Tribunal de grande instance d'Évry, Juge des référés, 23 décembre 2016, n° 16/01075

  • Côte d'ivoire·
  • Dommage environnemental·
  • Demande·
  • Procédure·
  • Commerce·
  • Référé·
  • Sociétés commerciales·
  • Produit pétrolier·
  • Juridiction·
  • Pétrolier

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
TGI Évry, juge des réf., 23 déc. 2016, n° 16/01075
Juridiction : Tribunal de grande instance d'Évry
Numéro(s) : 16/01075

Sur les parties

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

Au Nom du Peuple Français

Tribunal de Grande Instance d’EVRY

Chambre des Référés

Ordonnance rendue le 23 Décembre 2016

MINUTE N° 16/______

N° 16/01075

ENTRE :

Société X Y B.V., dont le siège social est sis 102 Gustav Mahlerplan – 1082 MA AMSTERDAM (PAYS-BAS)

représentée par Me Roman PINOSCH, demeurant […], avocat au barreau de PARIS

DEMANDERESSE

D’UNE PART

ET :

S.A.S Z A, dont le siège social est […]

représentée par Maître Yvon MARTINET de l’AARPI DS AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : T007

DEFENDERESSE

D’AUTRE PART

RENDUE PAR

Corinne LORENTE, Première Vice-Présidente adjointe,

Assistée de Amel MEJAI, Greffier

**************

Par acte d’huissier en date du 31 octobre 2016, la société X Y B.V, société de droit néerlandais faisait assigner la SAS Z A en référé devant ce tribunal.

Indiquant exercer son activité dans le domaine du négoce de matières premières, principalement de produits pétroliers et de métaux, la société X Y BV précisait que le 19 août 2006, un navire qu’elle avait affrété avait déchargé dans le port d’Abidjan des déchets issus de produits pétroliers dont l’élimination, confiée à la compagnie Tommy, ayant entraîné un dommage environnemental.

Elle précisait avoir, en février 2007, conclu dans ce cadre, un protocole d’accord avec l’Etat de la Côte d’Ivoire, aux termes duquel en particulier, en contrepartie du versement d’une somme forfaitaire ayant pour objet, notamment, l’indemnisation des victimes des conséquences de ce déchargement, l’Etat de la Côte d’Ivoire s’engageait à la garantir de toute réclamation au titre de ces événements et prendre toute mesure visant à garantir l’indemnisation des victimes.

Indiquant que des travaux de dépollution avaient, dans un premier temps été confiés par la République de Côte d’Ivoire, à la société Tredi aux termes d’un contrat auquel il avait été mis fin, la société X Y BV ajoutait avoir, aux termes d’un contrat conclu le 19 octobre 2007, mandaté la société Z portant sur une mission comprenant deux étapes, la première constituant une phase préliminaire et portant sur l’analyse des données existantes, la visite des lieux et la collecte d’échantillons, la seconde, portant sur l’excavation des terres polluées, le conditionnement et stockage sécuritaire, l’aménagement d’une plate-forme sécuritaire, l’excavation des terres et conditionnement en big-bags, la traçabilité de l’opération et des documents livrables.

Ajoutant que la société Z avait été ensuite chargée de procéder aux travaux de dépollution, la société X Y BV indiquait faire l’objet de plusieurs procédures contentieuses, engagées, en particulier, dans le cadre d’actions de groupe menées par deux fondations de droit néerlandais devant le tribunal de première instance d’Amsterdam.

