Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 16 novembre 2017, n° 16/11493

  • Harcèlement moral·
  • Heures supplémentaires·
  • Salariée·
  • Licenciement·
  • Sms·
  • Travail dissimulé·
  • Demande·
  • Horaire·
  • Code du travail·
  • Obligations de sécurité

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 6 - ch. 8, 16 nov. 2017, n° 16/11493
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 16/11493
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Paris, 21 juillet 2016, N° F15/02896
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 8

ARRÊT DU 16 Novembre 2017

(n° 680 , .9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : S 16/11493

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 Juillet 2016 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS RG n° F15/02896

APPELANTE

SAS SAGOO

8 rue Saint-Augustin

[…]

N° SIRET : 494 439 060

représentée par Me Frédéric INGOLD, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055 substitué par Me Virginie RICAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : C0901

INTIMEE

Madame D Y

[…]

[…]

comparante en personne, assistée de Me Noémie BIRNBAUM, avocat au barreau de PARIS, toque : D1945

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 07 Septembre 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Catherine BEZIO, Président de chambre

Mme Patricia DUFOUR, Conseiller

Madame Nadège BOSSARD, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Véronique BESSERMAN-FRADIN, lors des débats

ARRET :

— CONTRADICTOIRE

— prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

— s i g n é p a r M a d a m e C a t h e r i n e B E Z I O , P r é s i d e n t e t p a r M a d a m e V é r o n i q u e BESSERMAN-FRADIN, greffier de la mise à disposition et à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

Madame D Y a été engagée par la SAS SAGOO, le 2 septembre 2010, en qualité d’assistante marketing, par un contrat à durée indéterminée pour une durée du temps de travail de 151,67 heures mensuelles et une rémunération brute mensuelle de 2.500 €. Par avenant du 2 mai 2014, son temps de travail a été réduit à 121,33 heures mensuelles réparties sur quatre jours par semaine.

L’entreprise occupait quatre salariés au plus lors de la rupture des relations contractuelles, avait pour présidente Madame X et les relations de travail étaient régies par la convention collective nationale du personnel des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire du 13 août 1999.

Du 19 septembre 2014 au 17 mai 2015, Madame Y a été placée en arrêt de travail pour maladie.

Le 21 novembre 2014, Madame Y a saisi en référé le conseil de prud’hommes de Paris d’une demande de rappel de salaire au titre d’heures supplémentaires non rémunérées depuis 2011. Par décision du 10 mars 2015, le conseil n’a pas fait droit à la demande.

Par avis médicaux du 20 avril et du 18 mai 2015, le médecin du travail a considéré Madame Y,inapte à son poste de travail et apte à un « poste à temps très partiel et en télétravail. »

Par lettre recommandée en date du 20 mai 2015, la SAS SAGOO a proposé à Madame Y un reclassement sur un poste de «suivi des royalties »pour une durée hebdomadaire de travail de trois heures, proposition refusée par la salariée par lettre recommandée du 27 mai 2015.

Par lettre recommandée en date du 18 juin 2015, SAS SAGOO a convoqué Madame Y à un entretien préalable fixé au 1erjuillet 2015 puis l’a licenciée pour inaptitude définitive et impossibilité de reclassement par lettre notifiée le 6 juillet 2015.

Contestant son licenciement, Madame Y a saisi le conseil de prud’hommes de PARIS le 18 juillet 2011 d’une demande tendant en son dernier état à voir juger son licenciement nul pour faits de harcèlement moral et condamner la SAS SAGOO au paiement de dommages et intérêts pour nullité du licenciement et manquement à l’obligation de sécurité, d’un rappel de salaires pour heures supplémentaires, outre une indemnité sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Par décision en date du 22 juillet 2016, le conseil de prud’hommes a :

— jugé fondé le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement,

— condamné la SAS SAGOO à payer à Madame Z les sommes suivantes :

** 33.930,52 € à titre des heures supplémentaires impayées du 24 novembre 2011 au 24 novembre 2014 ;

** 2.500 € au titre des jours de repos compensateurs incidents, 1.500 € à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité de résultat, avec intérêts au taux légal.

** 1.500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Le 13 septembre 2016, la SAS SAGOO a interjeté appel de cette décision.

