exercice de son activité, à une garantie octroyée par un établissement de crédit ou une entreprise d'assurances établis dans un autre Etat membre. # Affaire C-410/96.
Date de dépôt : 24 décembre 1996
Précédents jurisprudentiels : Commission/Pays-Bas ( C-353/89, Rec. p. I-4069
Dillenkofer e.a. ( C-178/94, C-179/94, C-188/94, C-189/94 et C-190/94, Rec. p. I-4845
Solution : Renvoi préjudiciel
Identifiant CELEX : 61996CC0410
Identifiant européen : ECLI:EU:C:1998:227
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Sur les parties

Texte intégral

Avis juridique important

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61996C0410

Conclusions de l’avocat général Mischo présentées le 14 mai 1998. – Procédure pénale contre André Ambry. – Demande de décision préjudicielle: Tribunal de grande instance de Metz – France. – Libre prestation des services – Libre circulation des capitaux – Octroi d’une garantie financière – Recours par une agence de voyages, pour disposer de la garantie nécessaire à l’exercice de son activité, à une garantie octroyée par un établissement de crédit ou une entreprise d’assurances établis dans un autre Etat membre. – Affaire C-410/96.


Recueil de jurisprudence 1998 page I-07875


Conclusions de l’avocat général


1 M. Ambry fait l’objet, en tant que gérant de la SARL «A» Tours, devant la chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Metz, de poursuites diligentées par le ministère public. Il lui est reproché d’avoir apporté son concours ou de s’être livré à une activité relative à l’organisation et à la vente de voyages ou de séjours, sans être en possession de la licence exigée par la législation française pour l’exercice de ladite activité. Il n’est point contesté que M. Ambry a sollicité de la préfecture de la Moselle la délivrance d’une licence et que celle-ci lui a été refusée au motif que la garantie financière dont il disposait, et qui lui avait été accordée par une compagnie financière italienne, la «Compagnia cauzioni SpA», ayant son siège social à Rome, ne satisfaisait pas aux conditions posées par l’article 14 du décret n_ 94/490, du 15 juin 1994 (1), pris en application de l’article 31 de la loi n_ 92/645, du 13 juillet 1992 (2), fixant les conditions d’exercice des activités relatives à l’organisation et à la vente de voyages ou de séjours.

2 Précisons d’emblée le contenu de ces dispositions relatives à la garantie dont doit disposer tout agent de voyages. L’article 4 de la loi n_ 92/645 énonce que l’organisation ou la vente de voyages ou de séjours individuels ou collectifs ne peut être effectuée dans un but lucratif que par une personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant, titulaire d’une licence d’agent de voyages, et précise les conditions de délivrance de ladite licence, au nombre desquelles figure, sous c), celle de:

«Justifier, à l’égard des clients, d’une garantie financière suffisante, spécialement affectée au remboursement des fonds reçus au titre des prestations énumérées à l’article 1er et à la délivrance de prestations de substitution, résultant de l’engagement d’un organisme de garantie collective, d’un établissement de crédit ou d’une entreprise d’assurances, cette garantie financière incluant les frais de rapatriement éventuel et devant, en ce cas, être immédiatement mobilisable sur le territoire national.»

3 L’article 12 du décret n_ 94/490 dispose que:

«La garantie financière prévue au c de l’article 4 de la loi du 13 juillet 1992 susvisée résulte d’un engagement écrit de cautionnement pris:

1_ soit par un organisme de garantie collective doté de la personnalité juridique, au moyen d’un fonds de garantie constitué à cet effet;

2_ soit par un établissement de crédit ou une entreprise d’assurances habilités à donner une garantie financière.

La garantie financière est spécialement affectée au remboursement en principal des fonds reçus par l’agent de voyages au titre des engagements qu’il a contractés à l’égard de sa clientèle pour des prestations en cours ou à venir et permet d’assurer, notamment en cas de cessation de paiements ayant entraîné un dépôt de bilan, le rapatriement des voyageurs.

L’engagement de garantie financière doit répondre à toutes les dispositions du présent chapitre.»

