Tribunal Judiciaire de Saint-Brieuc, 29 septembre 2020, n° 18/01904

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Sur la décision

Référence :
TJ Saint-Brieuc, 29 sept. 2020, n° 18/01904
Numéro(s) : 18/01904

Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL JUDICIAIRE

DE

SAINT-BRIEUC

LE 29 SEPTEMBRE 2020

CHAMBRE C I V I L E 1 Jugement du 29 Septembre 2020

N° RG 18/01904 – N° Portalis DBXM-W-B7C-EAVB

COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur SEITE, Vice-Président faisant fonction de Président qui agissait en qualité de juge rapporteur Madame LE BAIL, Vice-Présidente Madame GUERREIRO, Juge

GREFFIER. : Madame VERDURE

DÉBATS : à l’audience dématérialisée du 02 Juin 2020, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré au vingt neuf Septembre

JUGEMENT rendu par Monsieur SEITE, Vice-Président, le vingt neuf Septembre deux mil vingt par mise à disposition au greffe

ENTRE :

M I G-H X, né le […] à LOUDEAC, demeurant 1 Square Rossignol – 22520 BINIC-ÉTABLES-SUR-MER Représentant : Maître David LE BLANC de la SELARL KOVALEX, avocats au barreau de SAINT-BRIEUC, avocats plaidant

ET :

Monsieur Z D, demeurant […]

- […] Représentant : Maître Etienne GROLEAU de la SELARL GROLEAU, avocats au barreau de RENNES, avocats plaidant

Monsieur B Y, né le […] à […] e p r é s e n t a n t : M a î t r e S a n d r in e G A U T IE R d e l a S C P ELGHOZI-GEANTY-GAUTIER-PENNEC, avocats au barreau de SAINT-BRIEUC, avocats plaidant


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EXPOSE DU LITIGE.

Faits et procédure.

Monsieur G-H X est propriétaire d’une maison d’habitation, sise en la commune de Binic, (Côtes d'[…] sur la parcelle cadastrée dite commune AL 388, dans laquelle il demeure.

Propriétaire du terrain, […], cadastré même commune section […], 737 et 517, d’une surface d’environ 1600 m² jouxtant, en sa partie est, la limite ouest de la propriété de monsieur X, monsieur B Y y a fait édifier un ensemble immobilier en forme de U sur deux niveaux encadrant une cour carrée.

Pour la réalisation de ce projet monsieur Y a eu recours aux services de monsieur Z D auquel il a confié une mission complète d’architecte par contrat en date du 11 juillet 2014. Le permis de construire a été obtenu par arrêté en date du 5 février 2015 et n’a fait l’objet d’aucun recours.

L’un des murs de la construction nouvelle a été édifié, conformément au permis de construire, en limite ouest de la propriété X et devait être enduit sur sa face donnant sur le jardin de cette propriété. Cette opération devait avoir lieu le 8 décembre 2016. Cependant, par acte en date du même jour, maître Monot, huissier, a constaté l’opposition de monsieur X à sa réalisation et a rapporté en son procès-verbal que celui-ci conditionnait « la poursuite des travaux d’enduit à un paiement forfaitaire (la somme n’étant pas déterminée) lié au fait que cette construction dévalorise sa propriété. »

Aucune solution amiable n’a pu être trouvée à cette difficulté.

Par ordonnance en date du 27 avril 2017 monsieur A expert a été désigné par le juge des référés du tribunal de grande instance de Saint-Brieuc rendue à la requête de monsieur X, au contradictoire de monsieur Y et de monsieur D ce dernier appelé en intervention à la demande de monsieur Y afin que les opérations d’expertise lui soient communes.

L’expert a clos son rapport le 6 juillet 2018.

Par acte en date du 14 novembre 2018 monsieur X a attrait monsieur Y devant le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc. Cette instance a été enrôlée sous le numéro 18/1904. Par acte en date du 30 novembre 2018 monsieur Y a appelé en intervention forcée à l’instance monsieur D. Cette seconde instance, enrôlée sous le numéro 18/1972, a été jointe à la précédente sous le premier numéro par décision du président du tribunal le 15 janvier 2019.

