Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre 3e section, 20 décembre 2013, n° 12/00216

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 3e ch. 3e sect., 20 déc. 2013, n° 12/00216
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 12/00216

Sur les parties

Texte intégral

T R I B U N A L

D E GRANDE

I N S T A N C E

D E P A R I S(footnote: 1)

3e chambre 3e section

N° RG :

12/00216

N° MINUTE :

Assignation du :

15 Décembre 2011

JUGEMENT

rendu le 20 Décembre 2013

DEMANDEURS

Monsieur A Y

60 avenue Robert-André Vivien

[…]

Monsieur B X

[…]

[…]

représentés par Me I J, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2251

DÉFENDERESSES

LIU C SPA

[…]

[…]

LIU C D, SARL

[…]

[…]

représentées par Maître Vincent FAUCHOUX de la SCP DEPREZ, GUIGNOT & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0221

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Marie SALORD , Vice-Président, signataire de la décision

E F, Juge

G H, Juge

assistée de Marie-Aline PIGNOLET, Greffier, lors des débats et de Jeanine ROSTAL , Greffier,lors du prononcé

DÉBATS

A l’audience du 17 Septembre 2013 tenue en audience publique devant G H, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 786 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

Prononcé par remise de la décision au greffe

Contradictoire

en premier ressort

[…]

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur B X a travaillé au sein du groupe M6 de 2003 à 2008 notamment en tant que conseiller artistique. Il est également auteur et réalisateur d’œuvres cinématographiques.

Monsieur A Y se présente comme technicien et réalisateur de cinématographie.

Messieurs X et Y exposent avoir écrit, réalisé et produit à la fin de l’année 2004 et au début de l’année 2005 le court métrage intitulé « TORTICOLIS », qui a pour sujet « la folle histoire de l’inventeur du string ». Selon eux, le film a été diffusé pour la première fois au Club de l’Etoile le 24 juin 2005 et immatriculé au Registre de la cinématographie et de l’audiovisuel le 26 octobre 2005.

La société LIU C SPA est une entreprise de textile italienne qui possède notamment une filiale en D, la société LIU C D.

Messieurs A Y et B X indiquent avoir constaté au début de l’année 2011 qu’était diffusée sur les chaînes françaises une publicité télévisée pour les jeans « BOTTOM UP » des sociétés LIU C, contrefaisant selon eux leur court-métrage « TORTICOLIS ».

Par lettre recommandée du 23 mars 2011, le conseil de Messieurs A Y et B X a mis en demeure les sociétés LIU C SPA et LIU C D de réparer le préjudice qu’ils estimaient avoir subi.

Par courrier du 8 avril 2011, le conseil des sociétés LIU C a contesté la contrefaçon.

C’est dans ces conditions que Messieurs A Y et B X ont assigné les sociétés LIU C SPA et LIU C D devant la présente juridiction par actes des 15 et 16 décembre 2011.

Aux termes de leurs écritures récapitulatives signifiées le 18 février 2013, Monsieur A Y et Monsieur B X demandent au tribunal de :

Vu les articles L 131-2, L 131-3, L331-1-2, L 331-1-3, et L 331-1-4 du code de la propriété intellectuelle,

Vu l’article 1382 du code civil,

[…],

• RECEVOIR Messieurs A Y et B X dans l’ensemble de leurs demandes ;

• DIRE ET JUGER que la publicité « BOTTOM UP » contrefait le court métrage « TORTICOLIS »;

• DEBOUTER les sociétés LIU C D et LIU C SPA de l’ensemble de leurs moyens, fins et conclusions ;

• FAIRE injonction aux sociétés LIU C SPA et LIU C D de remettre à Messieurs A Y et B X la liste des documents créatifs relatifs à la diffusion de la publicité « BOTTOM UP », storyboard, pitch, présentations Powerpoint relatives au projet de publicité, ainsi que le plan media relatif à la publicité « BOTTOM UP », et ce sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir ;