4 Son article 14, sur lequel s’est fondée l’autorité préfectorale pour refuser de délivrer une licence à M. Ambry, dispose que:

«La garantie financière apportée par un établissement de crédit ou par une entreprise d’assurances n’est admise que si cet établissement ou cette entreprise a son siège sur le territoire d’un État membre de la Communauté européenne ou une succursale en France. Cette garantie financière doit être, dans tous les cas, immédiatement mobilisable pour assurer, dans les conditions prévues par l’article 16 ci-dessous, le rapatriement de la clientèle. Si l’établissement de crédit ou l’entreprise d’assurances est situé dans un État membre de la Communauté européenne autre que la France, un accord, à cette fin, doit être conclu entre cet établissement et un établissement de crédit ou une entreprise d’assurances situés en France. Une attestation établie dans ce sens par l’établissement de crédit ou l’entreprise d’assurances situés en France est transmise au préfet par l’agent de voyages concerné.

Le préfet doit être informé, sans délai et dans les mêmes conditions, des modifications apportées à cet accord et, le cas échéant, de la signature d’un nouvel accord ayant le même objet.

…»

5 Les modalités de mise en oeuvre de la garantie financière sont, quant à elles, prévues par l’article 16 du décret, aux termes duquel:

«La garantie intervient sur les seules justifications présentées par le créancier à l’organisme garant établissant que la créance est certaine et exigible et que l’agence garantie est défaillante, sans que le garant puisse opposer au créancier le bénéfice de division et de discussion.

La défaillance de l’agent garanti peut résulter soit d’un dépôt de bilan, soit d’une sommation de payer par exploit d’huissier ou lettre recommandée avec accusé de réception, suivie de refus ou demeurée sans effet pendant un délai de quarante-cinq jours à compter de la signification de la sommation.

En cas d’instance en justice, le demandeur doit aviser le garant de l’assignation par lettre recommandée avec accusé de réception.

Si le garant conteste l’existence des conditions d’ouverture du droit au paiement ou le montant de la créance, le créancier peut assigner directement devant la juridiction compétente.

Par dérogation aux dispositions qui précèdent, la mise en oeuvre, en urgence, de la garantie en vue d’assurer le rapatriement des clients d’une agence de voyages est décidée par le préfet qui requiert le garant de libérer, immédiatement et par priorité, les fonds nécessaires pour couvrir les frais inhérents à l’opération de rapatriement. Toutefois, si la garantie financière résulte d’un organisme de garantie collective visé à l’article 13 ci-dessus, cet organisme assure la mise en oeuvre immédiate de la garantie par tous moyens en cas d’urgence dûment constatée par le préfet.»

6 M. Ambry se défend devant la juridiction répressive en mettant en cause la compatibilité avec le droit communautaire des exigences posées par l’article 14 du décret précité, dans le cas où la garantie est accordée à l’agent de voyages par un établissement de crédit ou une entreprise d’assurances établis dans un autre État membre de l’Union européenne. De son point de vue, ces exigences constituent une entrave à la libre circulation des capitaux et à la libre prestation des services dans le domaine de l’octroi des garanties financières telles que prévues par le traité et le droit dérivé, de sorte que ce serait en violation du droit communautaire que lui a été opposé le refus de licence, l’illégalité de ce refus faisant elle-même, selon sa thèse, obstacle aux poursuites dont il fait l’objet.

7 Estimant que l’admissibilité des dispositions de l’article 14 du décret précité au regard du droit communautaire conditionne effectivement l’appréciation du bien-fondé des poursuites dirigées contre M. Ambry, le tribunal de grande instance de Metz nous pose la question préjudicielle suivante:

«Les dispositions de l’article 14 du décret n_ 94/490 en date du 15 juin 1994, pris en application de l’article 31 de la loi n_ 92/645 du 13 juillet 1992, doivent-elles être considérées comme non conformes à la directive 73/183 de 1973, à la directive de coordination du 15 décembre 1989, à l’article 59 du traité des Communautés européennes et à l’article 73 S du traité de Maastricht, en ce qu’elles imposent, dans le cas de la constitution d’une garantie financière dans un État membre de la Communauté européenne autre que la France, la passation d’un accord entre l’établissement de crédit ou l’entreprise d’assurances situés dans un État membre de la Communauté européenne autre que la France et un établissement de crédit ou une entreprise d’assurances situés en France?»

Les dispositions applicables en droit communautaire

8 Précisons tout de suite que la référence à l’article 73 S du traité CE doit être le résultat d’une erreur de plume, car un tel article n’existe pas. Compte tenu du contexte, on est en droit de supposer que la juridiction nationale vise l’article 73 B du traité CE, qui interdit les restrictions aux mouvements de capitaux et aux paiements.

