Cour d'appel d'Orléans, 23 janvier 2020, 19/006111

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Orléans, c1, 23 janv. 2020, n° 19/00611
Juridiction : Cour d'appel d'Orléans
Numéro(s) : 19/006111
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal de commerce de Blois, 13 décembre 2018
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Date de dernière mise à jour : 15 septembre 2022
Identifiant Légifrance : JURITEXT000041518874
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Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL D’ORLÉANS

CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 23/01/2020

la SELARL BRETLIM FORTUNY

Me Thierry GIRAULT

ARRÊT du : 23 JANVIER 2020

No : 12 – 20

No RG 19/00611 – No Portalis

DBVN-V-B7D-F32E

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal de Commerce de BLOIS en date du 14 Décembre 2018

PARTIES EN CAUSE

APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé No: 1265234961650621

La SARL ROSA FLEURS

[…]

[…]

Ayant pour avocat Me Valérie HARLICOT GUELE, membre de la SELARL BRETLIM FORTUNY, avocat au barreau de BLOIS

D’UNE PART

INTIMÉE : – Timbre fiscal dématérialisé No: 1265232131600640

SARL GAMAF La société GAMAF,

Agissant poursuites et diligences de son représentant légal dont le siège est […].

[…]

[…]

Ayant pour avocat postulant Me Thierry GIRAULT, avocat au barreau d’ORLEANS, et pour avocat plaidant Me Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS

D’AUTRE PART

DÉCLARATION D’APPEL en date du : 11 Février 2019

ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 7 novembre 2019

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats à l’audience publique du 21 NOVEMBRE 2019, à 14 heures, Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d’Appel d’ORLEANS, en son rapport, et Madame Fanny CHENOT, Conseiller, en son rapport, ont entendu les avocats des parties en leurs plaidoiries, avec leur accord, par application de l’article 786 et 907 du code de procédure civile.

Après délibéré au cours duquel Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d’Appel D’ORLEANS, et Madame Fanny CHENOT, Conseiller, ont rendu compte à la collégialité des débats à la Cour composée de :

Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d’Appel d’ORLEANS,

Madame Fanny CHENOT, Conseiller,

Madame Nathalie MICHEL, Conseiller,

Greffier :

Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier lors des débats et du prononcé,

ARRÊT :

Prononcé publiquement par arrêt contradictoire le 23 JANVIER 2020 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE :

La société Rosa fleurs, qui exerce une activité de commerce de fleurs, a confié le 20 août 2003 à la SARL Gamaf une mission de tenue intégrale de sa comptabilité, d’établissement des comptes annuels, d’établissement des déclarations fiscales et de suivi juridique annuel.

La convention a été résiliée en mars 2014 par la société Rosa fleurs, à effet au 31 mars 2014, date de clôture des comptes annuels.

La société Rosa fleurs a fait l’objet d’une vérification de comptabilité pour la période du 1er avril 2011 au 31 mars 2015, ensuite de laquelle l’administration fiscale lui a adressé trois propositions de rectification :

— une première proposition rectificative en date du 10 décembre 2015, pour la période du 1er avril 2011 au 31 mars 2012, portant sur la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM) due au titre de l’année 2012 et sur la TVA due en 2012 sur l’exercice clos au 31 mars 2012

— une deuxième proposition rectificative en date du 19 janvier 2016, pour la période du 1er avril 2012 au 31 mars 2015, portant sur la TASCOM des années 2013 (3234 euros) et 2014 (3 107€), la TVA due sur les exercices clos au 31 mars 2014 et au 31 mars 2015, et sur l’impôt sur les sociétés de l’exercice clos au 31 mars 2014

— une troisième proposition de rectification en date elle aussi du 19 janvier 2016, portant sur la modification de la base de calcul de la TASCOM 2015

Les échanges engagés au premier semestre 2016 avec la société Gamaf s’étant révélés infructueux, la société Rosa fleurs, imputant à faute ces redressements à son ancien comptable, a saisi le tribunal de commerce de Blois à fin d’entendre condamner la société Gamaf à lui payer la somme principale de 67516 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 2 février 2016, la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts, outre une indemnité de 3000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 14 décembre 2018, en retenant :