• CONDAMNER in solidum les sociétés LIU C SPA et LIU C D à payer à Messieurs A Y et B X chacun une somme de 30.000 euros au titre de leur préjudice matériel;

• CONDAMNER in solidum les sociétés LIU C SPA et LIU C D à payer à Messieurs A Y et B X une somme de 10.000 euros au titre de leur préjudice moral;

[…],

• CONDAMNER in solidum les sociétés LIU C SPA et LIU C D à payer à Messieurs A Y et B X chacun une somme de 40.000 euros au titre des agissements parasitaires;

EN TOUT ETAT DE CAUSE,

• ORDONNER la publication du jugement à intervenir aux frais des sociétés LIU C SPA et LIU C D dans trois quotidiens généralistes et trois magazines spécialisés au choix de Messieurs A Y et B X, chaque publication ne pouvant excéder la somme de 8.000 euros ;

• CONDAMNER in solidum les sociétés LIU C SPA et LIU C D à verser à Messieurs A Y et B X chacun une somme de 8.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

• CONDAMNER in solidum les sociétés LIU C SPA et LIU C D aux entiers dépens dont distraction au profit de Me I J conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

• ORDONNER l’exécution provisoire de la décision à intervenir, nonobstant appel et sans caution.

Messieurs A Y et B X s’opposent à la mise hors de cause de la société LIU C D au motif que celle-ci a été la première bénéficiaire de la diffusion de la publicité litigieuse à destination du territoire français.

Ils exposent que leur court métrage a été d’abord diffusé au Club de l’Etoile le 24 juin 2005 puis a été présenté dans toute la D entre novembre 2005 et juin 2006 dans divers festivals, parmi lesquels le « Short Film Corner » au sein du Festival de Cannes de 2006.

Les demandeurs font valoir qu’ils ont réalisé et produit une œuvre clairement novatrice dont l’objectif était de raconter avec un ton faussement dramatique, ce qui crée un décalage comique, « la folle histoire de l’inventeur du string », le film pouvant être résumé comme suit :

« Le spectateur découvre un homme portant une minerve qui raconte son histoire devant un auditoire invisible à la manière des alcooliques anonymes. Il explique qu’il a rencontré une jeune femme et qu’il s’est fait un torticolis. Le spectateur ne sait pas, à ce stade, pourquoi le héros s’est retourné au point de se faire un torticolis. Par le biais d’un flash-back, le héros explique ensuite comment enfant, il a un jour découpé toutes les lingeries de ses sœurs pour se venger d’elles, inventant ainsi le string. Le mystère du port de la minerve est dévoilé à la fin de l’œuvre lorsque le spectateur comprend que le héros s’est fait un torticolis car le vent soulevant la jupe de la jeune femme a dévoilé un string. La preuve que son invention a eu des conséquences « dramatiques » est encore apportée lorsque le spectateur découvre que l’auditoire du héros est un groupe d’hommes qui ont également subi un torticolis à l’origine manifestement identique ».

L’originalité principale de l’œuvre réside selon eux dans le mystère créé par le port d’une minerve, le suspense dont la chute est apportée à la fin de l’histoire (la vision d’un string et son effet nostalgique puis physiologique sur le héros) et dans le traitement comique du sujet.

Ils ajoutent que la combinaison de différents éléments, qui pris isolément ne seraient pas nécessairement originaux, comme le port inexpliqué d’une minerve, la chute comique qui révèle l’origine du traumatisme mais également la genèse d’une invention bouleversante est scénaristiquement et visuellement très originale.

Messieurs Y et X considèrent que la publicité « BOTTOM UP » destinée à promouvoir les produits des sociétés LIU C est une contrefaçon de leur court-métrage dont elle reprend la trame scénaristique, la mise en scène de la chute, et l’interaction entre les personnages.

