Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 13 septembre 2023, n° 20/03122

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Bordeaux, ch. soc. sect. a, 13 sept. 2023, n° 20/03122
Juridiction : Cour d'appel de Bordeaux
Numéro(s) : 20/03122
Importance : Inédit
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Bordeaux, 22 juillet 2020, N° F18/01513
Dispositif : Autre
Date de dernière mise à jour : 23 septembre 2023
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Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE – SECTION A

— -------------------------

ARRÊT DU : 13 SEPTEMBRE 2023

PRUD’HOMMES

N° RG 20/03122 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-LVFE

S.A.R.L. MAISON DUBERNET en liquidation judiciaire

SELAS MJA, agissant en la personne de Maître [I] [D] ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL Maison Dubernet

c/

Monsieur [C] [F]

UNEDIC Délégation AGS-C.G.E.A. DE [Localité 4]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 23 juillet 2020 (R.G. n°F 18/01513) par le Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de BORDEAUX, Section Industrie, suivant déclaration d’appel du 21 août 2020,

APPELANTE :

SARL Maison Dubernet, placée en liquidation judiciaire

N° SIRET : 434 407 623

SELAS MJA, agissant en la personne de Maître [I] [D] ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL Maison Dubernet domiciliée en cette qualité au siège social [Adresse 1]

représentée par Me Justine MULTEAU, avocat au barreau de BORDEAUX

substituant Me Ingrid DESRUMAUX, avocat au barreau de BORDEAUX,

INTIMÉ :

Monsieur [C] [F]

né le 31 Décembre 1962 à ALGÉRIE de nationalité Algérienne demeurant [Adresse 5]

représenté par Me Magali BISIAU, avocat au barreau de BORDEAUX

INTERVENANTE :

UNEDIC Délégation AGS-C.G.E.A. DE [Localité 4], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 2]

non constituée

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 23 mai 2023 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente chargée d’instruire l’affaire,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

— réputé contradictoire

— prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [C] [F], né en 1962, a été engagé en qualité de chauffeur livreur par la SARL Maison Dubernet, par contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel pour une durée hebdomadaire de 25 heures, à compter du 15 octobre 2013. Il bénéficiait d’une reconnaissance de travailleur handicapé.

M. [F] a été victime d’accidents du travail les 1er décembre 2015 et 30 décembre 2016 et placé en arrêt de travail.

Par lettre datée du 19 septembre 2017, le salarié, toujours en arrêt de travail, a été convoqué à un entretien préalable fixé au 29 septembre 2017.

M. [F] a été licencié pour motif économique par lettre datée du 9 octobre 2017.

A la date du licenciement, le salarié avait une ancienneté de 4 ans et 11 mois, et la société occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Le montant de la rémunération mensuelle brute moyenne de M. [F] est discutée.

A l’issue de la visite de reprise en date du 16 octobre 2017, le médecin du travail a conclu "inapte reprise à son poste de travail antérieur ; apte à un poste de travail administratif. Apte chauffeur, apte livreur sans porte de charges (>15 kgs), sans mobilisation, sans manutention de charges (>15 kgs) (cf art R. 4624-42)".

Par jugement en date du 24 juillet 2018, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de sauvegarde à l’encontre de la société Maison Dubernet.

Le tribunal de commerce de Paris a adopté un plan de sauvegarde par jugement en date du 3 mars 2020.

Demandant la requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein et les rappels de salaires afférents, et contestant à titre principal la validité et à titre subsidiaire la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, outre un rappel de maintien de salaire pendant l’arrêt lié à l’accident du travail, ainsi que des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et manquement à l’obligation de préservation de la santé et de la sécurité, M. [F] a saisi, le 5 octobre 2018, le conseil de prud’hommes de Bordeaux.

Par jugement en date du 28 octobre 2020, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la résolution du plan de sauvegarde et ouvert une procédure de liquidation judiciaire.

