Cour d'appel d'Angers, Troisième chambre, 12 septembre 2017, n° 14/00336

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Angers, troisième ch., 12 sept. 2017, n° 14/00336
Juridiction : Cour d'appel d'Angers
Numéro(s) : 14/00336
Décision précédente : Tribunal des affaires de sécurité sociale d'Angers, 8 décembre 2013, N° 7709
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

d’ANGERS

Chambre Sociale

ARRÊT N° 17/

clm/

Numéro d’inscription au répertoire général :

14/00336.

Jugement Au fond, origine Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale d’ANGERS, décision attaquée en date du 09 Décembre 2013, enregistrée sous le

n° 77 09

ARRÊT DU 12 Septembre 2017

APPELANT :

Monsieur G X

[…]

[…]

représenté par Maître François LAFFORGUE, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE :

MSA DE MAINE ET LOIRE

[…]

Beaucouzé

[…]

représentée par Madame Paméla MELLIER, munie d’un pouvoir

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 Juin 2017 à 14 H 00, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame V W AA, conseiller chargé d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Anne JOUANARD, président

Madame V W-AA, conseiller

Madame Isabelle CHARPENTIER, conseiller

Greffier : Madame U, greffier.

ARRÊT :

prononcé le 12 Septembre 2017, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame V W-AA, pour le président empêché, et par Madame U, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*******

FAITS ET PROCÉDURE :

M. G X (né le […]) a été salarié de la Chambre d’agriculture de Maine et Loire du 1er juin 1968 au 20 avril 2007, date de son licenciement prononcé pour inaptitude suite à l’avis d’inaptitude émis par le médecin du travail le 26 février 2007.

De 1968 à 1995, il a effectué des études et tests portant sur divers produits chimiques à destination agricole (organophosphorés, pesticides, fongicides, insecticides, herbicides, mulicides etc..) d’abord en qualité de technicien puis, à compter du 1er février 1982 avec la qualification d’ingénieur agricole.

Du 1er avril 1997 au 30 novembre 2001, il a été conseiller boisement / paysage puis, du 1er novembre 2001 au 20 avril 2007, 'délégué au réseau boisement – paysage – bâtiment'.

Le 24 janvier 2006, le docteur R-S T, médecin généraliste, a établi un certificat médical initial de maladie professionnelle faisant état de : 'troubles goût + odorat + troubles mnésiques d’apparition progressive avant 2001 qui semblent liés à la manipulation sans aucune protection pendant plus de 20 ans de produits phytosanitaires employés ou associés en expérimentation sur le terrain.

'.

Sur la base de ce certificat médical, le 14 mars 2006, M. G X a souscrit une demande de reconnaissance de maladie professionnelle portant sur des 'troubles mnésiques et cognitifs liés à l’usage des phytos + perte goût et odorat'.

Après mise en oeuvre du délai d’instruction complémentaire, par lettre recommandée du 5 septembre 2006 réceptionnée le 8 septembre suivant, la Caisse de mutualité sociale agricole de Maine et Loire (ci-après : la CMSA de Maine et Loire) a notifié à M. G X une décision de refus de prise en charge, au titre de la législation professionnelle, des affections déclarées pour le motif suivant : 'Refus médical pour affection non caractérisée.', c’est à dire pour affections non inscrite aux tableaux des maladies professionnelles.

Par lettre du 20 septembre 2006, M. G X a contesté cette décision et sollicité la mise en oeuvre d’une expertise médicale.

Le 13 juillet 2007, la CMSA de Maine et Loire l’a informé dans les termes suivants de la saisine du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles : 'Bien que l’ensemble des conclusions de l’expertise ne nous ait pas encore été communiqué, il ressort néanmoins, qu’au 5 février 2007, votre état est stabilisé et présente un taux d’incapacité permanente partielle au moins égal à 25 %. Compte tenu de ces éléments, votre demande de maladie professionnelle peut être examinée par le Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles des Pays de Loire, au titre du système complémentaire (alinéa 3 de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale). Cette instance a pour mission d’établir s’il existe un lien essentiel et direct entre votre activité et votre pathologie.

'.