Ils estiment que d’une manière générale, le moteur de l’histoire en l’absence duquel l’œuvre audiovisuelle n’aurait aucun sens, est identique dans les deux œuvres :

— la publicité et le court métrage s’ouvrent tous les deux sur la vision d’un personnage portant une minerve sans que le spectateur n’en connaisse la raison, le mystère est installé,

— la cause du port de la minerve n’est dévoilée qu’à la fin de l’œuvre, ce qui constitue la « chute » humoristique,

— la cause du torticolis est la même dans les deux œuvres car c’est la même partie du corps de la jeune femme revêtue d’un vêtement particulier qui fait se retourner le héros, un string dans l’un, un jean « BOTTOM UP » (ce qui signifie « fesses en l’air ») dans l’autre,

— la conséquence du torticolis est également la même : tout le monde est atteint par ce mal, révélant toute l’humanité du « vice » objet du suspense,

Les demandeurs ajoutent qu’il existe dans les deux films une ressemblance très forte dans le ton, l’humour et l’ironie de la situation.

Ils relèvent que le bruitage du cou au moment où l’homme qui se retourne se blesse est le même dans les scènes finales du court-métrage et de la publicité.

S’agissant de la rencontre entre le jeune homme et la jeune femme qui a lieu dans les deux films, Messieurs Y et X constatent des similarités visuelles flagrantes :

— le plan sur les fesses des jeunes femmes est similaire, le bras le long du corps apparaît dans le champ de la caméra qui est à la même hauteur,

— le sourire intéressé et mutin que les jeunes femmes adressent aux hommes est le même,

— la rencontre des personnages est filmée de la même façon, les deux personnages apparaissent dans le champ de la caméra, leurs regards se croisent, la jeune fille adresse un sourire au jeune homme, la caméra fait ensuite un plan rapproché sur son séant, et elle continue son chemin laissant le jeune homme la tête penchée avec le « CRAC » concrétisant le torticolis, nécessitant la pose de la minerve.

Les demandeurs affirment que ces éléments sont profondément travaillés et originaux et ne constituent pas de simples idées générales comme le prétendent les défenderesses, ajoutant qu’en retirant ces éléments de mise en scène du spot publicitaire litigieux, il n’existe tout simplement plus rien.

L’argument selon lequel l’histoire de « TORTICOLIS » serait plus compliquée, plus longue, ne change rien à la copie servile de sa substantifique moelle selon les demandeurs.

Ces derniers exposent également que la contrefaçon est réalisée malgré l’absence de ressemblance dans le traitement distinct de la lumière et de la photographie, la publicité étant en noir et blanc tandis que « TORTICOLIS » dispose d’une photographie proche de celle employée dans « AMELIE POULAIN », la photographie n’étant pas un des éléments caractéristiques de l’originalité d’un film, au contraire de la mise en scène et du scénario.

Ils soutiennent que l’ensemble des différences invoquées par les défenderesses relèvent du détail et ne suffisent pas à les dédouaner, la contrefaçon s’appréciant au regard des ressemblances et non des différences.

A titre subsidiaire, Messieurs Y et X invoquent le parasitisme des sociétés LIU C SPA et LIU C D qui se sont indument approprié le travail et leurs lourds investissements financier et humain, arguant que les récompenses reçues par « TORTICOLIS » et les plus de 66.000 vues sur DAILYMOTION attestent de l’impact national et international du court métrage.

Messieurs Y et X sollicitent la réparation de leurs préjudices matériel et moral.

Aux termes de leurs écritures signifiées le 15 février 2013, les sociétés LIU C SPA et LIU C D demandent au tribunal de :

Vu le livre I du code de la propriété intellectuelle

Vu l’article 1382 du code civil

— METTRE HORS DE CAUSE la société LIU C D ;

— DIRE ET JUGER Messieurs Y et X mal fondés en leur action ;

En conséquence,

— DEBOUTER Messieurs Y et X de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

— CONDAMNER solidairement Messieurs Y et X à payer aux sociétés LIU C SPA et LIU C D la somme de 25.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

— CONDAMNER solidairement Messieurs Y et X aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SCP DEPREZ GUIGNOT & ASSOCIES, avocat aux offres de droit, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Les défenderesses sollicitent la mise hors de cause de la société LIU C D, au motif que cette dernière n’est impliquée ni dans la reproduction en cause, ni dans la diffusion prétendument litigieuse du film publicitaire, n’étant partie ni au contrat de commande de film publicitaire conclu entre la société TBWA Italia et Liu C SpA le 1er octobre 2007 ni au contrat d’achat d’espace publicitaire conclu par la seule la société Liu C SpA.

