Cour d'appel de Chambéry, 1ère chambre, 26 juin 2018, n° 16/02379

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Chronologie de l’affaire

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Marie-claire Pottecher · Bulletin Joly Travail · 1er octobre 2018
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Sur la décision

Référence :
CA Chambéry, 1re ch., 26 juin 2018, n° 16/02379
Juridiction : Cour d'appel de Chambéry
Numéro(s) : 16/02379
Décision précédente : Tribunal de commerce de Chambéry, 18 octobre 2016, N° 2016F00003
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

AF/AM

COUR D’APPEL de CHAMBÉRY

chambre civile – première section

Arrêt du Mardi 26 Juin 2018

N° RG 16/02379

Décision attaquée : Jugement du Tribunal de Commerce de CHAMBERY en date du 19 Octobre 2016, RG 2016F00003

Appelantes

SAS Y SERVICE, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, 18 zac de la Carrière Dorée – […]

SAS KINKELDER FRANCE, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, ZA de la Carrière Dorée – […]

représentées par Me Clarisse DORMEVAL, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SCP ID AVOCATS LILLE, avocats plaidants au barreau de LILLE

Intimée

SAS RBD, dont le siège social est situé, […]

représentée par la SCP BOISSON ET ASSOCIES, avocats au barreau de CHAMBERY

— =-=-=-=-=-=-=-=-

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l’audience publique des débats, tenue le 26 mars 2018 avec l’assistance de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,

Et lors du délibéré, par :

—  Monsieur Philippe GREINER, Président,

—  Madame Alyette FOUCHARD, Conseiller, qui a procédé au rapport,

—  Madame Inès REAL DEL SARTE, Conseiller,

— =-=-=-=-=-=-=-=-

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Y Service (ci-après Y) et la société Kinkelder France (ci-après la société Kinkelder) appartiennent au groupe Kinkelder, dont la maison mère a son siège aux Pays-Bas, et ont pour activité principale la fabrication et la distribution de lames de scies et autres produits tranchants

destinés à la découpe de divers matériaux pour l’industrie.

La société RBD, dont le siège est à Sainte Hélène du Lac (Savoie), fabrique et distribue des outils coupants pour les industries du bois, de la pierre, du métal et du plastique. Outre ses propres produits, elle distribue de manière exclusive certains produits des marques Kanefusa, MVM, Businaro et Franzen.

M. B X, demeurant en Haute-Savoie, a été embauché par Y en qualité de chargé de clientèle en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er septembre 2009. Il avait notamment en charge la gestion des relations commerciales dans 17 départements du sud-est de la France, secteur étendu en 2011 à 7 département supplémentaires. Son contrat de travail contient une clause de non concurrence, s’appliquant sur l’ensemble du territoire français pendant une durée de 12 mois à compter de la fin de son contrat de travail, moyennant paiement d’une indemnité compensatrice.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 21 juillet 2014, M. X a démissionné de son poste avec un préavis de trois mois.

Dans les mois qui ont suivi le départ de M. X, Y et la société Kinkelder ont constaté que plusieurs de leurs principaux clients (ArcelorMittal à Haumont, PSA Mulhouse, Jourdain SA à Escrennes et Salzgitter Mannesmann à Saint-Florentin) avaient été démarchés par une société concurrente RBD ONCI pour leur proposer des lames de scie carbure jetables de marque Kanefusa à des prix inférieurs à ceux des produits Kinkelder.

Soupçonnant que M. X ait été embauché par la société RBD et soit à l’origine de ces démarchages et d’actes de concurrence déloyale par violation de la clause de non concurrence à laquelle il était soumis, Y et la société Kinkelder ont fait appel à une agence de détectives privés qui a établi un rapport de constatations les 28 et 29 avril 2015, selon lequel M. X serait en relations d’affaires avec la société RBD ONCI.

Le 30 avril 2015, Y a payé à M. X la somme de 11.392,98 euros au titre de la contrepartie financière de la clause de non concurrence.

