Cour d'appel de Chambéry, 1ère chambre, 15 décembre 2020, n° 19/00123

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Chambéry, 1re ch., 15 déc. 2020, n° 19/00123
Juridiction : Cour d'appel de Chambéry
Numéro(s) : 19/00123
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Chambéry, 28 novembre 2018, N° 15/01466
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

MF/SL

COUR D’APPEL de CHAMBÉRY

Chambre civile – Première section

Arrêt du Mardi 15 Décembre 2020

N° RG 19/00123 – N° Portalis DBVY-V-B7D-GENV

Décision attaquée : Jugement du Tribunal de Grande Instance de CHAMBERY en date du 29 Novembre 2018, RG 15/01466

Appelant

M. B X-A

né le […] à […], demeurant […]

Représenté par Me Michel FILLARD, avocat postulant au barreau de CHAMBERY Représenté par la SCP DUNNER-CARRET-DUCHATEL-ESCALLIER, avocats plaidants au barreau de GRENOBLE

Intimées

SELARL LES ACTES JURIDIQUES ET FISCAUX (Y), dont le siège social est situé […]

Représentée par Me Anne CAMBET, avocat postulant au barreau de CHAMBERY Représentée par la SCP CABINET D’AVOCATS PORTALIS ASSOCIES – CAPA, avocats plaidants au barreau de DIJON

SA […] dont le siège social est situé […], […]

Représentée par la SCP VISIER PHILIPPE – C D & ASSOCIES, avocats postulants au barreau de CHAMBERY

Représentée par la SCP DELHOMME, avocats plaidants au barreau de PARIS

— =-=-=-=-=-=-=-=-

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l’audience publique des débats, tenue le 02 novembre 2020 avec l’assistance de Mme Z LAVAL, Greffier,

Et lors du délibéré, par :

—  M. Michel FICAGNA, Président, qui a procédé au rapport,

—  Monsieur Philippe GREINER, Conseiller,

—  Mme Inès REAL DEL SARTE, Conseiller,

— =-=-=-=-=-=-=-=-

L’article 13 de la loi n° 2004-804 du 9 août 2004 pour le soutien à la consommation et à l’investissement, codifié à l’article 238 quaterdecies du code général des impôts, a instauré un régime provisoire permettant d’exonérer d’impôt sur le revenu ou d’impôt sur les sociétés les plus-values professionnelles réalisées à l’occasion de la cession entre le 16 juin 2004 et le 31 décembre 2005 d’une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale, lorsque la valeur des éléments de la branche complète d’activité cédée servant d’assiette aux droits d’enregistrement n’excède pas 300.000 €.

C’est dans ce contexte que M. B X-A, chirurgien dentiste exerçant jusqu’alors à titre individuel, a cédé, suivant acte du 14 octobre 2004, son activité à une société dénommée « Cabinet X A» créée spécialement à cet effet et dont il était l’unique associé.

Il a été assisté à cet égard par :

— son expert comptable, la société Fiduciaire Herbet Gengoux (FHG),

— et par la société d’avocat Les Actes Juridiques et Fiscaux (société Y).

Afin de bénéficier du régime instauré à l’article 238 quaterdecies du code général des impôts, l’acte a fait apparaître que la cession était réalisée moyennant un prix de 299.700 € se décomposant comme suit :

— indemnité de présentation de clientèle : 186.000 €

— cession des éléments corporels transmissibles : 113.700 €.

L’acte mentionnait également la vente séparée :

— d’un stock de petites instrumentations et de fournitures dentaires : 15.000 €

— des fournitures administratives : 290 €

— des produits d’entretien : 912 €

Pour déterminer son bénéfice non commercial imposable à la fin de son exercice individuel pour l’année 2004, M. X-A a donc exclu la plus-value dégagée par la vente de cette activité.

A la suite d’un contrôle, l’administration fiscale, a retenu une valeur taxable des éléments de la branche d’activité pour le montant total de 315.902 €, a remis en cause cette exonération et a notifié à M. X-A un redressement fiscal au titre de l’impôt sur le revenu pour un montant en principal et intérêts de retard de 68.699 €.

M. X-A, par requête en date du 5 mai 2009, a saisi le tribunal administratif de Grenoble d’une contestation de ce redressement.

Par jugement du 4 juillet 2013, confirmé par arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 22 mai 2014, le tribunal administratif de Grenoble, a rejeté sa requête.

Reprochant à son expert-comptable , la société Fiduciaire Herbert Gengoux, et son conseil juridique, la société Les Actes Juridiques et Fiscaux (société Y), qui l’ont accompagné et conseillé tout au long de ce parcours, des manquements à leur prestation de conseil, en lien avec le préjudice subi consécutivement au redressement fiscal, M. X-A par acte du 25 août 2015, les a assignées

devant le tribunal de grande instance de Chambéry, aux fins notamment de les voir condamner in solidum au règlement d’une somme de 93.808 € au titre de l’imposition supplémentaire, au paiement chacune d’une somme correspondant aux honoraires qui leur ont été réglés, au règlement d’une somme globale de 31.472,90 € au titre de divers postes de préjudices.

Les sociétés défenderesses ont conclu à la prescription de l’action de M. X-A et sur le fond, au débouté des demandes.

Par jugement du 29 novembre 2018, le tribunal de grande instance de Chambéry a :

— déclaré irrecevable car prescrite l’action de M. B X-A formée à l’encontre de la société fiduciaire Herbert Gengoux,

— déclaré recevable l’action de M. B X-A à l’encontre de la selarl Y,

— rejeté les demandes de M. B X-A à l’encontre de la selarl Y sur le fondement de la responsabilité contractuelle,

— condamné M. B X-A à payer à la société fiduciaire Herbert Gengoux la somme de 1.200 euros au titre des frais irrépétibles,

— condamné M. B X-A à payer à la selarl Y la somme de 1.200 euros au titre des frais irrépétibles,

— condamné M. B X-A aux dépens.

