Cour d'appel de Paris, Pôle 5 chambre 2, 16 juin 2017, n° 16/11371

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Chronologie de l’affaire

Commentaires3

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www.barthelemy.law · 2 décembre 2022

Le 18 novembre dernier, la Cour d'appel de Paris, statuant sur renvoi, est venue clôturer une procédure initiée par les défendeurs de l'AOP « Morbier » il y a plus de dix ans. Pour mieux comprendre cette affaire, un bref historique s'impose. Le Morbier constitue une appellation d'origine reconnue dès 2000 sur le territoire national (année d'homologation par l'INPI du cahier des charges de l'AOC « Morbier »), puis en 2002 sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne (année d'enregistrement de l'AOP « Morbier »). Depuis lors, ce sont 45 fromageries implantées sur le massif jurassien …

 

www.ip-talk.com · 24 août 2022

Quand la jurisprudence définit le principe d'évocation et construit le régime de protection des AOP : principe et impacts Cet article a été publié dans la Revue Francophone de la Propriété Intellectuelle – Numéro 15 (aout 2022) – http://revue-rfpi.com/archives/#N15. Ces dernières années la question du régime de protection des AOP a été particulièrement discutée, notamment par la CJUE. Au travers de décisions récentes, les contours de la notion d'évocation ont été largement précisés dans le sens d'une surprotection de celles-ci. Cette tendance est à contre-courant du durcissement du régime …

 
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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 ch. 2, 16 juin 2017, n° 16/11371
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 16/11371
Importance : Inédit
Publication : Propriétés intellectuelles, 65, octobre 2017, p. 89-90, note de Caroline Le Goffic
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Paris, 13 avril 2016, N° 13/13650
Décision(s) liée(s) :
  • Tribunal de grande instance de Paris, ordonnance du juge de la mise en état, 3 avril 2014 (en réquisition)
  • Tribunal de grande instance de Paris, 14 avril 2016, 2013/13650
Domaine propriété intellectuelle : MARQUE
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Date de dernière mise à jour : 13 juin 2022
Référence INPI : M20170316
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Texte intégral

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 2

ARRET DU 16 JUIN 2017

(n°104, 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 16/11371

Décision déférée à la Cour : jugement du 14 avril 2016 – Tribunal de grande instance de PARIS – 3ème chambre 4ème section – RG n°13/13650

APPELANT AU PRINCIPAL et INTIME INCIDENT

SYNDICAT INTERPROFESSIONNEL DE DEFENSE DU FROMAGE MORBIER, agissant en la personne de son président domicilié en cette qualité au siège situé

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Thi My Hanh NGO-FOLLIOT, avocat au barreau de PARIS, toque B 853

Assisté de Me Vincent BERTHAT plaidant pour la SCP BERTHAT – DUCHANOY – HERITIER, avocat au barreau de DIJON

INTIMEE AU PRINCIPAL et APPELANTE INCIDENTE

S.A.S. FROMAGERE DU LIVRADOIS, prise en la personne de sa présidente en exercice domiciliée en cette qualité au siège social situé

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Immatriculée au rcs de Thiers sous le numéro 317 120 020

Représentée par Me Matthieu BOCCON-GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque C 2477

Assistée de Me Jean-Daniel BOUHENIC, avocat au barreau de PARIS, toque P 221

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 22 mars 2017, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Mme Colette PERRIN, Présidente, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport, en présence de Mme Véronique RENARD, Conseillère

Mmes Colette PERRIN et Véronique RENARD ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Colette PERRIN, Présidente

Mme Véronique RENARD, Conseillère

Mme Isabelle DOUILLET, Conseillère, désignée pour compléter la Cour

Greffière lors des débats : Mme Carole TREJAUT

ARRET :

Contradictoire

Par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

Signé par Mme Colette PERRIN, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par la magistrate signataire.

FAITS ET PROCEDURE

La société Fromagère du Livradois, créée en 1971 à [Localité 1] dans le [Localité 2], fabrique et commercialise des fromages au lait de vache ou de chèvre dont certains bénéficient d’une appellation d’origine protégée (ci-après, AOP), d’autres sont des spécialités d'[Localité 3]. Depuis 1979, elle fabriquait du Morbier, lequel présentait l’ensemble des caractéristiques de ce fromage et notamment une raie centrale horizontale de couleur sombre.