9 Par ailleurs, l’analyse des données du problème de compatibilité des exigences posées par la réglementation française avec le droit communautaire soulevé par M. Ambry conduit à remanier quelque peu, pour répondre utilement aux préoccupations du juge national, la question posée. En effet, si l’article 14 du décret précité devait se heurter au droit communautaire, ce serait en ce qu’il refuse d’accorder à une prestation de services, l’octroi d’une garantie par un établissement financier ou une compagnie d’assurances établis dans un autre État membre, la même valeur qu’à la même prestation fournie par une entreprise du même type établie sur le territoire français, sauf si une condition particulière, l’existence d’un accord avec un établissement de crédit ou une compagnie d’assurances établis en France, est satisfaite. Ce refus d’assimiler la prestation fournie par un opérateur économique établi dans un autre État membre à la prestation fournie par un opérateur établi sur un territoire national apparaît prima facie comme susceptible de mettre en cause la liberté de prestation des services, et doit donc être apprécié au regard de l’article 59 du traité CE et, parce que sont en cause des prestations en matière de services financiers et d’assurances, au regard de la deuxième directive 89/646/CEE du Conseil, du 15 décembre 1989, visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et son exercice, et modifiant la directive 77/780/CEE (3), et de la directive 92/49/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’assurance directe autre que l’assurance sur la vie et modifiant les directives 73/239/CEE et 88/357/CEE (troisième directive «assurance non vie») (4), qui constituent le dernier état de la législation communautaire en la matière.

10 En revanche, je ne vois pas, rejoignant en cela la position explicite du gouvernement français et celle, implicite, du gouvernement espagnol, en quoi l’article 14 du décret précité pourrait interférer avec la libre circulation des capitaux et la liberté des paiements qu’entend assurer l’article 73 B du traité. Il ne crée, en effet, aucun obstacle aux mouvements de fonds entre un autre État membre et la France, à moins que l’on ne veuille considérer que, en rendant moins attractif et donc, selon toute vraisemblance, moins fréquent le recours par une agence de voyages française à un établissement de crédit ou à une compagnie d’assurances établis dans un autre État membre, il aboutit automatiquement à diminuer les flux financiers qui sont la conséquence inévitable de prestations de services transfrontalières. Mais pareil raisonnement me semble dénué de tout intérêt, car ou bien les exigences posées par l’article 14 sont admissibles au regard des règles relatives à la libre prestation des services, et il serait totalement contradictoire de prétendre les remettre en cause sur le fondement de l’article 73 B, ou bien elles ne le sont pas, et cela suffit à les condamner, sans qu’il faille chercher le secours de l’article 73 B.

11 Pour ces différentes raisons, j’estime que la question sur laquelle nous devons nous pencher est celle de savoir si, et je reprends là en substance la formulation de la question proposée par le gouvernement français, le principe de libre prestation des services, tel qu’il résulte de l’article 59 du traité et, s’agissant d’une activité bancaire ou d’assurances, des directives adoptées en ce domaine, en particulier des directives 89/646 et 92/49, précitées, s’oppose aux dispositions de l’article 14 du décret n_ 94/490 qui impose, dans le cas de la constitution d’une garantie financière auprès d’un établissement de crédit ou d’une compagnie d’assurances établis dans un État membre autre que la France, la passation d’un accord entre le garant et un établissement de crédit ou une compagnie d’assurances établis en France pour assurer le rapatriement des voyageurs.

12 Pour pouvoir porter cette appréciation sur la compatibilité dudit article 14 avec le droit communautaire, il est impératif de prendre en compte le fait que la loi n_ 92/645, précitée, dont le décret n_ 94/490 assure l’application, a opéré transposition dans l’ordre juridique national de la directive 90/314/CEE du Conseil, du 13 juin 1990, concernant les voyages, vacances et circuits à forfait (5). Cette prise en compte s’impose, car, à supposer que l’article 14 soit incompatible avec les directives 89/646 et 92/49 mais assure la transposition fidèle d’une prescription de la directive 90/314, nous pourrions nous trouver confrontés à un problème qui aurait trait non plus à un conflit entre normes nationales et normes communautaires, mais à un conflit entre diverses normes communautaires de même type et de même valeur, émanant toutes trois du Conseil.

