Tribunal de grande instance de Paris, Référés, 28 septembre 2017, n° 17/57979

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Dimeglio Avocat · 16 mai 2023

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, réf., 28 sept. 2017, n° 17/57979
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 17/57979

Sur les parties

Texte intégral

T R I B U N A L

D E GRANDE

I N S T A N C E

D E P A R I S

N° RG :

17/57979

N° : 2/FF

Assignation du :

19 Juillet 2017

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ

rendue le 28 septembre 2017

par H I, Vice-Présidente au Tribunal de Grande Instance de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assistée de Fabienne G, Faisant fonction de greffier.

DEMANDEUR

Monsieur Z Y

[…]

[…]

Elisant domicile chez Me Carine PICCIO

[…]

[…]

représenté par Maître Carine PICCIO substituée par Me Christophe LEVY-DIERES, de la SELARL ASTON, avocats au barreau de PARIS – #B0989

DÉFENDERESSE

Association D E INC

C/o CT Corporation System,

[…],

[…]

représentée par Me Christine GATEAU, avocat au barreau de PARIS – #J0033

DÉBATS

A l’audience du 29 Août 2017, tenue publiquement, présidée par H I, Vice-Présidente, assistée de Françoise DUCROS, Greffière,

Nous, Président,

Z Y, diplômé de l’école nationale de la magistrature française, a été nommé directeur des services judiciaires de Monaco en 2006 et donc ministre plénipotentiaire de S.A.S. le Prince Albert II.

D E INC. est une fondation de droit américain à but non lucratif créée le 20 juin 2003 et dont le siège est situé à San X, en Californie. Elle héberge le projet en ligne Wikipedia, encyclopédie collective en ligne, gratuite, universelle et multilingue.

Le 6 février 2017, un utilisateur non-enregistré a publié sur Wikipedia un article consacré à Z Y. Cet article a fait l’objet de modifications de la part de différents utilisateurs et, notamment de la création d’une rubrique intitulée “Controverses” le 13 mars 2017 réalisée par un internaute sous le pseudonyme “StriparsOn” :

Controverses

Audition par le Groupe d’Etats contre la corruption (Greco)

Du 21 au 25 novembre 2016, Z Y et plusieurs hauts fonctionnaires et élus monégasques ont été auditionnés par des représentants du Groupe d’Etats contre la corruption (Greco), une émanation du Conseil de l’Europe. Cette visite faisait suite au scandale causé par l’achat d’un appartement sur la Riviera italienne à un proche de Silvio Berlusconi par J-K L, qui était alors Procureur général de la Principauté sous les ordres de Z Y. J-K L a depuis été muté à Aix-en-Provence.

[…]

Selon le consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), le cabinet de conseil juridique monégasque Y & Dotta, dirigé par B Y, fils de Z Y, a joué le rôle d’intermédiaire pour la création de vingt-neuf sociétés offshore panaméennes. Cette révélation a posé le problème de l’existence de conflits d’intérêts au plus haut de l’Etat et jeté le doute sur la volonté réelle de la Principauté de donner priorité à la transparence financière comme l’avait annoncé le 1er février 2016 son ministre d’Etat Serge Telle.”

Le 22 mars 2017, c’est un utilisateur portant le pseudonyme “Mainsheavy” qui a ajouté une rubrique intitulée “Vie privée” à la page Wikipedia relative à Z Y :

Vie privée

Z Y est marié et père de deux enfants. Selon un rapport de la police monégasque, M. Y C assidûment certaines plages nudistes du Cap d’Ail où il entretiendrait des rapports homosexuels avec d’autres baigneurs, dont un inspecteur de Police de la Sûreté Publique. Ce dernier aurait obtenu des faveurs de la part du magistrat suite à ces relations. De plus, l’orientation sexuelle et les fréquentations de M. Y auraient permis aux services français et étrangers d’obtenir des moyens de pression très forts sur lui.”

Le 2 juin 2017, une ordonnance sur requête a été rendue à la demande de Z Y par le président du tribunal de grande instance de Paris concernant les propos litigieux. Celui-ci a ordonné à la fondation D de supprimer une partie du paragraphe relatif à la vie privée de Z Y mais a rejeté les autres demandes au motif que les deux paragraphes ne présentaient pas le caractère illicite allégué avec l’évidence requise en l’absence de débat contradictoire (pièce n°7 en demande).

Par courrier en date du 8 juin 2017, le conseil de Z Y a demandé à la société D E INC. de supprimer les modifications susvisées (pièce n°8 en demande), celles-ci étant jugées pour les premières, diffamatoires, et pour les secondes, attentatoires à la vie privée.