M. X-A a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives du 5 octobre 2020, M. B X-A demande à la cour :

Vu les dispositions des articles 1147 anciens et suivants du code civil,

— de réformer le jugement du tribunal de grande instance en toutes ses dispositions, hormis la disposition déclarant recevable l’action de M. B X-A à l’encontre de la société Y,

Et statuant de nouveau,

— de rejeter toutes fins et prétentions contraires,

— de dire l’appel incident de la société Y mal fondé,

— de dire recevable et bien fondée l’action de M. B X-A formée à l’encontre de la société fiduciaire Herbert Gengoux,

— de dire recevable et bien fondée l’action de M. B X-A formée à l’encontre de la selarl Y,

— de constater le défaut de conseil et les fautes des sociétés Y et fiduciaire Herbert Gengoux,

— de condamner in solidum la société Y et le cabinet fiduciaire Herbert Gengoux au paiement d’une somme de 93.808 € au titre de l’imposition supplémentaire et des pénalités et majorations consécutives à leurs fautes et défauts de conseils, outre intérêts au taux légal à compte de l’assignation,

— de condamner le cabinet fiduciaire Herbert Gengoux au paiement d’une somme de 8.551,06 euros au titre d’honoraires indûment perçus outre intérêts au taux légal à compte de l’assignation,

— de condamner la société Y au paiement d’une somme de 8.768,96 euros au titre d’honoraires indument perçus, outre intérêts au taux légal à compter de l’assignation,

— de condamner in solidum la société Y et la cabinet fiduciaire Herbert Gengoux au paiement d’une somme de 2.693 euros au titre des frais engagés par M. X-A consécutivement au redressement fiscal, conséquence directe de la faute des requis, outre intérêts au taux légal à compter de l’assignation,

— de condamner in solidum la société Y et le cabinet fiduciaire Herbert Gengoux au paiement d’une somme de 10.000 euros au titre de la perte de chance de réaliser son projet immobilier, outre intérêts au taux légal à compter de l’assignation,

— de condamner in solidum la société Y et le cabinet fiduciaire Herbert Gengoux au paiement d’une somme de 2.779,90 euros au titre des frais engagés par M. X-A pour son projet de construction qui a échoué du fait des conséquences financières du redressement fiscal lui-même, conséquence directe de la faute des requis, outre intérêts au taux légal à compter de l’assignation,

— de condamner in solidum la société Y et le cabinet fiduciaire Herbert Gengoux au paiement d’une somme de 10.000 euros au titre du préjudice moral, outre intérêts au taux légal à compter de l’assignation,

— de condamner in solidum la société Y et le cabinet fiduciaire Herbert Gengoux au paiement d’une somme de 8.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

— de condamner les mêmes aux entiers dépens de procédure, lesquels seront distraits au profit de Me Fillard, avocat au barreau de Chambéry, sur sa seule affirmation de droit.

Il soutient :

— que le tribunal de grande instance a considéré que le point de départ de l’action en responsabilité contre l’expert-comptable était constitué par l’avis de mise en recouvrement, du 30 avril 2007, M. X-A ne pouvant pas ignorer, à compter de cette date, les faits fondant sa prétention,

— qu’en application de l’article 2224 du code civil, la prescription ne court pas à compter du fait dommageable, mais à compter du jour où l’on en a une connaissance certaine,

— que le dommage subi est constitué par le redressement fiscal,

— que la seule mise en recouvrement des sommes dues à l’administration fiscale ne saurait caractériser l’existence à cette date d’un dommage certain puisque le bien fondé du redressement pouvait alors être contesté,

— que le délai de prescription de l’action en responsabilité contre les conseils intimés a commencé à courir au plus tôt le 23 juillet 2014,

— que la jurisprudence de la Cour de cassation est constante sur le point de départ de la prescription de l’action contre l’expert-comptable :

« la notification de redressement est le point de départ d’une procédure contradictoire/ à l’issue de laquelle l’administration fiscale peut ne mettre en recouvrement aucune imposition de sorte qu’à la date de cette notification le dommage de(. .. ) … / consistant dans des impositions supplémentaires mises à leur charge à raison des manquements supposés de la société fiduciaire( .. ) N’était pas réalisé la cour d’appel a violé les textes susvisés». Cour de cassation -chambre commerciale-6 décembre 2017 -n° 16-23.972,

— que la première chambre civile de la Cour de cassation, a encore rappelé sa position dans un arrêt du 14 novembre 2019 (cass. Civ 1-14/11/2019 n°18-22.114), qu’en cas de contestation de la créance fiscale, le dommage n’est constitué qu’une fois achevé le contentieux fiscal,

— que article 2224 du code civil énonce que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un drolt a connu ou aurait dû connaître les fais lui permettant de l’exercer »,

— que le point de départ de l’action en responsabilité de M. X-A contre la société fiduciaire Herbert Gengoux n’a pu commencer à courir avant le 23 juillet 2014, date à laquelle l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 22 mai 2014 est passé en force de chose jugée, soit deux mois après sa notification, effectuée le 23 mai 2014,

— qu’il en est de même pour la société Y, alors que de surcroît celle-ci a non seulement conseillé et rédigé l’acte de cession, mais elle l’a également représenté dans le cadre de l’action en annulation du redressement fiscal devant le tribunal administratif,

— que le tribunal a retenu à tort que le but principal poursuivi par l’acte a été atteint et que l’acte a été partiellement efficace, qu’il était informé des conséquences fiscales du choix de la selarl comme cessionnaire de son activité, que la décision de sous-évaluer intentionnellement les actifs cédés, notamment en distinguant les stocks des autres éléments d’actif, afin de bénéficier d’une exonération fiscale, a été prise d’un commun accord entre M. B X-A, la société fiduciaire Herbert Gengoux et la selarl Y de sorte que M. X-A n’est pas fondé à se prévaloir de sa propre turpitude et à se retourner contre son conseil juridique,