Par décret du 22 décembre 2000, le morbier a bénéficié d’une appellation d’origine contrôlée (ci-après, AOC) du Morbier et il a été défini, d’une part, la zone géographique de référence (article 2) et, d’autre part. les conditions nécessaires pour prétendre à l’appellation d’origine .

Le décret précisait que les entreprises situées hors de la zone géographique de référence, recensées par l’Institut National des Appellations d’Origine (ci-après, INAO) qui avaient produit et commercialisé des fromages sous le nom Morbier de façon continue, pouvaient « continuer à utiliser ce nom dans les conditions actuelles sans la mention « AOC » » jusqu’à l’expiration d’un délai de cinq ans suivant la publication de l’enregistrement de l’appellation d’origine « Morbier » à titre d’Appellatoon d’Origine Protégée (AOP) par la commission des communautés européennes, conformément au règlement n°2081/92.

L’enregistrement de l’AOP est intervenu le 10 juillet 2002.

Par arrêtés des 13 septembre 2002 et 23 janvier 2004, la société Fromagère du Livradois a été autorisée à utiliser le terme 'Montagne’pour commercialiser les fromages Morbier et par courrier du 17 octobre 2005 de l’INAO à utiliser le nom « Morbier » sans la mention « AOC » jusqu’au 11 juillet 2007.

A compter de cette date, la société société Fromagère du Livradois a substitué à l’appellation Morbier celle de Montboissié du Haut Livradois.

Par une décision du 18 juillet 2007, l’INAO a reconnu le Syndicat Interprofessionnel De Défense du Fromage Morbier (ci-après, le Syndicat) comme organisme de défense pour la protection du Morbier, habilité notamment pour agir en contrefaçon.

Le 7 février 2013, le Syndicat a obtenu l’autorisation par le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand, de faire constater par deux huissiers la fabrication, la détention, la vente en France ou l’exportation de fromages « conditionnés de quelques façons que ce soit, sur lesquels figurent le mot Morbier associé ou non dans Morbier du Haut Livradois Morbier of High-Livradois ainsi que les mots Montboissié ou Montboissier ainsi qu’à l’utilisation de marques déceptives ». Aux termes de cette ordonnance, les opérations pouvaient être effectuées dans les locaux de la société Fromagère du Livradois situés à [Localité 1], ainsi que dans un établissement situé à [Localité 4]. Le 15 février 2013, le Syndicat a obtenu du tribunal de grande instance d’Aurillac, une ordonnance similaire visant l’établissement de la société Fromagère du Livradois situé à [Localité 5].. Ces ordonnances ont donné lieu à des procès verbaux dressés le 5 mars 2013 par trois huissiers qui se sont rendus simultanément dans les trois établissements précités.

Le 22 août 2013, le Syndicat a assigné la société Fromagère du Livradois devant le tribunal de grande instance de Paris, en sollicitant notamment qu’il lui soit fait interdiction de toute utilisation commerciale directe ou indirecte de la dénomination Morbier.

Par jugement contradictoire en date du 14 avril 2016, le tribunal de grande instance de Paris a :

— annulé les trois procès-verbaux réalisés le 5 mars 2013 à [Localité 1], [Localité 4] et [Localité 5] par huissier de justice dans le cadre d’ordonnances sur requêtes obtenues sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile,

— débouté le Syndicat interprofessionnel de défense du fromage Morbier de l’intégralité de ses demandes,

— débouté la société Fromagère du Livradois de sa demande reconventionnelle en procédure abusive,

— condamné le Syndicat interprofessionnel de défense du fromage Morbier à payer à la société Fromagère du Livradois la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Le Syndicat interprofessionnel de défense du fromage Morbier a interjeté appel de la décision par déclaration au greffe en date du 21 mai 2016.

Par dernières conclusions signifiées le 15 décembre 2016, le Syndicat interprofessionnel de défense du fromage Morbier demande à la Cour de :

— infirmer le jugement du 14 avril 2016 dans toutes ses dispositions.