La société Liu C D fait valoir qu’il ressort de l’examen de son extrait Kbis qu’elle a pour seule activité le commerce de détail d’habillement en magasin spécialisé et qu’elle n’est aucunement impliquée dans les investissements publicitaires, lesquels sont entièrement supportés par sa société-mère de droit italien.

Selon les défenderesses en l’absence de certitude sur la date de création de l’œuvre et sur celle de sa première diffusion, il sera manifestement impossible au tribunal d’admettre le bien-fondé de l’action en contrefaçon.

Les sociétés LIU C contestent avoir contrefait le film « TORTICOLIS », arguant que la simple description des deux oeuvres suffit à montrer combien elles n’ont rien de commun.

Elles soutiennent que le film est construit autour du récit des confidences d’un jeune homme souffrant visiblement d’une addiction, laquelle le fait suivre du regard les jeunes filles dont on peut apercevoir les sous-vêtements et notamment d’un flash-back constituant la majeure partie du court-métrage, sur son enfance durant laquelle il a été traumatisé par ses sœurs, alors que le film publicitaire qui montre un jeune homme croisant une jeune femme et la suivant du regard n’est aucunement centré sur ses confidences et ses traumatismes d’enfance, le spot étant muet.

Les défenderesses indiquent qu’au surplus, le message de « Torticolis » et de « Bottom-up » est bien différent : dans le film publicitaire, le message est simple, le pouvoir attractif des personnes portant des jeans LIU C est tel qu’il conduit les gens à se retourner sur ceux qui en portent et partant à se faire des torticolis ; dans le court métrage, il est bien plus complexe puisqu’il vise à dénoncer une pseudo addiction, trouvant son origine dans l’enfance et conduisant les hommes à se retourner jusqu’à se blesser, sur les femmes dès qu’ils les aperçoivent en sous-vêtements.

Les sociétés LIU C relèvent de nombreuses différences existantes entre le film et la publicité « BOTTOM UP » :

— s’agissant du lieu de l’action, « Torticolis » se déroule principalement en intérieur, et la publicité en extérieur,

— l’atmosphère est très décontractée, colorée et bavarde dans le film alors qu’elle est élégante, filmée en noir et blanc et muette dans la publicité,

— l’histoire du film est celle d’un jeune homme portant une minerve entrecoupée par le récit bien plus long des mésaventures du même jeune homme, enfant ; la publicité ne propose aucune histoire mais une succession de scènes dans lesquelles les protagonistes portent une minerve,

— il n’y a qu’un personnage central dans le film, cinq de sexes différents dans la publicité,

— la rencontre de la jeune femme et du jeune homme ne sont absolument pas comparables.

Selon les défenderesses, les seuls éléments communs ne portent que sur des idées de libre parcours : ainsi, représenter des personnes souffrant d’un torticolis contraintes de porter une minerve est une simple idée qui n’est de l’aveu même des demandeurs pas susceptible d’appropriation ; le bruitage est courant dans le cinéma et il permet ici au spectateur de prendre l’entière mesure de la blessure ; un plan serré sur les fesses d’une jeune-femme n’est pas appropriable, ni un soit-disant sourire ; la technique du teasing avec la révélation à la fin du message est connue dans le monde publicitaire ; l’ironie et l’humour sont banals en matière d’audiovisuel.