Prétentions des parties.

Monsieur G-H X , aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 14 novembre 2019 auxquelles il est renvoyé pour l’exposé de ses arguments, se fondant sur l’article 555 du code civil, la notion de trouble anormal de voisinage et l’article 651 du code civil, les articles 1242 et suivants du code civil, les articles L. 131-1 et suivants du code des procédures civiles d’exécution, l’article 515 du code de procédure civile, sollicite du tribunal, sous le bénéfice de l’exécution provisoire :

-qu’il le déclare recevable et bien fondé en son exploit introductif d’instance et au besoin, qu’il se transporte sur les lieux du litige pour apprécier la réalité et l’ampleur des troubles allégués,

-qu’il juge que la perte d’ensoleillement, la suppression de ses vues et la perte


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d’intimité qu’il subit du fait de la construction de monsieur Y constituent des troubles anormaux de voisinage, que la construction de monsieur Y ne peut se conformer aux prescriptions de son permis de construire s’agissant de l’aspect extérieur de la façade est en violation des servitudes d’urbanisme applicables, notamment celles imposées par les dispositions de de l’article UC 11 du règlement du P.L.U. en vigueur au moment du dépôt de sa demande de permis de construire et que les travaux réalisés par monsieur Y ont causé des dommages à ses biens, A titre principal,

-qu’il ordonne la démolition de la façade est de la construction de monsieur Y sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir et jusqu’à sa démolition complète,

-qu’il autorise sa reconstruction sous réserve d’une servitude « non altius tollendi » de quatre mètres au service de son fonds et de son implantation en retrait de la limite séparative d’au moins deux mètres conformément aux nouvelles dispositions de l’article UA 7 de la zone,

-qu’il condamne monsieur Y à lui verser la somme de 36.802 € augmentée de 1.044,67 € par mois jusqu’à la démolition partielle complète de la façade est de sa construction en indemnisation de son préjudice de jouissance temporaire et une somme de 12.029,80 € pour la reprise des fissures et la réparation des désordres causés par les travaux,

-qu’il lui donne acte de son désistement de sa demande de suppression de l’empiétement, A titre subsidiaire,

-qu’il ordonne la pose d’une cloison fixe translucide sur le balcon terrasse de monsieur Y afin de supprimer ses vues droites, directes et plongeantes sur son fonds sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir et jusqu’à la pose définitive de cette cloison fixe translucide,

-qu’il condamne monsieur Y à lui verser la somme de 250.360 € en indemnisation de la perte de valeur vénale de son bien et de son préjudice de jouissance permanent,

-qu’il juge que monsieur Y n’a aucun droit acquis à l’établissement d’une tour d’échelle sur sa propriété pour les besoins de sa construction nouvelle, A titre principal,

-qu’il déboute monsieur Y de toutes ses fins et prétentions, A titre subsidiaire,

-qu’il autorise l’accès à sa propriété pour les besoins de la construction de monsieur Y sous réserve du versement d’une indemnité de 100 € par jour pour l’indemnisation du préjudice de jouissance lié à l’immobilisation et la privation de son jardin durant les travaux, de garantir la remise en état de son fonds en ayant fait dresser, au préalable, un état des lieux contradictoirement, de l’avertir par lettre recommandée avec avis de réception, au moins quinze jours à l’avance des dates d’intervention des entreprises et de l’autoriser à refuser l’accès à son fonds si les travaux sont prévus durant la période estivale ou hors jours ouvrés, En tout état de cause,

-qu’il condamne monsieur Y aux dépens en ce compris ceux de l’expertise judiciaire,

-qu’il condamne monsieur Y à lui payer la somme de 10.000 € pour le remboursement de ses frais irrépétibles sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Monsieur B Y, aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 6 février 2020 auxquelles il est renvoyé pour l’exposé de ses arguments, se fondant sur les articles 555, 678 et suivants, 1242 du code civil, 122, 699 et 700 du code de procédure civile, sollicite du tribunal : A titre principal,

