Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 28 février 2019, n° 17/03069

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Colmar, ch. 2 a, 28 févr. 2019, n° 17/03069
Juridiction : Cour d'appel de Colmar
Numéro(s) : 17/03069
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Strasbourg, 19 octobre 2016
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

CG

MINUTE N° 68/2019

Copies exécutoires à

Maître BOUDET

Maître SPIESER

Le 28 février 2019

Le Greffier

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE COLMAR

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE – SECTION A

ARRÊT DU 28 février 2019

Numéro d’inscription au répertoire général : 2 A 17/03069

Décision déférée à la Cour : jugement du 20 octobre 2016 du TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de STRASBOURG

APPELANTS et défendeurs :

1 – Monsieur B X

2 – Madame C D épouse X

[…]

[…]

représentés par Maître BOUDET, avocat à la Cour

INTIMÉ et demandeur :

Monsieur E Z

[…]

[…]

représenté par Maître SPIESER, avocat à la Cour

plaidant : Maître PAILLOT, avocat à STRASBOURG

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 24 janvier 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Bernard POLLET, Président

Monsieur Emmanuel ROBIN, Conseiller

Madame Catherine GARCZYNSKI, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Madame C G

ARRÊT Contradictoire

— prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.

— signé par Monsieur Bernard POLLET, Président et Madame C G, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE, MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par acte sous seing privé du 5 janvier 2000, les époux X ont vendu à M. Z une péniche, dénommée 'la Mouette', construite en 1950 à l’arsenal de Cherbourg, désarmée par eux pour y installer leur logement, au prix de 735 000 francs (112 050 euros), outre 115 000 francs (17 531 euros) d’équipements. Il était précisé que 'M. Z reconnaît connaître le bateau pour l’avoir visité et l’avoir techniquement vérifié'.

Ce dernier avait fait effectuer une inspection subaquatique par ultrasons de la coque du bateau, se trouvant à quai dans le port de Schiltigheim sur le canal de la Marne au Rhin, par la société SWM Sotravim, qui avait conclu, selon compte-rendu du 31 décembre 1999, que les épaisseurs correspondaient aux bonnes valeurs pour un bateau sédentaire.

Suite à des infiltrations d’eau à l’intérieur du bateau, M. Z a fait procéder, après mise en cale sèche du bateau sur le chantier naval de Wittring (57), à son inspection, le 28 juin 2006, par M. A, expert fluvial, qui a mis en évidence des anomalies.

Par assignations des 19 et 20 février 2007, M. Z a sollicité une expertise judiciaire, qui a été instaurée par ordonnance de référé du 10 avril 2007. L’expert commis, M. H I, a établi un rapport définitif en date du 15 février 2012.

Par actes d’huissier des 21 septembre et 22 octobre 2012, M. Z a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Strasbourg, aux fins d’indemnisation de son préjudice, respectivement les époux X, sur le fondement de la garantie des vices cachés, et la société SWM Sovatrim, représentée par son liquidateur, pour manquement dans sa mission de vérification de l’état de la coque du bateau. Il a également fait assigner la société AXA France IARD, en qualité d’assureur de la société SWM Sovatrim, le 7 juillet 2014, cette procédure ayant été jointe à la première.

Par jugement en date du 20 octobre 2016, le tribunal de grande instance de Strasbourg a, notamment,

— constaté que M. Z ne formait plus de demande à l’encontre de la société SWM

Sovatrim,

— dit que ses demandes à l’encontre d’Axa France étaient irrecevables, comme prescrites, mais recevables à l’encontre des époux X,

— condamné ces derniers à lui payer la somme de 43 748,74 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 21 septembre 2012, sur le fondement de la garantie des vices cachés, au titre de la réduction du prix en raison des travaux à effectuer pour la remise en état du bateau, outre une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

— débouté M. Z de sa demande en dommages et intérêts complémentaires, en l’absence de preuve de la mauvaise foi des époux X.