Elle demande à la cour :

— d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il a prononcé des condamnations à son encontre,

— de le confirmer pour le surplus,

— de débouter Madame Y de l’ensemble de ses demandes,

— de la condamner aux dépens et au paiement de la somme de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Madame Y, par un appel incident, demande à la cour de :

— de confirmer la décision déférée en ce qu’elle a condamné la SAS SAGOO au versement d’un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et des jours de repos compensateurs,

— de l’infirmer pour le surplus,

— de prononcer la nullité de son licenciement pour harcèlement moral,

— de condamner la SAS SAGOO à lui payer les sommes suivantes :

** 60.000 € de dommages-intérêts pour nullité du licenciement nul en raison du harcèlement moral subi,

** 10.000 € de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,

** 14.400 à titre d’indemnité pour travail dissimulé,

A titre subsidiaire,

— de dire que la SAS SAGOO a manqué à son obligation de reclassement,

— de la condamner au paiement des sommes suivantes :

** 60.000 € à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de reclassement,

En tout état de cause,

— de condamner la SAS SAGOO aux dépens et au paiement de la somme de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

Pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier le 7 septembre 2017 et développées lors de l’audience des débats.

MOTIVATION

Sur les heures supplémentaires :

La durée légale du travail effectif prévue à l’article L.3121-10 du code du travail constitue le seuil de déclenchement des heures supplémentaires payées à un taux majoré dans les conditions de l’article L.3121-22 du même code.

Aux termes de l’article L.3171-4 du code du travail, la preuve des heures de travail n’incombe spécialement à aucune des parties.

La SAS SAGOO expose que les nombreux courriers électroniques et SMS auxquels Madame Y a répondu en dehors de ses heures de travail, l’ont été de sa propre initiative, sans demande expresse ni accord préalable de Madame X, sa supérieure hiérarchique, qu’il s’agissait de simples demandes de transmissions d’information et non de directives de travail et que les demandes tardives de Madame X étaient dues à l’arrivée tardive de la salariée dans l’établissement en raison de ses problèmes de sommeil.

Elle précise que les relevés détaillés d’heures supplémentaires produits par la salariée contreviennent à l’interdiction de se constituer des preuves à soi-même, que certaines demandes ont été motivées par le défaut d’informations laissées par la salariée avant une suspension de son contrat de travail -en dépit du maintien de l’obligation de loyauté qui lui incombait-et que les sollicitations nocturnes étaient partiellement dues au décalage horaire entre les salariés de la société et la clientèle étrangère. Elle ajoute que Madame Y a parfois pris l’initiative de répondre à des horaires très tardifs ou en dehors de ses jours de travail alors que la demande ne mentionnait ni son caractère urgent, ni l’exigence d’une réponse immédiate.

Madame Y explique avoir effectué 884,17 heures supplémentaires entre le 24 novembre 2011 et le 24 novembre 2014 et verse aux débats les échanges entre les parties sous forme de courriels ou de SMS. Au soutien de sa demande, elle produit un détail des heures qu’elle déclare avoir effectuées ainsi que des échanges qu’elle a eus avec Madame X par courriels et par SMS.

Il ressort des pièces ainsi produites, que le ton comminatoire et l’horaire tardif des demandes envoyées sur son adresse électronique professionnelle et sur son téléphone personnel ne permettent pas de douter de leur urgence et de l’exigence d’une réponse immédiate, que si trois pièces peuvent être écartées en raison de l’aide spontanément proposée par la salariée, plus de six cents autres correspondent à des requêtes comminatoires, ce qui démontre que l’employeur a continué à solliciter la salariée le vendredi alors que les parties avaient signé un avenant réduisant son temps de travail au 4/5eet que Madame Y ne travaillait plus que du lundi au jeudi. Au surplus, la quantité pléthorique de demandes adressées par Madame X et leur réitération même pendant les périodes de suspension du contrat de travail de la salariée établissent la pression exercée par l’employeur et non, la désorganisation de Madame Y et de son manque de diligence.

Il résulte des pièces versées aux débats par les parties que ni le contrat de travail initial de Madame Y, ni l’avenant du 27 juin 2014, ne mentionnent les horaires de travail et ce n’est que par lettre du 11 octobre 2014 que des horaires de 10h à 13h et de 14h à 18h ont été notifiés pour la première fois.

Par ailleurs, les courriels et SMS versés aux débats établissent que Madame Y, contrairement à ce qu’affirme la SAS SAGOO, ne produit pas seulement un relevé précis d’heures supplémentaires mais a étayées de façon systématique ses prétentions et que les sollicitations -pour des raisons professionnelles et , par un abus de son pouvoir hiérarchique, pour des raisons personnelles- de Madame X, à sa subordonnée, Madame Y, étaient permanentes. Les attestations produites par l’employeur à l’appui des arrivées tardives de Madame Y sur son lieu de travail apparaissent inopérantes. En effet, Monsieur A, présent « deux jours par semaine ou par mois »dans l’établissement, ne peut valablement attester des horaires effectifs de Madame Y. De son côté, que Monsieur B, directeur artistique de la SAS SAGOO, présente une communauté d’intérêts avec Madame X qui ne permet pas de la retenir au débat.