-qu’il constate que le trouble anormal de voisinage invoqué par monsieur X n’est pas manifestement excessif,


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-qu’il déboute monsieur X de sa demande de démolition partielle et de ses demandes de constitution de servitudes,

-qu’il dise le balcon-terrasse conforme aux règles d’urbanisme en vigueur lors de la délivrance du permis de construire,

-qu’il déboute monsieur X de sa demande de démolition dudit balcon-terrasse, A titre subsidiaire ,

-sur la perte de valeur vénale, qu’il ramène les prétentions de monsieur X à de plus justes proportions qui ne sauraient excéder l’estimation de l’expert judiciaire,

-sur la perte d’ensoleillement, qu’il constate que les estimations de monsieur X sont sans commune mesure avec les réalités climatiques et qu’il le déboute en conséquence de ses demandes indemnitaires que ce soit au titre du préjudice temporaire que du préjudice permanent,

-qu’il déboute monsieur X de sa demande au titre de la perte d’intimité,

-qu’il déboute monsieur X de ses demandes au titre de dédommagement de l’ensablement,

-qu’il déboute monsieur X de ses demandes au titre de réparation de fissures,

-qu’il déboute monsieur X de ses demandes au titre d’un débord de gouttières,

-qu’il écarte l’exception d’irrecevabilité soulevée par monsieur D,

-qu’il condamne monsieur D à le garantir et le relever indemne de toute condamnation,

-qu’il condamne monsieur X à laisser l’accès temporaire à sa propriété pour la mise en œuvre de l’enduit,

-qu’il lui donne acte de ce qu’il s’en rapporte à justice concernant les demandes de monsieur X sur la mise en œuvre de cet accès et le constat préalable,

-qu’il condamne monsieur X au versement de la somme de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

-qu’il condamne monsieur X aux dépens qui seront recouvrés par la S.C.P. Elghozi-Geanty-Gautier-Pennec en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Monsieur Z D, aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 13 septembre 2019 auxquelles il est renvoyé pour l’exposé de ses arguments, se fondant sur l’article 122 du code de procédure civile, sollicite du tribunal : A titre principal,

-qu’il déclare irrecevable monsieur Y et/ou monsieur X de l’ensemble de leurs demandes présentées à son encontre, faute d’avoir satisfait au préalable obligatoire de la saisine du conseil de l’ordre régional des architectes,

-qu’il les condamne à lui payer la somme de 2.500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,

-qu’il les condamne aux dépens ; A titre subsidiaire,

-qu’il juge qu’il n’est pas apporté la preuve d’un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage,

-qu’il déboute monsieur Y et/ou monsieur X de l’ensemble de leurs demandes présentées à son encontre ; A titre infiniment subsidiaire,

-qu’il réduise à de plus justes proportions l’indemnité accordée.

L’ordonnance de clôture de l’instruction a été rendue le 11 février 2019 par le juge de la mise en état.

DECISION.

1°. Sur l’existence du trouble anormal de voisinage.

Pour fonder sa demande de démolition du mur édifié le long de la limite est de sa propriété, monsieur X a invoqué la théorie du trouble anormal de voisinage.


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Il est de principe que le droit pour un propriétaire de jouir de sa chose de la manière la plus absolue, sauf usage prohibé par la loi ou les règlements, est limité par l’obligation qu’il a de ne causer à la propriété d’autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage. Seul le trouble anormal de voisinage, ainsi E en raison de son caractère excessif par opposition aux inconvénients normaux de voisinage, ouvre droit à réparation. Il incombe à celui qui l’invoque d’établir le caractère anormal du trouble.

Monsieur X, pour caractériser le trouble anormal qu’il subit, fait valoir que, du fait de l’édification de l’immeuble de monsieur Y, son fonds est affecté d’une perte d’ensoleillement d’ampleur et n’a plus aucune vue sur les parcelles avoisinantes.