Le 2 octobre 2007, le CRRMP des Pays de la Loire a émis un avis défavorable à la demande de reconnaissance du caractère professionnel des affections déclarées par M. G X au motif qu’en l’état des éléments soumis à son appréciation, l’hypothèse d’une encéphalopathie d’origine toxique n’était pas confirmée et que les produits phytosanitaires répertoriés ne figuraient pas au rang d’étiologie possible d’une telle affection en référence aux connaissances actuelles en pathologie professionnelle ; qu’il n’était donc pas en mesure d’établir un lien direct et essentiel entre l’activité professionnelle de l’assuré et sa pathologie.

Par courrier de son conseil du 3 décembre 2007, M. G X a saisi la commission de recours amiable de la CMSA de Maine et Loire d’un recours contre la décision de la caisse du 18 octobre 2007 emportant refus de reconnaissance du caractère professionnel des pathologies déclarées.

Par décision du 12 mars 2008 dont l’assuré a reçu notification le 10 avril 2008, la commission de recours amiable a décidé de donner un avis favorable à la demande de prise en charge de ces pathologies au titre de la législation professionnelle et ce, au motif que le recours au délai complémentaire d’instruction était intervenu au-delà du délai de trois mois suivant la réception par la caisse de la déclaration de maladie professionnelle de sorte que M. G X était bien fondé à se prévaloir du bénéfice d’une décision implicite de prise en charge.

Le 31 octobre 2008, le médecin traitant a établi un certificat médical final mentionnant des 'troubles mnésiques et une désorientation majeurs + stress', une anosmie, une agueusie, une dermatose des ailes du nez, des doigts (index D), une rhinite chronique, des céphalées occipitales, un préjudice moral majeur, un préjudice de douleur, un préjudice sexuel et de carrière.

Par courrier recommandé du 7 mai 2009 réceptionné le 9 mai suivant, la CMSA de Maine et Loire a fait connaître à M. G X que son médecin conseil estimait son état 'consolidé' au 31 octobre 2008 'sans séquelles indemnisables au regard du barème prévu à ce titre par le code de la sécurité sociale' et que son état ne justifiait pas la prise en charge de soins post consolidation.

Saisi d’une contestation de cette décision, par jugement du 14 juin 2010, le tribunal des affaires de sécurité sociale d’Angers a ordonné une expertise médicale aux fins de déterminer les séquelles dont souffre M. G X et le taux de son incapacité permanente partielle.

Aux termes de son rapport établi le 7 février 2011, le docteur I B, finalement nommé après deux ordonnances de remplacement d’expert, a conclu en ces termes : «… Des tests neuropsychologiques pratiqués au CHU d’Angers n’ont pas mis en évidence des troubles cognitifs suffisamment caractérisés pour porter le diagnostic d’encéphalopathie toxique. Par ailleurs, en l’état actuel des connaissances, l’existence de troubles neuro-comportementaux chroniques causés par une exposition professionnelle aux pesticides n’a pas été démontrée scientifiquement. En conséquence, les troubles mnésiques dont se plaint M. X ne peuvent pas être considérés comme des séquelles d’une intoxication par les produits phytopharmaceutiques. Il en va de même pour les autres symptômes décrits. Il n’est donc pas possible de fixer un taux d’incapacité permanente partielle afférent à la maladie professionnelle.

».

Considérant que les conclusions de l’expert étaient contredites par des éléments médicaux produits par M. G X et, surtout, qu’il n’avait pas répondu à sa mission, par jugement du 9 mai 2011, le tribunal des affaires de sécurité sociale d’Angers a dit n’y avoir lieu à homologuer ce rapport d’expertise et il a ordonné une nouvelle expertise en donnant mission au docteur J Y, expert commis, d’examiner l’assuré, de décrire son état de santé et de déterminer les séquelles dont il est atteint ainsi que le taux de son incapacité permanente partielle.

Aux termes de son rapport établi le 29 décembre 2011, le docteur J Y a conclu que :

— M. G X présentait une anosmie très marquée associée à une agueusie ainsi qu’un déficit cognitif constituant un handicap important, se traduisant notamment par des difficultés de mémoire et de concentration et par une évidente fatigabilité intellectuelle ;

— le taux d’IPP 'ne saurait être inférieur à 70 %'.

Par jugement du 14 mai 2012, le tribunal des affaires de sécurité sociale d’Angers a dit n’y avoir lieu à homologuer le rapport d’expertise du docteur J Y au motif qu’il n’exerçait plus la médecine et il a ordonné une nouvelle mesure d’expertise en donnant au docteur K Z la même mission que celle confiée au docteur Y.

