Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 9 janvier 2019, n° 16/15627

  • Travail·
  • Représailles·
  • Licenciement·
  • Enquête·
  • Titre·
  • Heures supplémentaires·
  • Salarié·
  • Salaire·
  • Congés payés·
  • Forfait

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 6 - ch. 9, 9 janv. 2019, n° 16/15627
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 16/15627
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Paris, 2 novembre 2016, N° F15/08135
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 9

ARRÊT DU 09 Janvier 2019

(n° , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 16/15627 – N° Portalis 35L7-V-B7A-B2HJK

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 Novembre 2016 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS section RG n° F15/08135

APPELANT

M. C X

[…]

[…]

né le […] à […]

présent à l’audience, représenté par Me Laurent CARRIE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0221

INTIMEE

SAS MOODY’S FRANCE

[…]

[…]

N° SIRET : 344 765 961

représentée par Me Laurence RENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : J031

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 07 Novembre 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Sandra ORUS, Présidente

Madame Carole CHEGARAY, Conseillère

Madame Séverine TECHER, J-Présidente Placée

qui en ont délibéré

Greffier : Madame E F, lors des débats

ARRET :

— CONTRADICTOIRE

— mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

— signé par Madame Sandra ORUS, Président et par Madame Caroline GAUTIER, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. C X a été engagé par la SAS Moody’s France suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 14 août 2000, en qualité de J-président – juriste financement structurés.

Il occupait, dans le dernier état, les fonctions de team managing director.

Après avoir été convoqué le 10 février 2015 à un entretien préalable devant se tenir le 3 mars 2015 et mis à pied à titre conservatoire à cette occasion, M. X a été licencié pour faute grave par lettre du 6 mars 2015.

L’entreprise, qui employait habituellement au moins onze salariés lors de la rupture de la relation contractuelle, appliquait la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987 (dite SYNTEC).

Contestant le bien-fondé de son licenciement et estimant ne pas avoir été rempli de l’intégralité de ses droits, M. X a saisi, le 1er juillet 2015, le conseil de prud’hommes de Paris qui, par jugement rendu le 3 novembre 2016, auquel la cour se réfère pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, l’a débouté de toutes ses demandes et condamné aux dépens. La société Moody’s France a également été déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles.

Le 14 décembre 2016, M. X a interjeté appel du jugement.

Par conclusions transmises le 19 juillet 2018 par voie électronique, auxquelles il est expressément fait référence, M. X demande à la cour de :

— infirmer le jugement,

— sur le licenciement :

¤ à titre principal :

* déclarer son licenciement nul,

* ordonner sa réintégration dans le délai d’un mois à compter de la notification de l’arrêt à intervenir, dans le poste de team managing director, avec le statut cadre, une ancienneté à compter du 25 juin 1998, un salaire de base mensuel de 22 431,50 euros bruts, un bonus à 100 % de 108 707 euros, des attributions d’actions de l’ordre de 1 000 actions par an et un véhicule de fonction aux conditions antérieures, soit 1 070 euros bruts (an/mois), sous astreinte de 785 euros par jour de retard à l’expiration du délai d’un mois après la notification de l’arrêt à intervenir,

* condamner la société Moody’s France à lui payer à titre de réparation du préjudice subi entre le 19 mars 2015 et la date de sa réintégration la somme provisionnelle arrêtée au 31 décembre 2018 de 1 264 280 euros bruts,

* ordonner à la société Moody’s France la remise des bulletins de salaire conformes pour chaque mois de salaire versé et la régularisation des cotisations sociales,

* condamner la société Moody’s France à lui payer la somme de 150 000 euros au titre de la réparation de son préjudice moral et de carrière,

¤ à titre subsidiaire :

* déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* condamner la société Moody’s France à lui payer les sommes suivantes :

' 1 264 280 euros à titre de dommages-intérêts du fait de la perte de son emploi,

' 116 601 euros, subsidiairement 70 504,50 euros, bruts à titre de préavis et 11 660 euros, subsidiairement 7 050,45 euros, bruts au titre des congés payés afférents,

' 223 520 euros, subsidiairement 187 637 euros, à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

' 50 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,

— condamner la société Moody’s France à lui payer les sommes suivantes :

¤ 108 707 euros à titre de bonus 2014 et 10 870 euros bruts au titre des congés payés,