Il résulte du rapport d’expertise de monsieur A, expert désigné par le juge des référés selon ordonnance en date du 27 avril 2017, que la hauteur du mur de façade de la construction édifiée par monsieur Y le long de la limité ouest du fonds X au dessus de l’arase du mur de pierres préexistant qui séparait les propriétés en cause est de 4,91 ms auxquels il faut ajouter 3,08 ms de versant de couverture, ceci sur une longueur de 29 mètres, précision apportée que la distance qui sépare la limite des deux fonds est de moins de 6 mètres.

L’expert a estimé que l’ombre portée de la construction litigieuse en limite parcellaire ouest du fonds X est extrêmement préjudiciable à l’ensoleillement de la partie correspondante de son jardin et de sa terrasse balcon.

L’expert a par ailleurs observé que « le caractère monumental d’un mur maçonné et rappelé ci-avant, sur la limite parcellaire située à moins de 6 mètres, au droit de la façade jardin, est également de nature à dégrader la vue ouest depuis le fonds X qui s’en trouve sévèrement obstruée. »

En préambule de ses écritures monsieur Y fait valoir que la demande de démolition partielle que présente monsieur X aurait pour conséquence l’obligation d’abattre toute la construction qu’il a fait édifier puisque la structure du bâtiment serait à revoir en son entier et qu’ainsi, sous couvert d’une démolition partielle, c’est à une démolition complète que contraindrait la demande de son voisin s’il y était fait droit.

Un tel argument n’a cependant pas lieu d’être pris en considération par le tribunal pour juger de la suite à donner au trouble de voisinage allégué par monsieur X s’il était avéré. Il est en effet de principe que seule la gravité du trouble invoqué par le demandeur à l’action en réparation doit être appréciée par le juge sans que les conséquences pour l’auteur du trouble de la décision prise pour y mettre un terme soient prises en compte.

De même parce que le fait qu’un immeuble, objet d’une perte d’ensoleillement, fût il implanté en milieu urbanisé, n’exclut pas par principe toute indemnisation au titre des troubles anormaux du voisinage, l’argumentation de monsieur Y aux termes de laquelle ce dernier rappelle que l’environnement urbain dans lequel sa construction a été édifiée est disparate, qu’elle ne se trouve pas dans un périmètre protégé et n’est soumise à aucune contrainte architecturale particulière, sera écartée.

Il ne peut davantage être utilement mis en exergue par monsieur Y pour contester la réalité du trouble, l’absence de recours exercé par monsieur X à l’encontre du permis de construire qu’il a obtenu. En effet, il est de principe que les considérations tirées de l’existence d’un trouble de voisinage sont sans influence sur le seul examen auquel doivent se livrer les juridictions administratives à savoir la légalité d’un permis de construire au seul regard des règles d’urbanisme applicables. En d’autres termes un recours exercé par monsieur X devant la juridiction


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administrative sur le seul fondement du trouble anormal de voisinage n’aurait manifestement pas pu aboutir. Le tribunal observe d’ailleurs que, sans crainte de se contredire, monsieur Y fait écrire, en page 14 de ses conclusions que, « si monsieur X n’a pas contesté le permis de construire devant le juge administratif (c’est) qu’il avait bien saisi que le permis ne contrevenait en aucune manière à une règle d’urbanisme qui n’existait pas au moment où le permis de construire a été accordé. »

Enfin, les arguties tirées de la configuration du fonds X et de son incidence sur son ensoleillement seront écartées car elles procèdent tout simplement d’une erreur de plume du demandeur. La partie est du fonds de monsieur X se trouve nécessairement à l’ombre de sa maison l’après midi. La seule ombre portée en cause est celle qui prive de soleil le jardin, la terrasse et la façade ouest de la maison de monsieur X l’après midi et non pas la cour située sur sa partie est à usage de stationnement des véhicules.

Monsieur Y conteste enfin, non point la réalité, mais la gravité du trouble résultant de l’ombre portée pas le mur de son immeuble sur le fonds de monsieur X et, à cette fin, conteste les conclusions du rapport d’expertise de monsieur A.