Le docteur Z ayant fait connaître, par lettre du 3 juillet 2012, qu’il n’était pas en mesure de remplir sa mission, par ordonnance du 30 juillet 2012, le président du tribunal des affaires de sécurité sociale a désigné le docteur L M pour le remplacer.

Par courriers des 12 septembre puis 24 décembre 2012, ce dernier a fait connaître qu’il ne pouvait pas répondre à sa mission.

Dans ces conditions, par lettre du 28 février 2013, le conseil de M. G X a sollicité l’audiencement de l’affaire afin qu’elle soit examinée au fond et l’assuré a demandé au tribunal des affaires de sécurité sociale de fixer son taux d’IPP à 70 % tandis que la CMSA de Maine et Loire a conclu à la validation de la décision de consolidation acquise sans séquelle au 31 octobre 2008.

Par jugement du 9 décembre 2013 auquel il est renvoyé pour un ample exposé, le tribunal des affaires de sécurité sociale d’Angers a débouté M. G X de ses demandes.

Pour statuer comme il l’a fait, le tribunal a retenu que la circonstance que la CMSA de Maine et Loire ait tiré la conséquence de la reconnaissance implicite du caractère professionnel de la maladie de M. G X et ait indiqué que celui-ci présentait une incapacité permanente partielle excédant 25 % ne permettait pas de conclure à l’existence d’une 'obligation de prise en charge au titre d’une maladie professionnelle, alors que l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale dispose que, dans le cas d’une maladie non désignée dans un tableau de maladies professionnelles, ce qui est le cas de l’espèce, le CRRMP a seul compétence pour statuer sur le lien de causalité entre la maladie et le travail habituel de la victime, et que l’avis de ce comité s’impose à l’organisme de sécurité sociale’ ; qu’en l’occurrence, 'le CRRMP a donné un avis défavorable à la prise en charge de la pathologie de M. G X au titre du 4e alinéa de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale au motif que le lien de causalité direct et essentiel entre l’activité professionnelle de celui-ci et sa pathologie ou les symptômes qu’il présente n’est pas établi.'. ; que par ailleurs, 'la commission de recours amiable a d’une part décidé de donner un avis favorable à la prise en charge au titre de la législation sur les maladies professionnelles tirant en cela la conséquence de la décision implicite d’admission, et d’autre part a considéré que l’origine professionnelle de la pathologie de M. G X n’était pas avérée.'.

Relevant enfin qu’aucune des autorités médicales citées par les parties n’affirmait l’existence d’un lien entre une exposition aux produits phytosanitaires et les troubles présentés par M. G X, le tribunal a conclu que, dans ces conditions, le lien de causalité direct et essentiel entre l’activité professionnelle de ce dernier et les troubles qu’il présentait n’était pas établi.

M. G X qui a reçu notification de ce jugement le 25 janvier 2014 en a régulièrement relevé appel par lettre recommandée postée le 6 février 2014.

Lors de l’audience du 17 novembre 2015, il a demandé à la cour :

—  à titre principal, de fixer le taux de son incapacité permanente partielle à 70 % ;

—  à titre subsidiaire, d’ordonner une expertise médicale sur pièces confiée à un neurologue afin de déterminer son taux d’IPP 'au regard des précédentes expertises' ;

— de condamner la CMSA de Maine et Loire à lui payer la somme de 3 000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

La Caisse de mutualité sociale agricole de Maine et Loire a quant à elle alors demandé à la cour :

—  à titre principal, de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. G X de ses demandes ;

—  à titre subsidiaire, de lui donner acte de ce qu’elle n’était pas opposée à la nomination d’un nouvel expert ayant pour mission de déterminer quelles sont les séquelles imputables à l’exposition professionnelle phytosanitaire revendiquée par M. G X à la date de consolidation de son état fixée au 31 octobre 2008.

Lors de l’audience du 17 novembre 2015, sur interrogation de la cour, le représentant de la Caisse de mutualité sociale agricole de Maine et Loire a indiqué que les affections prises en charge en faveur de M. G X au titre de la législation professionnelle sur décision de la commission de recours amiable du 12 mars 2008 sont celles indiquées dans la demande de reconnaissance de maladie professionnelle souscrite le 14 mars 2006, à savoir : 'troubles mnésiques et cognitifs liés à l’usage des phytos + perte goût et odorat'.