Par ordonnance rendue le 18 mai 2015, sur requête présentée par Y et la société Kinkelder, le président du tribunal de grande instance d’Annecy a désigné deux huissiers de justice pour procéder à diverses constatations tant au domicile de M. X qu’au siège social de la société RBD ONCI ayant pour but d’établir les liens existant entre eux ainsi que les contacts avec les clients du groupe Kinkelder précités. Les opérations ont été réalisées simultanément le 29 mai 2015.

Dans le même temps, par télécopie du 29 mai 2015, le conseil des sociétés Y et Kinkelder a fait savoir à la société RBD ONCI que M. X violait la clause de non concurrence et l’a mise en demeure de cesser les actes de concurrence déloyale à son égard. Le 12 juin 2015, le conseil de la société RBD ONCI a répondu qu’elle n’avait commis aucun acte de concurrence déloyale.

Y a alors fait convoquer M. X devant la formation de référé du conseil de prud’hommes d’Annecy pour qu’il lui soit fait interdiction, sous astreinte, de poursuivre toutes relations professionnelles avec la société RBD ONCI et qu’il soit condamné à rembourser l’indemnité versée au titre de la clause de non concurrence. Par une ordonnance rendue par la formation de référé du conseil de prud’hommes d’Annecy du 17 juillet 2015, et un arrêt partiellement confirmatif rendu par la cour d’appel de Chambéry le 29 novembre 2016, Y a été déboutée de l’intégralité de ses demandes, les parties étant renvoyées à se pourvoir. Il n’apparaît pas que le juge du fond ait été saisi à ce jour.

C’est dans ces conditions que, par acte délivré le 30 décembre 2015, Y et la société Kinkelder ont

fait assigner la société RBD devant le tribunal de commerce de Chambéry, sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil, pour obtenir, avec exécution provisoire :

— sa condamnation à leur payer respectivement les sommes de 10.396 euros et 278.052 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale commis à leur égard,

— qu’il lui soit enjoint de cesser toute démarche commerciale et de vente auprès de diverses sociétés clientes de Y et de la société Kinkelder, sous astreinte de 30.000 euros par infraction,

— sa condamnation au paiement d’une indemnité de procédure de 5.000 euros et les dépens.

En défense, la société RBD a sollicité le sursis à statuer dans l’attente de l’issue du litige prud’homal opposant Y à M. X, et sur le fond s’est opposée à toutes les demandes, en contestant les actes de concurrence déloyale.

Par jugement contradictoire en date du 19 octobre 2016, le tribunal de commerce de Chambéry a :

— rejeté toutes les demandes de la société Y et de la société Kinkelder,

— condamné la société Y et la société Kinkelder à payer à la société RBD la somme de 2.000 euros à titre d’indemnité en application de l’article 700 du code de procédure civile, à raison de 1.500 euros pour la société Kinkelder et 500 euros pour la société Y,

— laissé les dépens à la charge des sociétés Y et Kinkelder France.

Par déclaration du 3 novembre 2016, la société Y Service et la société Kinkelder France ont interjeté appel de ce jugement.

L’affaire a été clôturée à la date du 12 mars 2018 et renvoyée à l’audience du 26 mars 2018, à laquelle elle a été retenue et mise en délibéré à la date du 5 juin 2018, prorogé au 26 juin 2018.

Par conclusions notifiées le 31 janvier 2017, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé des moyens, la société Y Service et la société Kinkelder France demandent en dernier lieu à la cour de :

— infirmer le jugement déféré,

— dire et juger que la société RBD a commis des actes de concurrence déloyale à leur égard,

— par conséquent, condamner la société RBD à verser à la société Kinkelder 127.850 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice subi,

— enjoindre à la société RBD de cesser toute démarche commerciale et de vente auprès des sociétés :

' ArcelorMittal 59

' Peugeot Jappy

' ArcelorMittal 52

' SalzigitterMP 52

' SalzigitterMP 89

' SalzigitterMP 51

' Lorrainetubes

' Valdunes

' Valti21

' Arcelor Rodange

' Jourdain SA

' Setforge Gauvain

' PSA

— fixer une astreinte de 30.000 euros en sanction de toute infraction à l’interdiction de démarche commerciale et de vente aux sociétés susvisées,

— condamner la société RBD à verser à Y et la société Kinkelder la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens d’instance, en ce compris le droit proportionnel alloué aux huissiers de justice conformément à l’article 10 du décret n° 2001-212 du 8 mars 2001, et les frais et honoraires de procès-verbaux de constat de Me Z du 29 mai 2015 et Me A du 29 mai 2015 et les frais et honoraires de M. E-F G, expert, avec application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au profit de Me Clarisse Dormeval, avocat.

