Cour d'appel d'Angers, 9 juillet 2013, n° 11/01866

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Angers, 9 juill. 2013, n° 11/01866
Juridiction : Cour d'appel d'Angers
Numéro(s) : 11/01866
Décision précédente : Tribunal des affaires de sécurité sociale de Laval, 4 juillet 2011, N° 709

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

d’ANGERS

Chambre Sociale

ARRÊT N°

XXX

Numéro d’inscription au répertoire général : 11/01866.

Jugement Au fond, origine Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de LAVAL, décision attaquée en date du 05 Juillet 2011, enregistrée sous le n°

709

ARRÊT DU 09 Juillet 2013

APPELANTES :

L’EURL H E, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

XXX

XXX

LA SA J K, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

Direction Indemnisation

XXX

représentées par Maître Philippe ARION, avocat au barreau de RENNES

INTIMES :

Monsieur X B

XXX

XXX

représenté par Maître Eric L’HELIAS, avocat au barreau de LAVAL

LA CPAM DE LA MAYENNE,

XXX

XXX

représentée par Mme V W, en vertu d’un pouvoir spécial

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 18 Mars 2013 à 14 H 00, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Anne DUFAU, conseiller chargé d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine LECAPLAIN MOREL, président

Madame Brigitte ARNAUD-PETIT, conseiller

Madame Anne DUFAU, conseiller

Greffier lors des débats : Madame LE GALL, greffier

ARRÊT :

prononcé le 09 Juillet 2013, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame LECAPLAIN-MOREL, président, et par Madame PINEL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*******

FAITS ET PROCÉDURE :

M. X B a été embauché par l’eurl E H, en qualité de charpentier, en contrat à durée déterminée à compter du 19 novembre 2007, puis le 19 février 2008 en contrat à durée indéterminée.

L’eurl E H a établi le 29 février 2008 une déclaration d’accident du travail pour ce salarié, pour un accident ayant eu lieu Ie 28 février 2008 à 14 h 30, et elle en a décrit les circonstances ainsi :

'Lors d’opération de travaux de charpente, Monsieur B X se situait sur I’échafaudage pour travailler mais il aurait glissé entre les deux bastings et serait tombé de celui-ci . En dessous se situait un parpaing sur lequel il se serait buté Ie genou '.

Le certificat médical rédigé Ie 28 février 2008 par Ie Docteur Z indique que M. X B présentait un traumatisme du genou droit avec hémarthrose.

La caisse primaire d’assurance maladie de la Mayenne (CPAM) a reconnu Ie caractère professionnel de I’accident déclaré.

M. B a été en arrêt de travail sans interruption jusqu’à son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement, notifié le19 octobre 2009.

Le 2 mars 2010 la caisse primaire d’assurance maladie de la Mayenne a notifié à M. B un taux d’incapacité permanente de 6% dont 3% pour le taux professionnel et lui a versé un capital de 2 261,78€.

Par décision du 16 novembre 2010 notifiée le 29 novembre 2010 la MDPAH de la Mayenne a attribué à M. B un taux d’incapacité de 25% et a reconnu sa qualité de travailleur handicapé, pour la période du 1er novembre 2010 au 31 octobre 2015.

M. B a le 10 septembre 2009 saisi la caisse primaire d’assurance maladie d’une demande de reconnaissance de faute inexcusable à I’encontre de son employeur et dans le cadre de la tentative de conciliation prévue par l’article L452-4 du code de la sécurité sociale, les parties se sont accordées par procès-verbal en date du 3 mars 2010 sur l’existence d’une faute inexcusable de l’eurl E H , ainsi que sur la majoration de la rente au maximum et ont désigné le docteur Y pour :

*examiner M. B,

*prendre connaissance de tous les documents qu’il estimera utiles à l’accomplissement de sa mission,

*donner un avis motivé sur l’importance des souffrances endurées et du préjudice esthétique en les qualifiant de très léger, léger, modéré, moyen, assez important, important ou très important,

*rechercher dans quelles mesures les lésions ou séquelles constatées sont susceptibles d’affecter d’éventuelles activités d’agrément particulières à la victime et de diminuer ses possibilités de promotion professionnelle.

Le Dr Y a rendu son rapport Ie 13 avril 2010 mais par procès-verbal du 1er Juin 2010, il a été constaté le désaccord des parties sur Ie montant des indemnités dues à M. B.