— ordonner, si la société Fromagère du Livradois persiste dans ses contestations des captures d’écran du Syndicat interprofessionnel de défense du fromage Morbier, une mesure d’instruction sur leur authenticité et leurs dates.

— interdire à la société Fromagère du Livradois toute infraction aux dispositions protectrices du Règlement )UE( 1151/2012 et en particulier toute utilisation commerciale directe ou indirecte de la dénomination de l’AOP Morbier pour des produits qu’elle ne couvre pas, toute usurpation, imitation ou évocation de l’AOP Morbier, par la forme ou la présentation, toute autre indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, l’origine, la nature ou les qualités essentielles du produit par quelque moyen que ce soit qui serait de nature à créer une impression erronée sur l’origine du produit, toute autre pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit, et spécialement toute utilisation d’une raie noire séparant deux parties du fromage.

— en conséquence,

— condamner la société Fromagère du Livradois à retirer toute marque enfreignant l’obligation de cesser tout usage du mot Morbier seul ou accompagné de tout autre mot ainsi que toute évocation de l’AOP Morbier.

— condamner la société Fromagère du Livradois à faire retirer toute mention des sites, publicités et autres offres et promotions de ses revendeurs enfreignant l’obligation de cesser tout usage du mot Morbier seul ou accompagné de tout autre mot ainsi que toute évocation de l’AOP Morbier.

— condamner la société Fromagère du Livradois à une astreinte provisoire de 1 000 € par jour d’infraction constatée aux condamnations ci-dessus.

— lui donner acte de sa mise en demeure, faite en application de l’article L.722-5 du Code de la propriété intellectuelle, à la société Fromagère du Livradois de produire tous documents ou informations de nature à établir les quantités et prix publics des produits litigieux respectivement fabriqués et vendus par elles sous les présentations critiquées et la condamner en conséquence

— condamner, au vu notamment des documents produits ensuite de cette mise en demeure, la société Fromagère du Livradois à lui payer a 500 000 € sauf à parfaire de dommages-intérêts en réparation des préjudices confondus causés personnellement au syndicat et collectivement à l’interprofession.

— ordonner la publication de la décision par extraits dans des périodiques de presse choisis par le Syndicat interprofessionnel de défense du fromage Morbier, et condamner la société Fromagère du Livradois à en supporter le coût dans la limite de 30 000 € + TVA.

— condamner la société Fromagère du Livradois à lui payer 35 000 € en vertu de l’article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens d’instance et d’appel et dire qu’ils pourront être recouvrés par l’avocat postulant, aux offres de droit, conformément à l’article 699 du Code de procédure civile.

— débouter la société Fromagère du Livradois de toutes ses demandes et conclusions contraires.

Par dernières conclusions signifiées le 9 février 2017, la société Fromagère du Livradois demande à la Cour de ;

— confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

annulé les trois procès-verbaux réalisés le 5 mars 2013 à [Localité 1], [Localité 4] et [Localité 5] par huissier de justice dans le cadre d’ordonnances sur requêtes obtenues sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile ;

débouté le Syndicat interprofessionnel de défense du fromage Morbier de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions; la Cour relèvera en effet que le Syndicat interprofessionnel de défense du fromage Morbier a échoué « à faire la preuve qui lui incombe d’un comportement fautif de la société Fromagère du Livradois » ;

— à titre surabondant, de juger que :

— elle n’a porté aucune atteinte à l’appellation d’origine protégée Morbier;

— les demandes du Syndicat interprofessionnel de défense du fromage Morbier visant à incriminer le dépôt, le maintien et l’usage de la marque américaine déposée en 2001 « Morbier du Haut Livradois » aujourd’hui expirée et de la marque française Montboissier déposée en 2004 sont prescrites, irrecevables et sans objet;

— le terme Montboissié au surplus lorsqu’il est associé au toponyme Haut Livradois et à une présentation de fantaisie, ne porte nullement atteinte à l’appellation d’origine protégée Morbier ;

— les caractéristiques physiques du fromage Morbier ne sont protégées par aucun droit de propriété intellectuelle,