Précisant avoir, vainement, sollicité de la société Z qu’elle lui communique toutes pièces utiles relatives aux opérations de dépollution qu’elle avait menées et ce, afin de pouvoir assurer sa défense dans le cadre de ces instances contentieuses, la société X Y BV, se prévalait des dispositions des articles 145, 808 et 809 du code de procédure civile et demandait au juge des référés :

A titre principal :

— d’ordonner, sous astreinte de 20000 euros par jour de retard à compter de la notification de l’ordonnance à intervenir, la production par la société Z de la copie des documents relatifs aux opérations de dépollution menées en Côte d’Ivoire suivants :

* analyses laboratoire des échantillons des eaux et des sols impactés par le dépôt des matières pour chaque site concerné par les opérations de dépollution menées en Côte d’Ivoire ;

* analyses laboratoires des batch de matières enlevées sur chaque site concerné par les opérations de dépollution menées en Côte d’Ivoire ;

* analyses laboratoires des échantillons des eaux et des sols qui permettraient de démontrer que les matériaux contaminés ont bien été enlevés de chaque site concerné par les opérations de dépollution en Côte d’Ivoire ;

* rapports intermédiaires établis dans le cadre et/ou à la suite des opérations de dépollution menées en Côte d’Ivoire ;

* rapports finaux établis dans le cadre et/ou à la suite des opérations de dépollution menées en Côte d’Ivoire ;

A titre subsidiaire :

— de désigner tel huissier territorialement compétent avec pour mission de se faire remettre copie desdits documents et de les placer sous séquestre dans l’attente qu’il soit statué par la juridiction de céans sur la mainlevée du séquestre.

La société X Y BV faisait valoir que :

— En ce qui concerne le fondement tiré des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile, aucun procès au fond n’est pendant à l’égard de la société Z ; les procédures contentieuses actuellement pendantes devant la juridiction d’Amsterdam ne concernent pas cette société ; ces procédures portent sur l’indemnisation des personnes affirmant avoir été victimes de la pollution résultant du déversement des déchets de produits pétroliers ; ces procédures ont donc un objet distinct de celui susceptible de l’opposer à la société Z fondé sur la responsabilité délictuelle de cette société en application des dispositions de l’article 1382 du code civil, à raison de l’inachèvement des opérations de dépollution qui lui ont été confiées ; elle a un intérêt légitime à l’organisation de cette mesure ; la mauvaise exécution éventuelle par la société Z des obligations contractées à l’égard de la République de Côte d’Ivoire dans le cadre des contrats conclus par cette société avec ce pays sont susceptibles de constituer un manquement à une obligation de nature à engager sa responsabilité délictuelle à son égard ; elle pourrait voir mettre à sa charge le coût de dépollution complémentaires et subir un préjudice à raison de l’indemnisation de personnes qui ont continué à être exposées à des produits polluants ;

— En ce qui concerne le fondement tiré des dispositions des articles 808 et 809 du code de procédure civile, l’urgence est caractérisée par la publication imminente du rapport du Programme des Nations Unies pour l’Environnement ; sa demande ne se heurte à aucune contestation sérieuse ; sa demande est destinée à prévenir le dommage éventuel en lui permettant de disposer des éléments nécessaires à sa défense ;

— la juridiction saisie est compétente ;

— la mesure sollicitée compte au nombre des mesures légalement admissibles.

A l’audience du 25 novembre 2016, la société X Y BV et la société Z comparaissaient.

La société Z opposait in limine litis une exception d’incompétence du juge des référés du tribunal de grande instance d’Evry, se prévalant à ce titre, d’une part, des dispositions de l’article L. 721-3 du code de commerce donnant compétence au tribunal de commerce pour connaître des litiges entre deux sociétés commerciales et, d’autre part, des disposition des articles 872 et 873 du code de procédure civile donnant en particulier compétence au président du tribunal de commerce pour statuer sur les demandes formées devant la présente juridiction sur le fondement des dispositions des articles 808 et 809 du même code.

Elle opposait, également, l’incompatibilité des fondements juridiques des demandes de la société X Y BV.

La société X Y BV maintenait les prétentions exposées aux termes de son assignation introductive d’instance.