M. B a le 21 octobre 2010 saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Mayenne auquel il a demandé de:

*déclarer Ie jugement à intervenir commun à la caisse primaire d’assurance maladie de la Mayenne ,

*constater que l’eurl E H a reconnu Ie 3 mars 2010 avoir commis une faute inexcusable à I’origine de I’accident du travail dont iI a été victime Ie 28 février 2008 ,

*dire qu’iI peut prétendre à la majoration des indemnités qui lui sont dues en application de I’article L 452·alinéa 1 du code de la sécurité sociale ;

*lui décerner acte de ce qu’il renonce à sa demande de nouvelle expertise réalisée selon Ia nomenclature Dinthillac,

*fixer ses préjudices selon les modalités suivantes :

-5000 € au titre des souffrances endurées ,

-2500 € au titre du préjudice esthétique,

-5000 € au titre du préjudice d’agrément,

-141 758,58 € au titre du préjudice de carrière,

*dire que ces sommes seront versées directement par la caisse primaire d’assurance maladie qui pourra en récupérer Ie montant auprès de l’eurl E H et de la sa F G,

*condamner solidairement l’eurl E H et la sa F G,à lui verser la somme de 3000 € au titre de I’article 700 du code de procédure civile,

*condamner solidairement l’eurl E H et la sa J K aux dépens.

Par jugement du 5 juillet 2011, auquel il est renvoyé pour un plus ample exposé, Ie tribunal des affaires de sécurité sociale de la Mayenne a statué dans ces termes :

DECLARE recevable I’intervention volontaire de la SA J G,

CONSTATE que I’accident du travail de Monsieur X B du 28 février 2008 est dû a une faute inexcusable de l’eurl E H ,

FIXE les préjudices de Monsieur B à :

-4500 euros (quatre mille cinq cent euros) au titre des souffrances endurées,

-2000 euros (deux mille euros) au titre du préjudice esthétique,

-3500 euros (trois mille cinq cent euros) au titre du préjudice d’agrément,

-110 000 euros (cent dix mille euros) au titre de la perte de promotion professionnelle,

DIT que la Caisse primaire d’assurance maladie de la Mayenne est tenue de verser la somme totale de 120 000 euros (cent vingt mille euros) à Monsieur B au titre des préjudices subis du fait de la faute inexcusable,

DIT que la caisse primaire d’assurance maladie de la Mayenne est autorisée à récupérer le montant de 120 000 euros (cent vingt mille euros)auprès de I’EURL E H,

DECLARE Ie jugement commun à la caisse primaire d’assurance maladie de la Mayenne et à la sa F G.

L’eurl E H et la sa J K ont régulièrement formé appel de ce jugement par lettre postée le 19 juillet 2011.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Aux termes de ses écritures déposées au greffe le 12 mars 2013, reprises et soutenues oralement à l’audience, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer, l’eurl E H et la sa J K demandent à la cour d’infirmer le jugement déféré et statuant à nouveau, de débouter M. B de sa demande de réparation de son préjudice pour perte ou diminution de possibilité de promotion professionnelle , et de lui allouer au titre du préjudice esthétique la somme de 1000 € ,et au titre du préjudice d’agrément celle de 1500 €; de dire n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Elles ne contestent pas l’indemnité fixée pour les souffrances endurées et demandent à la cour de ramener à de plus justes proportions les indemnités allouées par les premiers juges au titre des préjudices d’agrément et esthétique. Elles rappellent que le préjudice esthétique est de 1/7 et estiment que pour un sujet de 29 ans vivant en couple leur offre de 1000€ est satisfactoire; que le préjudice d’agrément répare l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique, sportive ou de loisirs et que M. B a seulement dû abandonner une pratique, récente, de la boxe, celle de la marche, de la course, du football, de la pêche, du tennis de table, du ski et de la musculation restant possible.

Les appelantes soutiennent que le préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle par la victime ne doit pas être confondu avec le déclassement professionnel, qui est déjà réparé par la rente majorée.