Contrairement à ce qu’affirme monsieur Y le rapport de monsieur A précise clairement, grâce aux simulations Heliodon auxquelles celui-ci s’est livré, quelles sont les parties de la propriété de monsieur X et les heures auxquelles chacune d’entre elles est privée d’ensoleillement puisque sont concernés, non seulement le jardin, mais également la terrasse et la façade de la maison.

Les simulations « Héliodon »réalisées par l’expert judiciaire permettent de constater que :

-le jardin X au sud-ouest de la parcelle est à l’ombre de la construction entre 15 heures 30 et 17 heures 30 selon la saison,

-la terrasse, orientée plein ouest, est à l’ombre de la construction entre 15 heures et 17 heures 24 selon la saison.

Les mêmes simulations établissent qu’au cours de l’été, la terrasse est à l’ombre à 17 heures 24 au mois de juin et juillet, 17 heures 08 au mois d’août et 16 heures 28 au mois de septembre, saison la plus propice pour profiter de la vie en extérieur.

Monsieur X a également versé aux débats un constat d’huissier en date du 21 février 2019 qui établit qu’à cette date, la terrasse et le jardin étaient complètement à l’ombre à 15 heures 52 ainsi que partie des ouvertures en façade du rez-de- chaussée où se situent les pièces de vie, ouvertures ensuite totalement à l’ombre à 16 hs 09.

Monsieur Y adresse le reproche à l’expert de ne pas avoir effectué de simulations identiques quant à l’ombre portée par la construction qui se trouvait sur son fonds avant sa démolition et la reconstruction litigieuse. Outre le fait que rien ne lui interdisait de procéder avec l’aide de son architecte à ces simulations et le tribunal ne peut que s’étonner qu’il ne l’ait pas fait ou supposer que ces simulations n’auraient pas nécessairement servi sa cause, les photographies des lieux tels qu’ils étaient avant travaux conduisent à considérer que cette connaissance ne lui est pas nécessaire pour apprécier la réalité et la gravité du trouble subi par monsieur X. En effet la construction en cause qui n’était pas édifiée en limite de propriété, était décalée vers le nord ouest par rapport à la maison X et le mur de pierres édifié en limite des fonds n’atteignait qu’une hauteur de 2,50 ms ce qui ne pouvait avoir pour effet de priver d’ensoleillement la terrasse, en élévation par rapport au niveau du sol, ou la maison, notamment en période estivale.


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Au surplus et surtout, à la perte d’ensoleillement particulièrement significative s’ajoute une perte complète de vue sur les alentours à partir de la propriété de monsieur X que ce soit au rez-de-chaussée ou dans les étages de la maison.

Si le tribunal ne peut adhérer à l’analyse juridique de monsieur X, lequel prétend avoir acquis par prescription une servitude de vue sur le fonds voisin, puisque les fenêtres de sa maison sont à distance d’environ six mètres de la limite séparative et que les règles qui gouvernent les servitudes de vue n’ont aucune vocation à être appliquées en l’espèce, il n’en demeure pas moins que ces ouvertures permettaient de bénéficier d’une vue sur les abords de la propriété dont ses occupants sont aujourd’hui privés.

C’est vainement que le défendeur prétend qu’il ne peut y avoir de trouble grave par l’effet de sa construction puisque la vue dont disposait la propriété de monsieur X n’était qu’une vue urbaine, banale et sans intérêt. En effet, le seul horizon qui s’ouvre désormais aux occupants de la maison X, quel que soit l’étage de la maison où ils se trouvent est celui d’un mur et d’une toiture en ardoises flanquée de fenêtres de toit le tout d’une hauteur de plus de huit mètres alors que le recul dont ils disposent n’est que de moins de six mètres ce qui génère nécessairement une sensation d’écrasement.

Au regard de ces constats il sera jugé que le trouble de voisinage allégué par monsieur X est d’une gravité telle que son action est fondée.

2°. Sur la réparation du trouble anormal.