Le tribunal a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par les époux X, tirée de la prescription de la demande, aux motifs que:

— à la date de la vente, l’action en garantie des vices cachés était régie par le 'bref délai' prévu à l’article 1648 du code civil,

— l’action en référé a été engagée un peu plus de sept mois après la découverte du vice par le rapport d’expertise privée du 10 juillet 2006, soit dans un bref délai,

— c’est la prescription de droit commun qui régissait ensuite l’action, dont la durée était de 5 ans à compter du 19 juin 2008, dans la limite du délai antérieur de 30 ans, de sorte qu’elle n’était pas écoulée à la date de l’assignation, au 21 septembre 2012.

Sur le fond, le tribunal s’est fondé sur les conclusions de l’expert judiciaire pour retenir que la coque du bateau était fuyarde, étant affectée de 45 petits trous dans la partie immergée, et qu’elle avait une épaisseur de tôles bien inférieure aux minima requis, à savoir entre 1,3 et 2,9 mm, au lieu d’une valeur comprise entre 3,8 et 4 mm. Il a estimé qu’il s’agissait d’un vice caché parce qu’il affectait la partie immergée de la coque et que l’analyse de Sovatrim ne l’avait pas révélé. Il a également considéré que, l’analyse de Sovatrim n’ayant pas été faite dans de bonnes conditions et n’étant pas cohérente, le vice préexistait à la vente, en ce qu’il était dû à l’utilisation initiale de la péniche pour le transport de fuel, produit corrosif, puis à son immobilisation durant quinze ans au port de Schiltigheim. Il a enfin jugé que l’absence de clause excluant la garantie des vices cachés.

*

Les époux X ont interjeté appel de ce jugement par déclaration en date du 7 juillet 2017.

Ils demandent à la cour d’infirmer le jugement entrepris et

— à titre principal, de juger que la demande est prescrite et de débouter M. Z,

— à titre subsidiaire, de réduire les montant mis à leur charge,

— de condamner M. Z à leur payer une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

A l’appui, ils estiment que le premier juge n’aurait pas dû faire application de la prescription de droit commun après interruption du bref délai par l’ordonnance de référé, la loi du 17 juin

2008 ayant mis fin à cette jurisprudence en introduisant à l’article 2231 du code civil la règle selon laquelle l’interruption fait courir un nouveau délai de même durée que l’ancien, soit, en l’espèce, un bref délai, lequel n’a pas été respecté puisque l’assignation a été délivrée plus de 4 ans après l’ordonnance de référé.

Sur le fond, ils concluent au mal fondé de la demande, en l’absence de vice caché, la péniche étant destinée à l’habitation et non à la navigation, sauf pour de courtes distances ; ils relèvent que l’expertise a eu lieu le 5 juillet 2007, soit 7 ans après la vente, durant lesquels la péniche est restée en eau et n’a pas été entretenue, et que les fuites n’ont été signalées, selon le rapport, qu’en 2006. Ils estiment que les défauts ne sont pas cachés, mais résultent d’une usure normale d’un bateau qui reste dans l’eau. Ils ajoutent que la vente se faisait en l’état. Ils contestent aussi toute non-conformité.

*

M. Z demande à la cour de confirmer le jugement déféré, sauf en qu’il a rejeté sa demande en dommages et intérêts et lui a alloué la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ; il sollicite la somme de 15 621 euros au titre de son préjudice lié au logement, et celle de 4 000 euros au titre de son préjudice moral, ainsi que 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour la première instance, outre 4 000 euros au titre de ses frais exposés en appel.

Sur la prescription, il fait valoir qu’il n’est pour rien dans la longueur du délai mis par l’expert pour déposer son rapport (5 ans), que le délai de deux ans du nouvel article 1648 du code civil ne s’applique qu’aux contrats conclus postérieurement à l’ordonnance du 17 février 2005 et que le point de départ du bref délai doit être fixé au dépôt du rapport d’expertise judiciaire, le 17 février 2012, date à laquelle le vice a été réellement découvert, étant seulement suspecté avant ; il soutient également que le délai de prescription a été interrompu pendant les opérations d’expertise. A défaut, il invoque les articles 6 et 13 de la Convention européenne de droits de l’homme et 1er du protocole additionnel à la cette convention.