— s’agissant de la TVA due sur la cession d’un immeuble intervenue en 2013, que l’acte de cession avait été établi sous la seule responsabilité du notaire, et que la société Gamaf, qui s’était contentée d’enregistrer le document qui lui avait été remis, ne pouvait endosser la responsabilité de la rectification intervenue sur ce chef,

— s’agissant des autres propositions de rectification de la TVA, relatives à des erreurs de saisie sur les factures enregistrées au cours des exercices clos au 31 mars des années 2013 et 2014, que la société Gamaf, qui reconnaissait elle-même sa faute, devait être tenue d’indemniser la société Rosa fleurs à hauteur des pénalités supportées sur ce chef (8762€)

— concernant la TASCOM, qu’aucun manquement ne pouvait être imputé à la société Gamaf, qui n’était pas tenue, selon les termes de sa mission, de déclarer cette taxe

le tribunal a :

— condamné la société Gamaf à payer à la société Rosa fleurs la somme de 8762 euros au titre du préjudice subi

— débouté la société Rosa fleurs du surplus de ses demandes

— dit n’y avoir lieu à exécution provisoire

— condamné la société Rosa fleurs à payer à la société Gamaf la somme de 2500euros en application de l’article 700 du code de procédure civile

— condamné la société Rosa fleurs aux dépens de l’instance

La société Rosa fleurs a relevé appel de cette décision par déclaration en date du 11 février 2019, en critiquant expressément tous les chefs du jugement en cause.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 23 octobre 2019, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de ses arguments et moyens, la SARL Rosa fleurs demande à la cour de :

— confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Blois en ce qu’il a condamné la société Gamaf à lui payer la somme de 8762,00 euros correspondant aux majorations de 40%, pour manquement délibéré,

— infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Blois, en ce qu’il a rejeté le surplus de ses demandes et l’a condamnée à la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,

En conséquence, statuant de nouveau, de :

— condamner la SARL Gamaf à lui payer les sommes suivantes pour réparer l’intégralité de ses préjudices :

>4 806 euros au titre des intérêts de retard sur les déclarations de TVA

>1 170 euros au titre des majorations et intérêts de retard sur la TASCOM

>53 228 euros au titre de la perte de chance

— condamner la SARL Gamaf à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

— condamner la SARL Gamaf aux entiers dépens de première instance et d’appel

La société Rosa fleurs commence par souligner qu’une part significative des conséquences financières des rectifications proposées en matière TVA correspond à des pénalités de 40 % pour manquements délibérés, ce qui traduit selon elle le caractère répété des erreurs commises par son ancien cabinet comptable, qui a conduit l’administration fiscale à considérer qu’elle avait agi délibérément pour obtenir un profit du Trésor.

L’appelante indique ensuite que comme tout professionnel, l’expert comptable engage sa responsabilité contractuelle s’il n’exécute pas correctement la mission qui lui a été confiée, en établissant des comptes erronés, en omettant de vérifier le régime d’imposition applicable, en commettant des erreurs dans les déclarations fiscales ou en omettant, soit de déclarer un élément d’un point de vue fiscal, soir de procéder à certaines déclarations. Elle souligne que, même tenu d’une mission ponctuelle et partielle de déclarations fiscales, l’expert-comptable doit prendre en considération toutes les informations portées à sa connaissance pour s’assurer que sa déclaration est conforme aux exigences légales. Elle ajoute que l’expert-comptable est en outre tenu d’un devoir de conseil qui l’oblige, notamment, à mettre son client en mesure de faire les démarches propres à le mettre à l’abri d’un redressement fiscal, et à attirer l’attention de son client s’il constate des insuffisances ou un désordre dans sa comptabilité de nature à entraîner des conséquences fiscales.

