Cour d'appel de Montpellier, Chambre commerciale, 21 novembre 2023, n° 21/03184

  • Épidémie·
  • Fermeture administrative·
  • Clause d 'exclusion·
  • Garantie·
  • Exploitation·
  • Établissement·
  • Maladie contagieuse·
  • Contrat d'assurance·
  • Risque·
  • Extensions

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Montpellier, ch. com., 21 nov. 2023, n° 21/03184
Juridiction : Cour d'appel de Montpellier
Numéro(s) : 21/03184
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal de commerce de Montpellier, 9 mai 2021, N° 2020008089
Dispositif : Autre
Date de dernière mise à jour : 26 novembre 2023
Lire la décision sur le site de la juridiction

Sur les parties

Texte intégral

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

Chambre commerciale

ARRET DU 21 NOVEMBRE 2023

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 21/03184 – N° Portalis DBVK-V-B7F-PABA

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 10 MAI 2021

TRIBUNAL DE COMMERCE DE MONTPELLIER

N° RG 2020 008089

APPELANTE :

S.A AXA FRANCE IARD représentée par son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Emily APOLLIS de la SCP GILLES ARGELLIES, EMILY APOLLIS – AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

Représentée par Me Hugo JARRY, avocat au barreau de PARIS substituant Me Pascal ORMEN, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

INTIMEE :

S.A.R.L. LE YAM’S prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Jérémy BALZARINI de la SCP ADONNE AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER

Ordonnance de clôture du 26 Septembre 2023

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 OCTOBRE 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :

Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre

Mme Anne-Claire BOURDON, conseillère

M. Thibault GRAFFIN, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Audrey VALERO

ARRET :

— contradictoire

— prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

— signé par Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre, et par Mme Audrey VALERO, greffière.

EXPOSE DU LITIGE :

La SARL Le Yam’s, sise à [Localité 4] (34) ayant pour secteur d’activité la restauration traditionnelle, a souscrit le 10 juillet 2017 auprès de la compagnie d’assurance Axa France IARD, un contrat d’assurance multirisque professionnelle n°3509925604.

Les conditions particulières dudit contrat d’assurance prévoyaient une extension de garantie intitulée « Perte d’exploitation suite à fermeture administrative ».

Aux termes de deux arrêtés pris les 14 et 15 mars 2020 du ministre des solidarités et de la santé, portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19, publiés au Journal officiel, il a été interdit aux restaurants et débits de boissons, d’accueillir le public, sauf pour les activités de livraison et vente à emporter, pour lutter contre la propagation dudit virus, entraînant selon les cas une fermeture totale ou partielle des établissements concernés. Le 14 avril 2020, un nouveau décret a prolongé l’interdiction d’accueillir le public jusqu’au au 11 mai 2020.

L’exploitation du restaurant de la société Le Yam’s a été, selon ses termes, « impactée » au cours de cette période.

La société Le Yam’s a déclaré le sinistre à son assureur, la société Axa France IARD, afin d’être indemnisée au titre de la garantie « Perte d’exploitation suite à fermeture administrative ». L’assureur a refusé sa garantie.

Par exploit du 17 juillet 2020, la société Le Yam’s a assigné l’assureur aux fins de la voir condamner principalement à lui verser une somme provisionnelle de 150 000 €, en sollicitant la désignation d’un expert pour chiffrer son préjudice.

Par jugement en date du 10 mai 2021, le tribunal de commerce de Montpellier a :

— dit que la clause d’exclusion prévue dans le contrat en question est réputée non écrite, en application de l’article 1170 du code civil en ce qu’elle vide de sa substance la garantie souscrite en l’état de fermeture de la survenance d’une épidémie et contrevient aux dispositions de l’article L. 113- 1 alinéa 1 du code des assurances pour n’être ni formelle ni limitée ;

— dit que la garantie perte d’exploitation souscrite par la société Le Yam’s doit trouver pleine et entière application ;

— condamné la société Axa France IARD à verser à la société Le Yam’s, la somme de 150 000 euros à titre de provision ;

— désigné comme expert judiciaire : Mme [O] [W] (') avec pour mission :