Il maintient ses demandes sur le fondement du défaut de conformité, si la cour déclarait prescrite son action en garantie des vices cachés. Il s’approprie les motifs du jugement sur l’application de cette garantie. Pour caractériser la mauvaise foi des vendeurs, ils s’appuient sur le fait qu’ils n’ont pas fait mettre le bateau en cale sèche pour procéder à un entretien, alors qu’une visite est obligatoire tous les dix ans et conseillée tous les cinq-six ans.

*

Pour l’exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées.

La clôture de l’instruction de l’affaire a été prononcée par ordonnance du 4 septembre 2018.

MOTIFS

Sur la prescription

La demande est fondée sur la garantie des vices cachés en matière de vente, prévue aux articles 1641 et suivants du code civil.

L’article 1648, alinéa 1, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 17 février 2005, applicable en l’espèce au regard de la date de la vente, prévoyait que l’action devait être engagée 'dans un bref délai suivant la nature des vices rédhibitoires et l’usage du lieu où la vente a été faite'.

Il est constant que ce délai courait à compter de la découverte du vice.

En l’espèce, c’est à juste titre que le premier juge a fixé le point de départ du délai à la date du rapport d’expertise de M. J A, soit le10 juillet 2006, celui-ci ayant mis en évidence le vice allégué, consistant en l’insuffisante épaisseur de la coque en plusieurs endroits.

Le jugement déféré doit être également approuvé en ce qu’il a considéré que l’assignation en référé avait été ensuite délivrée dans un bref délai.

En application de l’article 2244, ancien, du code civil, alors applicable, une citation en justice, même en référé, interrompait le bref délai de l’article 1648 du code civil.

Si, selon l’article 2231 du code civil, issue de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, l’interruption fait courir un nouveau délai de même durée que l’ancien, ces dispositions ne peuvent s’appliquer rétroactivement à une interruption intervenue avant son entrée en vigueur.

Les dispositions transitoires, figurant à l’article 26 de la loi du 17 juin 2008, concernent les dispositions de cette loi qui allongent ou réduisent la durée de la prescription, mais non celles concernant les effets de son interruption.

Or, selon le droit antérieur, l’acheteur avait satisfait aux exigences de l’article 1648 du code civil dès lors qu’il avait assigné en référé à bref délai, de sorte que c’était un délai de droit commun qui courait après l’ordonnance de référé, marquant la cessation de l’effet interruptif.

Il en résulte qu’en l’espèce, à compter du 10 avril 2007, l’action de M. Z était soumise au délai trentenaire ; suite à l’intervention de la loi précitée du 17 juin 2008 ayant réduit à 5 ans ce délai, c’est à juste titre que le premier juge a estimé que M. Z pouvait agir dans un délai de 5 ans à compter du 19 juin 2008, de sorte que l’action engagée le 21 septembre 2012 n’était pas prescrite.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu’il a déclaré la demande recevable à l’encontre des vendeurs.

Sur l’existence d’un vice caché antérieur à la vente

Il ressort du rapport d’expertise judiciaire que le bateau a transporté un produit corrosif lorsqu’il était utilisé en péniche citerne, et qu’il est ensuite resté immobilisé, durant environ 15 ans, au port de Schiltigheim, dans des eaux peu propres, ces faits ayant contribué à une dégradation évolutive des tôles.

Il est constant que des fuites d’eau dans la salle des machines ont été signalées en 2006 par M. Z, dont la dernière remontait à 2005, et, selon l’expert, les infiltrations ont été freinées sur le reste du fond, par le béton hydrofuge dont il était recouvert pour faire étanchéité.

L’expert a validé dans son rapport les relevés de l’épaisseur de la coque effectués par M. A lors de son inspection du 28 juin 2006, en cale sèche, coque nettoyée, en rappelant que, pour un bateau de 38,85 m, l’épaisseur minimale pour le fond et les bordés est de 3,8 à 4 mm, alors qu’a été relevée une épaisseur de 0 mm au niveau des chancres à 2,9 mm sur les bordés, et de 0 mm au niveau des chancres à 1,3 mm et jusqu’à 2,9 mm sur le fond. M.