13 Les dispositions de la directive 90/314 pertinentes pour apprécier la compatibilité avec le droit communautaire de l’article 14 sont l’article 7 et l’article 8. Aux termes de l’article 7,

«L’organisateur et/ou le détaillant partie au contrat justifie des garanties suffisantes propres à assurer, en cas d’insolvabilité ou de faillite, le remboursement des fonds déposés et le rapatriement du consommateur.»

14 L’article 8, quant à lui, prévoit que:

«Les États membres peuvent adopter ou maintenir, dans le domaine régi par la présente directive, des dispositions plus strictes pour protéger le consommateur.»

Analyse

15 Toutes les données réglementaires étant ainsi rassemblées, nous pouvons aborder l’analyse des éléments permettant de répondre à la question qui nous est posée. Je crois qu’il n’est point besoin de s’attarder longuement sur le fait que l’exigence d’un accord avec un établissement situé sur le territoire français, lorsque la garantie est fournie sous le régime de la libre prestation des services par un établissement situé dans un autre État membre, constitue à l’évidence une entrave à cette libre prestation. Elle ne va, certes, pas jusqu’à dénier, comme le ferait l’exigence d’agir à travers une succursale ou une agence établies sur le territoire français, la possibilité pour un tel établissement d’être présent sur le marché français en offrant ses services à partir d’un autre État membre. Mais je ne saurais suivre le gouvernement français lorsqu’il affirme que, puisqu’il n’y a obligation ni de disposer d’un établissement en France, ni d’avoir à y justifier d’un correspondant permanent ou d’une filiale, ni d’y geler des fonds, il n’y aurait aucune atteinte à la libre prestation des services. L’exigence que pose l’article 14 va obliger le prestataire étranger à surmonter deux obstacles: il lui faudra, d’une part, trouver un établissement situé en France disposé à passer avec lui l’accord sans lequel la garantie qu’il offre ne sera pas reconnue, ce qui ne sera pas forcément facile, puisqu’il lui faudra obtenir la coopération d’un concurrent éventuel, et, d’autre part, supporter les frais liés à la conclusion d’un tel accord, car on a peine à imaginer que l’établissement français prête son concours à titre gracieux, et donc serrer ses prix pour pouvoir rester concurrentiel par rapport à un établissement français. La restriction est donc incontestable.

16 Est-elle toutefois inévitable, en ce sens que, comme le soutient le gouvernement français, l’exigence posée par l’article 14 est quasiment imposée par l’article 7 de la directive 90/314. Selon le gouvernement français, le dispositif de garantie que prévoit ledit article doit présenter trois caractéristiques: fonctionner en cas d’insolvabilité de l’organisateur ou du détaillant de voyages, permettre le remboursement des fonds déposés et le rapatriement des consommateurs, être «suffisant» et «propre à assurer» ce remboursement et ce rapatriement.

17 Toujours selon ce gouvernement, et comme l’aurait confirmé l’arrêt de la Cour du 8 octobre 1996 (6), les États membres seraient, lorsqu’ils transposent cet article, tenus à une véritable obligation de résultat et devraient, à travers des mesures dont le choix leur revient, parvenir à un niveau d’efficacité optimale et à un certain degré d’automatisme dans la mise en oeuvre du mécanisme de garantie.

18 Si je ne peux qu’être d’accord sur le fait que c’est à une véritable obligation de résultat que sont tenus les États membres en ce qui concerne la garantie dont doit disposer le client de l’agence de voyages, je dois en même temps constater que le gouvernement français reconnaît que les États membres restent libres du choix des moyens à mettre en oeuvre à cet effet, et ne prétend nullement qu’il leur serait imposé par le législateur communautaire de recourir à des moyens les mettant en infraction par rapport à d’autres obligations pesant sur eux au titre du traité ou de textes de droit dérivé.

19 En d’autres termes, il ne saurait être question de voir dans l’article 7, et pas davantage dans l’article 8, une forme quelconque de blanc seing, inspiré de la conception suivant laquelle la fin justifie les moyens, qu’aurait accordé le législateur communautaire, dans le souci d’assurer une protection optimale du consommateur, aux États membres pour s’affranchir des règles régissant le marché commun. Ceci ne préjuge cependant en rien de la possibilité de recourir, mais dans les conditions définies par la jurisprudence de la Cour, à des mesures pouvant comporter des restrictions aux libertés garanties par le traité, si cela devait s’avérer nécessaire pour parvenir au résultat imposé par l’article 7.