— se faire communiquer tous documents et pièces qu’il estimera utile à l’accomplissement de sa mission, notamment l’estimation effectuée par la société Le Yam’s et/ou son expert-comptable, accompagnée de ses bilans et comptes d’exploitation sur les trois dernières années,

— entendre les parties ainsi que tout sachant et évoquer, à l’issue de la première réunion avec les parties le calendrier possible de la suite des opérations,

— examiner les pertes d’exploitation garanties contractuellement par le contrat d’assurance, sur une période maximum de trois mois (durée contractuellement garantie),

— donner son avis sur le montant des pertes d’exploitation consécutives à la hausse du chiffre d’affaires causée par l’interruption ou la réduction de l’activité, de la marge brute (chiffres d’affaires moins charges variables) incluant les charges salariales et les économies réalisées,

— donner son avis sur les coefficients de tendance générale de l’évolution de l’activité et des factures externes et internes susceptibles d’être prise en compte pour le calcul de la réduction d’activité imputable à la mesure de fermeture,

— donner son avis sur les coefficients de tendances générales de l’évolution de l’activité et des facteurs extérieures et intérieures susceptibles d’être prise en compte pour le calcul de la réduction d’activité imputable à la mesure d’interdiction de recevoir du public,

— fixé à 2 000 euros le montant de la provision sur frais d’expertise à consigner par la société Axa France IARD dans un délai de 2 mois à dater de la signification de la présente décision ;

— dit qu’à défaut de consignation dans le délai prescrit, il sera constaté que la désignation de l’expert est caduque ;

— dit que l’expert prendra contact avec le juge en charge du contrôle des mesures d’instruction dès le démarrage de sa mission pour exposer sa méthodologie ;

— dit que ce même juge suivra l’exécution de la présente expertise dont le rapport devra être déposé au greffe dans un délai de 6 mois à compter de la consignation de la provision ;

— débouté les parties de leurs autres demandes, fins et conclusions ;

— dit que l’affaire sera maintenue au tableau « E » Expertises et que dès le rapport de l’expert, le greffier convoquera les parties par lettre simple pour une audience de plaidoiries à date fixe ;

— et réservé les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile.

Le 17 mai 2021, la SA Axa France IARD a relevé appel de ce jugement.

Par conclusions du 25 septembre 2023, elle demande à la cour, au visa des articles 1103, 1170 et 1192 du code civil et des articles L. 113-1 et L. 121-1 du code des assurances :

— de la recevoir en son appel, y faisant droit :

A titre principal,

— d’infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

— de déclarer que l’extension de garantie relative aux pertes d’exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d’épidémie est assortie d’une clause d’exclusion, qui est applicable en l’espèce ; qu’elle respecte le caractère formel exigé par l’article L. 113-1 du code des assurances ; qu’elle ne vide pas l’extension de garantie de sa substance et ne prive pas l’obligation essentielle d’Axa France IARD de sa substance ;

En conséquence :

— de juger applicable en l’espèce la clause d’exclusion de garantie relative aux pertes d’exploitations consécutives à une fermeture administrative pour cause d’épidémie ;

— de débouter la SARL Le Yam’s de l’intégralité de ses demandes formées contre elle ;

— d 'annuler la mesure d’expertise judiciaire ;

— de juger que l’assurée doit restituer la provision reçue ;

A titre subsidiaire,

— d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a condamnée Axa France IARD à provision ;

— de compléter la mission de l’expert désigné par le tribunal de commerce de Montpellier comme suit :

— donner son avis sur le montant des aides/subventions d’Etat perçues par l’assurée ;

Et en tout état de cause,

— de débouter l’assurée de toutes ses demandes  ;

— et de la condamner à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d’appel.

Au soutien de son appel, la société Axa France IARD fait valoir les moyens suivants :

— Quatre arrêts de principe de la Cour de cassation du 1er décembre 2022 et un autre arrêt de la Cour de cassation du 19 janvier 2023 ont reconnu que la clause d’exclusion à la garantie « perte d’exploitation suite à fermeture administrative » était formelle et limitée au sens des dispositions de l’article L. 113-1 du code des assurances, ce raisonnement ayant été suivis par les arrêts rendus par les cours d’appel.

