Cour d'appel de Douai, Sociale a salle 3, 27 septembre 2019, n° 16/00578

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Douai, soc. a salle 3, 27 sept. 2019, n° 16/00578
Juridiction : Cour d'appel de Douai
Numéro(s) : 16/00578
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Valenciennes, 28 janvier 2016, N° 13/558
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

ARRÊT DU

27 Septembre 2019

1491/19

N° RG 16/00578 – N° Portalis DBVT-V-B7A-PRFA

PR/VG

Jugement du

Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de VALENCIENNES

en date du

29 Janvier 2016

(RG 13/558 -section 5)

GROSSE

le 27/09/19

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

— Prud’Hommes-

APPELANT :

M. Z X

70 RUE Q BAPTISTE BROQUET

[…]

Présent et assisté de Me Alexandre BAREGE, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE :

SAS […]

[…]

[…]

Représentant : Me Pierre-Q COQUELET, avocat au barreau de VALENCIENNES

DÉBATS : à l’audience publique du 09 Juillet 2019

Tenue par A B

magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Véronique MAGRO

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Sabine MARIETTE : PRÉSIDENT DE CHAMBRE

C D : CONSEILLER

A B

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 27 Septembre 2019,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par C D, conseiller et par Valérie COCKENPOT, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

M. Z X a été engagé à compter du 9 mars 1967 dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée en qualité de tourneur sur métaux par la société Outinord spécialisée dans la fabrication d’outils de coffrages métalliques pour le BTP.

La relation de travail était soumise à la convention collective nationale de la Métallurgie et à la convention collective locale « Métallurgie -Valenciennes et Cambrai ».

M. X a exercé de très nombreux mandats de représentant du personnel, de nature à la fois élective et syndicale.

Ainsi, en 1972, M. X a été élu délégué du personnel d’abord sans étiquette et sera réélu jusqu’à son départ de l’entreprise.

A partir de 1977, M. X a été désigné délégué syndical par la CGT.

En 1979, M. X a également été élu membre titulaire au comité d’entreprise, dont il deviendra secrétaire jusqu’en décembre 2007.

M. X a aussi été élu conseiller prud’hommes en décembre 1982, puis réélu jusqu’en décembre 2007.

Du point de vue de son contrat de travail, M. X a accédé le 1er janvier 1972 à la catégorie P2 à laquelle il a été régulièrement promu jusqu’au 1er mars 1977 où il atteint le niveau II échelon 3 coefficient 190 F.

Le 1er janvier 1990, M. X a accédé au coefficient 190 I et au coefficient 190 J le 1er janvier 1991.

Le 1er février 2000, M. X est passé au niveau 3, échelon 1 coefficient 215 A puis coefficient 215 B à compter du 1er août 2007.

Le 31 août 2008, M. X a pris sa retraite après avoir adhéré à une convention de préretraite avec un travail à temps partiel annualisé à compter de septembre 2003.

Le 9 août 2013, M. X a saisi le conseil de prud’hommes de Valenciennes d’une demande de dommages et intérêts pour discrimination syndicale, en particulier au motif qu’il n’a pas bénéficié d’une évolution de carrière normale à partir du moment où il a été désigné délégué syndical en 1977.

Par jugement rendu en départage du 29 janvier 2016, auquel il y a lieu de se reporter pour l’exposé des faits, prétentions et moyens antérieurs des parties, le conseil de prud’hommes de Valenciennes a :

— Déclaré l’action en responsabilité pour discrimination syndicale de M. X prescrite,

— Débouté M. X de toutes ses demandes,

— Débouté la société Outinord de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,

— Condamné M. X aux dépens.

M. X a interjeté appel de ce jugement par déclaration enregistrée le 11 février 2016.

Aux termes de ses conclusions soutenues oralement à l’audience du 9 juillet 2019, auxquelles il convient de se référer pour l’exposé des moyens, M. X demande à la cour de :

— REFORMER le jugement du Conseil de prud’hommes de Valenciennes du 29 janvier 2016 en ce qu’il a déclaré son action prescrite et l’a débouté en conséquence de ses demandes.

Et, statuant de nouveau :

— CONSTATER, DIRE et JUGER que son action n’est pas prescrite ;

A titre principal :

— DIRE qu’il a été victime de discrimination de la part de la Société OUTINORD en raison de son appartenance syndicale ;

— CONDAMNER en conséquence la Société OUTINORD à lui verser la somme de 105 797,38 euros en réparation du préjudice subi.