Par conclusions notifiées le 30 mars 2017, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé des moyens, la société RBD demande en dernier lieu à la cour de :

— vu les articles 1315, 1382 et 1383 du code civil,

— confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

— débouter en conséquence les sociétés Y et Kinkelder de l’intégralité de leurs demandes dirigées à l’encontre de la société RBD,

— condamner in solidum Y et la société Kinkelder à lui payer la somme de 4.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner in solidum Y et la société Kinkelder aux entiers frais et dépens de première instance et d’appel.

MOTIFS ET DÉCISION

En application de l’article 1240 du code civil (ancien article 1382), tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.

L’article 1241 du même code (ancien article 1383) dispose que chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

Il appartient à celui qui entend engager la responsabilité d’autrui sur ce fondement de rapporter la

preuve de la faute commise, du préjudice subi et du lien de causalité entre la faute et le préjudice.

Particulièrement, en matière de concurrence déloyale, celui qui entend voir retenir la responsabilité de son concurrent doit rapporter la preuve des actes commis constitutifs d’une concurrence déloyale, le préjudice subi et le lien de causalité entre ces actes et le préjudice.

En l’espèce, il n’est pas contestable que Y et la société Kinkelder d’une part et la société RBD d’autre part sont en situation de concurrence puisque proposant à la vente des produits similaires destinés au même type de clientèle.

Les appelantes reprochent à la société RBD plusieurs actes de concurrence déloyale qu’il convient d’examiner successivement.

1/ Sur l’embauche de M. X

Le débauchage de salariés d’une entreprise concurrente n’est pas en soi constitutif d’un acte de concurrence déloyale, ce qui serait contraire au principe de liberté du travail. Le débauchage peut toutefois devenir fautif s’il est fait en violation manifeste d’une clause de non concurrence à laquelle le salarié concerné est soumis, en connaissance de cause du nouvel employeur et avec l’intention de violer cette clause.

En l’espèce, le contrat de travail liant Y à M. X (pièce n° 3 des appelantes) contient une clause de non concurrence selon laquelle :

«en cas de rupture du présent contrat pour quelque cause que ce soit, M. X s’interdira de participer, s’associer, s’intéresser à quelque titre que ce soit, directement ou indirectement, à toute entreprise ayant une activité susceptible de concurrencer en tout ou partie celle de la société Y.

Cette interdiction est limitée à une durée de 12 mois à compter de la rupture effective du contrat et au secteur géographique suivant : FRANCE.

En contrepartie de cette obligation, M. X percevra la contrepartie financière telle que prévue à l’article 28 de la convention collective de la métallurgie ingénieurs et cadres, soit en l’état des dispositions conventionnelles en vigueur au jour du présent avenant, une indemnité mensuelle égale à 5/10e de la moyenne mensuelle des appointements perçus au cours des 12 derniers mois de présence dans l’entreprise.

Toutefois, dans le cas d’un licenciement non provoqué par une faute grave, cette indemnité est portée à 6/10e de cette moyenne, tant que M. X n’aura pas retrouvé un nouvel emploi et dans la limite de la durée de non concurrence.»

Y soutient n’avoir pas pu verser l’indemnité compensatrice de clause de non concurrence immédiatement à son ancien salarié au motif que celui-ci n’a pas répondu à ses demandes de renseignements concernant son nouvel emploi et ses bulletins de salaire.