Elles ajoutent que la perte de chance de promotion professionnelle a vocation à être indemnisée au titre des préjudices personnels de la victime, et qu’elle répare la perte de chance sérieuse de celle-ci d’accéder par la suite, compte-tenu de ses possibilités existantes et certaines, à une meilleure situation au regard de l’exercice de sa profession ; qu’elle ne recouvre ni les pertes de gains professionnels, actuelles ou futures, ni l’incidence professionnelle correspondant à l’inaptitude à l’emploi occupé précédemment, ou au déclassement professionnel, à la dévalorisation sur le marché du travail, ni même à l’obligation d’occuper un poste différent mais compatible avec l’invalidité résiduelle ; que le calcul du préjudice lié à la perte de chance de promotion professionnelle ne peut s’apprécier comme un préjudice économique puisqu’il n’a pas pour but de pallier à la perte de gains éventuellement subie et que les premiers juges ont à tort effectué la comparaison entre le salaire antérieur brut de M. B de 1782,02 € et le salaire brut qu’il disait pouvoir au mieux obtenir désormais, soit 1343,77€, pour parvenir à un différentiel annuel ensuite forfaitisé.

Elles opposent d’autre part à M. B qu’il ne justifie pas d’une perte de chance professionnelle au sein de l’entreprise, ne rapportant pas la preuve expresse d’une possibilité de promotion effective, et non pas seulement hypothétique ; que les premiers juges ont à tort déduit du seul fait que l’entreprise comportait plus de dix salariés, du jeune âge de M. B et de ses diplômes, qu’il avait des chances sérieuses de bénéficier à terme d’une évolution de carrière lui permettant d’atteindre le niveau III ou le niveau IV correspondant au poste de chef d’équipe ; qu’en outre M. E avait pu observer que le salarié n’avait pas acquis la capacité de diriger une équipe ; que l’effectif de l’entreprise ne permettait pas une telle évolution de carrière, le seul chef d’équipe, pour l’activité de charpente, étant le propriétaire et gérant, dont M. B aurait donc dû prendre la place ; qu’à l’extérieur de l’entreprise en revanche, une promotion professionnelle lui restait possible, après la réalisation d’une formation, et qu’il n’existait donc pas de perte de chance.

' ' '

Aux termes de ses dernières conclusions déposées au greffe le 14 septembre 2012, reprises et soutenues oralement à l’audience devant la cour, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer, M. B demande à la cour de déclarer Ie jugement à intervenir commun à la caisse primaire d’assurance maladie de la Mayenne, de constater que l’eurl E H a reconnu Ie 3 mars 2010 avoir commis une faute inexcusable à I’origine de I’accident du travail dont il a été victime Ie 28 février 2008, de dire qu’il peut prétendre à la majoration des indemnités qui lui sont dues en application de I’article L 452·alinéa 1 du code de la sécurité sociale, de confirmer le jugement en ce qu’il a fixé ses préjudices à la somme de 4500 € au titre des souffrances endurées, à celle de 2000 €au titre du préjudice esthétique, en ce qu’il a retenu la perte de chance de promotion professionnelle, et de fixer le préjudice d’agrément à la somme de 3500 € et celui résultant de la perte de chance de promotion professionnelle à la somme de 141 758,58 €.

M. B demande à la cour de dire que ces sommes lui seront versées par la caisse primaire d’assurance maladie de la Mayenne qui en récupérera le montant auprès de l’eurl E H et de la sa J K, et de condamner solidairement l’eurl E H et la sa F G, à lui verser la somme de 5000 € au titre de I’article 700 du code de procédure civile.

M. B soutient quant à son préjudice d’agrément que celui-ci s’entend, selon la jurisprudence, comme étant le préjudice résultant des troubles ressentis dans les conditions d’existence ; qu’il concerne les activités sportives, ludiques et culturelles devenues impossibles en raison des séquelles de l’accident ; qu’il ne peut plus pratiquer la boxe, et pratique beaucoup moins les activités de pêche, de randonnée, qu’il affectionnait auparavant, ainsi que le vélo et la natation, en raison des douleurs ressenties ; que l’offre de l’eurl E H et de la sa J K n’est pas satisfactoire.

Quant à la réparation de sa perte de chance de promotion professionnelle M. B soutient que son calcul ne prend pas en compte le préjudice financier résultant du déclassement professionnel, dont il ajoute qu’il n’a été indemnisé que de manière symbolique par la rente incapacité de travail, mais qu’il chiffre objectivement et in concreto le préjudice financier qu’il subit du fait de la disparition actuelle et certaine de l’éventualité favorable de pouvoir accéder un jour au poste de chef d’équipe au sein de l’eurl E H.