20 C’est pourquoi il nous faut maintenant examiner si la restriction incontestable à la liberté de prestation des services apportée par l’article 14 du décret n_ 94/490 peut trouver une justification, étant précisé que l’obligation de passer un accord avec un établissement situé en France ne peut trouver de fondement ni dans la directive 89/646 (établissements de crédit) ni dans la directive 92/49 (assurances). Il est, comme le souligne la Commission, de jurisprudence constante qu’une telle restriction peut être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général, pour autant qu’il puisse être considéré qu’il s’agit d’une mesure non discriminatoire, proportionnée, objectivement nécessaire et que l’intérêt à protéger n’est pas déjà sauvegardé par des règles auxquelles le prestataire est soumis dans l’État membre où il est établi (7), et pour autant qu’il n’ait point été procédé à une harmonisation au niveau communautaire (8).

21 Il nous faut donc vérifier si, en l’espèce, ces différentes conditions sont remplies. Je passerai rapidement sur les conditions qui sont manifestement remplies, de manière à pouvoir examiner en détail ce qui pose véritablement problème dans la réglementation française. A l’évidence, les conditions que pose l’article 14 au recours par un agent de voyages à la garantie octroyée par un prestataire établi dans un État membre autre que la France s’inscrivent dans la perspective de la protection du consommateur confronté à la défaillance de l’organisateur ou du vendeur de voyages, en complétant l’obligation assumée par un garant établi hors de France par l’engagement d’un établissement situé en France, de sorte qu’il y a bien un objectif d’intérêt général qui est poursuivi (9).

22 A l’évidence, également, les dispositions réglementaires françaises ne se heurtent pas, tout au moins s’agissant des règles applicables à l’agence de voyages, à une harmonisation communautaire, puisque, comme le note la Commission, d’une part, l’article 7 de la directive 90/314, précitée, ne définit pas les modalités de constitution de la garantie qu’il prévoit et, d’autre part, l’article 8 de la même directive autorise l’adoption, pour la protection du consommateur, de mesures nationales plus strictes que celles imposées par la directive. Ne crée pas davantage de difficultés la condition tenant à ce que l’intérêt à protéger ne soit pas déjà sauvegardé par des règles auxquelles est soumis le prestataire dans l’État membre où il est établi, puisque n’est pas en cause la solvabilité du garant, mais sa capacité à intervenir avec efficacité pour se substituer à un agent de voyages français défaillant. Le débat se résume donc à savoir si la mesure française est ou non discriminatoire, objectivement nécessaire et proportionnée.

23 Sur le premier point, l’appréciation est moins simple qu’il n’y paraît. Le garant établi dans un autre État membre se voit, c’est l’objet de la contestation de M. Ambry, imposer une obligation spécifique, en raison même du fait qu’il n’est pas établi en France. Il y a donc là toutes les apparences d’une discrimination. Mais on peut aussi, comme le fait la Commission, considérer qu’il n’y a pas discrimination, laquelle consiste, rappelons-le, à traiter de manière différente des situations identiques ou de manière identique des situations différentes, dans la mesure où, au regard de la possibilité de mobiliser immédiatement la garantie, ce à quoi sont tenus tous les garants par l’article 14, un établissement situé hors de France n’est pas dans la même situation qu’un établissement situé en France. La Commission fait valoir à cet égard le fait qu’une banque française est effectivement en mesure de faire parvenir immédiatement des fonds à un autre établissement situé en France, et participant de ce fait au même système de compensation, alors qu’un établissement étranger, qui ne pourrait faire jouer un accord de correspondance avec une banque française, ne le serait pas forcément. Dans le même registre, le gouvernement français fait valoir, en se référant à diverses études et en tirant argument de ce que le législateur communautaire a été amené à intervenir par la directive 97/5/CE du Parlement européen et du Conseil, du 27 janvier 1997, concernant les virements transfrontaliers (10), que le transfert de fonds d’un État membre à l’autre s’opère jusqu’à présent dans des conditions qui ne sont pas toujours satisfaisantes.