Par arrêt du 26 janvier 2016, la présente cour a :

— ordonné une mesure d’expertise médicale sur pièces en donnant à l’expert mission de:

¤ se faire remettre, notamment par M. G X, par la CMSA de Maine et Loire et par le service médical de la caisse tous documents médicaux utiles à l’accomplissement de sa mission ;

¤ entendre tous sachants ;

¤ déterminer les séquelles dont était atteint M. G X au 31 octobre 2008, date fixée pour la consolidation de son état, en raison des troubles mnésiques et cognitifs et de la perte du goût (agueusie) et de l’odorat (anosmie) objets de la déclaration de maladie professionnelle du 14 mars 2006, du certificat médical initial du 24 janvier 2006 et de la décision du 12 mars 2008 emportant prise en charge de ces affections au titre de la législation professionnelle ;

¤ fixer le taux de l’incapacité permanente partielle dont M. G X était atteint à la date du 31 octobre 2008 ;

— réservé l’application des dispositions de article R. 144-10 alinéa 2 du code de la sécurité sociale.

L’expert désigné et deux autres après lui ont refusé cette mission que le docteur N C, expert neurologue inscrite sur la liste des experts de la cour d’appel de Paris, a acceptée.

Au terme de son rapport établi le 18 avril 2017, elle conclut :

'Consolidation retenue à la date du 31 octobre 2008, sans séquelle.

Les symptômes objet de la déclaration de maladie professionnelle du 4 mars 2006, du certificat médical initial du 24 janvier 2006 et de la décision du 12 mars 2008 emportant prise en charge de ces affections au titre de la législation professionnelle sont sans objet pour parler de maladie professionnelle depuis la consolidation.

A la date du 31 octobre 2008, le taux d’incapacité permanente partielle dont Monsieur G X était atteint est de 0 %.

'.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Vu les conclusions et observations orales des parties à l’audience des débats du 20 juin 2017 auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens présentés;

Vu les conclusions dites 'récapitulatives’ enregistrées au greffe le 19 juin 2017, régulièrement communiquées et reprises oralement à l’audience aux termes desquelles M. G X demande à la cour :

— de fixer le taux de son incapacité permanente partielle à 85 % ;

— de condamner la Caisse de mutualité sociale agricole de Maine-et-Loire à lui payer la somme de 3 000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

L’appelant fait valoir en substance que :

— le docteur N C s’est prononcée en dehors de sa mission en ce qu’elle s’est prononcée sur l’existence d’un lien de causalité entre les troubles qu’il présente et son activité professionnelle d’expérimentateur de produits phytosanitaires et non sur le taux d’IPP induit par ces séquelles ;

— or, cette question du lien de causalité n’est pas l’objet du débat puisque le caractère professionnel des affections objet de sa déclaration de maladie professionnelle du 14 mars 2006 a été définitivement reconnu par décision de la commission de recours amiable du 12 mars 2008 ;

— le litige qu’il a soumis à la juridiction de sécurité sociale consiste à contester la décision de la CMSA de Maine et Loire du 7 mai 2009 en ce qu’elle a exclu toute séquelle ;

— de plus, l’analyse du docteur N C est erronée en ce qu’il résulte d’un bilan de la littérature scientifique confiée à l’INSERM par la direction générale de la Santé ainsi que de très nombreuses études que les pesticides génèrent des troubles neurologiques, cognitifs et anxio-dépressifs ; son analyse et sa conclusion sont également contredites par le rapport amiable établi par le docteur K A, expert près la cour d’appel d’Angers, qui met en évidence les troubles et séquelles présentés par M. G X et propose un taux d’incapacité permanente partielle de 85 % ;

— l’absence de séquelle est contredite par les nombreuses pièces médicales et certificats médicaux établis au fil des années qui mettent en évidence, en les décrivant précisément, des troubles de la mémoire immédiate s’aggravant au fil du temps, des troubles neurologiques avec céphalées, une diminution du goût et de l’odorat, des troubles débutants de l’équilibre, des épisodes de myalgies diffuses et qui excluent un syndrome dépressif, des troubles du comportement, un syndrome psychiatrique ;