— que sa bonne foi ne peut aucunement être remise en question, qu’il s’est fié aux professionnels qui lui ont conseillé cette opération,

— qu’il ne s’agissait pas d’une opération de défiscalisation, mais que l’acte s’inscrivait dans le cadre du projet de son futur départ en retraite de M. X-A alors prévu pour 2016,

— que la cession d’activité d’un médecin libéral qui fait valoir ses droits à la retraite bénéficie d’exonération totale de plus-value,

— qu’ainsi l’opération projetée n’avait d’intérêt, sur le plan fiscal, que si elle bénéficiait également de cette exonération de plus-value,

— qu’il n’avait pas d’intérêt à céder son activité en 2004 en payant des plus-values professionnelles importantes alors qu’il en aurait été dispensé en repoussant de quelques années cette cession, simplement en attendant la fin de son activité professionnelle et son départ effectif à la retraite,

— que l’obligation de conseil du professionnel qu’il soit avocat ou expert-comptable lui impose de conseiller son client sur les différents montages juridiques envisageables et de l’informer sur les incidences financières et fiscales de l’opération, afin de permettre au client de choisir la solution la plus favorable ou de renoncer si les incidences fiscales et économiques sont jugées défavorables par ce dernier,

— qu’il n’est pas un professionnel ni du droit des sociétés ni du droit fiscal,

— qu’en préconisant et en présentant un montage qui manifestement ne convenait pas à la situation et aux besoins de son client, la société Y a manqué à son obligation de conseil,

— qu’il souhait une transformation de son activité, afin d’adapter son mode d’exercice à l’évolution de son chiffre d’affaires et préparer la transmission de sa patientèle, et l’arrêt de son activité, envisagée pour début 2016,

— que cette transmission nécessitait d’être anticipée,

— que la la société Y était le rédacteur de l’acte de cession, et dans ce cadre, les obligations de l’avocat rédacteur sont :

— d’une part, d’assurer la sécurité juridique de l’acte juridique qu’il rédige,

— et d’autre part d’assurer une obligation étendue de conseil à l’égard des deux parties sur l’incidence de l’acte juridique qu’il rédige.

— qu’elle se devait de l’informer des conséquences notamment fiscales des actes qu’elle prépare et devait le conseiller sur la solution la plus favorable,

— que dès lors, les conséquences de l’acte dont elle doit la rédaction sont prévisibles, l’avocat doit éclairer toutes les parties à la convention sur les conséquences de son acte,

— qu’en l’espèce, la société Y ne démontre pas avoir dispensé la moindre information à son client,

— que le seul document qu’elle verse aux débats est une note de rendez-vous du mois de juin 2004,

— que la société Y devait faire connaître à M. X A que l’acte de cession qu’elle se proposait de rédiger et qu’elle a rédigé engendrerait diverses impositions, notamment au titre de la plus-value,

— qu’elle ne démontre toujours pas avoir informé son client alors que cette preuve lui appartient,

— que la solution de société permettant à l’appelant d’ouvrir son capital pour que d’autres associés le rejoignent dans son activité, M. X A pouvait ainsi continuer son activité jusqu’à la retraite,

— que c’est la société Y qui a l’a incité à se prévaloir de l’exonération et qui a effectué toute démarche utile en ce sens auprès des services fiscaux, garantissant à M. X A qu’il serait bien exonéré de plus-value puisque la déclaration de mutation était inférieure à la somme de 300.000 €,

— que c’est l’omission concernant les fournitures qui a conduit l’administration à rectifier l’imposition,

— que la société Y était parfaitement informée de sa volonté de bénéficier du régime d’exonération des plus-values en cas de cession complète de branche d’activité, visé à l’article 238 quaterdecies du code général des impôts, puisque figure à l’acte, l’engagement de M. X A en sa qualité de représentant de la société cessionnaire de maintenir l’activité pendant 5 ans, s’agissant d’une condition de l’exonération,

— que la société Y a donc manqué à son obligation de résultat, son acte n’étant pas efficace, et ne permettant pas de bénéficier de l’exonération des plus-values pourtant expressément mentionnées à l’acte,

— que la société Y n’a jamais mis en garde son client contre le risque de remise en cause de cette exonération,

— que la société société Y a commis une faute dans l’interprétation des textes, dès lors qu’elle a considéré que le seuil de 300.000 €, prévu par l’article 238 quaterdecies du code général des impôts, ne devait prendre en compte que les éléments immobilisés, et susceptibles de générer une plus-value,

— que les droits d’enregistrement ont donc été calculés par l’administration sur prix total de cession tel que déclaré par Y soit 299.700 €,

— que la société Y a maintenu sa position tant lors de la phase de réclamation, puisque c’est elle qui a rédigé les courriers de réclamation et d’observations, qu’en phase contentieuse devant le tribunal administratif de Grenoble puis devant la cour administrative d’appel de Lyon,

— que si effectivement, la jurisprudence n’était pas établie, alors, la société Y se devait tout particulièrement d’alerter M. X-A sur le fait que le contour des éléments inclus dans la branche cédée n’était pas encore défini, de sorte qu’il existait un risque,

— que la société Y, qui n’a rempli ni son obligation de conseil ni son obligation d’information s’agissant des conséquences fiscales des actes qu’elle a rédigés, est mal fondée à faire état d’une clause limitative de responsabilité et faire ainsi supporter, en tant que spécialiste de la fiscalité, ses propres carences sur les clients profanes,

— que la clause de l’acte de cession «M. B X A déclare avoir été informé des dispositions fiscales en matière de taxation éventuelle des plus-values professionnelles pouvant résulter de la présente convention, de l’obligation de souscrire dans le délai légal toute déclaration relative à sa cessation d’activité» doit être déclarée inopérante à prouver que la société d’avocats Y a rempli son obligation d’information et de conseil,