A titre subsidiaire, si la Cour ne s’estimait pas suffisamment éclairée par les éléments apportés par Monsieur X et avant réouverture des débats :

— ORDONNER à la Société OUTINORD, de produire les relevés de carrière de l’ensemble des salariés engagés de 1965 à 1969 dans l’entreprise au même coefficient lui, et aux coefficients directement inférieur et supérieur, ainsi que l’ensemble de ces éléments pour MM. Z E, F G, Q-R S, H I, J K, H L, M N, Q-T U, O P en précisant pour tous les dates d’évolution de leurs coefficients, fonctions, rémunérations, les éventuelles primes obtenues, ainsi que les mandats détenus le cas échéant, l’ensemble jusqu’à leur départ de l’entreprise ;

— DIRE que les éléments susvisés devront lui être communiqués dans le mois de la décision à

intervenir sous peine d’une astreinte de 1 000 euros par jour de retard.

Et, en tout état de cause :

— CONDAMNER la Société OUTINORD à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et, par conséquent, réformer le jugement déféré sur ce point ;

— CONDAMNER la Société OUTINORD aux entiers dépens et, par conséquent, réformer le jugement déféré sur ce point ;

— DIRE qu’en application de l’article 1231-7 du code civil (art. 1153-1 anc.), les sommes dues porteront intérêts à compter du jour de la demande ;

— DIRE y avoir lieu de plein droit à capitalisation des intérêts en application de l’article 1343-2 du code civil (art. 1154 anc.), du moment qu’ils sont dus pour une année entière.

Aux termes de ses conclusions soutenues oralement à l’audience du 9 juillet 2019, auxquelles il convient de se référer pour l’exposé des moyens, la société Outinord demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu’il déclare irrecevable la demande en réparation du préjudice résultant d’une discrimination de M. X et si la Cour considérait que la prescription n’est pas acquise au jour de la saisine du Conseil de Prud’hommes, de débouter M. X de ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 3 000 €uros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l’audience, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la prescription :

M. X soutient que le délai de prescription ne commençant à courir qu’à compter de la révélation de la discrimination, il ne pouvait, le concernant, commencer à courir à compter du courrier qu’il a envoyé en 2004 à son employeur puisqu’à cette date, il n’avait alors connaissance que de l’existence d’une possible discrimination à son égard ; qu’en effet, à cette date, il ne disposait pas de l’ensemble des éléments de comparaison lui permettant d’agir en justice, faute d’avoir entre les mains l’ensemble des documents permettant d’établir qu’il était victime d’une discrimination.

M. X ajoute, au surplus, que la discrimination portant sur un retard de carrière et la rémunération afférente, elle s’est nécessairement poursuivie après le courrier du 2 décembre 2004 et les effets du retard de carrière se sont fait sentir jusqu’à son départ de l’entreprise le 31 août 2008, de telle sorte que son action n’est pas prescrite puisqu’il a saisi le conseil de prud’hommes le 9 août 2013.

La société Outinord fait au contraire valoir que par le courrier qu’il lui a adressé le 2 décembre 2004 en recommandé, M. X a informé la société de ce qu’il faisait l’objet d’une discrimination salariale dans le déroulement de sa carrière, de telle sorte que le délai de prescription a commencé à courir à cette date ; qu’en outre, M. X ayant exercé pendant toute sa carrière de très nombreux mandats de représentant du personnel, élu et syndical, il disposait de tous les éléments factuels lui permettant de révéler une discrimination et c’est d’ailleurs ce qui explique pourquoi il a dénoncé la discrimination à son égard dès le 2 décembre 2004 ; que de même, ayant exercé pendant 25 ans le mandat de conseiller prud’hommes, au point d’avoir présidé le conseil de Valenciennes, il disposait également des compétences juridiques pour faire reconnaître cette discrimination et saisir la juridiction compétente ; qu’ainsi, dès le 2 décembre 2004, M. X connaissait l’ensemble des faits qui, selon lui, pouvaient démontrer l’existence d’une discrimination à son égard ; qu’en

application de la loi du 17 juin 2008 entrée en vigueur le 19 juin 2008 qui a réduit la durée totale de la prescription de 30 ans à 5 ans, il avait jusqu’au 19 juin 2013 inclus pour saisir la juridiction de sprte que l’action est prescrite puisque M. X a saisi le conseil de prud’hommes le 9 août 2013.