— La clause d’exclusion litigieuse figurait de façon visible, sans ambiguïté, dans le contrat qui a été souscrit par la société Le Yam’s et il appartient à l’assurée de lire le contrat avant d’y souscrire.

— En respect des dispositions de l’article L. 113-1 du code des assurances, la clause d’exclusion litigieuse comporte des termes et trois critères d’applications clairs et précis – à savoir un critère de nombre où il faut qu’il y ait plus d’un établissement quelle que soit sa nature ou son activité sujet à une fermeture administrative, un critère territorial où l’échelle est départementale, et un critère causal où les fermetures d’établissements doivent être consécutives à une cause identique – ceci permettant de lui donner le caractère formel requis.

— Lors de la souscription au contrat d’assurance, la société Le Yam’s, en tant que professionnelle de la restauration soumise à de nombreuses règles d’hygiène et informée des périls sanitaires auxquels elle est exposée, n’a pas pu ignorer l’objet de cette garantie ainsi que se méprendre sur la portée de la clause d’exclusion.

— L’absence de définition du terme « épidémie », employé seulement au titre des conditions de garantie, est sans incidence pour apprécier le caractère formel de la clause d’exclusion litigieuse et cela n’affecte pas sa validité.

— L’extension de garantie souscrite ne constitue pas une garantie contre le risque d’une épidémie mais conte le risque d’une fermeture administrative où le seul critère d’application de la clause d’exclusion réside dans le périmètre de la fermeture administrative.

— Sa proposition d’avenant pour insérer aux contrats une clause d’exclusion relative à l’épidémie, la pandémie et la maladie contagieuse, ne remet pas en cause la clarté de la clause d’exclusion.

— En respect des dispositions de l’article L. 113-1 du code des assurances, des articles 1169 et 1170 du code civil et de la jurisprudence, la clause d’exclusion litigieuse vient seulement limiter la garantie du risque, étant la perte d’exploitation consécutive à une fermeture administrative causée par une épidémie, et cette clause ne prive pas de sa substance l’obligation à laquelle elle s’est engagée en tant que débiteur.

— Selon les données scientifiques, une épidémie peut entraîner la fermeture administrative d’un seul établissement sur le département, le risque assuré est alors probable et même en étant improbable, ceci ne serait pas de nature à priver le caractère limité de la clause.

— La commune intention des parties lors de la souscription du contrat n’était pas de couvrir le risque d’une fermeture généralisée à l’ensemble du territoire, alors imprévisible et constituant un préjudice anormal et spécial dont les conséquences ne peuvent incomber à l’assureur, mais de couvrir les aléas inhérents à l’exploitation d’un restaurant exposé à des risques biologiques.

— Puisque la société Le Yam’s a indiqué qu’elle avait pu rouvrir à compter du 11 mai 2020, l’indemnisation relative à l’extension « Perte d’exploitation pour fermeture administrative » devra se limiter à la période du 15 mars au 11 mai 2020.

— La mission confiée à l’expert judiciaire ne permet pas de calculer les pertes d’exploitation conformément à la méthodologie de calcul du contrat d’assurance souscrit par la société Le Yam’s, ce dernier n’a pas tenu compte ni des facteurs externes ayant pu avoir une influence sur le chiffre d’affaires réalisé ni des résultats des exercices antérieurs au titre de la même période ni des charges variables qui n’ont pas été supportées durant la fermeture et ni des aides ou subventions d’Etat perçues par l’assurée.

Par conclusions du 18 septembre 2023, la Sarl Le Yam’s demande à la cour, au visa de l’article L. 113-1 du code des assurances et des articles 1170 et 1190 du code civil, de confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions, de renvoyer les parties devant le tribunal de commerce de Montpellier afin qu’il soit statué sur la liquidation de l’indemnité contractuellement due, et de condamner l’appelante à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

La société Le Yam’s expose les moyens suivants :

— C’est à tort que la société Axa France IARD estime que les arrêtés ministériels n’induisent pas la fermeture du restaurant et ainsi que la garantie « Perte d’exploitation suite à fermeture administrative » n’est pas mobilisable alors que l’assureur ne peut imposer son interprétation si sa définition n’est pas prévue dans le contrat. Elle était en droit d’interpréter la garantie comme couvrant le sinistre puisqu’il est prévu qu’une fermeture même partielle était couverte, alors que selon l’article 1190 du code civil et la jurisprudence applicable aux contrats d’assurance estiment que dans le doute, le contrat d’adhésion s’applique contre celui qui l’a proposé.