— que le tribunal de grande instance s’est trompé en considérant que l’appelant avait pris la décision de sous-évaluer intentionnellement les actifs cédés,

— que ce n’est pas une sous-évaluation des actifs qui est la cause du redressement mais l’exclusion du calcul de la valeur de cession des petits matériels et fournitures par la société Y,

* sur la responsabilité de la société fiduciaire Herbert Gengoux

— qu’en omettant des éléments lors de la valorisation de la branche d’activité à céder, le cabinet fiduciaire Herbert Gengoux a commis une faute d’exécution et un défaut de conseil engageant sa responsabilité,

— que le cabinet fiduciaire Herbert Gengoux savait que la cession envisagée devait s’inscrire dans le cadre d’une cession de branche complète d’activité, et permettre à M. X-A de bénéficier de l’exonération des plus-values de cession,

— qu’il résulte clairement des documents établis par le cabinet fiduciaire Herbert Gengoux que celui-ci a calculé les plus-values et a estimé que l’évaluation de la cession à laquelle elle procédait permettrait de bénéficier de l’exonération en cas de cession complète de branche,

— qu’il a donc commis une faute d’exécution, mais également un défaut de conseil, directement à l’origine des préjudices subis par M. X-A, d’autant qu’il a préparé les déclarations de bénéfice commercial et de revenus de l’appelant suite à la cession de branche entraînant cessation d’activité libérale,

— que s’il avait été conseillé et alerté par les professionnels sur un risque de ne pas être exonéré d’imposition sur les plus values, il aurait renoncé à ce projet,

— qu’alors que la cession de branche d’activité devait être exonérée de plus-value, les services fiscaux ont retenu une plus-value à long terme imposable après contrôle de 236.848 euros, ce qui a eu pour conséquence de modifier le résultat imposable et a entraîné une imposition supplémentaire de 85.440 euros pour M. X A, outre des pénalités,

— qu’il n’y a pas lieu d’apprécier une perte de chance, mais bien de constater qu’un acte a manqué d’efficacité,

— que la cession envisagée devait permettre une transmission ultérieure d’une clientèle par vente de parts sociales, tout en étant placée sous le régime de l’exonération des plus-values en cas de cession complète de branche,

— que l’objectif n’est pas atteint,

— que si par extraordinaire, la cour devait considérer que le préjudice de l’appelant est constitué par une perte de chance de renoncer à l’opération de cession de branche d’activité à une selarl spécialement créée pour l’opération et d’éviter consécutivement le redressement fiscal et ses conséquences, alors elle retiendra une perte de chance qui ne saurait être inférieure à 90%,

— que de surcroît, M. X-A a payé aux défenderesses des honoraires qui ne sauraient rester à sa charge eu égard aux fautes commises,

— qu’à cela s’ajoutent des frais de conseil ultérieurs,

— qu’il a perdu une chance de faire construire avec son épouse une maison en Savoie et un cabinet dentaire, alors même qu’il avait saisi un architecte pour déposer un permis de construire.

La société Y aux termes de ses conclusions n°3 du 12 octobre 2020 demande à la cour :

Réformant le jugement entrepris,

— de dire l’article 2225 du code civil inapplicable au cas d’espèce,

Vu l’article 2224 du code civil,

— de dire irrecevable, car prescrite, l’action engagée par M. B X-A, à titre subsidiaire,

— de constater que le cabinet Y n’a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité à l’occasion de la présente affaire,

En conséquence,

— de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. X A de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

A titre infiniment subsidiaire,

— de réduire à la somme de 52.182 € l’évaluation du préjudice de l’appelant, et appliquer à cette évaluation la perte de chance d’exonération, laquelle sera fixée à 10%,

A titre infiniment subsidiaire,

— de condamner le cabinet fiduciaire Herbert Gengoux à garantir intégralement la société Y de l’intégralité des demandes, fins et conclusions présentées à son encontre par M. B X A,

— de condamner enfin M. B X A et subsidiairement la fiducaire Herbert Gengoux aux entiers dépens de première instance et d’appel, et à verser à la société Y une somme de 6.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient :

— que selon l’article 2224, la prescription court à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer,

— que le tribunal écarte ce texte et fixe le point de départ de la prescription en ce qui concerne la responsabilité de l’a vocat, en appliquant l’article 2225 du code civil, applicable spécifiquement aux avocats ayant représenté les parties en justice, et recule donc le point de départ à la fin du contentieux fiscal,

— que c’est pourtant bien à compter de la date à laquelle le supplément d’impôt a été mis à sa charge par la mise en recouvrement émanant de l’administration fiscale, à l’issue de la procédure de redressement contradictoire, que M. X-A a connu ou, à tout le moins, ne pouvait méconnaître les faits qui lui permettaient d’exercer, tant à l’égard de la société fiduciaire Herbert Gengoux que de la société Y, l’action en responsabilité liée à sa première mission de conseil,

— que M. X-A n’invoque aucune faute de son avocat en ce qui concerne la conduite du procès devant les juridictions administratives à l’encontre de l’administration fiscale,

— que M. X-A, qui n’a pas, à proprement parler, subi de condamnation judiciaire, ne peut s’estimer fondé à soutenir qu’il aurait eu connaissance à compter seulement du 22 mai 2014, date de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon, du supplément d’impôt sur le revenu qui avait été légalement mis à sa charge depuis le 30 avril 2007,

— que l’erreur du tribunal est de n’avoir pas appliqué le même raisonnement à l’action engagée à l’encontre de Y pour sa responsabilité concernant exclusivement sa mission de conseil juridique en droit des sociétés et de la transmission du patrimoine professionnel,