Sur les propositions de rectification qu’elle impute aux manquements de l’intimée, la société Rosa fleurs fait valoir :

— que les rectifications de TVA relatives aux erreurs de saisie de ses factures concernent des périodes durant lesquelles la société Gamaf a été chargée de la tenue de l’intégralité de sa comptabilité, que ladite société, qui ne peut soutenir sans preuve qu’elle était chargée de la saisie de ses propres factures, alors qu’elle n’a jamais été équipée du moindre logiciel de comptabilité et que les courriels versés aux débats montrent que la saisie était réalisée par une préposée de la société Gamaf, est totalement responsable des erreurs commises, et devra en conséquence être condamnée à lui rembourser l’intégralité des conséquences financières correspondant aux pénalités, majorations et intérêts de retard

— que la rectification de TVA relative à la cession d’un immeuble porte elle aussi sur une période durant laquelle la société Gamaf avait pour mission de procéder aux déclarations de cet impôt, que l’expert-comptable ne peut se défausser sur le notaire pour échapper à sa propre responsabilité alors qu’il a eu connaissance de l’acte de cession et qu’il lui appartenait en conséquence de l’alerter sur la nécessité d’une régularisation

— que la société Gamaf devra être condamnée à lui régler, en sus des 8762 euros correspondant correspondant à la majoration de 40 % pour manquement délibéré, les intérêts de retard qu’elle a réglés en application de l’article 1727 du code général des impôts en raison des manquements de l’intimée, soit 293 euros pour le rappel de TVA 2011-2012, 71 euros sur le rappel 2012-2013, 3965 euros sur le rappel 2013-2014 et 477 euros sur le rappel 2014-2015

— que si le notaire rédacteur de l’acte de cession de l’immeuble à usage de jardinerie a été condamné, par un jugement du tribunal de grande instance de Blois en date du 14 février 2019 à lui régler la somme de 2067 euros correspondant aux intérêts de retard afférents à la rectification opérée sur cette vente immobilière, outre 1000 euros à titre de dommages et intérêts, elle demeure fondée à réclamer à la société Gamaf un complément d’indemnisation au titre des intérêts de retard, à hauteur d’une somme totale de 4806 euros

— que si la mission de la société Gamaf ne prévoyait pas que ladite société devait procéder aux déclarations correspondant à la TASCOM, il n’en demeure pas moins que ladite société, qui connaissait les deux critères d’assujettissement à cette taxe, à savoir la surface de ses locaux, puisqu’elle établissait les déclarations de la taxe professionnelle qui a été remplacée par la cotisation foncière des entreprises, et le montant de son chiffre d’affaires, aurait dû procéder à la déclaration idoine ou, à tout le moins, l’alerter, en exécution de son devoir de conseil, sur la nécessité de procéder à une déclaration de cette nature en lui proposant le cas échéant ses services à ce titre

— que la société Gamaf devra donc lui rembourser, à fin de l’indemniser du préjudice que lui ont causé ses manquements, les pénalités, majorations et intérêts de retard qu’elle a réglés au titre de cette taxe, soit 579 euros au titre de la TASCOM 2012 et 591 euros au titre de la TASCOM 2013

— que les fautes commises par la société Gamaf dans l’établissement des déclarations de TVA et de TASCOM lui ont par ailleurs causé un préjudice correspondant à la perte de chance d’éviter un redressement fiscal qui s’est élevé, hors pénalités et intérêts de retard, à la somme totale de 53228 euros

— que l’intimée devra en conséquence être condamnée à lui régler ladite somme de 53228euros «pour réparer le préjudice lié à la perte de chance»

— qu’enfin le jugement du tribunal de commerce de Blois devra également être réformé en ce qu’il l’a condamnée aux dépens ainsi qu’à régler une indemnité de procédure à la société Gamaf, alors que cette société, qui a été condamnée à l’indemniser d’une partie de son préjudice, ne peut qu’être regardée que comme la partie ayant succombé.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 6 novembre 2019, auxquelles il est pareillement renvoyé pour l’exposé détaillé de ses arguments et moyens, la société Gamaf demande à la cour, au visa de l’article 122 du code de procédure civile, des articles 1231-1, 1232 et 1353 du code civil, de :