Il résulte de l’alinéa 1de l’article L.1134-5 du code du travail que «L’action en réparation du préjudice résultant d’une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination ».

L’alinéa 3 du même article dispose que « Les dommages et intérêts réparent l’entier préjudice résultant de la discrimination, pendant toute sa duré ».

Ces dispositions de l’alinéa 1 qui ont réduit de 30 à 5 ans le délai de prescription s’appliquent en principe depuis le lendemain de la publication de la loi 2008-561 du 17 juin 2008 au JO, soit depuis le 19 juin 2008.

Toutefois, conformément à l’article 2222 alinéa 2 du code civil issu de la même loi, les dispositions réduisant les durées de prescription s’appliquent à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

Ainsi, de deux choses l’une en l’espèce :

'

soit la prescription (trentenaire) a commencé à courir avant la date d’entrée en vigueur de la loi et le

nouveau délai de 5 ans s’applique à compter de cette date (sans pouvoir porter la durée totale de prescription au-delà de 30 ans), et alors en l’espèce M. X devait agir au plus tard le 19 juin 2013, de telle sorte qu’en agissant comme il l’a fait le 3 août 2013 son action est prescrite,

'

soit la prescription a commencé à courir après le 19 juin 2008, par exemple en l’espèce au moment

où M. X est parti à la retraite le 31 août 2008, et alors M. X avait 5 ans pour agir à compter de cette date, de telle sorte que son action engagée le 3 août 2013 n’est pas prescrite.

Pour déterminer la date, – qui est donc décisive -, à laquelle la prescription a commencé à courir, il s’agit donc, selon la loi, non pas de la date à laquelle le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, mais de la date de « la révélation de la discrimination ».

S’agissant de savoir ce que recouvre cette notion de « révélation de la discrimination », il convient de tenir compte, certes, des débats parlementaires de la loi de 2008, comme l’y invite M. X, mais aussi et surtout de la loi elle-même sur les discriminations et la charge de la preuve telle qu’elle a été interprétée entre-temps par la cour de cassation.

S’agissant de la révélation de la discrimination en droit

*Par rapport au premier moyen de droit de M. X

L’article L.1134-1 du code du travail, dans sa version alors vigueur, dispose que lorsque survient un litige en matière de discrimination, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, à charge alors pour l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

En outre, il résulte de l’article L.1132-1 du code du travail dans sa version alors en vigueur et de l’article L.1134-1 du même code que l’existence d’une discrimination, y compris concernant le déroulement de la carrière, n’implique pas nécessairement une comparaison avec la situation d’autres

salariés.

Aussi, un salarié ne peut être débouté de sa demande de dommages-intérêts pour discrimination au motif qu’il s’est borné à affirmer avoir subi un ralentissement de carrière de nature discriminatoire sans fournir le moindre élément de comparaison avec d’autres collègues de statut identique.

Enfin, il résulte de l’article L.1134-1 du code du travail que le juge peut, en cas de besoin, ordonner toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Et de l’article 145 du code de procédure civile, il résulte que le juge des référés peut, dans l’exercice de son pouvoir souverain, décider que le salarié qui s’estime victime d’une discrimination justifie d’un motif légitime à obtenir en référé la communication de documents nécessaires à la protection de ses droits, dont seul l’employeur dispose et qu’il refuse de fournir.

En l’espèce, la cour déduit de l’ensemble de ces textes à la fois sur la charge de la preuve de la discrimination, sur les éléments de fait que le salarié doit présenter et sur les pouvoirs du juge en la matière, que manque déjà en droit le moyen de M. X faisant valoir que la prescription n’a pas pu commencer à courir à la date de son courrier du 2 décembre 2004 dans la mesure où il ne disposait pas à cette date « de l’ensemble des éléments de comparaison lui permettant d’exercer son droit par la voie d’un recours judiciaire, faute d’avoir entre les mains l’ensemble des documents permettant d’établir qu’il était victime d’une discrimination ».

En effet, la discrimination, y compris dans le déroulement de carrière, n’exige pas nécessairement une comparaison et si celle-ci est souvent nécessaire pour la preuve de la discrimination, il n’est pas exigé du salarié, qui n’a pas à faire la preuve de la discrimination, qu’il dispose de l’ensemble des éléments de comparaison et documents permettant d’établir qu’il est victime d’une discrimination.