— que rien au dossier ne vient démontrer que la société Y aurait pu considérer que cette plus-value ne devait pas faire partie du revenu de M. X A pour l’année 2004, ou lui conseiller de l’exclure de sa déclaration de revenu,

— que le rôle de la société Y s’est en l’espèce limité, d’une part, à préparer les statuts de la selarl cabinet X-A et, d’autre part, à rédiger l’acte constatant la cession de son cabinet dentaire, par M. X-A, à la selarl ainsi constituée,

— que l’acte de cession contient (pages 7, § 9), la clause suivante :

« M. B X-A déclare avoir été informé des dispositions fiscales en matière de taxation éventuelle des plus-values professionnelles pouvant résulter de la présente convention, de l’obligation de souscrire dans le délai légal toute déclaration relative à sa cessation d’activité. »

— que M. X A, ne saurait donc, sur ce point, prétendre le contraire aujourd’hui, en reniant sa propre signature,

— qu’il n’appartenait pas au cabinet Y d’évaluer lui-même les éléments d’actifs du cabinet cédé,

— que le tribunal retient à très juste titre que la clause " elles [les parties} déclarent en outre formellement que le rédacteur s’est borné à la rédaction des présentes à leur requête en dehors de toute fixation des conditions financières de la présente transaction, et que les négociations sont intervenues directement entre elles,» a pour effet de décharger l’avocat de sa responsabilité en ce qui concerne l’évaluation des actifs de la cession, qui s’est faite d’un commun accord entre M. X A et son expert comptable,

— qu’il appartenait à M. X-A de demander à son expert-comptable d’évaluer en conséquence les éléments d’actifs de son cabinet et d’assumer la responsabilité de cette évaluation, à supposer encore que cela fût raisonnablement envisageable,

— que la loi 2004-804 du 9/08/2004 a institué un régime d’exonération temporaire des plus-values réalisées à raison de la cession d’une branche complète d’activités d’un fonds de commerce ou d’une entreprise libérale dont la valeur des éléments servant d’assiette aux droits d’enregistrement n’excède pas 300 000 €,

— que M. X A a essayé de profiter de ce régime de faveur qui était tout nouveau, et pour lequel il n’existait alors pas de jurisprudence et très peu de commentaires,

— que préalablement à la présentation de l’acte de cession et du formulaire de calcul des droits d’enregistrement, la société Y ainsi qu’il était d’usage courant à l’époque, s’était rapprochée de la recette principale des impôts de Grenoble-Chartreuse, laquelle avait elle-même calculé les droits sur la base de la somme de 299.700 €,

— qu’il est totalement fallacieux de prétendre que la société Y aurait commis une erreur sur le calcul des droits dus ou qu’elle aurait induit l’administration en erreur sur ce point,

— que revenant sur sa décision initiale, l’administration fiscale a finalement estimé que la valorisation des éléments de l’activité devait inclure le stock de fournitures dentaires (ainsi que les fournitures administratives et les produits d’entretien que M. X-A avait facturé directement à sa société),

— que le redressement fiscal dont M. X A a été l’objet est donc la double conséquence de cette interprétation du texte nouveau sur les éléments à prendre en compte pour calculer les éléments d’actif, et de la décision de M. X A de tenter de bénéficier d’un régime d’exonération nouveau,

— que la proposition de rectification de l’administration fiscale du 30 septembre 2005 adressée à M. B X A, contient de multiples chefs de redressement fiscaux,

— que l’imposition correspondant à la plus-value ne peut aucunement être constitutive d’un préjudice puisqu’elle est la contrepartie fiscale normale d’un revenu exceptionnel,

— que trouvant leur contrepartie dans l’exécution des prestations de rédaction d’actes juridiques, les honoraires ne sauraient en eux-mêmes constituer le moindre préjudice,

— qu’on ne voit pas non plus en quoi M. X A peut prétendre avoir ''perdu une chance de faire construire avec son épouse une maison en Savoie et un cabinet dentaire",

— que les seuls rappels d’impôt pouvant éventuellement être corrélés à la responsabilité du cabinet Y, à supposer cette responsabilité établie, sont ceux relatifs aux ''plus-values à court terme sur cession des éléments corporels mobiliers du cabinet" et aux ''plus-values à long terme sur cession de la clientèle et des éléments corporels mobiliers du cabinet" :

Plus-values court terme sur clientèle : 65 908 € x 48.09 = 31 695 €

Plus-values long terme sur clientèle : 221 793 € x 16% = 35 487 €

Le total de l’impôt rectifié sur ces postes s’établit à 67 182 €.

— que, si M. X A avait voulu bénéficier à plein de l’exonération, il aurait nécessairement diminué d’environ 15 000 € le prix de cession de son cabinet à la société,

— que le préjudice s’établit donc à 67.182 € – 15.000 € = 52.182 €,

— que le risque de redressement fiscal était en tout état de cause élevé même en réduisant à 300 000 € le montant de la cession,compte tenu du fait qu’il s’agissait d’un contribuable qui «contracte avec lui-même» et d’un montant faible à la limite du plafond,

— que la société Y n’est intervenue que de façon particulièrement ponctuelle et sur une mission particulière et unique, sur prescription de la fiduciaire Herbert Gengoux, qui était donc le seul professionnel capable d’apprécier d’une façon globale la situation financière, sociale et fiscale de M. B X A.