Il se fonde sur la comparaison entre le salaire brut mensuel perçu avant l’accident, et celui qu’il aurait perçu au regard de la grille de salaires du 15 janvier 2010 pour les ouvriers employés dans les entreprises du bâtiment employant plus de 10 salariés, en ayant une qualification de chef d’équipe, position 2 niveau IV, coefficient 270 ce qui , avec un départ en retraite à 65 ans, établit le préjudice allégué à la somme de 141 758,58€ ;

M. B réfute avoir fait l’objet de mauvaises appréciations professionnelles au sein de l’eurl E H ou de la part de ses précédents employeurs et affirme que l’attestation de M. C, gérant de la sarl P C, est mensongère.

Il produit des attestations montrant qu’il avait toutes les compétences pour que sa carrière évolue. Il affirme qu’il aurait pu à terme devenir associé ou

co-gérant de l’eurl E H.

Il oppose à l’eurl E H, lorsqu’elle affirme qu’il reste apte à se former pour avoir une promotion professionnelle extérieure à l’entreprise, le fait que cette reconversion professionnelle théoriquement possible n’est pas réalisée, et que depuis son licenciement il n’a trouvé qu’un emploi de chauffeur de transport de colis, payé au smic .

' ' '

Aux termes de ses dernières conclusions déposées au greffe le 8 mars 2013, reprises et soutenues oralement à l’audience devant la cour, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer, la caisse primaire d’assurance maladie de la Mayenne indique qu’elle s’en remet à justice sur l’indemnisation des préjudices de M. B et qu’elle demande la confirmation du jugement entrepris en ce qu’il a dit qu’elle était autorisée à récupérer contre l’eurl E H la somme de 120 000€. Elle demande à pouvoir récupérer contre l’eurl E H les sommes versées au titre de la majoration de rente.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la faute inexcusable de l’employeur :

Aux termes du procès-verbal de conciliation du 3 mars 2010 l’eurl E H a accepté de reconnaître l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur à l’origine de l’accident du travail dont a été victime M. B le 28 février 2008;il convient, comme y a procédé le premier juge, de statuer sur les demandes formées par M. B en réparation de ses préjudices au regard de l’existence de celle-ci ;

Sur l’indemnisation des préjudices :

L’article L 451-1 du code de la sécurité sociale pose le principe selon lequel aucune action en réparation des accidents du travail ou des maladies professionnelles ne peut être exercée conformément au droit commun par la victime ou ses ayants droit;

En cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle dû à la faute inexcusable de l’employeur, l’article L 452-1 du même code ouvre droit au salarié-victime ou à ses ayants droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles L 452-2 et L 452-3 du même code ;

Le premier de ces textes prévoit une majoration du capital ou de la rente alloué, tandis que le second permet, d’une part, à la victime de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées, ainsi que celle de ses préjudices esthétiques et d’agrément, et celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle, d’autre part, en cas d’accident suivi de mort, aux ayants droit, de demander à l’employeur, devant la même juridiction, la réparation de leur préjudice moral ;

L’article L 452-2 prévoit que la majoration de capital ou de rente est payée par la caisse, qui en récupère le montant par l’imposition d’une cotisation complémentaire à l’employeur ; le dernier alinéa de l’article L 452-3 énonce que la réparation des préjudices énumérés par ce texte est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l’employeur ;

Sur renvoi par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité, par décision du 18 juin 2010, le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L 451-1 et L 452-1 à L 452-5 du code de la sécurité sociale, les requérants soutenant que ces dispositions étaient contraires au principe d’égalité devant la loi énoncé aux articles 1er, 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et au principe de responsabilité découlant de son article 4 ;

Aux termes du considérant n°16 de cette décision, le Conseil constitutionnel a validé l’ensemble du système de réparation des préjudices en matière d’accident du travail ou de maladie professionnelle n’ayant pas pour origine une faute inexcusable ou intentionnelle de l’employeur, réalisé aux frais avancés des caisses primaires de sécurité sociale, nonobstant la réparation forfaitaire de la perte de salaire ou de l’incapacité, l’exclusion de certains préjudices et l’impossibilité de toute action contre l’employeur aux fins de réparation dans les conditions du droit commun ; il a considéré que les avantages et garanties d’automaticité, de rapidité et de sécurité de la réparation présentés par ce système pour les victimes, ainsi que la présomption de responsabilité et la dispense d’action en justice contre l’employeur qu’il implique, justifient la différence de traitement et n’instituent pas des restrictions disproportionnées par rapport aux objectifs d’intérêt général poursuivis ;