Les défenderesses concluent que les scénarios et les personnages principaux sont différents alors que l’utilisation d’une minerve et d’une scène de rencontre sont banales et de libre parcours, ce qui exclut toute contrefaçon.

Sur la demande subsidiaire fondée sur le parasitisme, les défenderessses répètent que la thématique du torticolis et de la rencontre d’un homme et d’une femme n’est pas susceptible d’être davantage réservée par le biais d’une demande sur ce fondement.

Elles ajoutent que les demandeurs n’établissent pas la notoriété du film auprès du public et les investissements consacrés à sa promotion, de sorte qu’ils ne démontrent pas que les spectateurs reconnaîtraient immédiatement l’œuvre « Torticolis ».

Elles considèrent en tout état de cause que les demandes formées sont infondées et à tout le moins excessives.

La clôture a été prononcée le 16 avril 2013.

MOTIFS

Sur la demande de mise hors de cause de la société LIU C D

Le contrat de commande du film publicitaire litigieux a été signé entre la société TBWA Italia et la société LIU C SPA le 1er octobre 2007, de sorte qu’il n’est pas établi que la société LIU C D ait été à l’origine de la publicité en cause.

S’agissant de sa diffusion, les défenderesses font valoir que seule la société LIU C SPA aurait signé le contrat d’achat d’espace publicitaire. Cependant, leur pièce n° 6 selon bordereau intitulée « contrat d’achat d’espace publicitaire » qui est une convention conclue entre la société LIU C SPA et l’agence PHD nommé « International général agreement for media services » est rédigé uniquement en italien et en anglais, ce qui ne permet pas au tribunal de déterminer l’étendue des prestations concernées par celui-ci.

Les défenderesses n’établissent donc pas que la société LIU C D qui a nécessairement bénéficié de la diffusion sur le territoire français d’une publicité destinée à promouvoir les produits qu’elle vend sur ce même territoire est totalement étrangère à cette diffusion et la demande de mise hors de cause sera rejetée.

Sur la contrefaçon

Sur la titularité des droits de Messieurs Y et X

L’article L 111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que « l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous » et l’article L113-1 du même code précise que la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée.

Ainsi, il incombe à celui qui entend se prévaloir des droits de l’auteur, de rapporter la preuve d’une création déterminée à une date certaine et de caractériser l’originalité de cette création, l’action en contrefaçon étant subordonnée à la condition que la création, objet de cette action, soit une oeuvre de l’esprit protégeable au sens de la loi, c’est-à-dire originale.

En l’espèce, l’originalité du court-métrage de Messieurs Y et X n’est pas contestée par les défenderesses, qui allèguent uniquement que celui-ci n’a pas été divulgué à date certaine.

Les demandeurs produisent un courriel que le Club de l’Etoile situé à Paris à adressé le 18 février 2013 à Monsieur X, dans lequel il lui confirme avoir procédé à plusieurs projections le 24 juin 2005.

Le film a été enregistré au registre de la cinématographie et de l’audiovisuel le 26 octobre 2005.

Il a ensuite participé à de nombreux festivals de courts-métrages à travers la D fin 2005 et courant 2006, parmi lesquels la 2e fête nationale du court-métrage qui s’est tenue à Valloire en Savoie du 19 au 21 décembre 2005, ainsi que cela résulte des captures d’écran réalisées sur les sites internet de ces festivals qui pour certaines font apparaître le nom de Messieurs Y et X en sus de celui de leur film, et qui présentent un court résumé de celui-ci.

Monsieur Z, producteur, atteste le 24 octobre 2011 que le film « Torticolis » a été diffusé lors du « Short Film Corner » qui est une manifestation organisée dans le cadre du Festival de Cannes en mai 2006. Selon les défendeurs, cette attestation est sujette à caution car Monsieur Z est le producteur des demandeurs s’agissant d’autres films, mais la seule existence de relations professionnelles entre les parties n’exclut pas de prendre en considération son témoignage, celui-ci étant conforté par le programme du « Short Film Corner » versé au débat sur lequel figure le film des demandeurs.

