Tribunal administratif de Montpellier, 2ème chambre, 26 décembre 2022, n° 2205335

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TA Montpellier, 2e ch., 26 déc. 2022, n° 2205335
Juridiction : Tribunal administratif de Montpellier
Numéro : 2205335
Type de recours : Excès de pouvoir
Dispositif : Satisfaction partielle
Date de dernière mise à jour : 8 septembre 2023

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par requête, enregistrée le 14 octobre 2022, M. A B, représenté par Me Bazin, demande au tribunal :

1°) de l’admettre au bénéfice de l’aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d’annuler l’arrêté n° 22340660 du 12 octobre 2022, par lequel le préfet de l’Hérault l’a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, et a prononcé une interdiction de retour d’une durée de deux ans ;

3°) d’enjoindre au préfet à titre principal, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, dans un délai d’un mois à compter de la notification du jugement et à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation administrative dans un délai d’un mois à compter de la notification du présent jugement ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 800 euros au profit de son conseil, par application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

La décision portant obligation de quitter le territoire :

— est insuffisamment motivée et ne résulte pas d’un examen particulier de sa situation, pour ne pas indiquer que sa fille a demandé l’asile ;

— méconnait les stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale des droits de l’enfant, et est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation de sa situation familiale.

L’interdiction de retour sur le territoire français :

— est illégale eu égard à l’illégalité de l’obligation de quitter le territoire ;

— méconnait les dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l’administration et du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, en ce qu’il n’est pas indiqué en quoi cette mesure serait justifiée et proportionnée et en ce qu’elle ne comporte pas de motifs distincts de l’obligation de quitter le territoire ;

— la décision est entachée d’une erreur de droit et une d’erreur d’appréciation au regard de la situation personnelle du requérant, en ce qu’il n’avait fait l’objet d’aucune précédente mesure d’éloignement, vit sur le territoire national depuis 2018, a deux enfants avec sa compagne dont un est demandeur d’asile et qu’il ne représente pas une menace pour l’ordre public.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 octobre 2022, le préfet de l’Hérault conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. B ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

— la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

— la convention internationale des droits de l’enfant ;

— le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

— la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;

— le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l’audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de Mme Pater, rapporteure ;

— et les observations de Me Bazin, représentant M. B.

Considérant ce qui suit :

1. M. B, ressortissant nigérian né le 19 juin 1995, entré clandestinement sur le territoire national, selon ses déclarations en janvier 2018, a présenté en juin 2018 une demande d’asile qui a été rejetée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et par la Cour nationale du droit d’asile le 20 août 2019. Par la présente requête, il demande l’annulation de l’arrêté du 12 octobre 2022 par lequel le préfet de l’Hérault l’a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, et lui a fait interdiction de retour d’une durée de deux ans.

Sur les conclusions tendant à l’admission à l’aide juridictionnelle provisoire :

2. Aux termes de l’article 20 de la loi du 10 juillet 1991 : « Dans les cas d’urgence, sous réserve de l’application des règles relatives aux commissions ou désignations d’office, l’admission provisoire à l’aide juridictionnelle peut être prononcée par la juridiction compétente ou son président ». Il y a lieu, eu égard à l’urgence qui s’attache à ce qu’il soit statué sur la requête de M. B, de prononcer son admission provisoire à l’aide juridictionnelle.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

Sur l’obligation de quitter le territoire :

3. En premier lieu, aux termes de l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration : « Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui () restreignent l’exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police () ». Aux termes de l’article L. 211-5 du même code : « La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ».

4. Il ressort des pièces du dossier que la décision obligeant M. B à quitter le territoire vise la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, en particulier son article L. 611-1 et mentionne les éléments de fait propres à sa situation personnelle, en particulier son entrée clandestine sur le territoire national et son maintien en situation irrégulière malgré le rejet de sa demande d’asile. Dans ces circonstances, le fait que le préfet n’ait pas mentionné la demande d’asile faite au nom de sa fille mineure n’est pas de nature à faire regarder cette motivation comme insuffisante. Par suite, le moyen tiré de l’insuffisance de motivation doit être écarté.

5. En second lieu, cette motivation atteste que le préfet de l’Hérault s’est livré à un examen personnalisé de la situation de M. B qui n’établit pas avoir porté à la connaissance du préfet d’éléments relatifs aux risques d’excision concernant sa fille née le 7 mai 2021 en cas de retour au Nigéria.

6. En troisième lieu, aux termes de l’article 8 de la convention européenne des droits de l’Homme : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance () ». Pour l’application de ces dispositions, l’étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d’apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu’il a conservés dans son pays d’origine.