A défaut de notification de l’ordonnance sur requête, la fondation D a répondu au demandeur le 28 juin 2017 et a refusé le retrait des contenus litigieux au motif qu’elle n’a pas pour mission de contrôler les contenus publiés par les utilisateurs, cette mission revenant à une communauté de volontaires (pièce n°11 en défense).

Cependant, le contenu litigieux relatif à la vie privée a été supprimé le 3 août 2017 du fait du caractère manifestement illicite des propos (pièce n°18 en défense).

Vu l’assignation en référé délivrée le 3 juillet 2017 à D E INC. à la requête de Z Y qui nous demande, au visa des articles 6-I paragraphes 2 et 8 de la loi du 21 juin 2004, 29 alinéa 1er et 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881, 9 du Code civil et 809 du Code de procédure civile :

— de déclarer ses demandes recevables,

— d’ordonner à D E INC. de désactiver l’accès aux contributions susvisées sous astreinte d’un montant de 5.000 € par jour de retard et par infraction constatée, à l’expiration d’un délai de quinze jours à compter de la signification de l’ordonnance à intervenir,

— d’ordonner à la fondation défenderesse de bloquer l’accès à Wikipédia aux utilisateurs “StriparsOn” et “Mainsheavy”,

— d’ordonner à la fondation défenderesse d’interdire aux utilisateurs “StriparsOn” et “Mainsheavy” de créer ou d’utiliser un autre compte,

— d’ordonner à la fondation défenderesse de justifier du retrait définitif des passages visés sous astreinte d’un montant de 1.000 € par jour de retard, à compter du 1er jour suivant l’expiration du délai imposé pour s’exécuter,

— de condamner D E INC. à lui verser la somme de 2.500 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile avec intérêt au taux légal à compter de l’assignation, ainsi qu’aux entiers dépens,

Vu les conclusions déposées à l’audience du 29 août 2017 par D E INC. qui nous demande, au visa des articles 46 et 75 du Code de procédure civile et 6 de la loi du 21 juin 2004, de :

— à titre principal, déclarer l’exception d’incompétence recevable et se déclarer incompétent au profit des juridictions monégasques,

— à titre subsidiaire :

— constater que la demande de retrait de Z Y concernant la rubrique “Vie privée” est sans objet,

— dire n’y avoir lieu à référé sur toutes les autres demandes de Z Y,

— en tout état de cause, condamner Z Y à verser à la société D E INC. la somme de 5.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens,

Vu les observations des conseils des parties à l’audience du 29 août 2017, maintenant les demandes formulées dans leurs écritures, et, en réponse, le demandeur ne contestant pas la suppression des propos litigieux objet de la rubrique “Vie privée” et, sollicitant en outre que soit écartée l’exception d’incompétence soulevée par le défendeur,

A l’issue de l’audience, il a été indiqué aux parties que la présente décision serait rendue le 28 septembre 2017, par mise à disposition au greffe.

Sur l’exception d’incompétence

La fondation défenderesse fait valoir que le juge des référés français ne serait pas compétent pour statuer. Elle souligne que Z Y est de nationalité monégasque et est domicilié dans la Principauté de Monaco où se trouve le centre de ses intérêts.

En vertu de l’article 75 du Code de procédure civile, “s’il est prétendu que la juridiction saisie est incompétente, la partie qui soulève cette exception doit, à peine d’irrecevabilité, la motiver et faire connaître dans tous les cas devant quelle juridiction elle demande que l’affaire soit portée.”.

L’article 46 du même Code ajoute que “le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur :

- en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi.

Il est constant qu’ il est exigé en matière de sites Internet que ceux-ci soient orientés vers le public de France pour retenir la compétence des juridictions françaises. Un lien de rattachement substantiel, suffisant ou significatif doit donc être caractérisé entre le dommage allégué et le territoire français.

En l’espèce, malgré la domiciliation des parties dans des Etats étrangers, la page dédiée à Z Y sur le site internet Wikipedia a vocation à s’adresser notamment au public français dès lors que l’intéressé est un personnage public d’envergure, qu’il possède des liens étroits avec la France du fait de sa formation à l’école nationale de la magistrature française, et que le site Wikipedia est largement consulté par un public français.

Par conséquent, l’exception d’incompétence sera rejetée.

Sur les demandes de suppression des contenus litigieux et de justification du retrait de ceux-ci sous astreinte

— Sur les propos compris dans la rubrique “Vie privée” :

Le conseil du demandeur a pris acte de la suppression par la fondation défenderesse du contenu illicite cité dans la rubrique “Vie privée” lors de l’audience du 29 août 2017.

Par conséquent, il n’y a pas lieu à référé sur ce point.