L’ensemble de ces éléments établissent que le film « Torticolis » a été divulgué sous le nom de Messieurs Y et X le 24 juin 2005, de sorte que ceux-ci sont titulaires depuis cette date de droits d’auteur sur le court-métrage et sont recevables à invoquer des faits de contrefaçon postérieurs.

Sur la contrefaçon

Description du film « Torticolis »

Le film « Torticolis » est un court métrage en couleur d’une durée d’environ dix minutes qui se découpe en trois parties.

La première scène commence avec un jeune homme portant une minerve, témoignant de son histoire debout derrière un pupitre, devant un auditoire. Il explique qu’un dimanche alors qu’il était assis, une jeune femme est passée devant lui et que comme une petite brise a soulevé sa jupe, il l’a suivie du regard. Il expose avoir cru au début souffrir uniquement d’une luxation ou de quelque chose qui passerait, mais que le diagnostic a été sans appel : « paralysie cervicale due à un choc émotionnel ». Il confie qu’à la suite de ces faits, il a été licencié et que sa femme l’a quitté, le jugeant potentiellement infidèle.

Commence ensuite une deuxième partie dans laquelle la voix off d’un petit garçon raconte « comment tout a commencé ». Celle-ci débute par un défilé de petites photographies d’hommes ayant tous la tête penchée sur le côté, le garçonnet expliquant qu’à cause de lui, les hommes ne pourraient plus jamais vivre comme avant car ils seraient atteints de torticolis. On suit ensuite l’histoire de ce garçon qui pour se venger de ses grandes soeurs qui le malmenaient quand sa mère infirmière partait travailler a découpé leurs culottes, inventant le string, puis fait venir des adolescents appelés « les dingos » observer ses soeurs ainsi vêtues à la dérobée. Il indique qu’à l’époque, il avait remarqué que « les dingos » étaient repartis la tête penchée sur le côté avec un torticolis, mais qu’il avait pensé que c’était dû aux supers-pouvoirs de son jouet « Luke Skywalker » dont il avait penché la tête également.

La troisième partie du court-métrage commence alors, où l’on revoit le jeune homme du début du film assis dans un parc, et une jeune femme rousse qui le regarde en souriant légèrement passer devant lui. La voix off du petit garçon continue d’expliquer la scène racontant qu’un jour dans un parc, une fille est passée à côté de lui, de sorte qu’on comprend que le garçonnet et l’homme sont une seule et même personne. On le voit suivre la jeune femme du regard, puis le vent soulever la jupe de celle-ci pour laisser apparaître un string en plan serré. On entend un « crac » produit par son cou, la voix off de l’homme prend le relais de celle de l’enfant, et indique qu’il a alors compris. Le personnage est à nouveau filmé devant son pupitre et explique à l’auditoire qu’aujourd’hui il se soigne et que cela va mieux. Un contre-champ est alors réalisé sur son public qui est uniquement composé d’hommes avec le cou tordu sur le côté, mais non porteurs de minerves, et qui l’applaudissent pour son témoignage.

Description du film publicitaire « Bottom up »

Le film publicitaire « Bottom up » d’une trentaine de secondes se décompose en cinq scènes rapides.

Dans la première, apparaît un homme élégant d’un certain âge portant une minerve qui boit une coupe de champagne sur le pont d’un yacht amarré dans un port, légèrement gêné par celle-ci.

Dans la deuxième scène, le portier d’un hôtel de luxe porte une minerve et ouvre difficilement la porte d’ une voiture avec chauffeur à un couple qui en sort.

Dans la troisième scène, une femme distinguée d’un certain âge portant une minerve est assise immobile dans un fauteuil et se fait servir le thé.

Dans la scène suivante, un homme allongé sur une table, s’apprête à se faire masser alors que l’on lui retire sa minerve.