Toutefois, comme l’a d’ailleurs retenu la chambre sociale de la cour d’appel de Chambéry dans son arrêt du 29 novembre 2016 (pièce n° 92 de l’intimée), en réclamant à M. X de fournir les bulletins de salaire de son nouvel emploi, Y a ajouté une condition non prévue par le contrat de travail au versement de l’indemnité compensatrice de clause de non concurrence, s’agissant ici d’une démission et non d’un licenciement. Elle s’est abstenue de verser cette indemnité jusqu’au 30 avril 2015, soit le lendemain de la réalisation de l’enquête privée mettant en évidence les liens existant entre M. X et la société RBD.

Ainsi, en s’abstenant de verser l’indemnité prévue dès la rupture du contrat de travail le 22 octobre

2014, Y a nécessairement renoncé à se prévaloir de la clause de non concurrence à l’égard de son salarié, nonobstant les courriers contraires qu’elle lui a adressés. La régularisation tardive du paiement de cette indemnité est sans effet sur cette renonciation.

Par ailleurs, et quand bien même les contacts aux fins d’embauche de M. X par la société RBD auraient été noués avant la rupture de son contrat de travail avec Y, ceci ne peut être considéré comme fautif, un salarié étant libre de vouloir changer d’emploi s’il le souhaite. Y a d’ailleurs vainement tenté de le retenir en lui faisant une proposition manifestement insuffisante comme le démontrent les pièces produites aux débats (n° 10/1 à 10/6 des appelantes).

Dès lors, il ne peut être reproché à la société RBD de violation de la clause de non concurrence liant Y à M. X, celui-ci en ayant été libéré par son précédent employeur, et il n’est pas établi de débauchage fautif. C’est donc à juste titre que le tribunal a écarté ce grief, étant souligné d’ailleurs que Y ne prétend pas avoir saisi le juge du fond du litige l’opposant à son ancien salarié après avoir été déboutée de toutes ses demandes par la chambre sociale de la cour d’appel en référé.

2/ Sur le démarchage des clients de Kinkerdel

Le démarchage de la clientèle d’un concurrent n’est pas, par principe, un acte de concurrence déloyale en vertu du principe de liberté du commerce, sauf s’il s’accompagne d’actes déloyaux constitutifs d’une captation ou d’un détournement de clientèle que le demandeur doit établir.

La clause de non concurrence du contrat de travail de M. X ne pouvant plus être invoquée, il appartient aux appelantes d’établir des actes déloyaux distincts d’une éventuelle violation de cette clause.

M. X a été embauché par la société RBD en qualité de «responsable produit gamme métal» ainsi que cela résulte de son contrat de travail (pièce n° 57 de l’intimée). Le fait qu’il ait, postérieurement, changé de poste pour se consacrer au secteur de la découpe de matériaux plastiques pour le recyclage est indifférent, les faits reprochés concernant la période courant à compter de son embauche jusqu’à l’introduction de l’instance.

Il résulte des investigations menées après ordonnance sur requête que dès son embauche, et pour un motif qui reste bien flou, à savoir «dans un souci d’organisation de l’entreprise et de protection du collaborateur» (conclusions de l’intimée page 21), M. X s’est vu attribuer au sein de la société RBD une messagerie au nom de «C D» et tous les échanges professionnels qu’il a ensuite établis l’ont été sous cette fausse identité.

La société RBD n’explique pas en quoi le fait de présenter M. X sous sa véritable identité aurait pu porter une atteinte quelconque à l’organisation de la société, sauf à considérer qu’il s’agissait pour elle de ne pas attirer l’attention des clients qui auraient pu être en relation avec M. X lorsqu’il travaillait pour Y. Il est d’ailleurs significatif de noter qu’ensuite des procès-verbaux de constat d’huissier du 29 mai 2015, M. X a retrouvé soudainement sa véritable identité dans ses échanges professionnels (pièces n° 75 à 87 de l’intimée).

Ce changement d’identité non justifié est pour le moins suspect et constitue une première manoeuvre commise par la société RBD, avec la complicité de M. X.