— L’assureur n’a pas défini dans son contrat ce qu’il entendait par le terme « épidémie », lors de la souscription du contrat, de sorte que la société a estimé que la garantie couvrait le risque épidémique tel qu’elle peut le comprendre en « bon père de famille » en faisant référence aux dernières épidémies connues comme la peste, le choléra, le SRAS et la grippe H1N1.

— Une condition d’antériorité est prévue dans la clause d’exclusion dans la mesure où un autre établissement du département doit avoir déjà fait l’objet d’une fermeture administrative ; elle n’est pas remplie puisqu’en l’espèce, la décision administrative a concerné simultanément tous les établissements sur le territoire national, de ce fait, au jour où elle subit la fermeture administrative, aucun autre établissement n’avait fait antérieurement l’objet d’une telle fermeture.

— Selon les dispositions de l’article L. 113-1 du code des assurances, la clause d’exclusion n’est pas limitée en stipulant que la garantie n’est pas couverte quand la mesure de fermeture administrative d’un autre établissement dans le même département concerne « une cause identique », ceci revenant à supprimer la garantie couvrant le risque épidémie.

— La société Axa France IARD lui a proposé de façon dolosive, selon les articles 1193, 1104 et 1137 du code civil, la signature d’un avenant en précisant que les nouvelles conditions générales ne modifient pas les garanties consenties alors que la garantie « perte d’exploitation » a été remaniée, excluant les épidémies, pandémie ou épizootie, dont les définitions sont précisées au sein du glossaire desdits conditions générales, ceci démontrant l’imprécision de la clause d’exclusion et la contrariété de sens entre la garantie et l’exclusion jusqu’alors.

L’ordonnance de clôture est datée du 26 septembre 2023.

MOTIFS :

Le contrat souscrit par la société Le Yam’s auprès de l’assureur AXA prévoit au titre des conditions particulières, en pages 8 et 9, l’ extension de garantie intitulée « PERTE D’EXPLOITATION SUITE À FERMETURE ADMINISTRATIVE » aux termes de laquelle :

« La garantie est étendue aux pertes d’exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l’établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :

La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à vous-même

La décision de fermeture est la conséquence d’une maladie contagieuse, d’un meurtre, d’un suicide, d’une épidémie ou d’une intoxication

Durée et limite de la garantie

La garantie intervient pendant la période d’indemnisation, c’est-à-dire la période commençant le jour du sinistre et qui dure tant que les résultats de l’établissement sont affectés par ledit sinistre, dans la limite de 3 mois maximum.

Le montant de la garantie est limité à 300 fois l’indice.

L’assuré conservera à sa charge une franchise de 3 jours ouvrés.

SONT EXCLUES

LES PERTES D’EXPLOITATION, LORSQUE, À LA DATE DE LA DÉCISION DE FERMETURE, AU MOINS UN AUTRE ÉTABLISSEMENT, QUELLE QUE SOIT SA NATURE ET SON ACTIVITÉ, FAIT L’OBJET, SUR LE MÊME TERRITOIRE DÉPARTEMENTAL QUE CELUI DE L’ÉTABLISSEMENT ASSURÉ, D’UNE MESURE DE FERMETURE ADMINISTRATIVE, POUR UNE CAUSE IDENTIQUE. ».

Le contrat d’assurance couvre ainsi le risque de pertes d’exploitation de l’activité déclarée et, dans le cadre d’une extension de cette garantie, celles résultant de la fermeture administrative provisoire totale ou partielle du fonds de commerce assuré consécutive à cinq cas limitativement énumérés, dont l’épidémie.

Les conditions de la garantie des pertes d’exploitation consécutives à la fermeture provisoire de l’établissement assuré sont donc réunies.