— déclarer irrecevable la société Rosa fleurs qui a été indemnisée par le notaire,

— en tout état de cause, confirmer le jugement qui l’a déboutée de ses demandes relatives à la TASCOM et à la TVA sur la vente du bâtiment commercial,

— le réformer sur le surplus,

— recevant la concluante en son appel incident :

— infirmer le jugement en ce qu’il a jugé que la responsabilité du cabinet comptable était engagée et la décharger, à tout le moins d’une partie des condamnations,

— condamner la société Rosa fleurs à lui payer la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

A titre principal, la société Gamaf soutient que la société Rosa fleurs doit être déclarée irrecevable en ses demandes, en faisant valoir que ladite société a assigné le notaire [chargé de la rédaction de l’acte de cession de l’immeuble commercial] aux fins d’obtenir sa condamnation à lui régler une somme de 23494 euros correspondant au montant du redressement, que le notaire a été condamné le 14 février 2019 au montant des seuls intérêts de retard, au motif que la société ne démontrait pas la perte de chance de ne pas être redressée, ce dont l’intimée déduit que la société Rosa fleurs, qui a acquiescé au jugement du tribunal de grande instance de Blois, doit être déclarée irrecevable en ses demandes de complément d’indemnisation «qu’elle n’est plus à même de reprendre».

Sur le fond, la société Gamaf soutient que les erreurs de saisie des factures enregistrées au cours des exercices clos au 31 mars 2013 et 2014 ne peuvent lui être imputées alors que la saisie des factures était établie sur le propre logiciel de sa cliente. Elle ajoute que l’administration fiscale a relevé des erreurs identiques après la cessation de sa mission, ce dont elle déduit, sans plus de précision, que ce n’est pas dans le travail déclaratif que se trouve le problème, mais que, dès l’instant que les erreurs ont perduré après sa cessation d’activité, la cour pourra considérer que la société Rosa fleurs doit supporter à tout le moins une partie du redressement.

Concernant la TVA à régulariser sur la vente de l’immeuble commercial, la société Gamaf, qui rappelle qu’elle estime toute demande formée sur ce chef irrecevable, ne développe aucune défense au fond.

S’agissant de la TASCOM, la société Gamaf commence par rappeler le mécanisme déclaratif, explique que la déclaration comme le calcul de cette taxe supposent de connaître la surface de vente du commerce, qui correspond à des critères particuliers que seul le commerçant est en mesure d’établir, et soutient que c’est la raison pour laquelle la société Rosa fleurs ne lui a jamais confié la mission de procéder aux déclarations concernant cette taxe.

Elle en déduit que c’est à juste titre que le tribunal de commerce a débouté la société Rosa fleurs de toutes ses demandes relatives à cet impôt.

Sur le préjudice enfin, la société Gamaf relève que la somme de 53228euros réclamée par la société Rosa fleurs au titre d’une perte de chance ne saurait correspondre à un préjudice indemnisable, alors que cette somme correspond au montant des impôts mis à la charge de l’appelante, lesquels étaient légalement dus.

L’intimée ajoute que les intérêts de retard ne sont pas une sanction, mais une indemnisation forfaitaire destinée à réparer le préjudice subi par l’Etat du fait du non-respect par le contribuable de ses obligations fiscales, ce dont elle déduit, sans davantage d’explication, que la société Rosa fleurs ne peut qu’être déboutée de ses prétentions formées sur ce chef.

La société Gamaf indique enfin que les dommages et intérêts dus au créancier en application de l’article 1231-2 du code civil supposent que l’évènement en cause soit étranger à la volonté ou au comportement de la victime, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce, et souligne que la société Rosa fleurs a finalement réalisé une économie d’impôt en faisant délibérément le choix de ne pas procéder à la déclaration de la TASCOM, puisque, dans la limite de la prescription, la redressement a porté sur trois ans alors que ladite société exerce son activité depuis plus de vingt ans, ce dont elle déduit que le préjudice, à le supposer existant, devra être «notablement minoré».