— elle n’a commis aucun acte de concurrence déloyale et parasitaire, aucune faute et qu’elle n’est responsable d’aucune publicité trompeuse, à raison de la poursuite de la commercialisation d’un fromage sous le nom Montboissié du Haut Livradois, sous les mêmes caractéristiques que celles utilisées depuis 1979 ;

— le Montboissié du Haut Livradois tel qu’il est commercialisé par la société Fromagère du Livradois ne porte pas atteinte à l’AOP Morbier ;

— le Syndicat interprofessionnel de défense du fromage Morbier n’a subi aucun préjudice à raison des agissements qu’il lui reproche

—  de débouter le Syndicat de l’intégralité de ses demandes fins et prétentions, en ce compris les demandes additionnelles formées en cause d’appel et notamment des demandes de communication de pièces formées au visa de l’article L. 722-5 CPI ;

—  d’infirmer le jugement entrepris, mais seulement en ce qu’il l’ a déboutée de ses demandes reconventionnelles et, statuant à nouveau, de condamner le Syndicat interprofessionnel de défense du fromage Morbier à lui payer une indemnité de 80.000 € au titre de la procédure abusive.

— de condamner le Syndicat interprofessionnel de défense du fromage Morbier à payer à la société Fromagère du Livradois une indemnité de 50.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de la procédure.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 9 février 2017.

La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur les mesures de saisies

Conformément aux ordonnances rendues les 7 et 15 février 2013, le Syndicat a été autorisé sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, à faire procéder à des constats qui ont réalisés le 3 mars 2013 dans les locaux de la société Fromagère du Livradois situés à [Localité 1], à [Localité 4] et à [Localité 5].

C’est seulement le 22 août 2013 que le Syndicat a assigné la société Fromagère du Livradois en invoquant le droit des marques .

Si le Syndicat demande l’infirmation du jugement en toutes ses dispositions, il convient de relever qu’il ne produit pas en cause d’appel les trois constats en cause et ne précise pas davantage en quoi la décision des premiers juges prononçant leur annulation serait criticable ; dès lors, il ya lieu de la confirmer.

Sur le dépôt la marque américaine Morbier du Haut Livradois par la société Fromagère du Livradois

Le Syndicat invoque la protection de l’AOP Morbier dans des pays ou à destintion de pays hors de l’Union européeenne et fait valoir que la la société Fromagère du Livradois a utilisé sa marque américaine Morbier pour contourner l’interdiction résultant de la reconnaissance de l’AOC puis de l’AOP.

La société Fromagère du Livradois réplique qu’elle n’a commis aucune faute en déposant la marque Morbier du Haut Livradois aux Etats Unis car à la date du dépôt le 5 octobre 2001 elle était légitime à y procéder pour protéger son produit.

Le Syndicat invoque la Convention d’Union de [Localité 6] du 10 mai 1883 et l’article 22 de l’Accord ADPIC du 15 avril 1994 sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce international, l’article 22 de cet accord définissant les indications géographiques qui servent à identifier un produit comme originaire d’un pays, d’une région ou d’une localité, permettent de poursuivre « dans les cas où une qualité, réputation ou caractéristique déterminée du produit peut être attribuée essentiellement à cette origine géographique ».

La société Fromagère du Livradois oppose à l’invocation de l’accord ADPIC que le paragraphe 5 de son article 24 dispose au profit du titulaire d’une marque « déposée ou enregistrée de bonne foi » avant que l’indication géographique soit protégée, que les mesures adoptées pour mettre en oeuvre la section « Indications géographiques » dont fait partie cet article « ne préjugeront pas’ le droit de faire usage d’une marque de fabrique ou de commerce, au motif que cette marque est identique ou similaire à une indication géographique ».