La société fiduciaire Herbert Gengoux aux termes de ses conclusions du 9 octobre 2020 demande à la cour :

Vu les articles 73, 117, 751, 752 et 771 du code de procédure civile,

Vu l’article 5 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971,

— à titre principal, confirmer le jugement du 28 novembre 2018 au motif que M. X-A est irrecevable car prescrit en ses demandes,

A titre subsidiaire,

— de confirmer le jugement du 28 novembre 2018 en ce qu’il déboute M. X-A de toutes ses demandes, moyens et conclusions, mais aux motifs que :

— aucune faute ne peut être reprochée au cabinet FGH, tant au regard de la mission qui lui a été confiée que de l’intervention postérieure d’un avocat fiscaliste et rédacteur d’acte,

— la demande de M. X-A ne pourrait porter que sur l’imposition rappelée concernant la plus-value afférente à la cession litigieuse, à l’exclusion de tout autre motif de redressement, de même que des intérêts de retard qui ne sauraient constituer un préjudice indemnisable,

— M. X-A ne justifie d’aucune perte de chance raisonnable de ne pas subir l’imposition de la plus-value afférente à la cession de son activité,

— M. X-A ne peut solliciter aucune restitution des honoraires versés au cabinet FGH en sus des dommages-intérêts déjà sollicités pour une prétendue inexécution contractuelle, puisque d’une part il n’a pas réglé personnellement ces honoraires et d’autre part, qu’il s’agirait pour lui d’obtenir une double indemnisation du même préjudice,

— M. X-A ne peut être indemnisé au titre d’un préjudice moral et d’une perte de chance de réaliser un projet immobilier, préjudices évalués forfaitairement et dont l’existence n’est pas avérée,

— M. X-A ne peut être indemnisé au titre des frais afférents à un projet de construction, puisqu’il n’est aucunement démontré que ce préjudice serait en lien de causalité direct avec la faute reprochée au cabinet FGH ,

— de rejeter par conséquent l’appel en garantie formulé à titre infiniment subsidiaire par la selarl Y

à l’encontre de la concluante,

En tout etat de cause,

— de condamner M. X-A à régler au cabinet FGH la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance, dont distraction au profit de la SCP Visier-Philippe, C-D, conformément aux dispositions de l’article 699 du même code.

Elle soutient :

— que le délai de prescription de l’action en responsabilité pouvant être engagée à l’encontre d’un expert-comptable est de « cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer»,

— que toute action en responsabilité est donc au plus tard prescrite au 19 juin 2013,

— que si les arrêts invoqués ne permettent plus de fixer automatiquement le point de départ du délai de prescription à la date de l’avis de mise en recouvrement, il ne doit pas pour autant censurer tout débat sur la date à laquelle, pour reprendre les termes de l’article 2224 du code civil, « le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l’exercer »,

— qu’à la différence d’une condamnation qui ne constitue qu’une éventualité avant d’être rendue à l’issue d’une procédure judiciaire, un avis de mise en recouvrement est immédiatement exigible,

— qu’il constitue donc la date à laquelle le fait dommageable est connu, ainsi que le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité contre un tiers,

— qu’au moment de la mise en recouvrement, soit deux ans après le contrôle de comptabilité, M. X-A ne pouvait ignorer l’étendue de la réclamation fiscale ainsi que les motivations de l’administration fiscale pour ce faire,

— que la faute alléguée par l’appelant n’est pas apparue au cours du contentieux devant les juridictions administratives,

— que le cabinet Y ayant été chargé du montage dans son ensemble, y compris du volet fiscal, les responsabilités des deux professionnels ne sauraient être engagées solidairement,

— qu’à supposer même que le cabinet FGH ait procédé à l’évaluation des actifs de l’activité de M. X-A, une telle diligence s’effectue au regard de critères objectifs et non pas en fonction du dispositif fiscal dont le client est susceptible de souhaiter qu’il lui profite,

— que le cabinet Y ne remet pas en question l’évaluation retenue,

— qu’une fois l’évaluation réalisée, l’avocat fiscaliste et rédacteur de l’acte de cession doit alors déterminer le régime fiscal applicable, informer et conseiller son client, et le mettre en garde quant aux incidences fiscales de l’acte qu’il entend lui faire signer,

— que le choix du régime fiscal a d’ailleurs été défendu par le cabinet Y devant les juridictions administratives et continue de l’être dans ses écritures,

— qu’il appartenait au cabinet Y de ne pas rédiger un acte dont il explique aujourd’hui qu’il n’était pas susceptible de bénéficier du régime fiscal pourtant expressément visé,

— que le préjudice revendiqué n’est pas justifié,

— que quand bien même M. X-A aurait décidé de ne pas réaliser l’opération en 2004, il aurait en tout état de cause été amené à s’acquitter de cette plus-value au moment de la cession à un tiers concomitamment à son départ en retraite,

— que dans ces conditions, il est douteux que M. X-A justifie d’une «perte d’une chance raisonnable», pourtant seul préjudice indemnisable de ne pas avoir à s’acquitter de l’imposition afférente à la plus-value réalisée lors de la cession de son activité,

— que ne constituent pas des préjudices indemnisables le montant de l’impôt précédemment éludé et devant être payé à l’issue du redressement, puisqu’il aurait dû être supporté en toute hypothèse par l’entreprise, non plus que les intérêts de retard devant être réglés à l’administration fiscale, puisqu’ils ne faisaient que compenser l’avantage de trésorerie ayant consisté pour l’entreprise dans le bénéfice d’une trésorerie dont elle n’aurait pas disposé si elle avait en temps normal réglé l’impôt dû.

MOTIFS

Sur la prescription alléguée par les intimées

Aux termes de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

La prescription d’une action en responsabilité contractuelle ne court qu’à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle ci établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance.

Dès lors, l’action en responsabilité engagée à l’encontre d’un expert comptable ou d’un conseil juridique au motif d’une rectification fiscale doit être introduite dans le délai de cinq ans à compter de la date à laquelle le contribuable a connu l’impôt supplémentaire mis à sa charge.

Si l’avis de mise en recouvrement porte à la connaissance du contribuable le montant de l’impôt supplémentaire réclamé par l’administration fiscale, l’exercice d’un recours contentieux met en question sa pertinence de sorte que seul le sort de ce recours informe le contribuable avec certitude de la réalité du dommage qu’il est susceptible d’imputer à des manquements dans les prestations attendues de ses conseils.