Par jugement rendu le 23 juillet 2020, le conseil de prud’hommes de Bordeaux a :

— requalifié le contrat de travail à temps partiel conclu entre M. [F] et la société Maison Dubernet le 15 octobre 2013 en contrat de travail à temps complet pour la période de décembre 2014 à janvier 2016,

— condamné la société Maison Dubernet à régler à M. [F] sur la période de requalification de leur relation de travail d’un temps partiel à un temps complet les sommes suivantes, avec intérêts aux taux légal à compter du 17 octobre 2018 :

* 6.110,07 euros bruts de rappels de salaire,

* 611 euros bruts d’indemnité de congés payes y afférents,

— rejeté la demande de M. [F] de rappel de salaires et de congés payés y afférents pendant la période de suspension de son contrat de travail pour arrêt maladie,

— rejeté sa demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et manquement de l’employeur à l’obligation de préservation de la santé et de la sécurité,

— dit nul son licenciement par la société Maison Dubernet notifié par lettre recommandée avec demande d’avis de réception datée du 9 octobre 2017,

— condamné la société Maison Dubernet à régler à M. [F] les sommes suivantes, avec intérêts aux taux légal à compter du 17 octobre 2018 :

* 8.000 euros d’indemnité pour licenciement nul,

* 2.402,48 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

* 240,25 euros de congés payés y afférents,

* 251 euros de complément d’indemnité de licenciement au titre de

l’ancienneté recalculée,

— rejeté la demande formée par M. [F] du chef d’indemnité spéciale de licenciement et d’une majoration de l’indemnité de licenciement recalculée sur la base d’un temps plein,

— rappelé qu’en application de l’article R.1454-28 du code du travail sont de droit exécutoires à titre provisoire :

1° Le jugement qui n’est susceptible d’appel que par suite d’une demande

reconventionnelle,

2° Le jugement qui ordonne la remise d’un certificat de travail, de bulletins de paie ou de toute pièce que l’employeur est tenu de délivrer,

3° Le jugement qui ordonne le paiement de sommes au titre des rémunérations et indemnités mentionnées au 2° de l’article R. 1454-14, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire,

— fixé à hauteur de 1.166,85 euros bruts la moyenne des trois derniers mois de salaire de M. [F],

— condamné la société Maison Dubernet à régler à M. [F] la somme de 500 euros au titre des frais irrépétibles d’instance,

— condamné la société Maison Dubernet aux dépens,

— dit n’y avoir lieu à exécution provisoire pour les dispositions du présent jugement qui n’en bénéficieraient pas de plein droit,

— rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraire au dispositif du présent jugement.

Par déclaration du 21 août 2020, la société Maison Dubernet a relevé appel de cette décision, notifiée le 27 juillet 2020.

Assigné en intervention forcée le 15 février 2021, le CGEA d’Île-de-France Ouest a indiqué qu’il ne serait ni présent ni représenté, n’étant pas en mesure d’apprécier la validité des demandes présentées devant la cour et ne disposant d’aucun élément lui permettant de participer utilement à l’audience, par courrier du 1er mars 2021.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 17 octobre 2022, la société Maison Dubernet, agissant par l’intermédiaire de Me [I] [D], ès qualité de liquidateur judiciaire, demande à la cour de :

— infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Bordeaux en date du 23 juillet 2020,

Et statuant à nouveau,

— recevoir la société Maison Dubernet et l’étude MJA agissant ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Maison Dubernet en ses fins, demandes, et conclusions,

— déclarer la société Maison Dubernet bien fondé en son appel,

— prononcer que le licenciement de M. [F] repose sur une cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

— débouter M. [F] de l’ensemble de ses demandes,

— le condamner à verser à la société Maison Dubernet et l’étude MJA agissant ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Maison Dubernet la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— le condamner aux dépens de l’instance.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 13 avril 2023, M. [F] demande à la cour de':

— infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Bordeaux en ce qu’il a :

* débouté M. [F] :

. de ses demandes de dommages et intérêts au titre du manquement à l’obligation de sécurité,

. de sa demande de doublement de l’indemnité de licenciement,

. de ses rappels de salaires à temps complet pour la période postérieure au mois de février 2016,

* limité le quantum des rappels de salaires, indemnités et dommages et intérêts accordés au titre du licenciement nul,

Statuant de nouveau,

— fixer la créance de M. [F] au passif de la liquidation judiciaire de la société Maison Dubernet, à titre de dommages intérêts pour licenciement nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse, à la somme de 20.000 euros,

— requalifier le contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet,

En conséquence,

— fixer la créance de M. [F] au passif de la liquidation judiciaire de la société Maison Dubernet aux sommes suivantes :