Il résulte des pièces produites que ni les horaires habituels, ni les jours de repos, ni les jours fériés, ni la réduction du temps de travail au 4/5e à compter du 27 juin 2014, ni les périodes de congé, ni les arrêts de travail pour maladie, ni le congé de maternité de Madame Y n’ont été respectés et que Madame X a demandé à sa salariée, pour partie directement, et pour partie implicitement, d’effectuer les heures supplémentaires dont Madame Y produit un décompte précis et qui n’ont pas été rémunérées.

La demande est bien fondée et le jugement déféré est confirmé en ce qu’il a condamné la SAS SAGOO à verser à Madame Y la somme de 33.930,52 € au titre des heures supplémentaires impayées du 24 novembre 2011 au 24 novembre 2014.

Sur la contrepartie obligatoire en repos :

La contrepartie obligatoire en repos concerne les heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent annuel d’heures supplémentaires, contrairement au repos compensateur de remplacement qui a vocation à remplacer les heures supplémentaires effectuées dans la limite de ce contingent fixé légalement à 220 heures annuelles.

Aux termes de l’article D.3121-14 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, le salarié dont le contrat de travail prend fin avant qu’il ait pu bénéficier de la contrepartie obligatoire en repos à laquelle il a droit ou avant qu’il ait acquis des droits suffisants pour pouvoir prendre ce repos reçoit une indemnité en espèces dont le montant correspond à ses droits acquis. Cette indemnité a le caractère d’un salaire. Aux termes de l’article D.3121-10 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, l’absence de demande de prise de la contrepartie obligatoire en repos par le salarié ne peut entraîner la perte de son droit au repos.

En l’ espèce, Madame Y a accompli 884 heures supplémentaires entre le 24 novembre 2011 et le 24 novembre 2014 et n’a pas bénéficié des jours de repos compensateur auxquels elle avait droit.

Le jugement déféré est confirmé en ce qu’il a condamné la SAS SAGOO à verser à Madame Y la somme de 2.500 € à titre d’indemnité compensatrice de jours de repos compensateur non pris.

Sur la nullité du licenciement pour inaptitude imputable au harcèlement moral :

Sur le harcèlement moral :

En application des articles L.1152-1 et suivants du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l’article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

En cas de litige, en application de l’article L.1154-1 du code du travail, dès lors que le salarié concerné établi des faits qui permettent de présumer l’existence d’agissements constitutifs d’un harcèlement, il incombe à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que sa décision se justifie par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures qu’il estime utile.

Madame Y expose avoir subi des « demandes intempestives », des « pressions incessantes »et des « dénigrements répétés »durant son temps de travail et hors de son temps de travail. Elle expose également être traquée par Madame X et son compagnon, Monsieur C, versant au soutien de cette allégation les traces numériques laissées par l’employeur et son associé lors de leur consultation de sa page LINKEDIN. Elle explique que son inaptitude prononcée le 18 mai 2015 est imputable au harcèlement moral subi au cours de l’exécution de son contrat de travail.

Madame X expose que le tutoiement entre sa salariée et elle atteste de leur proximité et de l’absence de subordination au moment de ses demandes personnelles dès lors acceptées sans contrainte. Elle expose également que les demandes professionnelles et personnelles n’appelaient pas de réponses immédiates et que c’est de sa propre volonté que Madame Y accédait à ces demandes dès leur formulation et hors du temps de travail. Elle explique enfin avoir régulièrement confié son chien et sa fille à Madame Y afin qu’ils puissent respectivement tenir compagnie au chien de la salariée et satisfaire son goût pour les enfants.

Il ressort des centaines de courriers électroniques et SMS versés aux débats que Madame X s’exprimait principalement par injonctions y compris dans le cadre de ses demandes d’ordre personnel, qu’elle envoyait régulièrement des SMS sur le téléphone personnel de sa salariée, de nuit : « Stp peux annuler la chambre a tokyo..Merci (dimanche 24 août, 23 :09) », qu’elle sollicitait la salariée en permanence hors de ses heures de travail et le week-end : « Salut, je vais aller a Las Vegas finalement’ on se parle demain matin sans faute, je serai en voiture app moi vers midi max a demain. Bon dimanche V (dimanche 11 mai 2013, 11 :43) »et pendant ses périodes de congé : « Ignore le mail précédent (vendredi 18 mai 2012, 8 :03) ».