S’il n’est pas contestable que, lorsque la société Fromagère du Livradois a procédé au dépôt de la marque Mobier en octobre 2001, elle n’ignorait pas que, par décret du 22 décembre 2000, le morbier avait bénéficié d’une appellation d’origine contrôlée (AOC) définissant la zone géographique de référence (article 2) et les conditions nécessaires pour prétendre à l’appellation d’origine ; toutefois, à la date du dépôt de sa marque aux Etats Unis, d’une part, des recours avaient alors été engagés à l’encontre de ce décret , d’autre part, il avait été prévu pour les entreprises comme la la société Fromagère du Livradois, qui fabriquaient et commercialisaient le 'Morbier', une période de transition de cinq ans suivant la publication de l’enregistrement de l’appellation d’origine « Morbier » à titre d’AOP par la commission des communautés européennes, ce qui leur permettait de continuer à utiliser cette appellation pendant une période relativement longue ; en conséquence, il ne saurait être reproché à la société Fromagère du Livradois d’avoir agi de mauvaise foi puisqu’elle n’a fait qu’user de ce qui était encore son droit au moment du dépôt et de l’avoir utilisé pour les besoins de son exploitation y ayant été autorisée au moins jusqu’en 2007.

La société Fromagère du Livradois ne conteste toutefois pas avoir bénéficié des droits attachés au dépôt de sa marque jusqu’en 2013 pour l’avoir renouvelée en 2008 pour dix ans ; dès lors, quand bien même elle a fait procéder à sa radiation en 2013, elle a bénéficié des droits attachés au dépôt de la marque de 2007 à 2013 alors qu’elle ne pouvait plus y prétendre.

Pour autant, ce seul renouvellement ne saurait être assimilé au dépôt qui fait naître des droits et il ne saurait être fautif que s’il s’accompagne d’actes entrainant une confusion avec la l’AOPC ce que la société fxx conteste puisqu’elle affirme avoir cessé toute exploitation de la marque Morbier à compter de 2007 ; il appartient au syndicat de faire la démonstration des actes permettant une incrimination.

Sur la prescription

La société Fromagère du Livradois demande à la cour de constater la prescription des demandes du syndicat visant à faire constater que le dépôt de la marque aux Etats Unis et son maintien serait fautifs dès lors que ce dépôt a été enregistré en 2001.

Le syndicat ne demande pas à la cour de prononcer l’annulation du dépôt de la marque et conséquemmment de son maintien ce qui ne serait pas de sa compétence, mais de déclarer fautif et le dépôt de la marque et son maintien en ce qu’il en résulte selon lui une imitation du fromage AOP Morbier qui se s’est poursuivie jusqu’en 2013.

Dès lors qu’il s’agit de sanctionner des agissements fautifs il n’y a pas lieu de se placer à la date du dépôt de la marque américaine Morbier mais à celle de l’assignation soit le 22 août 2013.

Le délai de prescription étant de 5 ans, les faits postérieurs au 22 août 2008 ne sont pas prescrits. En conséquence il y a lieu de débouter la société Fromagère du Livradois de sa demande tendant à voir constater l’irrecevabilité du Syndicat sur le fondement de la prescription pour les faits postérieurs au 22 août 2008;

Sur les agissements allégués

Le Syndicat prétend qu’est fautif pour un opérateur français le fait de déposer hors des Etats membres de l’Union européenne une marque contrefaisant une AOP.

Pour autant, comme il a été vu, le dépôt de la marque aux Etats Unis ne constitue pas un dépôt contrefaisant une marque puisque la société Fromagère du Livradois était alors fondée à préserver ses droits sur la commercalisation d’un fromage sous cette marque ; le seul maintien de la marque ne saurait caractériser un acte fautif à défaut d’une preuve de son utilisation, preuve que le Syndicat prétend rapporter.

Sur la preuve des agissements fautifs allégués

Le Syndicat prétend rapporter la preuve du maintien jusqu’au 30 aoüt 2013 de la marque américaine 'Morbier du Haut Livradois', exposant que toute personne dans le monde qui fait une recherche sur google à partir du mot Morbier est invitée à consulter des sites vantant la marque et le fromage commercialisé sous ce signe et que la société Fromagère du Livradois utilise ou transpose cette marque figurative pour deux fromages présentés comme morbier, l’un étant son 'morbier du haut livradois', l’autre son 'montboissié du haut livradois'.

La société Fromagère du Livradois fait valoir que les documents produits par le syndicat ne sont pas probants car certains ne sont pas datés et, s’ils le sont, ils se rapportent à la période transitoire.

Il ne peut être contesté que la datation des éléments de preuve est indispensable en l’espèce puisque la société Fromagère du Livradois était fondée à utiliser l’appellation Morbier jusqu’au 11 juillet 2007 et où des tiers commercialisant son fromage ont pu mettre en ligne avant cette date des informations avec l’appellation Morbier.