24 Ces arguments ne me paraissent pas sans valeur, encore que les virements transfrontaliers qui manifestement posent problème sont ceux pour lesquels un particulier s’adresse à une banque pour faire transférer des fonds, et que l’on puisse supposer que, lorsque c’est une banque ou un organisme similaire qui entend envoyer pour son propre compte des fonds dans un autre État membre, les choses se passent mieux.

25 Ils ne me paraissent cependant pas totalement convaincants. On peut, en effet, se poser la question, dont je reconnais ne pas posséder la réponse, de savoir si, dans l’hypothèse où, s’agissant d’une garantie accordée à une agence de voyages établie, comme c’est le cas en l’espèce, dans le nord-est de la France, la garantie aurait été accordée par une banque située en Sarre, les fonds que cette dernière, pour faire face à ses engagements, confierait à un coursier parviendraient dans des délais beaucoup plus longs que ceux adressés par une banque française garante établie à Perpignan ou à Bayonne. On pourrait, par ailleurs, se demander si véritablement les virements transfrontaliers se heurtent à tant de difficultés, comment procèdent les compagnies d’assistance qui, depuis des années, interviennent efficacement pour venir en aide à leurs clients victimes de mésaventures dans des contrées lointaines.

26 Admettons cependant, faute de disposer de certitude, que l’existence d’une différence de situation entre un établissement situé en France et un autre situé dans un autre État membre interdise de considérer que les exigences posées par l’article 14 constituent une discrimination, et tournons-nous vers les autres conditions auxquelles elles doivent satisfaire pour être admissibles au regard du droit communautaire. Sont-elles à la fois objectivement nécessaires et proportionnées? Partageant la position exprimée par la Commission à l’audience, je suis d’avis qu’elles ne le sont point, et ce pour diverses raisons.

27 Avant de les exposer, je tiens à préciser que je suis sensible aux arguments développés par le gouvernement français. Je suis parfaitement d’accord avec lui pour considérer qu’il est essentiel que la garantie souscrite par l’agence de voyages puisse être immédiatement mobilisable sur le territoire national, lorsqu’il y a lieu de procéder au rapatriement de la clientèle. Nous avons tous présente à l’esprit la situation ubuesque dans laquelle se sont trouvés les clients d’une agence de voyages autrichienne, pris en otage par un hôtelier grec, dont les aventures ont fourni la trame du litige dont nous avons eu à connaître dans l’affaire C-364/96 à travers une question préjudicielle que nous a déférée le Bezirksgericht für Handelssachen Wien.

28 Mais, en dehors de l’intérêt évident que présente pour le touriste en attente de rapatriement la mise en oeuvre immédiate de la garantie, la rapidité de l’intervention du garant présente un autre avantage. Elle est, en effet, de nature à permettre de limiter le montant de la garantie exigée de l’agence de voyages, et donc à favoriser la concurrence dans ce secteur d’activités. Si la garantie tarde à jouer, le séjour du touriste va se prolonger, entraînant des coûts supplémentaires devant être pris en charge par le garant, en plus de ceux qu’il devrait, de toute manière, supporter pour assurer le retour des intéressés. Alors que, si le retour s’effectue très rapidement, l’intervention du garant au titre du rapatriement ne l’exposera généralement qu’au paiement, à la place de l’agence de voyages défaillante, des titres de transport. Le rapatriement immédiat de la clientèle correspond donc ainsi à l’intérêt bien compris à la fois des professionnels du tourisme et des établissements qui les garantissent.

29 Je vois aussi tout l’intérêt qui s’attache à l’intervention de l’autorité préfectorale mise en place par l’article 16 du décret n_ 94/490. Il n’est, en effet, guère douteux qu’il est de loin préférable pour le touriste bloqué à l’autre bout de la planète de voir l’autorité publique de l’État membre où il a acheté son voyage prendre les choses en main que de devoir se débrouiller par lui-même pour faire intervenir le garant.

30 Il n’est, de la même manière, pas contestable que la réglementation française n’a pas opté, comme la directive 90/314 lui en laissait la possibilité, pour la solution qui aurait, en ne retenant comme seule modalité admise de garantie que l’adhésion de l’agence de voyages à un organisme collectif de garantie regroupant l’ensemble des agences de voyages françaises, exclu de facto la possibilité pour les établissements de crédit et les compagnies d’assurances établis dans d’autres États membres de s’adresser à la clientèle des agences de voyages françaises.