Il apparaît que Madame X réitérait et annulait des demandes dans un temps très rapproché, qu’elle multipliait les demandes non comprises dans le contrat de travail de la salariée, concernant sa ligne de téléphone personnelle : «Tu t’es occupe de la ligne telephone chez moi ' (16 novembre 2013, 15 :16) », son lave-vaisselle : « Tu as eu le technicien Darty ' » « Oui, j’arrive chez toi maintenant. (30 octobre 2012) », sa fille Margot et son chien Fosca : « Margot préfère que tu prenne Fo ce soir, car elle va au cheval et chez son père’ Donc tu veux bien faire comme on a dit hier, et n’oublie pas son ½ comprime demain matin’ (mardi 20 mars 2012) »ou encore : « Tu deposes FO a la maison en partant, a moins que Margot l’ai déjà recuperee’Merci V (6 février 2012) ».

Il ressort d’un échange électronique du 15 décembre 2011 que Madame X, avertie d’un arrêt de travail pour maladie de Madame Y, lui demandait de préciser sa pathologie, contraignant sa salariée à se défendre d’avoir à en répondre : « C’est personnel, je ne veux pas en parler.»

Ces faits laissent globalement présumer d’un harcèlement moral subi par Madame Y dont l’état de santé s’est dégradé la contraignant à être en arrêt de travail jusqu’à son licenciement.

Pour remettre en cause cette présomption de harcèlement moral, la SAS SAGOO considère que Madame Y ne verse aux débats aucun élément démontrant la matérialité des faits de harcèlement moral dont elle se plaint alors, qu’au contraire, Madame X a pris de nouvelles de la salariée pendant ses arrêts de travail.

Toutefois, en l’absence totale d’éléments probants démontrant que les faits reprochés ne sont pas constitutifs de faits de harcèlement moral, il convient de considérer que les faits sont établis et que Madame Y a subi des faits de harcèlement moral, pour lesquels elle ne formule aucune autre demande que celle de la nullité de son licenciement examinée ci-après. Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu’il a rejeté l’existence duharcèlement invoqué par Madame Y.

Sur le licenciement pour inaptitude :

Conformément à l’application constante des dispositions de l’article L.1226-2 du code du travail, il incombe à l’employeur de reclasser le salarié dans le mois de sa déclaration d’inaptitude par le médecin du travail ou, à défaut, de le licencier.

Au cas d’espèce, Madame Y, en arrêt de travail pour maladie à compter du 19 septembre 2014, a été déclarée inapte à son poste de travail par avis médicaux du médecin du travail du 20 avril et du 18 mai 2015 et licenciée pour inaptitude le 6 juillet 2015.

Au vu des pièces produites, il apparaît que cette inaptitude a pour origine le harcèlement moral subi par Madame Y qui a entraîné la dégradation de son état de santé au point de la contraindre à cesser son travail et à ne pouvoir le reprendre compte-tenu de la profonde dépression dont elle souffrait.

Aux termes de l’article L.1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail résultant d’un harcèlement moral est nulle de plein droit.

Dans ces conditions, l’inaptitude de Madame Y étant imputable au harcèlement moral subi, son licenciement doit être déclaré comme nul. Le jugement déféré est infirmé en ce qu’il a jugé fondé le licenciement pour inaptitude de Madame Y et impossibilité de reclasser.

Compte-tenu du rappel d’heures supplémentaires accordé à Madame Y, son salaire moyen brut mensuel est fixé à la somme de 3.206 €.

Au moment de son licenciement pour inaptitude, Madame Y avait une ancienneté de 4 ans et 11 mois. En application des dispositions de l’article L.1235-5 du Code du travail elle bénéficie de dommages et intérêts. Elle sollicite à ce titre la somme de 60.000 €.

Au vu des pièces produites, il apparaît que Madame Y n’a pas retrouvé d’emploi pérenne, malgré son inscription à une prestation de réinsertion de Pôle emploi et l’acceptation de deux missions d’intérim, et compte tenu de la persistance de sa dépression, -attestée par les prescriptions d’antidépresseurs et d’anxiolytiques et le certificat médical établi le 22 septembre 2015 par le docteur E-F qui a suivi Madame Y en consultation pour un épisode dépressif majeur à compter de l’année 2012-il y a lieu de fixer le montant de l’indemnité réparatrice de son préjudice à la somme de 19.236 € et de condamner la SAS SAGOO au paiement de cette somme à titre de dommages et intérêts.

Sur le manquement à l’obligation de santé et de sécurité :

Aux termes des articles L.4121-1 et suivants du code du travail, l’employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés.