Le Syndicat a produit un constat dressé le 17 septembre 2015, affirmant qu’il en résulte la démonstration que la société Fromagère du Livradois continue à usurper l’ AOP Morbier, créant une confusIon entre ses produits et ceux protégés par l’AOP et à se mettre dans son sillage.

Si le procès verbal relève que des annonces font état de ce que Morbier n’est qu’une partie du nom entier 'morbier du Haut Livradois’ou accès à 'Morbier au lait cru du Haut Livradois 'ou accès à 'morbier au lait cru du Haut Livradois , fameux par sa ligne cendrée’ ou fromage Morbier du Livradois ou que le Montboissé 'est 'une version pasteurisée du morbier', aucune des pges ne correspond au site la société Fromagère du Livradois mais figurent sur des sites tiers, la société Fromagère du Livradois affirmant que ces pages ont été mises en ligne avant le 11 juillet 2007 et qu’elles n’ont pas fait l’objet de mises à jour. Elle fait ainsi observer que la dénomination sociale de la société Salaipro, qui apparaît, été modifiée en 2006 pour devenir’fromagers en Bourgogne’ce qui démontre que les informations sur ce site sont antérieures à cette date ; elle ajoute que ne sont pas reproduites les pages de résultats par le mot clé morbier qui auraient permis de constater que celui-ci ne comportait que des fromages AOP morbier.

En conséquence l’analyse des copies d’écran par la société Fromagère du Livradois est suffisante pour renseigner la cour sans qu’il y ait lieu d’ordonner une mesure d’instruction comme demandée par le Syndicat.

Celui-ci produit également à l’appui de ses affirmations des images de fromages sauf à observer qu’elles ne sont pas datées .

La société Fromagère du Livradois fournit une attestation de son distributeur exclusif à l’étranger qui indique 'Depuis 2007 nous commercialisons sur ces différentes destinations un fromage fabriqué par la société Fromagère du Livradois : tome au lait de vache à pâte pressée non cuite , ronde, disponible sous format 4 et 6kg et avec un process de lait pasteurisé ou de lait thermisé et une raie de cendre au milieu appelé Montboissié'..

Le commissaire aux comptes de la société Fromagère du Livradois atteste de 'l’absence de ventes effectuées sous la désignation Morbier depuis 2007 et sur tout l’exercice 2007/2008".

Force est de constater que la complexité de la situation juridique a pu créer une certaine confusion auprès de quelques opérateurs, le Syndicat n’ayant pas cru en dépit de la mission qui est la sienne leur adresser la moindre mise en demeure.

Enfin, si la société Fromagère du Livradois a pendant la période transitoire choisi d’adopter le terme Montboissié tout en gardant les termes du haut Livradois et la typographie gothique de sa présentation, il y a lieu de relever que, le terme local Haut Livradois correspond à sa raison sociale et au lieu où sont produits ses fromages et la typographie est celle sous laquelle elle commercialisait déjà différents produits, de sorte que ces éléments font partie de l’identité sous laquelle elle était connue de sa clientèle.

Il n’est pas démontré que pendant la période transitoire elle a exploité de façon simultanée et associée les termes Morbier et Montboissié afin de créer une confusion.

Le Syndicat soutient que ses pièces 2 à 5, 12 à 16 et 21 à 23 sont récentes sans pour autant en préciser la date, ni justifier de cette affirmation ; que, s’il indique que le site internet de la société Fromagère du Livradois n’était pas tel que le montre une capture d’écran réalisée en 2012 et que le fromage 'Monboissié’ était dans la rubrique 'fromage d’appellation d’origine contrôlée', il n’en rapporte pas la preuve.

Il invoque un étiquetage sur un fromage vendu à la fin de l’année 2013 dans l’intermarché de [Localité 7] sous l’appellation 'Morbier lait pasteurisé’ ; toutefois, la société Fromagère du Livradois expose qu’elle n’a pas fourni ce magasin et produit une attestation de son directeur faisant état d’une erreur d’étiquetage par son personnel;

Dans ses conclusions d’appel le syndicat se prévaut d’une autre étiquette, au demeurant peu lisible, sans préciser son origine de sorte qu’elle ne sea pas retenue comme élément de preuve.