A avait aussi déjà noté que la coque était entièrement chancrée.

L’expert judiciaire a souligné que les épaisseurs non conformes de la coque étaient aggravées par la présence de chapelets de nodules de corrosion traversière, à l’origine de perforations de la coque, constituant un vrai danger.

L’état de dégradation de la tôle de la coque était tel, au vu des mesures prises le 28 juin 2006 par M. A et des propres constatations de l’expert judiciaire lors de son inspection du bateau le 5 juillet 2007, que le vice préexistait à la vente ; les seules années passées par la péniche au port de Schiltigheim entre l’achat le 5 janvier 2000 et l’inspection du 28 juin 2006 ne peuvent expliquer l’insuffisance d’épaisseur de la coque et les nodules de corrosion constatés, dont la cause réside dans le transport de fuel lourd 4% corrosif et la longue immobilisation antérieure dans les eaux du canal de la Marne au Rhin.

Le vice était caché puisqu’il n’a pas été révélé par l’inspection subaquatique qu’a fait effectuer l’acheteur avant la vente, mais seulement lors de la mise en cale sèche en juin 2006.

Sur la garantie due

Il ne ressort pas de la clause selon laquelle 'M. Z reconnaît connaître le bateau pour l’avoir visité et l’avoir techniquement vérifié' qu’il ait renoncé à la garantie des vices cachés ; en effet, aucune exclusion de garantie n’est formulée et il n’est pas même précisé que le bateau est vendu dans l’état où il se trouve.

L’étanchéité de la coque est par ailleurs indispensable, même pour la simple habitation de la péniche, dès lors que celle est sur l’eau ; le vice rend donc la péniche vendue impropre à son usage ou le diminue tellement que M. Z ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il l’avait connu.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a estimé que les époux X étaient tenus à garantie pour le vice caché affectant la péniche vendue, conformément à l’article 1641 du code civil.

Sur la réduction de prix

L’article 1644 autorise l’acheteur à conserver la chose vendue et à se faire rendre une partie du prix.

En conséquence, en l’espèce, M. Z est bien fondé à réclamer la somme de 43 748,74 euros, représentant le coût de réfection de la coque défectueuse tel qu’évalué par l’expert, affecté d’une déduction de 30 % ; celle-ci apparaît en effet suffisante pour tenir compte de ce qu’il ne s’agit que de la réduction du prix qu’aurait pu obtenir l’intéressé s’il avait connu le vice.

Le jugement sera donc confirmé également sur le montant mis à la charge des époux X à ce titre.

Sur les dommages et intérêts

En application de l’article 1645 du code civil, seul le vendeur qui connaissait les vices de la chose est tenu des dommages et intérêts envers l’acheteur.

En l’espèce, cette connaissance n’est pas établie.

L’absence d’entretien suffisant ou de mise du bateau en cale sèche par les vendeurs, pour vérifier l’état de la coque avant la vente, ne peut caractériser la mauvaise foi.

Le jugement sera dès lors confirmé en ce qu’il a rejeté la demande en dommages et intérêts complémentaires.

Sur les dépens et les frais de procédure exclus des dépens

La cour approuve et confirme les dispositions du jugement déféré afférentes aux dépens de première instance et à l’application de l’article 700 du code de procédure civile.

Les époux X, qui succombent en leur appel, seront également condamnés aux dépens d’appel, ainsi qu’au paiement, au titre des frais non compris dans les dépens exposés par M. Z en cause d’appel, d’une somme de 2 000 euros, ces condamnations entraînant le rejet de leur demande tendant à être indemnisés de leurs propres frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, après débats en audience publique,

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

CONDAMNE M. B X et Mme C D, épouse X, in solidum, à payer à M. E Z, au titre des frais non compris dans les dépens exposés en cause d’appel, la somme de 2 000 € (deux mille euros) ;

REJETTE la demande de M. B X et Mme C D, épouse X, formée en cause d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. B X et Mme C D, épouse X, in solidum, aux dépens d’appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE

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