— le rapport du docteur N C ne doit donc pas être retenu ;

— outre le rapport d’expertise amiable établi récemment par le docteur A, lequel fixe le taux de son IPP à 85 % (60 % pour le syndrome mnésique, 10 % pour l’anosmie et 15 % pour l’agueusie), la cour dispose de nombreux documents médicaux faisant la preuve de l’existence de séquelles et lui permettant de déterminer le taux d’incapacité permanente partielle qui en résulte pour lui ;

— la CMSA de Maine et Loire ne peut pas sérieusement soutenir que son état serait consolidé sans séquelles alors qu’elle lui a écrit à deux reprises que les éléments médicaux recueillis permettaient de considérer qu’il présentait un taux d’IPP d’au moins 25 % et que c’est sur la base de ce pourcentage minimale qu’elle a saisi le CRRMP des Pays de la Loire ;

— différents médecins se sont prononcés au sujet de son taux d’IPP ; tous, hormis le docteur B, ont retenu un taux d’IPP bien supérieur à 25 % ;

— en application de l’article 246 du code de procédure civile, la cour n’est pas tenue par les conclusions de l’expert et peut fixer le taux d’IPP en fonction des éléments médicaux dont elle dispose.

Vu les conclusions enregistrées au greffe le 13 juin 2017, régulièrement communiquées et reprises oralement à l’audience aux termes desquelles la Caisse de mutualité sociale agricole de Maine et Loire demande à la cour :

— de débouter M. G X de l’ensemble de ses demandes ;

— d’homologuer le rapport d’expertise du docteur N C ;

— de juger qu’à la date du 31 octobre 2008, date de la consolidation de l’état de santé de M. G X, son taux d’incapacité permanente partielle était nul.

La caisse fait valoir en substance que :

— si, contrairement à l’avis défavorable du CRRMP des Pays de la Loire, la commission de recours amiable a reconnu l’origine professionnelle des affections objet de la déclaration de maladie professionnelle souscrite par M. G X le 14 mars 2006, c’est uniquement en raison d’une anomalie administrative tenant au fait que l’assuré a été informé un jour trop tard de la mise oeuvre du délai d’instruction complémentaire ;

— le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, seule instance habilitée à se prononcer sur le caractère professionnel d’une pathologie en application de l’alinéa 4 des articles L. 461-1 et R. 461-8 du code de la sécurité sociale, a établi sans ambiguïté qu’il n’existait pas de lien direct entre l’activité professionnelle de M. G X et sa pathologie ;

— ses médecins conseil ont estimé que ce dernier pouvait être considéré comme guéri car il ne présentait pas de séquelle imputable 'à la maladie professionnelle reconnue par la commission de recours amiable' ; 'c’est en application du barème indicatif d’invalidité que ses médecins conseils ont estimé que Monsieur X ne présentait aucune séquelle indemnisable' ;

— 'la reconnaissance du caractère professionnelle de la maladie est effective, aussi, il ne s’agit plus de savoir si un lien existe entre le travail de Monsieur X et sa pathologie mais d’évaluer les séquelles en rapport avec cette maladie professionnelle' ;

— elle ne peut que souscrire aux conclusions médicales du docteur I B selon lesquelles : «Des tests neuropsychologiques pratiqués au CHU d’Angers n’ont pas mis en évidence de troubles cognitifs suffisamment caractérisés pour porter le diagnostic d’encéphalopathie toxique. Par ailleurs, en l’état actuel des connaissances, l’existence de troubles neuro- comportementaux chroniques causés par une exposition professionnelle aux pesticides n’a pas été démontrée scientifiquement. En conséquence, les troubles mnésiques dont se plaint M. X ne peuvent pas être considérés comme des séquelles d’une intoxication par les produits phytopharmaceutiques. Il en va de même pour les autres symptômes décrits. Il n’est donc pas possible de fixer un taux d’incapacité permanente partielle afférent à la maladie professionnelle.