Madame Y expose que la SAS SAGOO, d’une part, avait connaissance des faits de harcèlement qu’elle subissait et de l’absence de rémunération de ses heures supplémentaires, d’autre part, n’a pas réagi à ses demandes réitérées de respect de ses horaires de travail.

La SAS SAGOO expose que le défaut de rémunération des heures supplémentaires ne peut être l’origine d’une inaptitude, que la salariée ne démontre pas avoir tenté de prévenir la société des agissements de Madame X, que ses arrêts de travail ne précisent pas que son état psychologique est une conséquence de ses conditions de travail.

Il résulte des courriers électroniques et des SMS versés aux débats que Madame X en toute connaissance de cause, ne respectait pas les horaires de travail de Madame Y à un point tel, qu’elle mettait sa santé en danger et, par conséquent, ne respectait pas l’obligation d’assurer la santé de sa salariée qui était constamment soumise à la pression de Madame X.

Ce manquement a causé à Madame X un préjudice qui sera réparé par la condamnation de la SAS SAGOO à lui payer la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité. Le jugement déféré est infirmé en ce qu’il condamné la SAS SAGOO au paiement de la somme de 1.500 €.

Sur le travail dissimulé :

Aux termes de l’article L.8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur de mentionner sur le bulletin de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli ainsi que de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.

En application des dispositions de l’article 9 du Code de procédure civile, il incombe à celui qui évoque un travail dissimulé d’en apporter la preuve.

L’article L. 8223-1 précise qu’en cas de rupture de la relation de travail, lorsque l’employeur a commis des faits de travail dissimulé tel que décrit à l’article L. 8221-5, le salarié a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire, cette indemnité devant être calculée en tenant compte des heures supplémentaires accomplies par le salarié au cours des six mois précédant la rupture du contrat de travail.

En l’espèce, les pièces versées aux débats par Madame Y établissent qu’elle a effectué de nombreuses heures supplémentaires non rémunérées et que la SAS SAGOO avait connaissance de cette réalité puisque l’intimée agissait sur injonctions expresses de sa présidente, Madame X, qui n’a jamais répondu favorablement au paiement de ces heures malgré les démarches entreprises par la salariée.

Au surplus, il s’avère que compte-tenu de sa surcharge de travail, Madame Y avait sollicité et obtenu de travail à temps partiel quatre jours par semaine, la salariée effectuait, de fait, toujours autant d’heures de travail qu’auparavant compte-tenu des injonctions péremptoires adressées par Madame X sans tenir compte des mentions du contrat de travail et de l’avenant signés entre les parties.

Ces éléments établissent que la SAS SAGOO a fait volontairement exécuter, partiellement, du travail dissimulé par l’intimée.

La SAS SAGOO est condamnée à payer à Madame Y la somme de 19.236 € à titre d’indemnité pour travail dissimulé. Le jugement déféré est infirmé en ce qu’il a rejeté cette demande.

Il convient d’ordonner à la SAS SAGOO de remettre à Madame Y les documents sociaux conformes à la présente décision.

Il est rappelé que les créances salariales porteront intérêt au taux légal à compter du 25 mars 2015, date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation,

La SAS SAGOO est condamnée aux dépens.

Pour faire valoir ses droits devant la cour, Madame Y a dû engager des frais non compris dans les dépens. La SAS SAGOO est condamnée à lui payer la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

— infirme le jugement déféré en ce qu’il a jugé fondé le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement de Madame D Y, a condamné la SAS SAGOO au paiement de la somme de 1.500 € à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité et a rejeté la demande de Madame Y au titre du travail dissimulé,

Statuant à nouveau sur ces dispositions,

— dit que Madame D Y a subi des faits de harcèlement moral,

— dit que le harcèlement moral qu’elle a subi est à l’origine de son licenciement pour inaptitude,

— Déclare nul le licenciement de Madame Y,

— condamne la SAS SAGOO à payer à Madame D Y, avec intérêts au taux légal à compter de ce jour, les sommes de :

** 19.236 € à titre de dommages et intérêts pour nullité du licenciement,

** 5.000 € à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,

** 19.236 € à titre d’indemnité pour travail dissimulé,

— déboute Madame Y pour le surplus de ses demandes,

— confirme le jugement déféré en ses autres dispositions ;

— ordonne à la SAS SAGOO de remettre à Madame Y les documents sociaux conformes à la présente décision,

- rappelle que les créances salariales porteront intérêt au taux légal à compter du 25 mars 2015, date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation,

— condamne la SAS SAGOO aux dépens et au versement d’une somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La greffière Le Président

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 16 novembre 2017, n° 16/11493