L’instruction a été clôturée par ordonnance du 7 novembre 2019.

A l’audience, les parties ont été invitées à présenter leurs observations sur l’éventuelle perte de chance pouvant résulter, au titre de l’imposition sur les surfaces commerciales, du manquement reproché à l’intimée à son obligation de conseil, et autorisées à cet effet à déposer contradictoirement une note en délibéré avant le 5 décembre 2019.

Le 27 novembre 2019, la société Rosa fleurs a déposé par voie électronique une note dans laquelle elle indique, en substance, que si elle avait été informée de l’obligation d’établir la déclaration de la taxe sur les surfaces commerciales, elle aurait acquitté immédiatement cette taxe en remplissant les déclarations s’y rattachant, ce qui lui aurait permis, puisque cette taxe est fiscalement déductible, d’optimiser son résultat fiscal, ce dont elle déduit, sans contester que son préjudice doit s’analyser en une perte de chance, qu’elle n’avait aucun intérêt à reporter le paiement de cette taxe et que son préjudice correspond en conséquence à l’intégralité des majorations et pénalités de retard qu’elle a supportés relativement à cette taxe (1071 euros).

Dans une note en réplique transmise par voie électronique le 5 décembre 2019, la société Gamaf souligne que la cour a circonscrit les observations des parties à l’éventuelle perte de chance subie par la société Rosa fleurs ensuite du manquement allégué à son obligation de conseil concernant la déclaration de la taxe sur les surfaces commerciales, en déduit que l’appelante ne peut revenir dans sa note sur d’autres éléments du litige et, sur la perte de chance en cause discutée, relève que la société Rosa fleurs, qui assure qu’elle aurait immédiatement payé la taxe sur les surfaces commerciales si elle avait su en être redevable, ne justifie pas qu’elle aurait été en mesure de régler cette taxe, et ne peut en toute hypothèse évaluer son préjudice à hauteur des majorations et intérêts réglés sur cette taxe, alors qu’en cas de perte de chance, la réparation du dommage ne peut être que partielle.

SUR CE, LA COUR :

Sur la fin de non-recevoir soulevée par l’intimée

La fin de non-recevoir est définie à l’article 122 du code de procédure civile comme tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

La société Gamaf n’indique pas, au soutien de sa fin de non-recevoir, en quoi selon elle le jugement rendu le le 14 février 2019 par le tribunal de grande instance de Blois priverait la société Rosa fleurs de son droit d’agir devant cette cour.

Il est certain que cette décision, à laquelle la société Gamaf n’était pas partie, n’a pas autorité de chose jugée à son égard, et que la société Rosa fleurs, qui ne sollicite pas devant cette cour une indemnisation qui lui aurait déjà été allouée par le tribunal de grande instance de Blois, mais un complément d’indemnisation, a intérêt à agir au sens de l’article 31 du code de procédure civile.

La société Gamaf ne développant aucune argumentation qui puisse laisser entendre que sa fin de non-recevoir serait fondée sur des motifs autres que ceux tirés du défaut d’intérêt ou de l’autorité de chose jugée, la société Rosa fleurs sera déclarée recevable en ses demandes.

Sur le fond

La cour observe à titre liminaire que le contrat ayant lié les parties a été conclu et renouvelé avant le 1er octobre 2016, en sorte que les articles du code civil applicables à la cause doivent être pris dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016, en application des dispositions transitoires de ladite ordonnance qui, à son article 9 issu de la loi de ratification no 2018-287 du 20 avril 2018, précise que les contrats conclus avant son entrée en vigueur, au 1er octobre 2016, demeurent soumis à la loi ancienne, y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d’ordre public.

Les rectifications que la société Rosa fleurs impute à faute à son ancien expert-comptable sont de deux ordres : les premières concernent la TVA, les secondes la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM). Il convient de les examiner successivement.