Il doit seulement présenter des éléments de fait précis et concordants qui laissent supposer l’existence d’une discrimination, en sachant qu’il peut saisir le juge des référés pour voir ordonner à l’employeur la communication de documents qu’il est seul à disposer.

Enfin, si la prescription interdit la prise en compte de faits de discrimination couverts par elle, elle n’interdit pas au juge, pour apprécier la réalité de la discrimination subie au cours de la période non prescrite, de procéder à des comparaisons avec d’autres salariés engagés dans des conditions identiques de diplôme et de qualification à la même date que l’intéressé, celle-ci fût-elle antérieure à la période non prescrite.

La cour ajoute qu’à suivre l’argumentation de M. X jusqu’au bout, l’action en justice en discrimination du salarié ne serait jamais prescrite car, comme il l’affirme pour lui-même dans ses écritures, le salarié ne dispose jamais de tous les éléments de comparaison lui permettant d’établir la discrimination dont il est victime.

Or, une telle interprétation heurte de front le texte légal, lequel soumet l’action du salarié en justice en discrimination à une prescription, en l’occurrence de 5 ans qui court à compter de sa révélation.

La cour conclut de l’ensemble de ces textes que la révélation de la discrimination qui fait courir le délai de prescription doit s’entendre, non pas de la date à laquelle le salarié a eu connaissance de la discrimination dont il est victime, mais de la date à laquelle il dispose des éléments de fait précis et concordants qui permettent de laisser supposer l’existence d’une discrimination.

Avant de déterminer la date à partir de laquelle M. X disposait, en l’espèce, de ces éléments en fait, il convient d’examiner son second moyen de pur droit.

*Par rapport au second moyen de droit de M. X

M. X fait valoir, en substance, que la discrimination dont il se prétend victime porte en l’espèce sur un retard de carrière, c’est à dire sur un fait non pas instantané, mais un fait continu qui se poursuit dans le temps, ce qui amène à concevoir de façon différente le point de départ du délai de prescription.

A suivre M. X, les effets de son retard de carrière se sont fait sentir jusqu’à son départ de l’entreprise, en l’occurrence jusqu’à son départ à la retraite le 31 août 2008, de sorte que la prescription n’a pu courir qu’à cette date et que son action est recevable puisqu’il a saisi le conseil de prud’hommes le 3 août 2013.

La cour relève d’abord qu’une telle solution consistant à faire partir le délai de prescription de la discrimination à compter du moment où la discrimination a cessé et donc au plus tard lorsque le contrat du salarié est rompu est contraire à la loi.

En effet, la loi fait partir la prescription à compter non pas de la cessation des effets de la discrimination, mais expressément à compter de sa révélation, au demeurant sans distinguer selon que cette discrimination procède d’un fait instantané ou d’un fait continu qui se poursuit dans le temps.

En outre, retenir une telle solution de principe selon laquelle toute action en discrimination sur un fait continu ne pourrait être exercée, quel que soit le contexte, qu’à la rupture du contrat aboutirait à proscrire toute action pendant l’exécution du contrat, ce qui ne ressort nullement de la loi.

D’ailleurs, la cour ajoute que le droit du salarié d’agir en justice pendant l’exécution de son contrat de travail est protégé, de façon spécifique en matière de discriminations contre les représailles de l’employeur et, de façon générale, au titre de la protection du droit d’agir en justice comme liberté fondamentale.

Enfin, contrairement à ce que soutient M. X, il convient de distinguer, aux termes de la loi elle-même, l’action en justice en discrimination, d’une part, dont la prescription court à compter de sa révélation, de la réparation de la discrimination, d’autre part, laquelle est soumise à des dispositions différentes du point de vue de la prescription pour tenir compte précisément de ce que la discrimination peut être continue.

En effet, il résulte de l’alinéa 3 de l’article L.1134-5 du code du travail que le préjudice résultant de la discrimination doit être réparé sur toute sa durée y compris, sous réserve de l’hypothèse marginale du délai butoir de 20 ans de l’article 2232 du code civil, pendant plus de trente ans si la discrimination en matière de carrière a duré plus de trente ans.

Mais dès que cette discrimination a été révélée au salarié, il a alors 5 ans pour agir en justice et il ne peut attendre, pour agir, que cette discrimination a cessé.

Une fois saisi, le juge peut alors faire cesser cette discrimination pour l’avenir et, en matière de carrière, procéder au « reclassement » du salarié, c’est à dire lui attribuer, en plus de la réparation de son préjudice pour le passé sans limitation de durée, le positionnement auquel il a droit pour l’avenir dans la grille de classification.