Lorsque le contribuable exerce un recours contentieux contre une rectification fiscale, le point de départ du délai de prescription de l’action en responsabilité contre l’expert comptable et le conseil juridique est le terme de la procédure contentieuse.

En l’espèce, il est M. X A a saisi le tribunal administratif puis la cour administrative d’appel d’un recours contre l’impôt sur le revenu mises à sa charge pour 2004.

Dès lors que la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté la requête de M. X A par un arrêt rendu le 22 mai 2014, notifié le 23 mai 2014, l’action en responsabilité intentée par lui, par assignation du 25 août 2015, est recevable comme non prescrite.

Ce point de départ est le même tant pour la société Fiduciaire Herbert Gengoux, expert-comptable que pour la société Y, avocats, ces deux professionnelles se voyant reprocher par M. X A, l’une et l’autre, des manquements professionnels ayant conduit au redressement fiscal litigieux.

En conséquence, le jugement sera réformé de ce chef.

Sur la clause de reconnaissance d’information

L’acte de cession contient (pages 7, § 9), la clause suivante :

« M. B X-A déclare avoir été informé des dispositions fiscales en matière de taxation éventuelle des plus-values professionnelles pouvant résulter de la présente convention, de l’obligation de souscrire dans le délai légal toute déclaration relative à sa cessation d’activité. »

Cependant, l’acte mentionne par ailleurs : « M. X A, es qualité de représentant de la société cessionnaire, prend l’engagement en application des articles 724 bis et 238 du code général des impôts de maintenir l’acitivité objet des présentes pendant une durée de cinq années. En conséquence, la présente transmission sera exonérée de droit de mutation perçu au profit de l’État

Il en résulte que l’information donnée par la société Y allait dans le sens d’une exonération.

En conséquence, la clause invoquée ne peut valoir décharge de responsabilité de la part de la société Y.

Sur les manquements reprochés par M. X A

Il est acquis que M. X A a souhaité opter pour un exercice de sa profession via une société plutôt qu’en tant que travailleur indépendant et bénéficier du régime d’exonération des plus values professionnelles instauré par la loi du 9 août 2004.

Ce projet nécessitait :

1°) l’élaboration des statuts de la société et l’élaboration d’un acte de cession de l’activité de M. X A à la société ainsi créée,

2°) l’accomplissement des formalités administratives et fiscales.

Ces travaux ont été confiés à la société Y, avocat spécialisé dans la rédaction d’acte juridiques et fiscaux.

3°) des travaux comptables pour assurer le transfert de l’activité entre M. X A et la société Cabinet X A et pour évaluer l’activité cédée.

Ce travail a été réalisé par l’expert comptable.

L’acte rédigé par la société Y de cession de l’activité de M. X A à la société Cabinet X A mentionne que :

« M. X A , es qualité de représentant de la société cessionnaire, prend l’engagement en application des articles 724 bis et 238 du code général des impôts de maintenir l’acitivité objet des présentes pendant une durée de cinq années. En conséquence, la présente transmission sera exonérée de droit de mutation perçu au profit de l’État

».

Il en résulte que la société Y a bien considéré que la mutation telle qu’elle l’avait mise en oeuvre, serait exonérée de droits de mutation.

Or, force est de constater que ce résultat n’a pas été atteint.

L’analyse du jugement du tribunal administratif de Grenoble et de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon montrent que ce non résultat est dû au dépassement du plafond de 300 000 €.

En effet, l’article 238 du code général des impôts mentionnait que « les plus values soumises au régime des articles 39 duodecies et réalisées dans le cadre d’une activité commerciale , industrielle, artisanale ou libérale sont exonérées lorsque (…) la valeur des éléments de cette branche complète d’activité servant d’assiette aux droits d’enregistrement exigibles en application des articles 719, 720 ou 724 n’excède pas 300 000 €».

Les juridictions administratives n’ont eu qu’à s’appuyer sur la lettre de ce texte parfaitement clair pour juger, en une phrase, que le « plafond doit être apprécié en tenant compte de la valeur de l’ensemble des éléments de la branche complète d’activité cédée servant de base aux droits d’enregistrement, et ce, qu’il s’agisse ou non d’éléments de l’actif immobilisés».

En effet, la thèse consistant à vouloir soustraire de la valeur des éléments de cette branche complète d’activité, le stock de petites instrumentations, les fournitures dentaires, les fournitures administratives et les produits d’entretien, sans autres explications ne sont pas justifiées au regard de ce texte, qui étant nouveau, devait être respecté à la lettre.

La société Y ne justifie pas avoir informé son client sur ce risque de redressement fiscal.

Il résulte de ces éléments que la société Y a été imprudente en affirmant et laissant croire à son client que l’exonération était acquise.

Si l’intervention de la société Y est à l’évidence prépondérante, puisque c’est elle qui a piloté le montage juridique, l’expert comptable néanmoins se devait d’apporter sa propre expertise à M. X A dont elle connaissait parfaitement la situation.

Or, la société FHG ne justifie pas avoir informé M. X A du risque d’imposition personnelle importante au titre de l’impôt sur le revenu qu’il allait devoir supporter compte tenu du montant global de la cession.

Elle ne justifie pas s’être assurée auprès de lui que cette incidence fiscale importante ne réduisait pas à néant l’intérêt qu’il portait à son projet.

Ceci était d’autant plus nécessaire que la société «Cabinet X» était une société à associé unique en la personne de M. X A, de sorte que l’opération se soldait en trésorerie pour M. X A par une perte immédiate du montant de l’imposition, sans gain en contrepartie.

En conséquence, sa responsabilité sera également retenue conjointement et solidairement avec la société Y, les fautes respectives ayant ensemble créé le dommage.

Il sera retenu que la responsabilité de la société Y, avocat fiscaliste et maître d’oeuvre de l’opération est prépondérante dans la mesure.