»;

— confirmant l’avis de ses médecins conseils, ces conclusions permettent d’établir qu’ 'il n’existe aucun doute sur l’inexistence de séquelles relatives à la maladie professionnelle'

de M. G X ;

— le docteur C vient confirmer que les troubles de la mémoire dont il se plaint, qui n’ont pas été constatés par les examens ORL nécessaires, ne peuvent pas être considérés comme des séquelles d’une intoxication chronique par des pesticides ; elle indique également que l’anosmie et l’agueusie n’ont jamais été décrits dans la littérature scientifique comme pouvant être la conséquence d’une intoxication par des substances phytopharmaceutiques.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

En application de l’article R. 751-115 du code rural, dans sa version antérieure au décret n° 2009-1767 du 30 décembre 2009 applicable à l’espèce, la Caisse de mutualité sociale agricole dispose d’un délai de trois mois à compter de la date à laquelle elle a eu connaissance de la déclaration de maladie professionnelle pour statuer sur le caractère professionnel de la maladie.

En application de l’article R. 751-116 alinéa 1er du même code dans cette même version, en l’absence de décision de la caisse dans ce délai et faute pour elle d’avoir informé la victime, avant l’expiration de ce premier délai de trois mois, du recours au délai d’instruction complémentaire de trois mois prévu par l’article R. 751-121, le caractère professionnel de la maladie est reconnu de plein droit de façon implicite.

C’est en vertu de ces règles que, par décision du 12 mars 2008, notifiée par lettre du 8 avril suivant portant mention des délai et voie de recours, réceptionnée par M. G X le 10 avril 2008, la commission de recours amiable de la CMSA de Maine et Loire a décidé de reconnaître le caractère professionnel des affections déclarées par ce dernier le 14 mars 2006.

Comme le soutient exactement l’appelant et comme l’indique l’intimée (qui, au demeurant, ne manque pas de se contredire au fil de ses explications ci-dessus résumées) quand elle 'rappelle que la reconnaissance du caractère professionnel est effective' et qu' 'il ne s’agit plus de savoir si un lien unique existe entre le travail de M. X et sa pathologie mais d’évaluer les séquelles en rapport avec cette maladie professionnelle', il résulte de la décision de la commission de recours amiable, aujourd’hui définitive, que les troubles mnésiques et cognitifs, ainsi que la perte du goût (agueusie) et de l’odorat (anosmie) objet du certificat médical initial du 24 janvier 2006 et de la demande de reconnaissance de maladie professionnelle du 14 mars 2006 sont définitivement réputés d’origine professionnelle, c’est à dire, s’agissant d’affections non désignées dans un tableau, essentiellement et directement causées par le travail habituel de la victime.

Le présent litige a pour objet, non pas la contestation de la décision de prise en charge, mais celle de la décision de la caisse du 7 mai 2009 déclarant l’état de la victime consolidé au 31 octobre 2008 sans séquelles indemnisables, étant précisé que seule est discutée cette absence de séquelles à l’exclusion de la date de consolidation.

Il est donc indifférent à la solution du présent litige, d’une part, que la décision de reconnaissance du caractère professionnel des affections litigieuses procède ou non d’une exacte application des articles R. 751-115 et R. 751-116 alinéas 1 et 2 du code rural dans leur version en vigueur antérieurement au décret du 30 décembre 2009, d’autre part, qu’elle soit fondée sur des considérations d’ordre purement procédural ou administratif, tenant au non-respect du délai imparti à la caisse pour se prononcer sur la demande de prise en charge.

C’est donc à tort que les premiers juges se sont employés à rechercher s’il existe réellement un lien de causalité entre les affections déclarées par M. G X et l’exposition aux produits phytosanitaires à laquelle il a été soumis dans le cadre de son activité professionnelle. Ce lien est consacré et réputé avéré par l’effet de la décision de la commission de recours amiable peu important qu’elle soit fondée sur des motifs purement administratifs.

La seule question posée à la juridiction de sécurité sociale est de déterminer la nature et l’ampleur des séquelles dont M. G X était atteint au 31 octobre 2008 en raison des troubles mnésiques et cognitifs et de la perte du goût et de l’odorat en cause et au sujet desquels la CMSA de Maine et Loire a écrit, le 13 juillet 2007, que les éléments médicaux en sa possession permettaient de considérer qu’ils engendraient une incapacité permanente partielle au moins égale à 25 %.

La décision du 7 mai 2009 qui, au demeurant, n’est pas fondée sur une 'guérison’ mais sur une consolidation de l’état de santé sans séquelles indemnisables n’apparaît pas compatible avec la position ainsi prise le 13 juillet 2007.