Reprenant l’argumentation développée dans le cadre de son assignation introductive d’instance, la société X Y BV, qui précisait agir, à titre principal sur le fondement des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile, et, à titre subsidiaire sur celles du premier alinéa de l’article 809 du même code, faisait valoir :

En ce qui concerne la compétence de la présente juridiction :

— le litige ne concerne pas un acte de commerce, mais une faute à l’origine d’un dommage environnemental ; à la date d’introduction de son action devant le juge des référés du tribunal de grande instance d’Evry aucun élément ne permet d’affirmer que le litige au fond relève d’un contentieux civil ou d’un contentieux commercial ; la responsabilité en matière de dommage environnemental ne compte pas au nombre des contentieux attribués à la juridiction consulaire ;

En ce qui concerne la recevabilité de ses demandes :

— sa demande est engagée avant tout procès au fond concernant la société Z ; les instances en cours devant les juridictions néerlandaises ne font pas obstacle à la présente action ;

En ce qui concerne le bien fondé de ses demandes :

— celles-ci sont parfaitement justifiées ; la société Z n’est pas tenue à une obligation de confidentialité à l’égard de la République de Cote d’Ivoire.

En réponse, et, au delà de l’exception de procédure invoquée in limine litis, la société Z demandait au juge des référés, au visa des dispositions des articles 145, 808 et 809 du code de procédure civile :

— de rejeter l’ensemble des demandes de la société X ;

— de condamner la société X au paiement de la somme de 2500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

La société Z A faisait valoir que :

— l’absence d’une instance au fond constitue une condition de recevabilité d’une demande fondée sur les dispositions de l’article 145 du code de procédure civile ; en l’espèce, la demande formée par la société X Y BV est précisément motivée par les procédures contentieuses dont elle fait l’objet ;

— la société X Y BV ne justifie pas d’un motif légitime ; l’intérêt probatoire est douteux puisque lié à la survenance hypothétique d’un procès entre la demanderesse et elle ;

— l’utilité de la mesure sollicitée n’est pas démontrée ; elle constitue au surplus une immixtion exagérée dans les affaires d’autrui ;

— les dispositions des articles 808 et 809 du code de procédure civile ne sauraient fonder les demandes formées ; il n’est justifié, ni d’une urgence, ni d’une absence de contestation sérieuse, ni d’un quelconque différend.

SUR QUOI

Sur les demandes principales :

En ce qui concerne l’exception d’incompétence :

Attendu qu’aux termes de l’article L. 721-3 du code de commerce : “ Les tribunaux de commerce connaissent : 1° Des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement ou entre eux ; 2° De celles relatives aux sociétés commerciales ; 3° De celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes(…)” ;

Attendu, en premier lieu, que s’il est exact en l’espèce que le présent litige oppose deux sociétés commerciales, il ressort des termes mêmes des moyens et prétentions de la demanderesse, laquelle fait en particulier valoir que la mesure qu’elle sollicite a pour objet de lui permettre éventuellement de mettre en cause la responsabilité de la société Z, à raison en particulier du manquement à ses obligations dans le cadre de travaux de dépollution qui lui ont été confiés, que le litige ne saurait être regardé comme relatif aux sociétés commerciales au sens des dispositions précitées du 2° de l’article L. 721-3 du code de commerce,

Attendu, en second lieu, que la nature du contentieux au fond susceptible d’opposer la société X Y BV à la société Z, n’apparaît pas à ce stade de la procédure déterminée avec une évidence telle qu’elle permette de considérer qu’il compterait au nombre des contentieux relevant de la compétence du tribunal de commerce, en application de l’une quelconque des dispositions de l’article L. 721-3 du code de commerce ;

Attendu qu’il résulte de ce qui précède que l’exception d’incompétence opposée par la société Z doit être rejetée ;

En ce qui concerne l’incompatibilité des fondements juridiques des demandes :

Attendu que la circonstance que la demanderesse fonde ses demandes sur des dispositions différentes, à les supposer même incompatibles ne saurait suffire à relever d’une exception de procédure ou à entraîner leur rejet ;

En ce qui concerne les demandes de la société X :

S’agissant du fondement tiré des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile :

Attendu qu’aux termes de l’article 145 du code de procédure civile : “ S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé” ;

Attendu que la demande de production de pièces compte au nombre des mesures d’instruction susceptibles d’être sollicitées sur le fondement des dispositions précitées de l’article 145 du code de procédure civile ;