— sur les rectifications concernant la TVA

Après vérification de la comptabilité de la société Rosa fleurs, l’administration fiscale a procédé à des redressements de TVA, dont le bien-fondé n’est pas contesté, en relevant sur les exercices comptables durant lesquels la comptabilité de l’entreprise était confiée à la société Gamaf, d’une part des erreurs de saisie dans les factures, d’autre part une omission de régularisation de la TVA déductible.

Sur les erreurs de saisie des factures, qui portent sur des inversions entre les montants HT et la TVA sur des factures d’achat, la société Gamaf ne peut soutenir que ces erreurs ne lui seraient pas imputables, au motif que la saisie des factures était assurée par la société Rosa fleurs elle-même, alors qu’il résulte d’une série de courriels produits par l’appelante que cette saisie était réalisée par une préposée de la société Gamaf, Mme V… G…, et que la lettre de mission de la société Gamaf prévoit on ne peut plus clairement, en son annexe 2A intitulée «modalités d’interventions et répartition des travaux -tenue intégrale de la comptabilité», que pour ce qui concerne la tenue de la comptabilité, la société Rosa fleurs est tenue de fournir un certain nombre d’informations dont la liste est détaillée et que la société Gamaf In extenso, de son côté, est tenue de la «codification» et de la «saisie» des pièces justificatives.

Les erreurs de saisie relevées par l’administration fiscale sont donc entièrement imputables à la société Gamaf, qui a méconnu ses obligations en ne procédant pas correctement à la saisie des factures qui lui avaient été transmises par sa cliente et qui, en conséquence, doit réparer les conséquences dommageables de ses manquements par application des articles 1147 anciens et suivants du code civil.

Pour échapper à sa responsabilité, la société Gamaf ne peut utilement relever que les erreurs ont perduré après qu’elle a cessé sa mission, dès lors que les erreurs qui lui sont reprochées à faute sont uniquement celles qui ont été commises pendant la durée de sa mission, et que la poursuite des erreurs ne l’exonère en rien de sa responsabilité.

En raison des erreurs de saisie commises du temps où la société Gamaf était tenue de l’établissement de sa comptabilité, la société Rosa fleurs a fait l’objet des rectifications suivantes :

— sur l’exercice 2011-2012 : redressement TVA : 2174€, intérêts de retard 293€, majorations : néant

— sur l’exercice 2012-2013 : redressement TVA : 522€, intérêts de retard : 71€, majorations : néant

— sur l’exercice 2013-2014 : redressement TVA : 22937€, intérêts de retard : 2018,40€, majorations : 8615€

S’agissant des droits rappelés, autrement dit du «redressement», les premiers juges ont rappelé à raison que le redressement n’avait eu pour effet que de replacer la contribuable dans la situation qui aurait été la sienne si son comptable n’avait pas commis d’erreurs dans la saisie de sa comptabilité, en sorte que le paiement qui en est résulté, qui découle directement de la loi fiscale et qui équivaut à un paiement différé de l’impôt dont la société Rosa fleurs était redevable, ne constitue pas un préjudice indemnisable.

Concernant les majorations, sauf à les avoir comptabilisées à hauteur de 8762euros alors qu’elles ne représentent des chefs du redressement en cause que la somme de 8615 euros, les premiers juges ont justement considéré qu’elles avaient été appliquées par l’administration fiscale en raison de la réitération des erreurs de saisie imputables à la société Gamaf et devaient donc être mise à la charge de cette dernière, à titre de dommages et intérêts, comme étant la conséquence dommageable de ses manquements.

Concernant les intérêts de retard, les premiers juges ont en revanche retenu de manière inexacte, que comme le soutient l’intimée, les intérêts de retard dus par le débiteur de l’impôt qui, certes, ont pour objet la réparation du préjudice subi par le trésor du fait de l’encaissement tardif de sa créance, ne peuvent constituer un préjudice réparable (v. en sens contraire, par ex. com. 20 septembre 2016, 15-13342 ; civ. 1, 5 avril 2012, no 10-27771).