Sa part de responsabilité sera fixée à 80 % et celle de la société fiduciaire Herbert Gengoux à 20% .

Il n’y a pas lieu de dire que la société Y sera relevée et garantie par la société FHG, la responsabilité des deux sociétés étant retenue sur le terrain de la faute et la société Y ne justifiant pas avoir indemnisé M. X A.

Sur le préjudice

Le préjudice correspond à la perte de chance pour M. X A, s’il avait été bien informé du risque de ne pas bénéficier du régime d’exonération envisagé, de renoncer à son projet.

Il ne saurait être admis que les deux professionnels auraient dû conseiller à M. X A de

minorer la valeur de l’activité pour parvenir à un prix inférieur à 300 000 €, ce procédé pouvant aboutir également à un redressement.

En effet, il doit être rappelé que le dispositif de l’article 238 quaterdecies du code général des impôts avait pour but de favoriser le maintien des activités de proximité, notamment dans les centres-villes ou les zones rurales, en levant un obstacle aux transferts et reprises des petites entreprises.

Le régime provisoire ayant vu la réalisation d’opérations dans lesquelles l’activité était poursuivie, en fait, par le même exploitant, (comme en l’espèce), le législateur dès la loi de finances rectificatives n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 a modifié l’article 238 quaterdecies du code général des impôts et a exclu de ce régime d’exonération les cessions réalisées au profit de personnes morales, dans lesquelles le cédant ou ses proches détiennent ensemble, directement ou indirectement, plus de 50 % des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux de la société, de la personne morale ou du groupement cessionnaire, au moment de la cession mais également dans les trois ans qui suivent la date de l’opération.

Toutefois, s’agissant des opérations qui ont été réalisées sous le régime de l’article 238 quaterdecies entre le 16 juin et le 31 décembre 2004, l’administration a déclaré se réserver la possibilité de mettre en oeuvre la procédure prévue à l’article L. 64 du livre des procédures fiscales face aux situations manifestement les plus abusives.

De ce fait, à supposer que le prix mentionné ait été de 300 000 €, M. X A était loin d’être à l’abri d’un redressement fiscal.

Sur l’évaluation de la perte de chance subie, M. X-A ne produit pas de pièces sur ses réelles intentions.

Il indique que le passage sous le régime d’exercice en société était dicté par des considérations liées à l’évolution de son chiffre d’affaire et à la préparation de son départ à la retraite.

Il ne produit aucune pièce faisant apparaître que son projet était conditionné au bénéfice du régime d’exonération.

Toutefois, les contestations ultérieures qu’il a formulées jusque devant la cour administrative d’appel, montrent que cette considération était importante.

Dès lors la perte de chance pour M. X A de renoncer à l’opération, sera fixée à 75 %.

Le perte de chance doit calculée sur le montant de l’imposition supplémentaire payée par M. X A au titre de son impôt sur le revenu, mais seulement pour la partie correspondant à la plus value professionnelle.

Il ne saurait être déduit le montant des honoraires réglés aux sociétés Herbert Gengoux et Y, puisque le préjudice est réparé intégralement, tandis que les rémunérations correspondent à un travail effectif.

Il sera en revanche fait droit aux frais de défense et de procédure engagés pour la contestation devant les juridictions administratives, ces frais étant directement en lien avec le redressement fiscal que M. X A se devait de contester avant d’engager la responsabilité de l’expert comptable et de la société Y.

Les autres préjudices invoqués (perte de chance de construire une maison et un cabinet dentaire) ne sont pas justifiés et en tout cas pas directement causés par le redressement fiscal.

Sur le préjudice moral

Cette demande sera rejetée, le redressement fiscal ayant été entrepris par l’administration pour des raisons purement techniques (dépassement de plafond) qui ne sont pas attentatoires à la considération où à l’honneur.

Sur l’article 700 du code de procédure civile

Il y a lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,

Infirmant le jugement déféré et statuant de nouveau,

Déclare non prescrites et recevables les demandes de M. X A contre la société Y et la société fiduciaire Herbert Gengoux,

Déclare les sociétés Y et fiduciaire Herbert Gengoux responsables in solidum d’avoir fait perdre une chance à M. X A de renoncer à son projet de passage en société, du fait de l’insuffisance d’informations données sur les risques de ne pas bénéficier de l’exonération prévue à l’article 238 quaterdecies du code général des impôts,

Fixe cette perte de chance à 75 %,

Fixe le préjudice M. B X A à 69.875 €, se décomposant comme suit :

—  67.182 € au titre de l’incidence fiscale,

—  2.693 euros au titre des frais engagés consécutivement au redressement fiscal,

Condamne in solidum les sociétés Y et fiduciaire Herbert Gengoux à payer à M. B X A la somme de 52.406,25 € (75% du préjudice),

Dit que dans leurs rapports entre elles la société Y supportera 80 % de ce montant et la société fiduciaire Herbert Gengoux, 20 % de ce montant,

Déboute M. B X A de ses demandes plus amples,

Dit que les intérêts sont dus à compter de l’arrêt, s’agissant d’une condamnation indemnitaire,

Déboute la société Y et la société cabinet fiduciaire Herbert Gengoux de leurs prétentions,

Condamne in solidum la société Y et le cabinet fiduciaire Herbert Gengoux au paiement d’une somme de 4.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum les sociétés Y et fiduciaire Herbert Gengoux aux entiers dépens de première instance et d’appel, lesquels seront distraits au profit de Me Fillard, avocat au barreau de Chambéry, sur sa seule affirmation de droit.

Ainsi prononcé publiquement le 15 décembre 2020 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Michel FICAGNA, Président et Z

LAVAL, Greffier.

Le Greffier, Le Président,

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Cour d'appel de Chambéry, 1ère chambre, 15 décembre 2020, n° 19/00123