7. Il ressort des pièces du dossier, en particulier de l’arrêté attaqué, que l’obligation de quitter le territoire français prise à l’encontre de M. B est fondée sur l’article L. 611-1 1° et 4° du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile permettant au préfet de prononcer une obligation de quitter le territoire à l’encontre d’un étranger ne pouvant justifier d’une entrée régulière sur le territoire français et qui s’y est maintenu sans être titulaire d’un titre de séjour en cours de validité ou s’étant vu refusé définitivement la qualité de réfugié. Le requérant ne conteste pas être entré clandestinement sur le territoire national et s’y être maintenu en situation irrégulière malgré le rejet définitif de sa demande d’asile en 2019. M. B, âgé de 27 ans, est présent sur le territoire national depuis 2018, et a ainsi vécu la majeure partie de sa vie au Nigéria, où résident encore sa mère et sa sœur, et où sa compagne, et ses deux enfants nés en 2018 et 2021 peuvent l’accompagner. Le requérant ne travaille pas et ne fait état d’aucune intégration. Dans ces circonstances, la décision obligeant M. B à quitter le territoire national n’a pas porté au droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Il s’ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales doit être écarté pour n’être pas fondé. Il n’est de même pas établi que le préfet aurait entaché sa décision d’une erreur manifeste d’appréciation de la situation de l’étranger.

8. En dernier lieu, aux termes de l’article 3-1 de la convention internationale des droits de l’enfant : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. ». Il résulte de ces stipulations que, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, l’autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l’intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d’enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d’affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.

9. Il ressort des pièces du dossier que les enfants du requérant sont en bas âge et que leur mère est une compatriote. Si une demande d’asile a été présentée par celle-ci en sa qualité de représentante de sa fille mineure, aucune décision n’a été prise à ce jour par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides devant laquelle sa mère la représentera. Si M. B se prévaut des risques de mutilation que sa fille née en 2021 pourrait encourir au Nigéria, cette circonstance est inopérante à l’encontre de la décision en litige qui n’a ni pour objet ni pour effet de fixer le pays de renvoi. Dès lors, la décision attaquée n’a pas pour effet de faire obstacle à ce que la famille se reconstitue dans un autre pays, et le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l’article 3-1 de la convention internationale des droits de l’enfant doit être écarté pour n’être pas fondé.

Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

10. Aux termes de l’article L. 612-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : " Lorsqu’aucun délai de départ volontaire n’a été accordé à l’étranger, l’autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d’une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l’autorité administrative n’édicte pas d’interdiction de retour.

Les effets de cette interdiction cessent à l’expiration d’une durée, fixée par l’autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l’exécution de l’obligation de quitter le territoire français. « . Aux termes de l’article L. 612-10 du même code : » Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l’autorité administrative tient compte de la durée de présence de l’étranger sur le territoire français, de la nature et de l’ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu’il a déjà fait l’objet ou non d’une mesure d’éloignement et de la menace pour l’ordre public que représente sa présence sur le territoire français. () ".

11. Il ressort des pièces du dossier, que le préfet de l’Hérault n’a assorti l’obligation de quitter le territoire prononcé à l’encontre de M. B d’aucun délai de départ volontaire et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire d’une durée de deux ans. Pour justifier un tel délai, le préfet de l’Hérault a pris en compte, les quatre critères énoncés par les dispositions précitées, et retenu en particulier la menace à l’ordre public. Toutefois, la circonstance que l’intéressé ait été placé en garde à vue pour des faits de violences conjugales, ne suffit pas à caractériser une menace à l’ordre public. M. B vit en France depuis 2018, a deux enfants et n’a pas fait l’objet d’une précédente mesure d’éloignement. Dans ces circonstances, la durée de deux ans de l’interdiction de retour sur le territoire apparait disproportionnée au vu de la situation du requérant, qui est dès lors fondé à soulever le moyen tiré de l’erreur d’appréciation.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le requérant est seulement fondé à demander l’annulation de la décision lui faisant interdiction de retour sur le territoire, et que le surplus des conclusions en annulation doit être rejeté.

Sur les conclusions à fin d’injonction :

13. L’annulation de la décision d’interdiction de retour sur le territoire français n’implique pas nécessairement qu’il soit procédé au réexamen de la situation du requérant au regard du droit au séjour, ni que soit délivrée, pendant cet examen, une autorisation provisoire de séjour. Par suite, les conclusions aux fins d’injonction doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat, à verser à Me Bazin, sous réserve de l’admission de son client à l’aide juridique et de sa renonciation à la part contributive de l’Etat à cette aide, une somme de 1 200 euros au titre de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique.

D E C I D E :

Article 1er : M. B est admis provisoirement au bénéfice de l’aide juridictionnelle.

Article 2 : La décision du 12 octobre 2022 du préfet de l’Hérault faisant interdiction à M. B de retourner sur le territoire français durant deux ans est annulée.

Article 3 : L’Etat versera à Me Bazin, sous réserve d’admission à l’aide juridique et de sa renonciation à la part contributive de l’Etat à cette aide, une somme de 1 200 euros.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. B et au préfet de l’Hérault.

Copie en sera transmise à Me Bazin.

Après en avoir délibéré à l’issue de l’audience du 5 décembre 2022 à laquelle siégeaient :

M. Rabaté, président,

Mme Pater, première conseillère,

Mme Viallet, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 décembre 2022.

La rapporteure,

B. Pater

Le président,

V. Rabaté

Le greffier,

F. Balicki

La République mande et ordonne au préfet de l’Hérault en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Montpellier, le 4 janvier 2023.

Le greffier,

F. Balickifb

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Tribunal administratif de Montpellier, 2ème chambre, 26 décembre 2022, n° 2205335