A la suite des constats d’huissier du 29 mai 2015, la société RBD a indiqué officiellement aux appelantes que M. X occuperait un poste d’assistant technique et n’aurait pas été en contact avec les quatre clients alors ciblés par l’enquête.

Or il résulte des échanges par messagerie électronique extraits de l’ordinateur de M. X que ce dernier (sous le pseudonyme de C D) a bien été en relation avec les clients litigieux et

que c’est sous son égide que ces contacts ont abouti à la réalisation de commandes de lames carbure Kanefusa auprès de la société RBD, alors que les contacts entrepris antérieurement avaient tous été vains.

Ainsi, il ressort des pièces produites par les appelantes que M. X a permis à la société RBD d’aboutir à tout le moins auprès des clients suivants entre décembre 2014 et avril 2015: Ascometal (pièces n° 37 et 40), Setforge (pièces n° 38, 39 et 51), PSA (pièces n° 41, 44, 47 et 49) et Jourdain (pièce n° 43).

Il est significatif de constater que M. X a su approcher les clients litigieux en leur proposant très exactement le produit attendu, très spécifique (lames carbure jetables), à des prix immédiatement inférieurs à ceux des produits Kinkelder. La concurrence avec ce groupe est même clairement mise en avant dans différents messages, particulièrement avec le fabricant japonais Kanefusa (pièce n° 36 des appelantes), avec comme objectif de se placer auprès de clients importants en écartant Kinkelder, ce qui en soi n’est pas fautif, dès lors que le libre jeu de la concurrence n’est pas faussé par des manoeuvres illicites.

Or il apparaît que M. X n’a jamais restitué les fichiers clients qu’il avait constitués auprès de Y, et qu’il était ainsi resté en possession de nombreux éléments techniques et commerciaux lui permettant de placer son nouvel employeur auprès des clients dont il connaissait déjà parfaitement les besoins (pièce n° 52 des appelantes, procès-verbal de constat de Me A au domicile de M. X). Il importe peu à cet égard qu’il s’agisse d’établissements situés en dehors du secteur géographique qui lui était attribué chez Y. En effet, il s’agit de grands groupes disposant de divers établissements sur le territoire français, dont les besoins sont inévitablement similaires. Ainsi en est-il pour ArcelorMittal, PSA, Jourdain et Salzgitter Mannesmasnn.

La société RBD soutient qu’elle était déjà en relations d’affaires avec ces clients avant l’arrivée de M. X. Toutefois, les pièces qu’elle produit à cet effet révèlent qu’en réalité elle avait tenté en vain de s’introduire auprès de ces clients dans les mois précédents, aucune commande importante n’ayant été passée par ceux-ci avant l’arrivée de M. X. Ce n’est que dans les mois qui ont suivi cette arrivée et les contacts qu’il a alors entrepris avec ces clients que le démarchage commercial a été fructueux, dans les conditions décrites ci-dessus.

Enfin, il résulte encore des pièces produites par les appelantes que M. X a proposé au fournisseur japonais Kanefusa de lui transmettre pour analyse une lame Kinkelder (pièces n° 30 et 31). Si la provenance de la lame en question n’est pas établie clairement (fournie par un client de la société RBD ou conservée par M. X après son départ de Y), ce procédé apparaît particulièrement déloyal, surtout de la part d’un ancien salarié du groupe Kinkelder.

Ces éléments suffisent à démontrer que la société RBD, avec la complicité de M. X, a commis des actes de concurrence déloyale visant à détourner du groupe Kinkelder des clients particulièrement importants.

Les autres griefs avancés par les appelantes n’apparaissent pas suffisamment établis, particulièrement, aucun acte de dénigrement à leur égard ne ressort des pièces produites, ni la pratique de prix à perte, même si M. X a tenté d’obtenir du fournisseur japonais Kanefusa des prix tellement bas que celui-ci a déclaré ne pas pouvoir les accepter (pièce n° 51).

3/ Sur le préjudice subi

Y et la société Kinkelder réclament la somme de 127.850 euros au titre de la perte de marge subie par la société Kinkelder. Elles ne sollicitent plus de dommages et intérêts au profit de Y.