¤ 69 216 euros bruts à titre de rappel d’heures supplémentaires pour 2011 et 6 921 euros bruts au titre des congés payés afférents,

¤ 72 433 euros bruts à titre de rappel d’heures supplémentaires pour 2012 et 7 243 euros bruts au titre des congés payés afférents,

¤ 76 278 euros bruts à titre de rappel d’heures supplémentaires pour 2013 et 7 628 euros bruts au titre des congés payés afférents,

¤ 78 829 euros bruts à titre de rappel d’heures supplémentaires pour 2014 et 7 883 euros bruts au titre des congés payés afférents,

¤ 11 721 euros bruts à titre de rappel d’heures supplémentaires pour 2015 et 1 172 euros bruts au titre des congés payés afférents,

¤ 1 505 475 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de chance au titre des actions gratuites,

¤ 15 000 euros au titre de ses frais irrépétibles,

¤ 800 euros au titre des frais déjà engagés pour les dépens, outre les frais d’huissier éventuels à intervenir,

— ordonner le versement des intérêts légaux à compter de l’introduction des demandes devant le conseil de prud’hommes sur l’ensemble des condamnations et la capitalisation des intérêts dus pour une année entière.

Par conclusions transmises le 31 août 2018 par voie électronique, auxquelles il est expressément fait référence, la société Moody’s France sollicite le rejet de toutes les demandes de l’appelant. Subsidiairement, elle conclut à la réduction aux sommes suivantes :

—  141 418,92 euros bruts, de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

—  153 561,75 euros bruts, de l’indemnité conventionnelle de licenciement,

—  89 683 euros bruts et 8 968 euros, des rappels de salaire sur bonus 2014 et congés payés afférents,

—  225 617,83 euros bruts et 22 562 euros, des rappels de salaire sur heures supplémentaires entre 2011 et 2015 et congés payés afférents,

—  141 080 euros, de l’indemnisation pour perte de chance.

En tout état de cause, elle réclame la condamnation de l’appelant à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de ses frais irrépétibles, ainsi qu’aux dépens.

La clôture de l’instruction est intervenue le 2 octobre 2018 et l’affaire a été plaidée le 7 novembre 2018.

MOTIFS

Sur les heures supplémentaires

Sur la nullité de la convention de forfait en jours

L’article L. 212-15-3 ancien du code du travail, ensuite codifié sous l’article L. 3121-39, applicable au cas d’espèce, prévoit que la conclusion de conventions individuelles de forfait sur une base hebdomadaire, mensuelle ou annuelle doit être prévue par une convention ou un accord collectif étendu ou par une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement qui détermine les catégories de cadres susceptibles de bénéficier de ces conventions individuelles de forfait ainsi que les modalités et les caractéristiques principales des conventions de forfait susceptibles d’être conclues.

L’accord sur lequel se fonde une convention individuelle de forfait doit, pour être valide, notamment, prévoir les modalités de suivi de l’organisation du travail des salariés concernés, de l’amplitude de leurs journées d’activité et de la charge de travail qui en résulte.

En l’espèce, par avenant ayant pris effet le 1er janvier 2002, les parties ont conclu une convention de forfait en jours sur le fondement de l’accord national du 22 juin 1999 relatif à la réduction du temps de travail annexé à la convention collective applicable à la relation contractuelle.

Aucun accord d’entreprise autre que l’accord conclu le 29 juillet 2014, qui ne peut être pris en compte pour apprécier la validité de la convention individuelle susvisée, qui lui est antérieure, n’a été versé au débat en complément de l’accord du 22 juin 1999.

Or, cet accord, en son article 4, dans sa version en vigueur le 1er janvier 2002, n’est pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé, et, donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié.

En effet, ledit article énonce :

'Les personnels exerçant des responsabilités de management élargi ou des missions commerciales, de consultant ou accomplissant des tâches de conception ou de création, de conduite et de supervision de travaux, disposant d’une grande autonomie, libres et indépendants dans l’organisation et la gestion de leur temps de travail pour remplir les missions qui leur ont été confiées doivent bénéficier de dispositions adaptées en matière de durée du travail : les salariés ainsi concernés sont autorisés, en raison de l’autonomie dont ils disposent, à dépasser – ou à réduire
- l’horaire habituel, dans le cadre du respect de la législation en vigueur.

La rémunération mensuelle du salarié n’est pas affectée par ces variations.