— Sur les propos compris dans la rubrique “Controverses” :

Z Y fait valoir que les propos contenus dans la section “Controverses” sont illicites car diffamatoires. Il estime que cette rubrique porte des accusations graves à son encontre et l’accuse, d’une part, d’avoir été auditionné par des représentants du Groupe d’Etats contre la corruption (Greco) suite à un scandale qui aurait affecté l’ancien Procureur général de Monaco, et, d’autre part, de faire l’objet d’un conflit d’intérêts compte tenu du rôle qu’aurait joué le cabinet juridique de son fils, B Y, en qualité d’intermédiaire pour la création de vingt-neuf sociétés offshore panaméennes.

Aux termes de l’article 6, point I-2, de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible.

Il résulte en outre de l’article 6, point I-5, que la connaissance des faits litigieux est présumée acquise par les personnes désignées au 2 lorsqu’il leur est notifié les éléments suivants :

— la date de la notification ;

— si le notifiant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ; si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l’organe qui la représente légalement ;

— les nom et domicile du destinataire ou, s’il s’agit d’une personne morale, sa dénomination et son siège social ;

— la description des faits litigieux et leur localisation précise ;

— les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits ;

— la copie de la correspondance adressée à l’auteur ou à l’éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou la justification de ce que l’auteur ou l’éditeur n’a pu être contacté.

L’article 6, point I-8, précise de plus que l’autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête, à toute personne mentionnée au 2, toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne.

La responsabilité d’un hébergeur qui n’a pas retiré une information dénoncée comme illicite par un tiers n’est pas engagée si celle-ci ne présente pas manifestement un tel caractère ou si son retrait n’a pas été ordonné par un juge.

Par ailleurs, aux termes de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, la démonstration du caractère diffamatoire d’une allégation ou d’une imputation suppose que celles-ci concernent un fait précis de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne identifiée ou identifiable et susceptible de faire l’objet d’un débat sur la preuve de sa vérité.

En l’espèce, il convient de relever :

— que la lettre du 8 juin 2017 du demandeur adressée à la société D E INC. ne contient pas les informations prévues par les dispositions de l’article 6, point I-5, de la loi du 21 juin 2004 ;

— que le caractère manifestement illicite des propos n’est pas démontré par le demandeur, dans la mesure où le texte litigieux n’est pas manifestement diffamatoire ; qu’en effet, la rubrique intitulée “controverses” veille à informer le lecteur que les propos qui s’inscrivent en son sein relèvent d’une discussion engendrée par l’expression de différences d’opinion ou de critiques ;

— que le passage relatif à “L’audition par le groupe d’Etats contre la corruption (Greco)” établit de manière neutre que le demandeur a été auditionné par cet organe spécialisé, que cette audition a eu lieu à la suite de divers scandales de corruption dans la Principauté de Monaco, mais sans jamais faire état d’une potentielle mise en cause du demandeur dans ce dossier ;

— que la rubrique relative à l’affaire des “Panama papers” s’attache à relater les faits de manière mesurée et prudente en mettant en perspective, d’une part, la volonté affichée de la Principauté de Monaco de donner la priorité à la transparence financière et, d’autre part, la révélation que le fils du directeur des services judiciaires monégasques pourrait être impliqué dans cette affaire, et que la probité de Z Y n’est pas, en elle-même, remise en cause par cette rubrique,

Par conséquent, à défaut d’information manifestement illicite, il n’y a pas lieu à référé.

Sur les autres demandes

Z Y demande d’ordonner à D E INC de bloquer l’accès à wikipédia aux utilisateurs “StriparsOn” et “Mainsheavy” et de leur interdire de créer ou utiliser un autre compte.

Il ressort de l’article 1er de la loi du 29 juillet 1881 que la liberté d’expression est le principe. Par conséquent, la demande, de surcroît à un juge des référés, de bloquer l’accès à un site internet à ces utilisateurs et de les empêcher de créer ou d’utiliser un compte sur celui-ci est manifestement disproportionnée.

En outre, le contenu qu’a mis en ligne l’utilisateur “StriparsOn” n’a pas été considéré comme manifestement illicite.

Par conséquent, ces demandes seront rejetées.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Z Y, pantie perdante, supportera la charge des dépens et sera condamné à verser à D E INC. Une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et en premier ressort,

Rejetons l’exception d’incompétence des juridictions françaises ;

Disons n’y avoir lieu à référé sur les demandes de suppression des contenus litigieux et de justification du retrait de ceux-ci sous astreinte ;

Condamnons Z Y à verser à D E INC. une somme de 1500 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile du Code de procédure civile ;

Rejetons le surplus des demandes des parties ;

Condamnons Z Y aux dépens.

Fait à Paris le 28 septembre 2017

Le Greffier, Le Président,

Fabienne G H I

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