* 10.910,85 euros, outre celle de 1.091,09 euros au titre des congés payés afférents à titre de rappel de salaire afférent à la période non prescrite et résultant de la requalification du temps partiel en temps complet,

* 2.356,74 euros, outre celle de 235,67 euros au titre des congés payés

afférents ; à titre de rappel de maintien de salaire pendant l’arrêt accident du travail,

* 15.000 euros de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices subis du fait de l’exécution déloyale du contrat de travail et du manquement à l’obligation de préservation de la santé et de la sécurité (L. 1222-1 et L. 4121-1 et suivants du code du travail),

* 2.467 euros au titre du solde de l’indemnité de licenciement,

* 3.329,34 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 332,93 euros au titre des congés payés afférents,

* 1.500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile,

outre les dépens d’instance et frais éventuels d’exécution,

— assortir les condamnations correspondant aux créances salariales des intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le conseil des prud’hommes,

— assortir les condamnations indemnitaires des intérêts au taux légal :

* à compter du jugement du conseil de prud’hommes pour la fraction des

sommes alloues par ce dernier et maintenue par la cour,

* à compter de l’arrêt à intervenir pour les sommes alloués par la cour,

— ordonner la capitalisation des intérêts sur le fondement de 1343-2 du code civil.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 27 avril 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 23 mai 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ainsi qu’à la décision déférée.

MOTIFS

la requalification du contrat de travail à temps partiel à temps plein

La société estime que le contrat de travail mentionne la durée exacte de travail convenue et que M. [F] n’était pas constamment à sa disposition : il travaillait de 5 heures à 10 heures du mardi au samedi et a rempli des fiches individuelles jusqu’en janvier 2016 ; s’il a pu travailler ponctuellement jusqu’en fin de matinée en 2014, la durée de son travail a été réduite à la suite de la baisse d’activité. Il n’aurait en tout cas, jamais travaillé l’après-midi et n’était pas dans l’impossibilité de prévoir son rythme de travail.

M. [F] renvoie aux termes de son contrat de travail et précise qu’il pouvait effectuer en plus d’autres tâches que celles de chauffeur livreur. Il demande paiement d’un rappel de salaire sur la période de trois ans précédant la rupture du contrat de travail.

Aux termes de l’article L.3123-14 du code du travail dans sa rédaction ici applicable, le contrat de travail à temps partiel est un contrat écrit mentionnant notamment la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois.

À défaut de précision, l’emploi est présumé être à temps plein et il revient à l’employeur qui conteste cette présomption de rapporter la preuve d’une part, de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue et d’autre part, que le salarié n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu’il n’avait pas à se tenir constamment à la disposition de l’ employeur.

Selon le contrat de travail à temps partiel signé par les parties :

«  le salarié est employé pour effectuer 25 heures par semaine du mardi au samedi soit 108,33 heures par mois.

En raison des contraintes de notre activité, vous pourrez être amené à travailler à notre demande:

*quelque soit le jour de la semaine, y compris le dimanche et le lundi, ainsi que pendant les jours fériés,

*sur toute la période horaire comprise entre 0 et 24 heures".

La répartition de la durée de travail entre les jours de la semaine ou les semaines par mois n’est pas indiquée de sorte que le contrat de travail de M. [F] est réputé être à temps plein, peu important que M. [F] n’indique aucun moment qu’il travaillait à temps plein.

Il reste à la société d’établir que M. [F] n’était pas dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il travaillait et qu’il n’avait pas à se tenir constamment à sa disposition.

Le mention au contrat de travail que le salarié pouvait être amené à travailler à un ou d’autres jours, y compris le dimanche et le lundi ainsi que les jours fériés voire sur toute la période horaire comprise entre 0 et 24 heures ne permettait pas à M. [F] de connaître les jours de travail de la semaine ou l’amplitude horaire de la durée de son travail.

Aux termes du contrat de travail, les fonctions de M. [F] étaient aussi : la préparation des commandes, le nettoyage et l’entretien et l’accueil des clients en boutique. La société n’apporte pas de précision à ce titre.