Dans la scène finale, un jeune homme élégamment vêtu sort d’un immeuble et marche dans la rue. Apparait alors une jeune femme dont on ne voit dans un premier temps que le visage et le buste. Les deux protagonistes marchent l’un vers l’autre, se regardent, se croisent. Un gros plan est réalisé sur les fesses de la jeune femme avantageusement moulées dans son jean, et juste après qu’ils se soient croisés, on voit le jeune homme tourner la tête et l’on entend un craquement montrant qu’il s’est blessé le cou. Il est alors filmé se tenant le cou, et un plan est réalisé sur la jeune femme qui esquisse un léger sourire.

Le spot est réalisé en noir et blanc, sans paroles à l’exception de l’annonce finale « Bottom up collection by Liu C », et agrémenté d’un fond sonore musical.

Examen du grief de contrefaçon

En vertu de l’article L122-1 du code de la propriété intellectuelle, le droit d’exploitation appartenant à l’auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction.

L’article L122-4 du code de la propriété intellectuelle dispose que toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droits ou ayant cause est illicite.

En l’espèce, les deux films en cause mettent en scène un ou des personnages porteurs d’une minerve. Celle-ci n’est toutefois qu’une illustration du mal de cou dont ils souffrent qui, si elle attire visuellement l’attention, ne constitue pas à elle seule un élément original appropriable mais une idée de libre parcours dans la mesure où il s’agit d’un traitement banal des problèmes cervicaux. Le court-métrage des demandeurs propose d’ailleurs d’autres illustrations du mal dont souffre les hommes, en les représentant la tête fortement penchée sur le côté. De même, le bruitage associé au craquement de cou des personnages masculins est un simple effet sonore illustratif de l’ampleur du mal, et l’idée de souligner une action par un bruitage n’est ni nouvelle ni originale s’agissant d’oeuvres audio-visuelles. Dès lors, seule l’insertion de ces éléments dans le cadre d’une trame scénaristique similaire serait de nature à constituer une contrefaçon et c’est ce qu’il convient d’examiner.

Les deux films s’ouvrent sur la vision d’un personnage porteur d’une minerve. Dans le court-métrage des demandeurs, le spectateur comprend rapidement dans la première partie que le mal de cou du personnage est lié à sa rencontre avec une jeune femme un dimanche après-midi dans un parc. Il déclare en effet l’avoir suivi du regard ayant remarqué qu’une légère brise agitait sa jupe, et avoir pensé qu’au départ ce serait juste « une luxation gravité ». Ce qui interroge, c’est donc non pas l’origine du mal, qui est posée comme étant sa rencontre avec la jeune femme, mais la raison de sa gravité puisqu’il a ensuite perdu sa femme, son travail et suivi 18 mois de traitement.

Le mystère est ainsi instillé, d’autant plus qu’on sait peu après que ce mal est susceptible de toucher l’ensemble des hommes, jusqu’à la révélation qui met fin au suspense de la cause de cette grave affection, à savoir l’invention du string. Une deuxième révélation intervient alors : celle que l’enfant qui parle est en fait le même personnage que le jeune homme du début, et l’on comprend que l’inventeur du string a été pris à son propre piège en subissant les conséquences « désastreuses » de son invention. La scène de la rencontre avec la jeune femme évoquée au début du film vient alors illustrer son statut d’ « arroseur arrosé ».

Au regard des ces éléments, les deux clés du récit sont constituées par l’invention du string par un petit garçon et la révélation que l’enfant et le jeune homme sont une seule et même personne, la rencontre avec la jeune femme déjà évoquée en début de film n’étant qu’une suite logique de ces deux découvertes et non un élément essentiel de narration.

Dans le spot publicitaire au contraire, la vision des quatre premières scènettes ne permet absolument pas au spectateur de se douter de la cause du mal de cou des personnages, ni du fait qu’ils aient croisé une jeune femme, ceci d’autant plus que l’un d’entre eux est une femme d’un certain âge. La scène finale de la rencontre apparaît dès lors comme la seule clé du récit.