L’ampleur du trouble subi et les conséquences qu’il engendre sur la jouissance du bien propriété de monsieur X en ce qu’il prive la terrasse orientée à l’ouest d’ensoleillement l’été dès 17 hs 30 et la totalité des ouvertures, étages compris, d’une quelconque vue, justifient la demande de démolition partielle de la façade est de la construction édifiée par monsieur Y et ce quelle que soit l’incidence que cette démolition aura quant à la conception ou la structure de l’ensemble immobilier édifié par ce dernier.

Cette démolition sera ordonnée sous peine d’une astreinte de 50 € par jour de retard qui courra à compter du premier jour du sixième mois suivant la date de signification à partie du présent jugement et pendant une durée de six mois passée laquelle il pourra être de nouveau statué.

En revanche outre le fait que monsieur X n’a aucune qualité à solliciter une autorisation de reconstruction au lieu et place de son voisin, le tribunal n’a ni autorité, ni compétence pour décider que l’éventuelle nouvelle construction devra être implantée en retrait d’au moins deux mètres de la limite séparative des fonds pas plus que pour imposer une hauteur maximale au bâtiment à édifier.

En effet, les contraintes requises par monsieur X quant à la distance à respecter entre les fonds pour une construction sur la propriété Y, ne peuvent résulter que de la réglementation d’urbanisme applicable à la commune. Par ailleurs, il faut rappeler qu’aux termes de l’article 639 du code civil la servitude dérive ou de la situation naturelle des lieux, ou des obligations imposées par la loi, ou des conventions entre les propriétaires. La servitude « non altius tollendi » ne fait pas exception à cette règle et ne peut, en conséquence, être créée par une décision judiciaire.

Il appartiendra à monsieur Y de concevoir sa nouvelle construction dans le respect du droit de son voisin à jouir normalement de son bien et sans lui causer de trouble.


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3°. Sur l’indemnisation du préjudice temporaire subi du fait du trouble de voisinage.

Au titre de l’indemnisation du préjudice temporaire qu’il a subi monsieur X a sollicité l’allocation à titre de dommages et intérêts de la somme de 36.802 € outre une somme mensuelle de 1.044, 67 € jusqu’à la démolition de la construction en cause. Il évalue à 2 € par jour l’indemnité pour perte d’ensoleillement du jardin et de la terrasse et à 4 € par jour l’indemnité pour perte d’ensoleillement du rez-de- chaussée le tout selon un nombre d’heures variables selon les saisons.

Monsieur Y E cette demande de fantaisiste et fait observer l’inadéquation du nombre d’heures de perte d’ensoleillement du jardin retenu par monsieur X pour l’année 2017 soit 2380, avec la durée annuelle moyenne d’ensoleillement du département des Côtes d’Armor de 1981 à 2010 qui n’est que de 1587 heures.

Pour indemniser monsieur X du trouble de jouissance temporaire qu’il a subi depuis le mois de janvier 2017 et qu’il subira jusqu’à ce que les travaux de démolition ordonnés par le tribunal soient exécutés, il lui sera alloué la somme de 15.000 €. En effet s’agissant de réparer un trouble de jouissance purement subjectif le mode de calcul proposé par monsieur X n’apparaît pas adapté à son évaluation. Il sera donc débouté pour le surplus de ses demandes .

4°. Sur les dommages causés aux biens de monsieur X.

L’ensablement. Invoquant à nouveau la théorie du trouble de voisinage, monsieur X, en raison des désagréments que lui auraient causé les travaux de démolition et construction de son voisin, notamment un ensablement de sa propriété qu’il E d’important, a sollicité l’allocation d’une somme de 1.000 € à titre de dommages et intérêts.

Cette demande est contestée par monsieur Y faute de preuve apportée de la réalité des allégations du demandeur.

Pour justifier ses affirmations monsieur X n’a produit que deux photographies d’un véhicule recouvert de poussière ainsi que trois photographies du parterre qui longe le mur de son jardin. Il est certain que ces pièces sont insuffisantes à établir la gravité du trouble allégué par monsieur X qui seul permettrait d’admettre sa demande sur le fondement du trouble anormal de voisinage. Il en sera débouté.