31 On notera, enfin, qu’en matière d’assurances le législateur communautaire a lui-même considéré que la présence dans l’État membre où réside le consommateur d’un représentant du prestataire des services établi dans un autre État membre peut certainement, dans bon nombre d’hypothèses, se révéler précieuse. C’est bien pourquoi les États membres ont expressément été autorisés à exiger une telle représentation par l’article 12 bis de la directive 88/357/CEE, introduit par l’article 6 de la directive 90/618/CEE du Conseil, du 8 novembre 1990, modifiant, en ce qui concerne plus particulièrement l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, les directives 73/239/CEE et 88/357/CEE qui portent coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’assurance directe autre que l’assurance sur la vie (11).

32 Face à ces aspects positifs de la réglementation française, il en est, cependant, d’autres, négatifs, qui la condamnent. Le premier tient à ce qu’il semble bien que l’accord devant être passé par le prestataire étranger avec un établissement situé en France ne doit pas se limiter à une simple coopération, ledit établissement prêtant son concours au garant pour que effectivement les fonds puissent être mis immédiatement à disposition de l’autorité préfectorale organisant le rapatriement des touristes, en faisant éventuellement l’avance des fonds si le virement transfrontalier apparaît impossible à opérer dans un délai très bref. Des explications fournies par le gouvernement français il apparaît, en effet, que ce qui est exigé, c’est que l’établissement situé en France puisse être assigné en référé devant la juridiction française par le préfet, si celui-ci estime que l’intervention du garant se fait par trop attendre. Ce qui signifie qu’il ne s’agit pas d’un simple engagement de cet établissement vis-à-vis du garant, mais d’un véritable engagement d’assumer vis-à-vis des autorités françaises l’intégralité des engagements pesant sur le garant lui-même. Or, l’exigence d’un engagement de cette nature aboutit, en fait, à imposer qu’à la garantie octroyée par un établissement de crédit ou une compagnie d’assurances établis dans un autre État membre s’ajoute une garantie identique d’un établissement du même type établi en France, de sorte que l’on se trouve en présence d’un véritable refus de reconnaître une valeur équivalente à celle d’une garantie offerte par un établissement situé en France à la garantie offerte dans le cadre du régime de libre prestation des services, mis en place par les directives 89/646 et 92/49. Un tel refus d’admettre la validité du «passeport européen» qu’ont entendu créer ces directives à travers un agrément valable dans tous les États membres ne m’apparaît pas proportionné au regard des exigences de protection du consommateur sur lesquelles il prétend se fonder.

33 Le second tient à l’argumentation que développe le gouvernement français quant à l’impossibilité de sauvegarder autrement que par l’accord exigé la possibilité pour le préfet d’agir en référé contre un garant peu diligent. Je puis, certes, admettre que le gouvernement français souhaite que, lorsqu’il se voit contraint d’agir en justice, le préfet puisse s’adresser à une juridiction française et n’ait pas à faire face, dans la situation d’urgence où il est amené à intervenir, aux difficultés et aux retards qui peuvent accompagner une action intentée devant des juridictions étrangères. Mais je crois que cette préoccupation n’est pas de nature à justifier, au regard du principe de proportionnalité, l’exigence posée par l’article 14. Pour offrir cette même facilité au préfet, il eût suffi d’imposer que, lorsque la garantie est octroyée par un opérateur économique établi dans un autre État membre, celui-ci accepte une clause contractuelle reconnaissant la compétence des juridictions françaises pour tous les litiges auxquels pourrait donner lieu la mise en oeuvre de la garantie, étant précisé que la décision rendue par la juridiction française bénéficierait pour son exécution de toutes les facilités offertes par la convention de Bruxelles.

34 Le troisième aspect négatif tient à ce que la réglementation française part du présupposé que la mise à disposition des fonds devant permettre le rapatriement des clients de l’agence de voyages ne pouvant respecter ses engagements sera forcément trop tardive pour que ledit rapatriement puisse être organisé dans des conditions optimales et s’effectuera toujours moins efficacement que si le garant était établi en France, sans qu’il soit possible à un garant étranger d’apporter la preuve que, dans son cas, ce présupposé ne correspond aucunement à la réalité.