Dès lors qu’il n’est ni établi, ni même seulement allégué, qu’en conservant dans son patrimoine le montant des impôts dus à compter de leur exigibilité, la société Rosa fleurs en a retiré un avantage financier de nature à compenser, fût-ce partiellement, le préjudice résultant des intérêts de retard qu’elle a réglés à l’administration fiscale, la société Gamaf sera condamnée à lui régler, à titre de dommages et intérêts, l’intégralité des intérêts de retard qu’elle a supportés en raison du redressement en cause.

La société Gamaf devra donc régler à la société Rosa fleurs, au titre des intérêts de retard payés sur le redressement de TVA lié aux erreurs de saisie des factures, la somme de 2382,40 euros à titre de dommages et intérêts.

La société Rosa fleurs ne peut en revanche qu’être déboutée de la demande qu’elle forme au titre des intérêts de retard réglés sur le rappel de l’exercice 2014-2015, alors que le contrat qui la liait à la société Gamaf a été résilié au 31 mars 2014, date de la clôture de l’exercice 2013-2014, en sorte que les erreurs de comptabilité ou de déclarations commises ultérieurement au 31 mars 2014 ne peuvent être imputées à l’intimée.

S’agissant de la rectification sur la régularisation de TVA omise lors de la cession, le 9 juillet 2013, d’un immeuble de la société Rosa fleurs, les premiers juges ont retenu par erreur que l’obligation déclarative qui pesait sur le notaire rédacteur de l’acte de cession exonérait la société Gamaf de toute responsabilité.

Il apparaît en revanche que, depuis le jugement du tribunal de commerce critiqué, le tribunal de grande instance de Blois, saisi par la société Rosa fleurs d’une action en responsabilité contre le notaire rédacteur, a condamné ledit notaire, par un jugement du 14 février 2019 dont il n’est pas contesté qu’il est désormais irrévocable, à régler à l’appelante, à titre de dommages et intérêts, la somme de 2067 euros qui correspond précisément au montant des intérêts de retard qu’elle a acquittés ensuite de cette rectification.

La société Rosa fleurs ayant été intégralement indemnisée du préjudice résultant des intérêts de retard supportés au titre du redressement en cause, elle ne peut qu’être déboutée de la demande de complément d’indemnisation qu’elle forme contre la société Gamaf sans justifier ni même alléguer d’un préjudice distinct de celui dont elle a déjà été indemnisée.

— sur les rectifications concernant la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM)

Comme l’ont relevé les premiers juges, il ne relevait pas expressément de la lettre de mission de la société Gamaf, telle que précisée à l’annexe 2B, de procéder à la déclaration de cet impôt. Mais l’offre de service qui a été formulée en 2003 par la société Gamaf l’a été après un entretien au cours duquel la société Rosa fleurs a exprimé le souhait de lui confier la tenue de l’intégralité de sa comptabilité, l’établissement de ses comptes annuels, l’établissement de ses déclarations fiscales, sans exception, et le suivi juridique annuel.

Alors que la Tascom existait en 2003, et que la déclaration à établir à ce titre n’a pas été laissée à la charge de Rosa fleurs qui, au titre de l’établissement des déclarations fiscales (annexe 2B), n’était tenue que de transmettre au comptable les bordereaux, formulaires et demandes de renseignements, la société Gamaf a failli à ses obligations de conseil en n’informant pas sa cliente de la nécessité de procéder aux déclarations concernant cet impôt particulier.

Pour dénier sa responsabilité, la société Gamaf ne peut utilement soutenir que les règles d’assujettissement à cette taxe et le mécanisme déclaratif imposent d’avoir connaissance d’éléments factuels que seul le commerçant peut connaître, alors qu’elle s’était expressément engagée à recenser les caractéristiques de l’activité de la société Rosa fleurs et que son manquement consiste, non pas à avoir omis de déclarer la taxe litigieuse, ce qui ne lui incombait pas, mais d’avoir omis d’informer sa cliente sur la nécessité de procéder à la déclaration dont s’agit.