La cour constate aussi que le document établi dans le cadre de l’étude de poste de M. [F], qui mentionne des horaires de 4h30 voire 5 heures à 10h30/ 11 heures du lundi au vendredi contredit l’affirmation de l’ employeur selon lequel M. [F] travaillait de 5 h à 10 h du mardi au vendredi.

Ensuite, l’employeur dit que M. [F] pouvait travailler jusqu’à la fin de la matinée sans établir qu’il en avait eu connaissance « bien en amont ».

Les fiches individuelles renseignées et signées par le salarié a posteriori indiquent des durées de travail inégales et n’établissent pas qu’il connaissait à l’avance les horaires effectués.

Le planning coté 22 de la société n’a ni date ni auteur certains et n’est pas signé ou corroboré par les autres pièces.

L’attestation de M. [H] qui a effectué des livraisons pendant l’arrêt de travail de M. [F] est inopérante dans la mesure où, précisément, il ne peut attester d’horaires d’un travail qu’il n’effectuait pas avant cet arrêt de travail.

Par mail daté du 25 novembre 2015, M. [F] s’est étonné auprès de son employeur d’avoir « le jeudi 3 palettes de 650 kgs. Il faut compter aussi avec un véhicule dont la contenance ne dépasse pas la vingtaine de colis, j’ai deux clients qui exigent d’être livrés à 6 heures … et géographiquement l’un à l’opposé de l’autre. Comment je fais je met des ailes a la voiture ». La société ne nie pas la situation et ne répond pas.

La société échouant à établir que M. [F] n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu’il ne devait pas être à disposition constante de son employeur, le contrat de travail à temps partiel doit être requalifié en contrat de travail à temps plein.

Le rappel de salaire correspondant portera sur toute la période non prescrite et calculé au regard des salaires perçus et d’un salaire mensuel à temps plein et du taux horaire. La créance fe M. [F] sera inscrite à hauteur de 10 910,85 euros et congés payés afférents (1 091,08 euros).

le maintien du salaire pendant l’arrêt de travail

Le contrat de travail mentionne la convention collective des charcuteries de détail et les bulletins de paye, la convention collective « charcuterie industrie ».

La société n’apporte pas d’indication quant à la convention collective applicable.

M. [F] demande qu’a minima, le maintien de salaire soit calculé sur la base de 90 % du salaire pendant 180 jours en vertu de la convention collective de la charcuterie industrielle.

Eu égard au code NAF et à l’activité principale de la société ( préparation industrielle de produits à base de viande), la convention collective applicable est celle de l’industrie de la salaison, charcuterie en gros et conserves de viandes du 29 mars 1972 dont l’avenant du 5 décembre 2012 prévoit une indemnisation de 90% pendant 45 jours et de 75% pendant 105 jours.

Eu égard à la revalorisation salariale sus examinée et aux règles conventionnelles, la créance de M. [F] sera fixée à hauteur de 2 150,50 euros et congés payés afférents (215,05 euros).

l’exécution déloyale du contrat de travail et l’ obligation de sécurité

La société fait valoir que seul le pôle social est compétent pour décider d’une indemnisation du préjudice résultant d’un accident du travail, que la société de transport atteste que M. [F] ne portait pas de colis d’un poids supérieur à 15kgs ; que l’avis d’inaptitude du médecin du travail est postérieur à la rupture du contrat de travail.

M. [F] répond que la juridiction prud’homale est compétente dès lors que sa demande ne porte pas sur l’indemnisation de l’accident du travail, que l’employeur a manqué à ses obligations d’une part, en maintenant de manière injustifiée une situation de précarité et un préjudice financier générés par une rémunération d’un travail à temps partiel et d’autre part, en méconnaissant les règles relatives aux règles de prévention portant sur l’ obligation de sécurité.

M. [F] a engagé une procédure devant le pôle social du tribunal judiciaire pour voir établir la faute inexcusable de l’employeur à l’origine de l’accident du travail.