En fonction des circonstances de faits, le moment de la révélation de la discrimination peut bien sûr correspondre au moment où la discrimination a cessé, mais il n’y a pas d’équivalence nécessaire entre ces deux moments d’un point de vue juridique.

Il appartient au juge du fond de rechercher la date à laquelle la discrimination a été révélée au salarié.

La cour en conclut à ce stade que même s’agissant d’une discrimination syndicale relative au

déroulement de la carrière du salarié, la prescription de l’action en justice court à compter de la révélation de cette discrimination et que celle-ci doit s’entendre de la date à laquelle le salarié dispose des éléments de fait précis et concordants suceptibles de laisser supposer l’existence d’une discrimination.

S’agissant en l’espèce de la révélation de la discrimination :

M. X a adressé le 2 décembre 2004 au directeur d’Outinord un courrier ayant pour objet « discrimination salariale et syndicale » et avec copie à l’inspection du travail.

Ce courrier est libellé dans les termes suivants :

« Monsieur, Je tiens à vous rappeler que depuis 1977, j’ai fait l’objet de discriminations salariales dans le déroulement de ma carrière. Une enquête de l’inspection du travail a été diligentée et a conclu à la discrimination envers Z X. Cette enquête est dans les mains de mon conseil.

Récemment et à plusieurs reprises (certes verbalement), j’ai été amené à vous réclamer le paiement d’une journée d’hospitalisation (ce que M. Marin présent à ce moment a d’ailleurs approuvé). A ce jours, toujours rien. Plus grave encore depuis septembre 2003 à de nombreuses reprises et suite à la convocation de votre part, j’ai participé à des réunions de conseil d’administration, assemblées générales et C.E. Vous ne m’avez toujours pas réglé du temps passé.

Vous avez omis de me convoquer au conseil d’administration de mai 2003 et aucune explication ne m’a été donnée. Récemment un document confidentiel destiné aux membres du CE leur a été remis, sauf à moi. Ces faits sont constitutifs de discrimination. Vous vous étiez engagé à voir le problème de la discrimination des élus, après plus d’un an d’étude, rien n’a été fait, aucune conclusion n’a été tirée.

Je vous informe que je réactive mon conseil pour engager la procédure judiciaire et qu’une solution amiable pourrait être étudiée entre votre conseil et le mien (… ) ».

Il ressort des termes clairs et précis de ce courrier que, contrairement à ce qu’il affirme dans ses écritures, M. X avait à cette date du 2 décembre 2004 beaucoup plus qu’une connaissance de l’existence d’une « possible » discrimination à son égard.

En effet, M. X présente plusieurs faits précis et concordants qui constituent pour lui, sans qu’il évoque le moindre doute à leur sujet, une discrimination syndicale à son endroit et qui donc, à tout le moins, laissent supposer l’existence d’une discrimination.

Au-delà de l’interprétation de ce courrier, il est significatif que lors de la première phase probatoire devant le premier juge et devant la cour de céans, M. X verse aux débats des documents dont il était déjà en possession au moment où il a écrit ce courrier en 2004.

Ainsi, et en particulier, au soutien du blocage de carrière dont il dit avoir été victime à partir de 1977 à compter de sa désignation en tant que délégué syndical et, ensuite, jusqu’en 1990, il verse aux débats ses bulletins de salaire de 1977 et 1989, mais aussi le relevé de carrière qui lui a été adressé, à sa demande, le 2 décembre 2003, donc avant qu’il ait écrit son courrier du 2 décembre 2014.

Ce rapprochement entre sa désignation comme délégué syndical en 1977 et le fait, attesté par ces bulletins de paie et ce relevé de carrière, qu’il ne connaitra plus d’évolution de carrière pendant de nombreuses années à compter de 1977 constituent des éléments de fait précis et concordants qui laissent supposer l’existence d’une discrimination syndicale.

Certes, M. X ne verse pas aux débats le rapport d’enquête de l’inspection du travail qui aurait,

d’après ce qu’il écrit dans son courrier de 2004, conclu à la discrimination syndicale à son égard et qui serait entre les mains de son conseil.

Un tel rapport de l’inspection du travail est susceptible, même lorsqu’il est demandé par une seule partie, de prouver la discrimination syndicale ; or encore une fois, la charge de la preuve de la discrimination n’incombe pas au salarié au premier stade probatoire.