Le système narratif du court-métrage et de la publicité est donc différent, même s’ils utilisent tous deux un outil scénaristique classique pour créer le suspense consistant à présenter en début de récit une situation mystérieuse dont on veut connaître la cause, laquelle n’est révélée qu’ensuite.

Les deux films ont en commun les éléments de récit suivants : un jeune homme se fait mal au cou en se retournant sur une jeune femme callipyge, portant un vêtement avantageant ses formes. Leur reprise par le spot « Bottom up » est insusceptible de caractériser une contrefaçon dans la mesure où ils sont à eux seuls insuffisants à caractériser une oeuvre originale protégeable au titre du droit d’auteur du fait de leur grande banalité.

De même, les ressemblances pouvant exister entre les deux séquences de rencontre, à savoir les regards échangés, les sourires esquissés, les plans sur le corps de la femme, tiennent à l’atmosphère de séduction qui doit nécessairement ressortir de ce genre de scène, étant relevé au surplus qu’elles présentent des différences notables au niveau de la position des personnages (assis/debout), de leur style vestimentaire et du décor (parc/rue).

Par ailleurs, là où « Torticolis » suit le destin d’un personnage principal, la publicité présente de rapides vignettes de plusieurs personnages. Alors que les confidences opérées par le jeune homme à son groupe de parole et par l’enfant au spectateur constituent une part importante de la spécificité du court-métrage « Torticolis », cet élément n’est pas repris par la publicité.

Enfin, si les deux films en cause sont tous deux humoristiques, le style même de cet humour est différent, le court-métrage des demandeurs ayant un humour plus grinçant que celui de la publicité, plus légère et dans laquelle les protagonistes continuent à évoluer dans un monde de luxe malgré leur minerve.

La photographie des deux films, très différente, achève de les différencier.

Les éléments communs aux deux oeuvres audiovisuelles relèvent donc des idées de libre parcours, ou sont dictés par le genre, non appropriable, de certaines scènes, leurs éléments narratifs principaux et leurs styles étant différents.

En conséquence, la contrefaçon invoquée n’est pas constituée et Messieurs Y et X seront déboutés de leurs demandes à ce titre.

Sur la demande subsidiaire au titre du parasitisme

Le parasitisme est la circonstance selon laquelle une personne physique ou morale, se plaçant dans le sillage d’un autre opérateur économique, à titre lucratif et de façon injustifiée, copie une valeur économique d’autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements.

En l’espèce, il a été jugé que les éléments communs aux deux films en cause relevaient du fonds commun des oeuvres audiovisuelles ou des idées de libre parcours, de sorte que leur reprise par les défenderesses ne peut constituer une faute.

Messieurs Y et X seront en conséquence déboutés de leurs demandes subsidiaires au titre du parasitisme.

Sur les autres demandes

Les demandeurs succombant à l’instance, ils seront condamnés in solidum aux dépens de celle-ci ainsi qu’à verser aux sociétés LIU C la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La nature de la présente décision ne justifie pas de prononcer son exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

Statuant par jugement contradictoire, en premier ressort, rendu publiquement par mise à disposition au greffe,

Dit n’y avoir lieu à mettre hors de cause la société LIU C D,

Déclare Messieurs Y et X recevables en leur action en contrefaçon,

Déboute Messieurs Y et X de leurs demandes au titre de la contrefaçon de leur court-métrage « Torticolis »,

Déboute Messieurs Y et X de leurs demandes subsidiaires au titre du parasitisme,

Condamne in solidum Messieurs Y et X aux dépens de l’instance, qui seront recouvrés directement par la SCP DEPREZ GUINGOT et ASSOCIES conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

Condamne in solidum Messieurs Y et X à verser aux sociétés LIU C D et LIU C SPA la somme globale de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, à charge pour elles de se la répartir entre elles,

Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.

Fait et jugé à Paris le 20 Décembre 2013

Le Greffier Le Président

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Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre 3e section, 20 décembre 2013, n° 12/00216