Les arrêts de travail de M. [F] étaient en relation directe avec les accidents du travail et avaient été admis au titre de la législation professionnelle et, sous couvert d’une action en responsabilité contre l’employeur pour manquement à son obligation de sécurité, M. [F] demande en réalité la réparation d’un préjudice né des accidents du travail dont il a été victime. La juridiction prud’homale est incompétente pour statuer sur le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

Il reste que la demande de M. [F] en exécution déloyale de son contrat de travail est aussi fondée sur le préjudice résultant du paiement d’une rémunération pour un temps partiel. La cour a requalifié le contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein, motif pris que l’ employeur n’établissait pas que M. [F] n’était pas à sa disposition de ce dernier. La rémunération d’un travail à temps partiel a causé un préjudice financier au salarié qui sera réparé à hauteur de 1 000 euros.

le licenciement économique

La lettre de licenciement datée du 9 octobre 2017 est ainsi rédigée :

« Cher Monsieur,

Nous sommes au regret de vous notifier, par le présent courrier, votre licenciement pour motif économique.

Comme nous vous l’avons indiqué lors de nos précédents courriers (et malgré votre absence à l’entretien préalable du 29 septembre 2017 auquel nous vous avions convoqué), le motif de notre décision est le suivant: suppression de votre poste du fait de la restructuration de la société et impossibilité de trouver une solution de reclassement.

La SARL Maison Dubernet est déficitaire depuis maintenant plusieurs années comme l’atteste le tableau ci-dessous et rencontre donc de graves difficultés à honorer ses dettes auprès des services de l’Etat et autres créanciers depuis plus de 2 ans – et ceci dans un contexte de marché très difficile du à la crise aviaire sévissant sur notre secteur depuis 2 ans: (un tableau est reproduit afin de démontrer la perte de chiffres d’affaires évoquée)

En effet, depuis 2011 la société a perdu 21% de chiffres d’affaires et n’a pas suffisamment baissé ses frais pour pérenniser son activité. Par ailleurs, la propagation de l’influenza aviaire remet en cause le plan de croissance initialement prévu. De plus, depuis trois ans le nombre de clients professionnels basés à [Localité 3] n’a cessé de chuter pour se réduire à moins de 10 clients ce qui ne justifie plus l’emploie d’un chauffeur à plein temps sur la zone. Dès lors il existe un péril manifeste pour l’exploitation de l’entreprise et une restructuration de la société s’impose.

Dans ce contexte, afin de pérenniser l’activité de l’entreprise en difficulté, nous sommes contraints de réduire l’ensemble de ses coûts, ce qui a pour conséquence une obligation de baisser les effectifs et donc de supprimer votre poste de chauffeur livreur.

Votre licenciement pour motif économique étant envisagé, vous auriez dû recevoir lors de votre entretien préalable du 29/09/2017 le document d’information relatif au contrat de sécurisation professionnelle (CSP). Comme vous ne vous vous êtes pas présenté à cet entretien nous prions de trouver une copie de ce document en pièce jointe. Ce document précise que vous disposez d’un délai de 21 jours pour accepter ou refuser le contrat de sécurisation professionnelle (CSP). Compte tenu de ce délai, votre réponse devra nous parvenir au plus tard le 20 octobre 2017.

Si vous adhérez au contrat de sécurisation professionnelle, votre contrat de travail prendra fin au plus tard de la date de la présente lettre ou de la date de votre acceptation d’adhésion au CSP.

Si, A l’issue du délai de réflexion qui vous est accordé, vous n’avez pas adhéré au contrat. de sécurisation professionnelle, votre contrat de travail se terminera a l’issue d’un préavis de deux mois a compter de la date de présentation de la présente lettre.

Par ailleurs, nous vous informons que si vous en manifestez le désir, vous aurez droit a une priorité de réembauche pendant un an à compter de la rupture de votre contrat".

Aux termes de l’article L.1226-9 du code du travail, au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l’employeur ne peut rompre ce dernier que s’il justifie soit d’une faute grave de l’intéressé, soit, de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’ accident ou à la maladie.

L’article L.1226-13 sanctionne de nullité la rupture du contrat de travail prononcée en méconnaissance de l’ article L.1226-9 du code du travail.

Au visa de l’article L.1233-3 du code du travail dans sa version applicable, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié

résultant d’une suppression ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail consécutives, notamment :

1°) à des difficultés économiques caractérisées par l’évolution significative d’au mois un indicateur économique tel qu’ une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison de la même période de l’année précédente, au moins égale à :

(…)

b) deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins onze salariés et du moins de cinquante salariés,

(…)

2°) à des mutations technologiques,

3°) à une réorganisation de l’ entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité,

4°) à la cessation d’activité de l’ entreprise.