En outre, comme le premier juge l’a relevé, il ressort du courrier du 27 février 1995 que la société Outinord a adressé à l’inspection du travail que celle-ci avait bien été saisie de la question du déroulement de carrière de M. X, de sorte que celui disposait déjà à cette date d’éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination.

En outre, M. X fait référence dans ses écritures à un comportement de défiance, voire d’acharnement de la direction à son égard en se fondant sur une note que celle-ci a adressée à M. I, son responsable, pour qu’il lui communique la liste des travaux qu’il lui confiait.

La cour relève que cette note date du 29 avril 1996 et qu’elle était en la possession de M. X bien avant le 2 décembre 2004.

Il en va de même de son bulletin de paie d’octobre 2004, sur lequel M. X se fonde pour en déduire que des arrêts maladie ne lui étaient pas payés.

Ainsi, M. X disposait en 2004, au moment où il a écrit le courrier du 2 décembre à son employeur, d’éléments suffisamment précis pour agir en justice et présenter des faits précis et concordants susceptbles de laisser supposer la discrimination dont il se prétendait victime.

Contrairement à ce qu’affirme M. X peu important, encore une fois, à ce stade qu’il n’ait pas été en possession de tous les éléments concrets de comparaison avec d’autres collègues, puisque c’était à l’employeur de prouver ensuite, notamment au moyen d’éléments de comparaison, que M. X n’avait pas fait l’objet d’une différence de traitement avec d’autres collègues ou que, en tout état de cause, cette différence de traitement ne reposait pas sur ses mandats et engagements syndicaux en général.

La cour en déduit que, indépendamment même de savoir si M. X disposait, comme il l’écrit dans son courrier du 2 décembre 2004, d’un rapport d’enquête de l’inspecteur du travail, il disposait de toute façon à cette date d’éléments susceptibles de laisser supposer l’existence d’une discrimination, laquelle lui était donc révélée au point de faire courir la prescription.

Et si M. X considérait -ce qui ne ressort pas des termes de sa lettre du 2 décembre 2004 loin s’en faut-, qu’il avait besoin de la communication d’autres documents en possession de son employeur pour s’assurer qu’il était bien victime d’une discrimination, il avait la possibilité de saisir le juge pour obtenir la communication de tels éléments.

De même, contrairement à ce qu’affirme M. X, peu importe qu’à cette date du 2 décembre 2004, la discrimination en raison de la carrière dont il se dit victime se soit poursuivie au delà, puisque la discrimination lui ayant été révélée à cette date, il lui appartenait alors de saisir de juge non seulement pour réparer son préjudice, et ceci sur toute sa durée sans limite de prescription, mais aussi pour faire cesser cette discrimination pour l’avenir, le cas échéant en le reclassant dans la grille de classification au positionnement qui aurait dû être le sien.

C’est donc de façon surabondante que la cour ajoute que, compte tenu de ses nombreux mandats de représentant élu du personnel (délégué du personnel, membre titulaire du comité d’entreprise, mais aussi du CHSCT) et de délégué syndical, M. X avait accès à de nombreuses informations qui lui permettaient de présenter des faits laissant supposer l’existence de la discrimination syndicale

dont il s’est prétendue victime.

C’est donc aussi de façon surabondante que la cour précise qu’ayant été conseiller prud’hommes pendant de longues années, M. X disposait de connaissances juridiques sur ces sujets.

Au terme de l’analyse de l’ensemble des éléments soumis à son appréciation, la cour considère que la discrimination a été révélée à M. X au plus tard le 2 décembre 2004, de sorte que la prescription a commencé à courir à cette date.

M. X qui avait donc jusqu’au 19 juin 2013 pour agir, n’a saisi le conseil de prud’hommes que le 9 août 2013, de sorte que son action était prescrite.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement de ce chef.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

Le jugement sera confirmé de ces deux chefs et compte tenu de l’issue du litige, il n’est pas inéquitable de laisser à la charge des parties les frais irrépétibles qu’elles ont engagés en cause d’appel.

M. X qui succombe en son appel supportera les dépens en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement du conseil de prud’hommes de Valenciennes du 29 janvier 2016 en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Déboute M. Z X du surplus de ses demandes,

Déboute la société Outinord Saint-Amand du surplus de ses demandes,

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,

Condamne M. Z X aux dépens.

Le greffier, Pour le président empêché,

V. COCKENPOT B. D, conseiller

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