Dans la mesure où, on l’a dit, il ne peut être reproché à la société Gamaf de ne pas avoir procédé aux déclarations Tascom idoines, mais seulement d’avoir failli à son obligation de conseil en n’informant pas sa cliente de l’obligation qu’elle avait de procéder à cette déclaration, le préjudice subi par l’appelante ne peut s’analyser qu’en une perte de chance de ne pas avoir eu à régler des pénalités, majorations et intérêts de retard sur la Tascom exigible entre 2012 et 2014.

Cette perte de chance, qui doit être mesurée à la chance perdue, ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée, en sorte que la société Rosa fleurs ne peut soutenir que son préjudice est égal à la somme de 1170euros correspondant au montant des majorations et intérêts de retard qu’elle a réglés au titre des rectifications opérées sur la Tascom.

L’administration fiscale, qui a procédé à un contrôle de la comptabilité de la société Rosa fleurs sur la période courant du 1er avril 2011 au 31 mars 2015, n’a pas relevé, contre l’appelante, d’autres manquements aux obligations fiscales que celles qui ont été relatées, ce dont on peut déduire que la société Rosa fleurs procède aux déclarations fiscales idoines lorsqu’elle est informée de ses obligations à cet égard.

Au vu de ces éléments, la probabilité que la société Rosa fleurs se soit acquittée de la taxe sur les surfaces commerciales si elle avait été informée de son obligation déclarative sera fixée à 75 %, en sorte que la société Gamaf sera condamnée à lui payer, en réparation de la perte de chance qu’elle lui a causée, une somme de 877,50 euros à titre de dommages et intérêts (1170€ X 75 %).

— sur la perte de chance d’avoir échappé à un «redressement» fiscal

Il ne fait pas de doute qu’un préjudice peut découler du paiement d’un impôt auquel le contribuable est légalement tenu lorsqu’il est établi que le manquement de l’expert-comptable à son obligation de conseil l’a privé d’une économie fiscale qui aurait pu être obtenue, notamment, en optant pour un régime fiscal plus avantageux, en renonçant à certaines opérations ou en modifiant son activité.

En l’espèce, l’appelante, qui soutient que la société Gamaf lui a fait perdre une chance d’éviter un redressement fiscal et sollicite à ce titre l’allocation d’une indemnité de 53228 euros correspondant au montant du redressement opéré, hors majorations et intérêts de retard, ne justifie ni même n’allègue que, sans manquements de son comptable, elle n’aurait pas été exposée à l’imposition ou aurait pu bénéficier d’un régime fiscal plus avantageux, c’est-à-dire ne pas payer la TVA et la taxe sur les surfaces commerciales en cause, ou payer ces taxes dans de moindres proportions.

Dans ces circonstances, la société Rosa fleurs, qui n’établit pas que la société Gamaf lui a fait perdre une chance de ne pas payer l’impôt dont elle était redevable en vertu des règles fiscales applicables à sa situation, ne peut qu’être déboutée de sa demande formée sur ce chef.

Sur les demandes accessoires

La société Gamaf, qui succombe au sens de l’article 696 du code de procédure civile, devra supporter les dépens de première instance et d’appel et régler à la société Rosa fleurs, à qui il serait inéquitable de laisser la charge de la totalité de ses frais irrépétibles, une indemnité de 4000euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

INFIRME la décision entreprise en toutes ses dispositions critiquées,

STATUANT À NOUVEAU et Y AJOUTANT,

ECARTE la fin de non-recevoir soulevée par la SARL Gamaf,

CONDAMNE la SARL Gamaf à payer à la SARL Rosa fleurs, à titre de dommages et intérêts, la somme de 11874,90euros,

DEBOUTE la SARL Rosa fleurs de ses plus amples demandes indemnitaires,

CONDAMNE la SARL Gamaf à payer à la SARL Rosa fleurs la somme de 4000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la SARL Gamaf aux dépens de première instance et d’appel.

Arrêt signé par Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d’Appel d’ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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Cour d'appel d'Orléans, 23 janvier 2020, 19/006111