Que, par ailleurs, si l’existence d’une contestation sérieuse ne fait pas obstacle à l’organisation d’une mesure d’instruction et qu’il ne saurait être imposé au demandeur à la mesure d’instruction de démontrer l’existence des faits qu’il invoque puisque cette mesure « in futurum » est justement destinée à les établir, il lui incombe en revanche de justifier d’éléments rendant crédibles ces suppositions ;

Attendu, enfin, que l’existence d’une instance au fond faisant obstacle à la recevabilité de la demande tendant à l’organisation d’une mesure d’instruction sur le fondement de ces dispositions, doit s’entendre de l’instance en vue de laquelle la mesure d’expertise est sollicitée ;

Attendu, en premier lieu, qu’en l’espèce il est constant que la société X Y BV fait l’objet d’instances contentieuses devant les juridictions néerlandaises, il l’est tout autant que la société Z A n’y est pas partie ; que, par suite, la société Z A n’est pas fondée à soutenir que ces instances feraient obstacle à la présente action engagée par la demanderesse ;

Attendu, en second lieu, en revanche que par ses allégations, la société X Y BV ne démontre pas la probabilité, à ce stade de la procédure et en l’absence d’élément sur l’issue des instances pendantes devant les juridictions néerlandaises, de la survenance d’un litige entre elle et la défenderesse ;

Qu’elle n’établit pas davantage l’utilité au regard de l’existence d’une action contentieuse fondée sur la mise en cause de sa responsabilité à raison de sinistres résultant d’une pollution dont elle devrait répondre, de la production d’éléments ayant trait aux opérations de dépollution confiées à une société tierce ;

Attendu qu’au vu de ces éléments, la demande tendant à ce qu’il soit ordonné à la défenderesse de produire sous astreinte, les documents et pièces mentionnés dans son assignation doit être rejetée ;

Qu’il en sera de même, pour les mêmes motifs, de la demande tendant à voire placer sous séquestre les dites pièces dans l’attente que “la juridiction statue sur sa mainlevée ;

S’agissant du fondement tiré des dispositions du premier alinéa de l’article 809 du code de procédure civile :

Attendu qu’aux termes de l’article 809 du code de procédure civile : “Le président peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite (…)” ;

Attendu qu’à supposer même admis que la demande de production de pièces puisse s’analyser comme une mesure conservatoire au sens des dispositions précitées du premier alinéa de l’article 809 du code de procédure civile, la circonstance tirée de l’existence parallèle d’une action en Justice susceptible de se traduire par une condamnation au paiement de dommages et intérêts ne saurait relever du dommage imminent prévu par les dispositions précitées ;

Attendu qu’il résulte de ce qui précède qu’il ne saurait pas davantage être fait droit à la demande de la société X Y BV sur le fondement des dispositions précitées ;

Attendu qu’il résulte de tout ce qui précède que la société X Y BV doit être déboutée de l’intégralité de ses demandes ;

Sur les demandes accessoires :

Attendu que la société X Y BV, qui échoue dans la présente instance sera condamnée aux dépens ;

Qu’elle sera par ailleurs condamnée à verser à la société Z A une somme de 2500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

Nous, juge des référés statuant par décision prononcée par mise à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort

— Rejetons l’exception d’incompétence opposée par la société Z A ;

— Rejetons la fin de non recevoir opposée par la société Z A ;

— Déboutons la société X Y BV de l’ensemble de ses demandes ;

— Condamnons la société X Y BV à verser à la société Z A une somme de 2500 euros (deux mille cinq cents) au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

— Condamnons la société X Y BV aux dépens.

Ainsi fait et rendu par mise à disposition au greffe, le VINGT TROIS DECEMBRE DEUX MIL SEIZE, et nous avons signé avec le Greffier.

Le Greffier, Le Juge des Référés,

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Tribunal de grande instance d'Évry, Juge des référés, 23 décembre 2016, n° 16/01075