Les fissures. Au motif que les travaux réalisés sur le fonds Y (démolition, fouilles, terrassement) auraient eu pour effet de générer des fissures à l’arrière de sa maison d’habitation, monsieur X sollicite la condamnation de monsieur Y à lui payer la somme de 10.029,80 € coût des travaux de reprise de ces désordres.

Monsieur Y s’oppose à cette demande à défaut de preuve de la relation de cause à effet entre les travaux réalisés et l’apparition des fissures.

L’expert judiciaire, mandaté sur cette question par le juge des référés, a exposé en son rapport : « Les fissures constatées sur l’arrière de l’habitation X méritent d’être reprises, à l’instar de celles qui affectent quelques parois intérieures. Pour autant elles ne peuvent en l’état s’expliquer de manière certaine par les effets du terrassement réalisé pour les fouilles de l’immeuble Y ou à l’occasion de la démolition de l’ancienne maison. Aucun constat de l’état des ouvrages n’a eu lieu sur la construction X à l’effet


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de permettre un examen comparé entre l’état antérieur et postérieur aux travaux Y. Les ouvrages destinés à renforcer la solidité du plancher support entre sous sol et rdc et situés sous la cheminée sont également des signes de fragilisation antérieure palliée ou résolue. »

Aucun lien direct ne peut donc être jugé comme établi entre les travaux de démolition, reconstruction exécutés sur le fonds de monsieur Y et les fissures constatées sur l’immeuble de monsieur X dont ce dernier affirme qu’elles ne sont apparues qu’à la suite des ces travaux. Celui-ci ne peut être suivi dans la proposition qu’il formule de présumer existante la relation de cause à effet qui fait défaut en l’occurrence puisque l’expert a constaté que des travaux de renforcement anciens avaient été exécutés en raison de signes antérieurs de fragilisation de la construction. Ainsi, les fissures en cause peuvent aussi bien être la conséquence de cette fragilisation antérieure aux travaux réalisés sur le fonds de monsieur Y.

Monsieur X sera donc débouté de sa demande.

Il sera enfin constaté que monsieur X se désiste de sa demande de suppression d’un empiétement des gouttières de la construction de monsieur Y sur son fonds.

5°. Sur la demande reconventionnelle de monsieur Y.

A titre reconventionnel monsieur Y a sollicité la condamnation de monsieur X à lui permettre l’accès temporaire sur son terrain afin de permettre la pose de l’enduit sur le mur litigieux ainsi que l’exige le permis de construire qui lui a été délivré.

Cette demande est désormais sans objet puisque la démolition du mur litigieux est ordonnée par le tribunal.

6°. Sur la garantie de monsieur D, architecte.

Monsieur Y, dans l’hypothèse dans laquelle le tribunal retiendrait comme fondées les demandes de monsieur X, a sollicité la garantie de son architecte monsieur D sur le fondement d’une défaillance dans l’obligation de conseil à laquelle ce dernier était tenu à son endroit.

Monsieur D au visa de l’article 16 du contrat signé le 11 juillet 2014 avec monsieur Y oppose une fin de non recevoir à cette demande.

L’article 16 du contrat en cause stipule : « En cas de différend portant sur le respect des clauses du présent contrat, les parties conviennent de saisir le conseil régional de l’ordre des architectes dont relève l’architecte avant toute procédure judiciaire, sauf conservatoire….. »

La présente instance n’a nullement trait au respect par l’une ou l’autre des parties au contrat des clauses au respect desquelles celles-ci étaient tenues puisqu’il s’agit d’une action en responsabilité contractuelle fondée sur l’obligation de conseil à laquelle le professionnel est tenu à l’égard de son client profane. L’article 16 ci-dessus visé pas vocation à s’appliquer en l’espèce. Monsieur D sera déclaré mal fondé en sa fin de non recevoir.