Concernant l’exclusion d’une garantie, il convient de rappeler que l’article L. 113-1 du code des assurances prévoit que les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police.

Une clause d’exclusion est formelle, lorsqu’elle est claire et précise.

Une clause d’exclusion de garantie n’est pas formelle et limitée lorsqu’elle doit être interprétée.

De même, une clause d’exclusion n’est valable que si elle ne vide pas de sa substance la garantie consentie conformément aux dispositions de l’article 1170 du code civil, issues de l’ordonnance n°131-2016 du 10 février 2016, et si la garantie, contrepartie du paiement des primes, n’est pas illusoire ou dérisoire au sens de l’article 1169 du code de procédure civile, reprenant une jurisprudence ancienne.

Il convient de relever en premier lieu que la clause d’exclusion litigieuse figure aux conditions particulières de la police souscrite, en caractères très apparents, étant rédigée en lettres majuscules, au sein d’un paragraphe rédigé en lettres minuscules, intitulé « PERTE D’EXPLOITATION SUITE À FERMETURE ADMINISTRATIVE », conformément aux dispositions de l’article L. 112-4 du code des assurances.

L’absence de définition du terme « épidémie» dans le contrat n’empêche pas une telle clause d’être claire et précise dans la mesure où en l’espèce, l’analyse du terme « épidémie » permet seulement d’expliciter son sens, sans, pour autant, procéder à une interprétation de ce mot et de la clause d’exclusion pour pallier un prétendu caractère inintelligible.

Cette absence de définition du terme « épidémie » et de précision quant à son origine, sa nature et son étendue, est favorable à l’assuré.

La clause d’exclusion ne comprend aucun terme ou expression relevant d’un vocabulaire spécialisé.

Les termes « cause identique », s’agissant de la motivation des décisions de fermeture administrative des autres établissements (susceptibles d’être également fermés), ne sont pas imprécis en ce qu’ils renvoient à la même cause que celle fondant la décision de fermeture du fonds de commerce assuré (soit la même épidémie, la même maladie contagieuse, le même meurtre, le même suicide ou la même intoxication).

Il doit être observé à cet égard que la fermeture d’un ou plusieurs autre(s) établissement(s) ne doit pas être nécessairement antérieure à la fermeture administrative en cause, mais que compte tenu de l’usage de l’indicatif présent (« fait l’objet »), elle peut lui être concomitante.

De même il convient de relever qu'« un autre établissement » ne signifie pas « un autre de vos établissements », de sorte que sont visées tant les fermetures, le cas échéant, d’un autre établissement de l’assuré, s’il en a plusieurs, que l’autre établissement d’un tiers.

L’exclusion est, dès lors dépourvue d’ambiguïté ; la garantie ne peut pas être mobilisée en cas de fermetures administratives collectives ayant une origine ou un fondement identique.

L’appréciation de la limitation de la garantie, qui ne doit pas tendre à en annuler les effets, doit se faire au regard du risque couvert.

Le caractère limité d’une clause d’exclusion s’apprécie non point en considération de ce qu’elle exclut, mais en considération de ce qu’elle garantit après sa mise en 'uvre.

En l’espèce, l’exclusion tenant à une mesure de fermeture administrative collective, conséquence d’une épidémie, ne fait pas obstacle à la garantie de pertes d’exploitation subies par l’activité assurée, lorsque la décision de fermeture administrative découle des autres causes contractuellement prévues.

Le contrat d’assurance ne couvre pas le risque de la survenance d’une épidémie, mais celui d’une fermeture administrative découlant d’une épidémie.

Une telle fermeture relève d’une décision de l’autorité compétente, qui, tenant compte de différents éléments, peut être adaptée et varier et ce, au visa de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable en l’espèce, qui prévoit la prescription de «toute mesure proportionnée aux risques encourus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population », en ce compris des mesures individuelles.

Il appartient à l’assureur de démontrer qu’un autre établissement, situé dans le même département, fait l’objet d’une fermeture administrative pour la même épidémie, ce qui, à défaut, permet de mobiliser sa garantie.

De même celle-ci sera due si cette fermeture, y compris pour une cause identique, concerne un autre département.