Le Syndicat produit enfin des menus de cantines des écoles de [Localité 8], [Localité 9] et du Centre de loisirs de [Localité 10] ; force est de constater que ceux-ci n’ont pas été établis par la société Fromagère du Livradois alors que les catalogues et les fiches produits versés aux débats ne présentent ses fromages que sous la dénominnation Montboissié.

Dès lors le syndicat ne rapporte aucun élément de preuve démontrant que la société Fromagère du Livradois aurait fait une présentation trompeuse alors que ses emballages indiquent clairement 'montboissié du haut Livradis’ et sa raison sociale qui comporte le toponyme de ivradois et précise que le fromage est fabriqué en [Localité 3]; enfin elle indique sur ses factures et bons de livraison: 'important : le Montboissié ne peut être vendu et facturé que sous la dénomination Montboissié'.

Sur l’atteinte alléguée à la marque Morbier par le dépôt de la marque Montboissié et l’usage du signe Montboissié Haut Livradois'

Le Syndicat prétend que la marque Montonboissié enregistré à l’INPI par la société Fromagère du Livradois pour les produits de la classe 29 porte atteinte à l’AOP Morbier;

La société Fromagère du Livradois fait valoir que le Syndicat est irrecevable à former la moindre demande à l’encontre du dépôt de la marque intervenu le 5 novembre 2004.

La publication de la demande d’enregistrement de cette marque est intervenue le 10 décembre 2004 ; or la demande de retrait de la marque Montboissier a été formée par le syndicat dans ses conclusions du 22 août 2013 soit 8 ans après son dépôt et 7 ans après son enregistrement.

L’article L 714-3 du Code de la propriété intellectuelle dispose que 'Seul le titulaire d’un droit antérieur peut agir en nullité sur le fondement de l’article L711-4 ;toutefois son action n’est pas recevable si la marque a été déposée de bonne foi et s’il en a été toléré l’usage pendant cinq ans'.

Il ne saurait être contesté que le Syndicat regroupe des entreprises titulaires de l’AOP et qu’il a vocation à défendre leurs droits et à agir pour voir interdire l’utilisation d’une marque portant atteinte à la marque AOP de ses adhérents.

Il y a lieu de rechercher s’il y a atteinte à la marque Morbier en comparant tout d’abord les signes en présence.

Les signes en cause, Montboissié et Montboissié Haut Livradois sont visuellement différents du signe Morbier, dans leur longueur ; ils sont présentés sous une forme semi figurative utilisant une typographie de style gothique avec des ornements et forme géométriques organisés afin de former un blason ; phonétiquement ils différent par le nombre de syllabes; conceptuellement montboissie est le nom d’un village, situé à quelques kilomètres du siège social de la société Fromagère du Livradois et où son dirigeant a des attaches familiales ; la construction grammaticale de ce nom composé de Mont et boissié rappelle le Moyen-Age.

Il n’existe en conséquence aucune ressemblance entre les deux noms de sorte qu’aucune confusion ne peut en résulter pour le consommateur.

Le Syndicat reproche à la société Fromagère du Livradois d’avoir commercialisé un fromage qui , même s’il n’utilise pas l’appellation morbier, s’apparente à celui-ci.

La réglementation sur les AOP ne vise pas à protéger l’apparence d’un produit ou ses caractéristioques décrites dans son cahier des charges mais sa dénomination de sorte qu’elle n’interdit pas la fabrication d’un produit selon les mêmes techniques que celles définies dans les normes applicables à l’indication géographique.

En l’absence de droit privatif, la reprise de l’apparence d’un produit n’est pas fautive mais relève de la liberté du commerce et de la libre concurrence.

Force est de constater que les caractéristiques invoquées par le Syndicat relèvent d’une tradition historique et avaient été mises en oeuvre par la société Fromagère du Livradois en 1979 avant même l’obtention de l’AOP et ne reposeent pas sur des investissements que le syndicat ou ses membres auraient été réalisés ; ainsi, le trait bleu horizontal est une technique ancestrale qui se retrouvent dans d’autres fromages.