La matérialité de la suppression, de la transformation d’emploi ou de la modification d’un élément essentiel du contrat de travail s’apprécie au niveau de l’entreprise.

Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise s’apprécient au niveau de cette entreprise si elle n’appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d’activité commun au sien et à celui des entreprises du groupe auquel elle appartient établies sur le territoire national.

La société fait état de ce que les deux crises de grippe aviaire rencontrées de 2015 à 2017 ont paralysé le secteur du fois gras et de la viande crue de canard, qu’elle n’a pu abattre des canards ni produire de foie gras, représentant 60% d son chiffre d’affaires; que la réduction importante de produits à préparer à généré la baisse des produits à vendre en boutique et donc le nombre de livraisons, que les pertes d’exploitation ont doublé, cette situation atteignant aussi l’activité des autres sociétés du groupe soit des SARL Dubernet [Localité 3] et Dubernet Foie gras, que cette situation ne permettait pas de maintenir un contrat de travail à temps partiel, aucun poste de chauffeur livreur n’ayant été créé après le départ de M. [F], le commis de cuisine effectuant les livraisons; qu’une procédure de sauvegarde a été prononcée en juillet 2018 avant qu’une liquidation judiciaire soit ordonnée en octobre 2020.

La société dit enfin que la lettre de licenciement répond aux exigences de l’article L.1226-9 du code du travail en ce qu’elle énonce le ou les motifs rendant impossible le maintien du contrat de travail.

M. [F] répond que la lettre de licenciement ne mentionne pas l’impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif non lié à la maladie ou à son accident du travail de sorte que le licenciement est nul. Il ajoute que la situation économique des autres sociétés du groupe n’est pas justifiée, que les pièces versées n’ont pas date certaine et qu’aucun organigramme ni registre du personnel des sociétés du groupe n’est versé. Subsidiairement, le licenciement serait privé de cause réelle et sérieuse, des livreurs ayant été engagés sans que lui même n’ait été interrogé sur ses formations et compétences.

La société appartenant à un groupe, les difficultés économiques s’apprécient au niveau du secteur d’activité commun au sien et à celui des entreprises du groupe établies sur le territoire national.

La survenance d’épisodes de grippe aviaire touchant la région du Sud – Ouest au cours des années 2015 et 2016 n’est pas contestée. Leurs conséquences sur la fabrication des foie gras et viandes crues de canard ne le sont pas non plus.

Le motif économique doit être apprécié à la date du licenciement.

La lettre de licenciement doit être motivée et comporter le motif originel et sa conséquence sur l’emploi du salarié licencié. Les difficultés économiques doivent être visées expressément, la lettre devant indiquer précisément en quoi elles consistent.

La cour constate à cet égard que M. [F] a été licencié le 9 octobre 2017, mais que les résultats mentionnés dans la lettre de licenciement ne sont pas ceux connus à cette date mais intéressent les années 2011 à 2016. Aucune prévision des résultats à la date du licenciement n’est indiquée.

Ensuite, la lettre de licenciement énonce que la baisse des clients professionnels basés à [Localité 3] réduits à moins de 10 ne justifie plus l’emploi d’un chauffeur livreur à plein temps alors que M. [F] avait été engagé pour une durée de travail hebdomadaire de 25 heures qui représentait pour l’employeur la durée effective de son activité. Le nombre des clients professionnels de [Localité 3] mentionné dans la lettre de licenciement ( 10 ) n’est pas repris par la société aux termes de ses écritures et du tableau coté 11 indiquant 16 clients en 2017 et 11 en 2018.

Par ailleurs, les procédures de sauvegarde puis le prononcé de la liquidation judiciaire sont intervenus dix mois puis trois ans après le licenciement en sorte qu’ils n’établissent pas les difficultés économiques contemporaines du licenciement. De la même manière, les demandes de paiement échelonné de dettes à la direction des finances publiques datées de l’ année 2016 n’établissent pas la réalité de difficultés économiques contemporaines du licenciement.

Enfin, l’impossibilité de maintenir le contrat de travail n’est caractérisée, en cas de suppression pour motif économique de l’emploi, que si le reclassement du salarié n’est pas possible. Les réponses négatives des sociétés Dubernet [Localité 3] et Dubernet Foie gras ne sont pas confortées par la production de leur registre du personnel.