S’agissant de l’accident ou de la maladie dû à la faute inexcusable de l’employeur, dans le considérant n° 17 de sa décision, le Conseil constitutionnel valide le régime spécifique d’indemnisation prévu à l’article L 452-2 prévoyant une majoration plafonnée du capital ou de la rente allouée en fonction de la réduction de capacité de la victime en retenant, qu’au regard des avantages et garanties précédemment énoncés, le plafonnement de cette indemnité destinée à compenser la perte de salaire résultant de l’incapacité n’institue pas une restriction disproportionnée aux droits des victimes d’accident du travail ou de maladie professionnelle ;

Si aux termes du considérant n° 18 de sa décision, le Conseil constitutionnel a également déclaré conforme à la Constitution le système d’indemnisation complémentaire prévu par l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale, prévoyant un mécanisme spécifique d’avance par la caisse de sécurité sociale, au salarié victime ou à ses ayants droit, des indemnités destinées à réparer les préjudices visés par ce texte, il a assorti cette déclaration de conformité d’une réserve d’interprétation selon laquelle 'en présence d’une faute inexcusable de l’employeur, les dispositions de ce texte ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée aux droits des victimes d’actes fautifs, faire obstacle à ce que ces mêmes personnes, devant les mêmes juridictions [c’est à dire les juridictions du contentieux général de la sécurité sociale], puissent demander à l’employeur réparation de l’ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.';

Il résulte de cette décision du Conseil constitutionnel qu’en présence d’un accident du travail causé par la faute inexcusable de l’employeur, la victime ou ses ayants droit peuvent, outre les prestations en nature et en espèces versées au titre du régime légal, et les réparations complémentaires prévues par les articles L 452-2 et L 452-3 du code de la sécurité sociale dont l’avance est garantie par la caisse, demander à l’employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation de l’ensemble des dommages ou chefs de préjudice non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale ;

M. B sollicite la réparation des souffrances endurées, de son préjudice esthétique permanent, de son préjudice d’agrément et d’une perte de chance de promotion professionnelle, à l’exclusion de tout préjudice non couvert par le livre IV du code de la sécurité sociale ;

*sur les souffrances physiques et morales endurées :

Ce poste de préjudice recouvre, au sens de l’article L452-3 du code de la sécurité sociale, les souffrances tant physiques que morales subies par la victime du fait de l’atteinte à son intégrité physique ;

Le Dr Y, sur la désignation duquel les parties se sont accordées lors de la conciliation du 3 mars 2010, a quantifié les souffrances physiques et psychiques endurées par M. B à 3/7 sur une échelle de 1 à 7;

Il ressort du rapport d’expertise du Dr Y, que l’accident litigieux, qui a consisté en une chute depuis un échafaudage, d’environ 5 m au sol, avec une réception au niveau du membre inférieur droit, sans perte de connaissance, a été pour M. X B à l’origine de la survenance d’un traumatisme du genou droit avec hémarthrose ; la victime a été hospitalisée les 28 et 29 février 2008, le traitement consistant en une immobilisation sur attelle, la prise d’antalgiques des injections anti-thrombotiques, une aide à la marche par l’utilisation de cannes ,et une rééducation ; une rupture du ligament croisé antérieur a été diagnostiquée le 20 mars 2008 et du 16 au 22 juillet 2008 une nouvelle hospitalisation a eu lieu, pour la réfection du ligament latéral externe, un épanchement au genou, et une lésion de la corne postérieure du ménisque externe ; la marche a été autorisée à l’aide d’une attelle et d’une canne, la rééducation a été poursuivie ; le 26 janvier 2009 le Dr A a constaté qu’il n’y avait pas de douleurs et que la marche n’était pas limitée ; du 5 au 6 juin 2009 une hospitalisation a eu lieu pour l’ablation d’une agrafe gênante, sous anesthésie générale, et dix séances de rééducation ont été réalisées ; la consolidation a eu lieu le 6 octobre 2009 ;

Il en résulte que les souffrances endurées sont, en l’espèce, représentées par les douleurs contemporaines de l’accident, deux interventions chirurgicales, l’ablation d’un matériel chirurgical, le port d’une attelle, la marche avec des cannes, et les séances de rééducation pendant un an ; l’ensemble de ces éléments, la durée des soins subis, justifient d’allouer à M. B, par voie de confirmation du jugement, la somme de 4500 € au titre des souffrances physiques et psychiques endurées ;

*sur le préjudice esthétique:

Ce dommage est visé par l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale

L’expert a relevé l’existence d’un préjudice esthétique permanent qu’il a quantifié à 1/7, et qualifié de 'très léger',caractérisé par deux cicatrices du membre inférieur droit , 'brunâtres , visibles, de 10 cm en face externe du genou, et de 9cm en face antérieure’ ; au regard des éléments médicaux produits, il sera justement réparé, par voie d’infirmation du jugement, par l’allocation d’une somme de 1500 € ;

*sur le préjudice d’agrément:

Le préjudice d’agrément réparable en application de l’article L452-3 code de la sécurité sociale est constitué par l’impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs, cette dernière devant rapporter la preuve de l’exercice d’une telle activité antérieurement à sa maladie ;

Il ne couvre pas les troubles ressentis dans les conditions d’existence, que M. B invoque sans les décrire ,et qui sont déjà réparés au titre du déficit fonctionnel permanent, avec l’attribution d’ un taux d’incapacité permanente de 6% dont 3% pour le taux professionnel et le versement d’ un capital de

2 261,78€ ;

M. B justifie avoir pratiqué la boxe de 2005 à la survenance de l’accident, c’est -à-dire pendant trois ans ; il ressort du rapport d’expertise du Dr Y que la boxe lui est désormais déconseillée ; il est d’autre part constaté par l’expert que M. B a pu reprendre le footbal, la pêche et la musculation et ce médecin ne relève aucune contre-indication pour la randonnée, le vélo, ou la natation, toutes activités pratiquées par M. B à titre de loisirs ;

En considération de ces éléments, et par voie de confirmation du jugement, la réparation du préjudice d’agrément de M. B est évaluée à la somme de 3 500 €;

La CPAM de la Mayenne fera l’avance auprès de M. B des

sommes allouées au titre des souffrances physiques et morales endurées, du préjudice esthétique et du préjudice d’agrément, et elle en récupérera le montant auprès de l’eurl E H et de sa compagnie d’assurance; elle pourra également récupérer auprès de celles-ci le montant des sommes qu’elle sera tenue de verser à M. B au titre de la majoration de rente ;

*sur la perte de chance d’une promotion professionnelle:

Il résulte de l’article L452-3 du code de la sécurité sociale que la victime d’un accident du travail a, en cas de faute inexcusable de l’employeur, le droit de demander à celui-ci devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle, quel que soit le cadre dans lequel celles-ci étaient susceptibles de se réaliser ;

Ce préjudice est distinct de celui qui résulte du déclassement professionnel, qui est compensé par l’attribution d’une rente majorée ;

Il appartient d’autre part à celui qui entend obtenir réparation au titre de la perte de chance de démontrer la réalité et le sérieux de la chance perdue, qui ne doit pas être seulement hypothétique, et il revient au juge d’apprécier la réalité de l’existence d’un tel préjudice ;

Il est acquis aux débats que M. B est titulaire d’un C.A.P. et d’un B.EP. de charpentier couvreur ; l’expérience professionnelle qu’il invoque est exclusivement dans le domaine de la charpente en bois; Il produit les attestations des dirigeants de deux entreprises l’ayant employé comme charpentier et le décrivant comme ayant des capacités d’adaptation et comme étant respectueux des consignes de sécurité ; il s’agit cependant d’une part de la période d’apprentissage, réalisée entre 2002 et 2003, et d’autre part d’un emploi dont la durée est inconnue, et dont il est affirmé, mais non établi, qu’il s’est effectué en 2006 et 2007 ;

M. B soutient qu’il aurait pu accéder au niveau III, puis au niveau IV de la convention collective, ce dernier niveau correspondant aux maîtres ouvriers ou chefs d’équipe, et qu’il aurait pu, à terme, devenir associé ou co-gérant de la société ;

Il n’est cependant installé par la convention collective nationale des ouvriers employés dans les entreprises du bâtiment occupant plus de 10 salariés du 8 octobre 1990 aucun processus d’évolution de carrière à la seule ancienneté, mais un déroulement de carrière favorisant la formation initiale et continue, et obligeant l’employeur à examiner les possibilités d’évolution de carrière des ouvriers, dans la limite des besoins et des possibilités de l’entreprise, selon une périodicité biennale ; la brièveté de l’emploi de M. B au sein de l’eurl E H avant l’accident n’a pas permis d’atteindre cette échéance ;