Concernant les motifs de fermeture administrative, tels que le meurtre et le suicide, pour lesquels une commission à l’identique au même moment dans le même département est peu envisageable, l’exclusion de garantie ne s’appliquera pas, et la garantie demeure mobilisable.

Concernant les motifs tels que l’intoxication, la maladie contagieuse et l’épidémie, la distinction faite est favorable à l’assuré, puisque ces trois évènements ne recouvrent pas une même réalité.

L’assureur démontre, par ailleurs, en versant une documentation circonstanciée, que la fermeture administrative d’un seul établissement, dans un même département, fondée sur des cas de salmonellose, de listériose, de légionellose (qui ne sont pas des maladies contagieuses), de grippe aviaire, ou de fièvre typhoïde, conduisant à des épidémies, s’agissant de l’augmentation brutale de cas de maladie au sein d’une communauté, d’une collectivité, ou d’un lieu de travail, ou présentant un simple risque épidémique, est déjà advenue.

Il est établi qu’un fonds de commerce de restauration supporte un risque non négligeable quant à la propagation de toxi-infections alimentaires collectives (TIAC), dont il peut être le foyer (en 2019, 41 % des TIAC sont survenues en restauration commerciale), alors que son activité est encadrée par diverses obligations en matière d’hygiène alimentaire et de sécurité sanitaires, susceptibles d’entraîner de la même manière une fermeture administrative isolée du foyer épidémique.

L’épidémie de Covid-19, qui a entraîné la fermeture des restaurants en France suite aux mesures gouvernementales, ne constitue qu’un cas d’épidémie et qu’un motif de fermeture administrative parmi d’autres, pour lequel ladite fermeture, qui a été collective, n’est pas garantie par la police souscrite.

La proposition faite par la société Axa à l’assuré d’un avenant qui exclut de la garantie toutes les pertes d’exploitation consécutives à une épidémie ou une maladie contagieuse est inopérante sur l’analyse du contrat litigieux, sauf à témoigner, à l’opposé, que ce dernier n’avait pas été envisagé par les parties au regard d’une épidémie telle que celle de la Covid-19, même à la date à laquelle l’avenant a été signé.

Il en résulte que l’exclusion de garantie, résultant d’une fermeture administrative consécutive à une épidémie, lorsque la fermeture n’est pas limitée au fonds de commerce assuré au sein du département où il se trouve localisé, ne vide pas de sa substance l’extension de la garantie des pertes d’exploitation souscrite.

La contrepartie au versement des primes n’est pas illusoire ou dérisoire, la fermeture administrative isolée de l’établissement assuré pour l’un des cas énoncés à l’extension de garantie étant un évènement possible, probable, qui correspond à un risque aléatoire assurable et mobilisant la garantie perte d’exploitation.

Les situations entraînant la mise en jeu de cette extension étant réelles, la clause est valable ; elle n’encourt pas la nullité.

Elle ne prive pas le contrat d’assurance d’objet ou de cause.

En définitive, il appert que la commune intention des parties, lors de la conclusion du contrat d’assurance, était de couvrir le risque d’une fermeture administrative temporaire, individuelle, consécutive à une épidémie au sein de l’établissement assuré, et non celui de fermetures collectives.

En conséquence, la demande de la société Le Yam’s tendant à voir déclarer non-écrite la clause d’exclusion figurant dans le contrat d’assurance multirisque professionnel eu égard à son supposé caractère non limité, sera rejetée ainsi que toutes ses demandes subséquentes.

Le jugement déféré ayant fait droit aux demandes de l’assurée sera donc entièrement réformé, étant rappelé que le présent arrêt infirmatif constitue le titre exécutoire ouvrant droit à la restitution des sommes versées au titre de l’exécution de cette décision.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Déboute la SARL Le Yam’s de toutes ses demandes,

Dit n’y avoir lieu de statuer sur la demande de restitution des sommes versées en vertu de l’exécution provisoire attachée au jugement déféré à la cour,

Condamne la société Le Yam’s aux dépens de première instance et d’appel, et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

Dit n’y avoir lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile.

le greffier, le président,

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Montpellier, Chambre commerciale, 21 novembre 2023, n° 21/03184