Toutefois, les appelantes n’établissent pas que la totalité de la baisse de chiffre d’affaires constatée

entre 2014 et 2015 avec les client litigieux serait imputable aux seuls agissements de la société RBD. En effet, les actes de concurrence déloyale retenus à l’encontre de la société RBD ne concernent qu’un seul produit : les lames carbure jetables. Or Y et la société Kinkelder n’établissent pas qu’elles ne vendaient que ce seul produits à ces clients, alors que les pièces produites établissent que leur activité est évidemment bien plus large.

En outre, d’autres acteurs du secteur peuvent avoir également mené une campagne commerciale ayant abouti à la perte de marchés par les produits Kinkelder, une vingtaine de sociétés étrangères étant identifiées comme opérant sur le même marché en France, ainsi que diverses sociétés françaises d’affûtage (pièces n° 58 à 72 de l’intimée).

Les difficultés rencontrées par Y et la société Kinkelder avec les clients litigieux semblent également relever d’une crise plus générale du secteur liée à celle de l’industrie automobile. Cependant, la société RBD ne peut utilement prétendre elle-même avoir des difficultés avec les clients litigieux, puisqu’elle ne peut produire de comparatif avec les années antérieures, ceux-ci n’ayant pas de compte chez elle avant au mieux l’année 2015.

Toutefois, si la société Kinkelder ne justifie pas que la perte de marge qu’elle a subie est imputable en totalité à la perte des marchés «lames carbure jetables» au bénéfice de la société RBD, il apparaît que les manoeuvres auxquelles cette dernière s’est livrée a entraîné une perturbation du marché qui a nécessairement causé un préjudice à la société Kinkelder, fût-il limité. En considération des éléments de la cause, ce préjudice sera fixé à la somme de 10.000 euros au paiement de laquelle la société RBD sera condamnée.

4/ Sur les mesures accessoires

Y et la société Kinkelder demandent par ailleurs qu’il soit fait interdiction à la société RBD, sous astreinte comminatoire, d’entretenir des relations commerciales avec une série de sociétés.

Toutefois, cette mesure apparaît disproportionnée au regard du préjudice subi. En outre, M. X a changé d’attributions au sein de la société RBD pour se consacrer à un secteur complètement différent de celui pour lequel il travaillait chez Y, de sorte que le risque de renouvellement des actes de concurrence déloyale au préjudice du groupe Kinkelder apparaît très limité.

En conséquence, les mesures sollicitées ne seront pas ordonnées.

5/ Sur les autres demandes

Les actes de concurrence déloyale étant établis, il serait inéquitable de laisser à la charge de Y et la société Kinkelder la totalité des frais exposés, et non compris dans les dépens. Il convient en conséquence de condamner la société RBD à leur payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, cette indemnité tenant compte des frais exposés pour les constats d’huissier réalisés, lesquels ne sont pas des dépens au sens de l’article 696 du code de procédure civile, mais des frais exposés pour établir la preuve des faits allégués.

La société RBD, qui succombe à titre principal, supportera les entiers dépens de première instance et d’appel avec, pour ceux d’appel, distraction au profit de Me Clarisse Dormeval, avocat, en application de l’article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Chambéry le 19 octobre 2016 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Dit que la société RBD a commis des actes de concurrence déloyale à l’égard de la société Y Service et la société Kinkelder France,

Condamne la société RBD à payer à la société Kinkelder France la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

Déboute la société Kinkelder France du surplus de sa demande,

Déboute la société Y Service et la société Kinkelder France de leur demande accessoire de faire interdiction à la société RBD d’entretenir des liens commerciaux avec les clients visés dans les conclusions d’appelantes,

Condamne la société RBD à payer à la société Y Service et la société Kinkelder France la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société RBD aux entiers dépens de première instance et d’appel avec, pour ceux d’appel, distraction au profit de Me Clarisse Dormeval, avocat, en application de l’article 699 du code de procédure civile.

Ainsi prononcé publiquement le 26 juin 2018 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Philippe GREINER, Président, et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, Le Président,

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