M. B a d’ailleurs indiqué à l’expert, qui l’a consigné dans son rapport, qu’il n’existait pas de possibilité de promotion à l’intérieur de l’entreprise; l’organigramme de l’entreprise montre en effet que l’activité charpente était réalisée par une seule équipe, dirigée par M. E lui-même;

Il n’est d’autre part ni justifié, ni même allégué, que M. E ait eu l’intention de faire de M. B, ou de quiconque, son associé, ou de partager la gérance de la société ;

M. B a été engagé par l’eurl E H, le 19 novembre 2007 en contrat à durée déterminée, pour un emploi de charpentier au niveau III, position 1 coefficient 210, puis le 19 février 2008, en contrat à durée indéterminée, pour le même emploi de charpentier, au niveau II, position 1 coefficient 185 ; M. B soutient n’avoir pas remarqué cette baisse de classification lors de la signature du contrat de travail , parce que la rémunération restait fixée au même montant, soit 1512,14 €;

M. B ne produit aucun bulletin de paie afférent au contrat à durée déterminée du 19 novembre 2007 mais il ressort des mentions portées sur les bulletins de paie qui lui ont été remis en août 2007, et en novembre 2007, par la société CSC Charpente, son précédent employeur, qu’il était alors classé au niveau III, coefficient 210, avec un taux horaire de 10,25 € et un salaire mensuel brut pour 151,67 heures de 1554,62 € ; or, tous les bulletins de salaire qui lui ont été délivrés par l’eurl E H dans le cadre de l’exécution du contrat à durée indéterminée mentionnent non seulement un niveau II et un coefficient 185, mais aussi un taux horaire de 9,97 € et un salaire mensuel brut pour 151,67 heures de 1512,14 €;

M. B ne rapporte pas la preuve, dans ces conditions, de l’existence d’une chance sérieuse de promotion professionnelle au sein de l’eurl E H, ni en ce qui concerne la classification au niveau III, qui lui avait été attribuée par la CSC Charpente mais qui n’a pas été reprise par l’eurl E H lors de la conclusion du contrat à durée indéterminée, ni en ce qui concerne la classification au niveau IV, chef d’équipe, fonction que M. E occupait déjà, et pour l’avenir ;

Quant à une promotion professionnelle extérieure, liée à l’accomplissement d’une formation, M. B ne démontre pas, ni même n’allègue, en avoir débuté une quelconque, et il justifie au contraire d’un emploi de chauffeur de transport de colis, avec une rémunération mensuelle au smic

Par voie d’infirmation du jugement, M. B est débouté de sa demande au titre de sa perte de chance de promotion professionnelle ;

Sur les dépens et frais irrépétibles :

Ajoutant au jugement, la cour laisse à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles de première instance ; il n’y a pas lieu de faire application , en cause d’appel, des dispositions de l’article 700 code de procédure civile ; il n’y a pas lieu à statuer sur les dépens, la procédure devant les juridictions chargées du contentieux de la sécurité sociale étant gratuite ;

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de la Mayenne en ce qu’il a :

— dit recevable l’intervention volontaire de la sa J K,

— constaté que l’ accident du travail du M. B du 28 février 2008 est dû à une faute inexcusable de l’eurl E H ,

— fixé le préjudice de M. B au titre des souffrances endurées à la somme de 4500€,

— fixé le préjudice d’agrément de M. B à la somme de 3500€,

— déclaré le jugement commun à la caisse primaire d’assurance maladie de la Mayenne et à la sa J K,

L’INFIRME pour le surplus et, statuant à nouveau,

FIXE le montant de l’indemnité due à M. X B en réparation du préjudice esthétique à la somme de 1500€ ;

DÉBOUTE M. B de sa demande formée au titre de la perte de promotion professionnelle,

Y ajoutant

DIT que les sommes allouées en réparation des chefs de préjudice personnel soit au total la somme de 9 500 € seront versées directement à M. B par la caisse primaire d’assurance maladie de la Mayenne qui en récupérera le montant auprès de l’employeur l’eurl E H et de son assureur la sa J K,

DIT que la caisse primaire d’assurance maladie de la Mayenne pourra récupérer auprès de l’eurl E H et de la sa J K les sommes qu’elle sera tenue de verser à M. B au titre de la majoration de rente,

LAISSE à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles de première instance, et d’appel,

DIT n’y avoir lieu à statuer sur les dépens.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

Catherine PINEL Catherine LECAPLAIN-MOREL

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Cour d'appel d'Angers, 9 juillet 2013, n° 11/01866