A la lecture du rapport du docteur N C, il apparaît que, alors que telle n’était pas la question posée, cet expert s’est également attaché à rechercher l’existence d’un lien entre les troubles mnésiques, du goût et de l’odorat présentés par M. G X au 31 octobre 2008, date fixée pour la consolidation de son état, et une intoxication chronique par des pesticides.

En effet, tout en ayant conclu à un taux d’IPP de 0 % au 31 octobre 2008, l’expert indique en page 12 de son rapport : 'Le 31 octobre 2008, date fixée pour la consolidation de son état en raison des troubles décrits, aucun d’entre eux n’était lié à une maladie professionnelle due aux produits phytopharmaceutiques avec lesquels Monsieur G X a été en contact mais qu’il n’avait plus côtoyés depuis de très nombreuses années.

'.

Il ressort de cette mention qu’au 31 octobre 2008, M. G X présentait bien des troubles.

Selon l’article 246 du code de procédure civile, 'Le juge n’est pas lié par les constatations ou les conclusions du technicien' et il lui appartient de rechercher dans les rapports d’expertise et éléments médicaux soumis à son appréciation tous les éléments de preuve de nature à établir sa conviction.

En l’état des éléments médicaux soumis à l’appréciation de la cour, il apparaît tout d’abord qu’à la date de consolidation de son état de santé, M. G X présentait bien des troubles neurologiques, caractérisés par des troubles de la mémoire immédiate et de la concentration, objectivés par une tomoscintigraphie cérébrale réalisée le 11 septembre 2006 (pièce n° 70 de l’appelant) laquelle a révélé, comme le souligne le docteur C après bien d’autres médecins invités à fournir leur avis, une hypofixation temporale bilatérale modérée, un peu plus marquée à droite, mais aussi par des examens neuropsychologiques détaillés réalisés le 25 mars 2004 et le 2 avril 2006.

Aux termes d’un rapport amiable établi le 22 mai 2007 à la demande du docteur O E, médecin conseil de la CMSA de Maine et Loire, le professeur F. Dubas, chef du département de neurologie du CHU d’Angers qui a examiné M. G X, a noté en page 7 : 'il existe de réels troubles cognitifs chez M. X concernant le domaine mnésique.'. Ce médecin indique qu’alors que les résultats obtenus au test de Grober et Buschke en 2004 étaient normaux, ils témoignaient d’une atteinte organique en 2006, atteinte que la scintigraphie a confirmée. Il poursuit en affirmant que, vu leur évolutivité, ces troubles ne peuvent pas s’inscrire dans le cadre d’une pathologie dégénérative de type Alzheimer dans le cadre de laquelle l’évolutivité aurait été nettement plus importante.

Ce médecin a conclu : 'Il paraît possible de reconnaître une imputabilité partielle à l’utilisation des produits phytosanitaires dans la plainte cognitive et l’arrêt de travail de Monsieur X. Cette reconnaissance se fonde sur des arguments objectifs, même s’il existe des discordances, des décalages temporels, un contenu psychique particulier, et bien qu’il n’y ait pas, à ce jour, de preuves scientifiques incontestables.

'.

Même si elle considère qu’ils ne sont pas 'suffisamment caractérisés pour porter le diagnostic d’encéphalopathie toxique', le docteur I B, aux termes de son rapport du 7 février 2011, relève également l’existence de ces troubles neurologiques.

Le professeur D. Le Gall et le docteur D, exerçant au service de neurologie du CHU d’Angers, ont, aux termes d’un compte rendu d’examen du 19 novembre 2012, confirmé qu’au regard de l’examen neuropsychologique réalisé en mars 2004, celui d’avril 2006 objectivait un 'fléchissement des capacités mnésiques.'.

Il ressort de l’avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles

des Pays de la Loire du 2 octobre 2007 qu’a bien été admise l’existence d’une maladie caractérisée, en l’occurrence, des troubles mnésiques à l’origine d’un taux d’IPP d’au moins 25 %.

Le docteur R-S T, médecin traitant, a noté l’existence de ces troubles mnésiques et de désorientation qualifiés de 'majeurs' aux termes du certificat médical final qu’il a établi le 31 octobre 2008.