Pour ces raisons, la cour estime que la réalité du motif économique n’est pas avérée et le licenciement de M. [F] est nul.

les conséquences indemnitaires

Le préjudice subi par M. [F] doit être indemnisé à hauteur minimale des salaires des six derniers mois majorés des rappels de salaire relevant de la requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein.

M. [F] fait valoir qu’il a créé sa propre activité ne lui procurant que des revenus limités. Il verse une attestation de paiement du Pôle Emploi pour la période du 2 mars au 31 octobre 2018, une attestation de suivi du stage de préparation à l’installation en ligne d’une durée de trente heures en avril 2018, les déclarations mensuelles de son chiffre d’affaires de sa micro entreprise, des quittances de loyer et un commandement de payer une dette locative, un avis de solde débiteur du son compte ouvert à la Banque Postale et un contrat de travail à durée indéterminée de chauffeur livreur signé le mois de janvier 2020.

Compte tenu de son ancienneté, de sa rémunération, de la difficulté à retrouver un emploi, M. [F] sera indemnisé à hauteur de la somme de 12 000 euros.

M. [F] demande paiement d’un solde d’indemnité de licenciement en raison du salaire d’un travail à temps plein et de la fraude de la société ayant contourné les dispositions de l’ article L.1226-14 du code du travail lui ouvrant droit à une indemnité de licenciement doublée. À ce titre, M. [F] indique d’une part, que l’employeur était informé de l’étude du poste décidée par le médecin du travail une semaine avant l’envoi de la lettre de licenciement et de l’envoi de la lettre de licenciement pour motif économique sans respect du délai prévu par l’article L.1233-15 du dit code.

Le salaire de M. [F] a été majoré par l’effet de la requalification du contrat de travail en contrat de travail à temps plein. La date de l’envoi de la lettre de licenciement n’est pas connue. En tout état de cause, le non respect du délai de sept jours ouvrables et l’information de l’employeur d’une étude de poste avant la notification de la lettre de licenciement ne caractérisent pas la fraude alléguée par M. [F]. M. [F] ne bénéficie pas des dispositions de l’article L.1226-14 du code du travail.

Déduction faite de la somme versée à hauteur de 1000,99 euros, la créance de M. [F] au titre de l’indemnité de licenciement est de 733,01 euros.

Le licenciement de M. [F] étant nul, l’indemnité compensatrice de préavis, non réglée au regard du solde de tout compte et de l’attestation Pôle Emploi, lui est due pour un montant de 3 329,34 euros majorée des congés payés afférents (332,93 euros).

Les intérêts ayant couru à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le conseil des prud’hommes, s’agissant des créances de nature salariale, ou du jugement pour la fraction des sommes allouées par le conseil été arrêtés à l’ouverture de la procédure collective.

Vu l’équité, la créance de M. [F] au titre des frais irrépétibles sera fixée au passif pour un montant de 1 500 euros.

Les dépens seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire.

L’arrêt sera opposable au au CGEA [Localité 4] dans la limite de sa garantie.

PAR CES MOTIFS

la cour,

Confirme le jugement en ce qu’il a dit nul le licenciement de M. [F],

L’infirme pour le surplus,

statuant à nouveau,

Requalifie le contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein,

Fixe la créance de M. [F] au passif de la liquidation judiciaire de la société Maison Dubernet aux sommes suivantes:

-10 910,85 euros et 1091, 08 euros au titre du rappel de salaire,

-2 150,50 euros et 215,05 euros au titre du maintien de salaire ;

-1 000 euros au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail,

-12 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul;

-733,01 euros au titre de solde d’ indemnité de licenciement,

-3 329,34 euros et 332,93 euros au titre de l’ indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents,

-1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Dit que les intérêts ayant couru à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le conseil des prud’hommes, s’agissant des créances de nature salariale, ou du jugement pour la fraction des sommes allouées par le conseil des prud’hommes et confirmées par la cour, voire à compter de l’arrêt , sont arrêtés à l’ouverture de la procédure collective.

Dit l’arrêt opposable au CGEA [Localité 4] dans la limite de sa garantie,

Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire

Signé par Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Catherine Rouaud-Folliard

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Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 13 septembre 2023, n° 20/03122