Monsieur Y fait grief à monsieur D de n’avoir pas anticipé le risque résultant de l’implantation de l’immeuble à construire notamment en terme de perte d’ensoleillement et de vue pour son voisin. Il souligne que celui-ci ne peut nier avoir eu conscience de ce risque puisqu’il prétend lui-même dans le cadre de la présente instance avoir insisté pour que monsieur X soit précisément informé du projet.


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Il ajoute n’avoir pour sa part pas eu la possibilité d’appréhender les conséquences du projet pour l’environnement.

Monsieur D admet que tout professionnel est tenu à l’égard de son client non professionnel d’une obligation de conseil mais qu’une telle obligation ne s’étend pas aux faits connus de tous.

Il est exact que monsieur Y ne peut sérieusement soutenir qu’il n’a pu appréhender l’incidence qui serait celle de la construction d’un mur de 8 mètres de haut en limite de propriété d’avec son voisin en terme d’ensoleillement et de vue, ce d’autant qu’il adresse par ailleurs reproche à monsieur X de n’avoir pas lui-même réagi sur ce sujet lors de l’affichage du permis de construire.

Dans ces conditions il ne peut être fait grief à l’architecte au titre de son obligation de conseil de ne pas avoir appelé l’attention de monsieur Y sur les conséquences inévitables de la construction pour le fonds X en terme de perte d’ensoleillement et de vue et les réactions qui pourraient s’en suivre.

Monsieur Y sera donc débouté de son appel en garantie à l’encontre de monsieur D.

7°. Sur l’exécution provisoire.

L’article 515 du code de procédure civile dispose que le juge ordonne l’exécution provisoire s’il l’estime nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire, à condition qu’elle ne soit pas interdite par la loi.

Eu égard à la teneur du présent jugement il n’est pas opportun d’ordonner l’exécution provisoire à l’exception de la condamnation à paiement de la somme de 15.000 € à titre de dommages et intérêts.

8°. Sur les dépens et les frais irrépétibles.

Par application de l’article 696 du code de procédure civile monsieur Y sera condamné aux dépens y compris ceux du référé et les frais de l’expertise judiciaire.

Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, la condamnation aux dépens emporte également condamnation de la partie perdante à tout ou partie des frais exposés par l’autre partie pour faire valoir ses droits en justice.

Une somme de 3.000 € sera allouée à monsieur X et de 2.000 € à monsieur D toutes deux à la charge de monsieur Y en application de la disposition susvisée.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal Judiciaire de Saint-Brieuc, Statuant publiquement, par jugement contradictoire, susceptible d’appel ;

Déclare monsieur G-H X recevable en sa demande ;

L’y juge bien fondé ;

Dit que la perte d’ensoleillement et la suppression de ses vues que subit la propriété de monsieur G-H X du fait de la construction de monsieur B Y constituent des troubles anormaux de voisinage ;


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Ordonne la démolition de la façade est de la construction de monsieur B Y édifiée en limite des propriétés X Y sur une longueur de 29 mètres sous peine d’une astreinte de 50 € par jour de retard qui courra à compter du premier jour du sixième mois suivant la date de signification à partir du présent jugement et pendant une durée de six mois passée laquelle il pourra être de nouveau statué ;

Condamne monsieur B Y à payer à monsieur G-H X la somme de 15.000 € à titre de dommages et intérêts ;

Ordonne l’exécution provisoire de cette seule condamnation à paiement ;

Constate le désistement de monsieur G-H X de sa demande de suppression d’empiétement ;

Déboute monsieur Z D de la fin de non recevoir opposée à l’action en garantie formée à son encontre par monsieur B Y ;

Déboute monsieur B Y de sa demande de garantie formée à l’encontre de monsieur Z D ;

Condamne monsieur B Y aux dépens y compris les dépens de l’instance en référé et les frais de l’expertise ;

Condamne monsieur B Y à payer à monsieur G-H X la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à monsieur Z D la somme de 2.000 € sur le même fondement ;

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes comme irrecevables ou mal fondées.

En foi de quoi la minute du présent jugement a été signée par le Président et le Greffier.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


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Tribunal Judiciaire de Saint-Brieuc, 29 septembre 2020, n° 18/01904