Le docteur K A les relève également en indiquant que M. G X a manifesté des troubles de la mémoire tant en milieu professionnel que dans son quotidien personnel, avec une difficulté à s’organiser, la nécessité de prendre des notes tant pour se souvenir des tâches à accomplir au plan professionnel et au plan personnel.

Il résulte du rapport d’expertise du docteur N C que l’anosmie, trouble de l’odorat, et l’agueusie (perte du goût) ou l’hypogueusie (forme atténuée de la perte du goût) sont des affections qui sont mises en évidence par des examens ORL pointus et qui nécessitent des recherches ORL très précises.

Le professeur F. Dubas n’évoque pas ces affections aux termes de son rapport. Le docteur K A propose un taux d’IPP de 10 % au titre de l’anosmie et un taux d’IPP de 15 % du chef de l’agueusie sans consacrer le moindre développement à ces troubles, ni les décrire chez M. G X, ni indiquer par quels examens ils auraient été objectivés.

Le docteur I B et le docteur N C relèvent que ces troubles n’ont fait l’objet d’aucune exploration complémentaire spécialisée chez M. G X. L’avis du CRRMP des Pays de la Loire ne les vise pas.

Le 25 février 2008, le docteur P F, médecin généraliste, a certifié avoir constaté chez M. G X une diminution de l’odorat 'suite à ses plaintes'. Invité par le docteur E, médecin conseil, le 2 avril 2009, a lui adresser les explorations prescrites de ce chef, le docteur F a répondu, le 19 avril suivant, n’avoir aucun examen à sa disposition.

Aux termes d’un certificat médical établi le 3 octobre 2006, le professeur I Q a certifié avoir examiné M. G X à plusieurs reprises à l’hôpital européen Georges Pompidou et avoir constaté qu’il était atteint de 'désordres éventuellement neurologiques consistant en une perte de la mémoire immédiate plus nette pour la perception auditive que visuelle, une perte du goût et de l’odorat, des éléments pouvant entrer, dans le cadre d’un syndrome confusionnel de désorientation temporopatiale associé à quelques troubles débutants de l’équilibre, des épisodes de myalgies diffuses, erratiques et transitoires et de fatigue […]

'. Après avoir rappelé les produits phytosanitaires manipulés

par M. G X pendant 23 ans, le professeur Q a conclu que les symptômes présentés par ce dernier étaient 'très probablement' liés à l’un ou l’autre de ces produits et que même si les études toxicologiques en cours se révélaient négatives, elles ne pourraient pas remettre en question la très forte suspicion de maladie chronique causée par ces produits.

Cependant, le professeur Q n’indique pas quels examens lui auraient permis de constater une perte du goût et de l’odorat et il ne fournit aucune précision quant à l’ampleur de ces symptômes.

Au regard de ces éléments, il n’est donc pas justifié de l’existence d’atteintes de l’odorat et du goût et, a fortiori, de séquelles y afférentes.

En l’état des éléments médicaux soumis à l’appréciation de la cour et des troubles neurologiques mis en évidence par des examens médicaux concordants, troubles qui sont réputés d’origine professionnelle par l’effet de la décision de la commission de recours amiable de la CMSA de Maine et Loire du 12 mars 2008, c’est à tort que la caisse a, par décision du 7 mai 2009, déclaré l’état de santé de M. G X consolidé sans séquelles indemnisables.

Par voie d’infirmation du jugement déféré, en considération des éléments médicaux recueillis, des investigations réalisées au sujet des troubles invoqués, des troubles objectivés, des séquelles décrites et des taux d’IPP proposés, la cour est en mesure de fixer à 40 % le taux d’incapacité temporaire totale ayant résulté pour M. G X des pathologies déclarées le 14 mars 2006 et reconnues d’origine professionnelle par décision du 12 mars 2008.

PAR CES MOTIFS :

La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ;

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Fixe à 40 % le taux d’incapacité temporaire totale ayant résulté pour M. G X des pathologies déclarées le 14 mars 2006 et reconnues d’origine professionnelle par décision du 12 mars 2008 ;

Condamne la Caisse de mutualité sociale agricole de Maine et Loire à payer à M. G X la somme de 3 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER, P/LE PRÉSIDENT EMPECHE,

V. U V W-AA

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Cour d'appel d'Angers, Troisième chambre, 12 septembre 2017, n° 14/00336