Si le Syndicat prétend enfin que le Règlement UE 1129:2011 du 11 novembre 2011 sur les additifs a conféré aux seuls fromages d’AOP Morbier le droit d’utiliser du charbon végértal, celui-ci n’est entré en viguieur que 1er juin 2013 et la société Fromagère du Livradois expose que depuis plusieurs années et afin de se conformer à la législation américaire, elle a remplacé le charbon végétal par du polyphénol de raisin de sorte que les deux fromages se sauraient être assimilés par cette caractéristique.

La société Fromagère du Livradois fait valoir qu’il existe d’autres différences entre le Montboissié et le Morbier, notamment en ce que le premier utilise du lait pasteurisé et le second du lait cru, caractéristique essentielle puisque le public auquel est destiné le montboissié est notamment celui des cantines et des hôpitaux.

En ce qui concerne le site allemand Halbfester Scchnittkäse aus Frankreich mentionnant un fromage sous le nom 'Montboissié (T. Morbier), le Syndicat ne démontre pas qu’il est le fait de la société Fromagère du Livradois.

En conséquence, il apparaît que les deux types de fromage sont distincts et que le Syndicat tente d’étendre la protection dont bénéficie la dénomination Morbier dans un intérêt commercial illégitime et contraire au principe de la libre concurrence.

Sur l’apposition du logo Extra et la prétendue présence du Montboissié dans la rubrique AOP

La société Fromagère du Livradois fait valoir que le logo en cause est à l’initiative de la société allemande Ruwisch &Zuck et qu’il est utilisé par celle-ci pour désigner différents fromages autres que le Monboissié.

Le syndicat ne démontre pas que ce logo a été utilisé en France.

Le syndicat reproche à la société Fromagère du Livradois d’avoir fait figurer sur son site internet le fromage Montboissié dans une rubrique consacrée aux fromages d’appellation d’origine.

Le site en cause met en évidence que la société Fromagère du Livradois a créé des sous catégories pour référencer ses fromages, d’une part les gammes suivantes, 'gamme AOC [Localité 3]', 'gamme AOP auvergnate fermière', 'gamme AOP de chèvre’ et, d 'autre part, les gammes 'spécialités d'[Localité 3]' ou 'raclette /montboissié’ sans qu’il en résulte la démonstration que le Montboissié aurait été classé dans une gamme AOP.

En conséquence, cette affirmation du syndicat n’est pas vérifiée.

Sur les demandes reconventionnelles

La société Fromagère du Livradois souttient que l’action du syndicat est abusive et qu’elle tend à son éradication au bénéfice des membres du syndicat ; elle ajoute que celui-ci a procédé de manière non contradictoire à des mesures intrusives qui lui ont permis d’accéder à des informations stratégiques, au surplus, en présence d’un mandataire du Syndicat.

Le Syndicat a attendu le deuxième semestere 2013 pour engager une action à l’encontre de la société Fromagère du Livradois alors qu’elle commercialisait le Monboissié depuis 2007.

Il a engagé cette action en dépit de trois constats démontrant l’inanité de ses griefs.

Il apparaît qu’il a agi avec une légèreté blâmable dans l’intention de nuire ; en conséquence il sera alloué la somme de 10 000€ à la société Fromagère du Livradois.

Sur l’article 700 du code de procédure civile

La société Fromagère du Livradois ayant dû engager des frais non compris dans les dépens qu’il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, il y a lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement déféré sauf en ce qu’il a débouté la société Fromagère du Livradois de sa demande pour procédure abusive.

CONDAMNE le Syndicat Interprofessionnel de Défense du Fromage Morbier à payer à la société Fromagère du Livradois la somme de 10 000€ pour procédure abusive.

CONDAMNE le Syndicat Interprofessionnel de Défense du Fromage Morbier à payer à la société Fromagère du Livradois la somme de 20 000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

REJETTE toute autre demande, fin ou conclusion plus ample ou contraire.

CONDAMNE le Syndicat Interprofessionnel De Défense du Fromage Morbier aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.

La Greffière La Présidente

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Cour d'appel de Paris, Pôle 5 chambre 2, 16 juin 2017, n° 16/11371