35 Comme je l’ai déjà signalé plus haut, un garant peut être établi dans un autre État membre et se trouver à proximité géographique immédiate de la préfecture appelée à intervenir, ce qui lui offre certainement de nombreuses facilités, alors qu’un garant établi en France peut, en fait, en être très éloigné et avoir lui-même besoin d’un certain délai pour faire matériellement parvenir les fonds nécessaires.

36 Certes, j’en conviens, le garant établi dans un autre État membre sera dans la plupart des cas confronté à des difficultés plus grandes que celui établi en France. Mais la réglementation française aurait dû, suivant des modalités qu’il ne m’appartient pas de préciser, tenir compte du fait qu’il peut se présenter des cas où l’efficacité de l’action du garant étranger ne saurait être mise en doute. Moins restrictive de la liberté de prestation des services eût certainement été une réglementation qui aurait permis à l’autorité nationale de refuser des garanties ne répondant pas à certains critères d’efficacité objectivement définis ou d’exiger du garant qu’il apporte des éléments concrets permettant de reconnaître l’efficacité de sa garantie. En posant une règle trop générale, qui ne laisse pas place à l’examen des situations individuelles, la réglementation française s’écarte, là encore, de ce qu’exige le principe de proportionnalité.

37 Prenant en considération l’ensemble de ces éléments, je propose que la Cour réponde à la question préjudicielle, posée par le tribunal de grande instance de Metz, que:

«Le principe de libre prestation des services tel qu’il résulte de l’article 59 du traité CE ainsi que de la deuxième directive 89/646/CEE du Conseil, du 15 décembre 1989, visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et son exercice, et modifiant la directive 77/780/CEE, et de la directive 92/49/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’assurance directe autre que l’assurance sur la vie et modifiant les directives 73/239/CEE et 88/357/CEE (troisième directive `assurance non vie'), s’oppose à une réglementation nationale qui, telle celle résultant en France de l’article 14 du décret n_ 94/490, s’agissant de la garantie dont doivent disposer les agences de voyages, impose, systématiquement, dans le cas de la constitution d’une garantie financière auprès d’un établissement de crédit ou d’une compagnie d’assurances établis dans un autre État membre, la passation d’un accord entre le garant et un établissement de crédit ou une compagnie d’assurances établis sur le territoire national pour assurer le rapatriement des voyageurs.»

(1) – JORF, p. 8746.

(2) – JORF, p. 9457.

(3) – JO L 386, p. 1.

(4) – JO L 228, p. 1.

(5) – JO L 158, p. 59.

(6) – Arrêt Dillenkofer e.a. (C-178/94, C-179/94, C-188/94, C-189/94 et C-190/94, Rec. p. I-4845).

(7) – Arrêt du 25 juillet 1991, Säger (C-76/90, Rec. p. I-4221, point 15).

(8) – Arrêt du 25 juillet 1991, Commission/Pays-Bas (C-353/89, Rec. p. I-4069).

(9) – Arrêt du 4 décembre 1986, Commission/Allemagne (205/84, Rec. p. 3755, point 29 et suiv.).

(10) – JO L 43, p. 25.

(11) – JO L 330, p. 44.

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Textes cités dans la décision

  1. Deuxième directive 89/646/CEE du 15 décembre 1989 visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice
  2. Directive 92/49/CEE du 18 juin 1992 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie
  3. Directive 97/5/CE du 27 janvier 1997 concernant les virements transfrontaliers
  4. Directive 90/314/CEE du 13 juin 1990 concernant les voyages, vacances et circuits à forfait
  5. Deuxième directive 88/357/CEE du 22 juin 1988 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie, fixant les dispositions destinées à faciliter l'exercice effectif de la libre prestation de services
  6. Directive 90/618/CEE du 8 novembre 1990
  7. Première directive 73/239/CEE du 24 juillet 1973 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'accès à l'activité de l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie, et son exercice
  8. Directive 73/183/CEE du 28 juin 1973 concernant la suppression des restrictions à la liberté d'établissement et à la libre prestation de services en matière d'activités non salariées des banques et autres établissements financiers
  9. Loi n°92-645 du 13 juillet 1992
  10. Décret n°94-490 du 15 juin 1994
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CJCE, n° C-410/96, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Procédure pénale contre André Ambry, 14 mai 1998