La comptabilisation du temps de travail du collaborateur se fait en jours, avec un maximum fixé à 219 jours, compte non tenu des éventuels jours d’ancienneté conventionnels. Le compte de temps disponible peut être utilisé pour enregistrer les jours accordés aux salariés concernés par ces modalités. Toutefois, comme à l’article 2, ce chiffre de 219 jours pourra être abaissé par accord d’entreprise ou d’établissement, négocié dans le cadre de l’article L. 132-19 du code du travail.

Le personnel ainsi concerné doit bénéficier d’une rémunération annuelle au moins égale à 120 % du minimum conventionnel de sa catégorie.

L’adoption de ces modalités de gestion du temps de travail ne peut entraîner une baisse du salaire brut de base en vigueur à la date de ce choix.

Pour pouvoir relever de ces modalités, les collaborateurs concernés doivent obligatoirement disposer de la plus large autonomie d’initiative et assumer la responsabilité pleine et entière du temps qu’ils consacrent à l’accomplissement de leur mission, le bon accomplissement de cette mission caractérisant la mesure réelle de leur contribution à l’entreprise. Ils doivent donc disposer d’une grande latitude dans leur organisation du travail et la gestion de leur temps et doivent également bénéficier de la position 3 de la convention collective (en général les positions 3.2 et 3.3, et dans certains cas 3.1) ou avoir une rémunération annuelle supérieure à 2 fois le plafond annuel de la sécurité sociale, ou être mandataire social'.

Il ne prévoit donc aucun suivi effectif, régulier et éventuellement correctif du temps de travail du salarié soumis à un forfait en jours.

La convention de forfait en jours conclue entre les parties est, en conséquence, nulle, ce qui autorise M. X à solliciter un rappel de salaires pour les heures supplémentaires effectuées.

Sur le rappel de salaire sur heures supplémentaires

* Sur la prescription de la demande

Avant la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, entrée en vigueur le 19 juin 2008, le salarié disposait d’un délai de cinq ans pour intenter une action salariale.

Cette loi n’a pas modifié ledit délai.

La loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 a réduit à trois ans le délai de prescription pour toute action portant sur des rappels de salaire, ce qui a été codifié sous l’article L. 3245-1 du code du travail, ce délai s’appliquant aux prescriptions en cours à compter de la promulgation de la loi, soit le 17 juin 2013, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, ce, conformément à l’article 21 V.

En l’espèce, M. X réclame le paiement d’heures supplémentaires réalisées entre le 1er janvier 2011 et le 22 février 2015, soit avant mise à pied à titre conservatoire.

Ses demandes de rappel de salaire devaient être présentées :

— pour la période allant du 1er janvier 2011 au 16 juin 2013, avant l’entrée en vigueur de la loi du 14 juin 2013, soit le 17 juin 2013, dans le délai de cinq ans, soit avant le 1er janvier 2016,

— pour la période allant du 17 juin 2013 au 22 février 2015, dans le délai de trois ans, soit avant le 17 juin 2016.

M. X a saisi le conseil de prud’hommes le 1er juillet 2015, soit avant l’expiration des délais susvisés.

Le moyen tiré de la prescription partielle de son action doit, en conséquence, être rejeté.

* Sur le bien-fondé de la demande

La durée légale du travail effectif prévue à l’article L. 3121-10 du code du travail, dans sa version applicable, soit 35 heures par semaine civile, constitue le seuil de déclenchement des heures supplémentaires payées à un taux majoré dans les conditions de l’article L. 3121-22 du même code, également dans sa version en vigueur.

En application de l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail effectuées, il appartient au salarié d’étayer sa demande par la production d’éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.

En l’espèce, M. X produit, au soutien de ses prétentions, uniquement des tableaux qu’il a établis lui-même, sur lesquels figurent, entre le 1er janvier 2011 (semaine 1 de l’année) et le 22 février 2015 (semaine 8 de l’année), le nombre d’heures de travail effectuées chaque semaine comprise dans la période, le nombre d’heures de travail hebdomadaire prévu par la loi, le nombre d’heures supplémentaires effectuées chaque semaine, ainsi que le calcul des majorations de salaires qu’il estime lui être dues.

Par ces seuls documents, qui ne font, au demeurant, aucune mention de ses horaires de travail quotidiens, il ne fournit pas d’éléments préalables suffisamment précis sur son rythme de travail qui peuvent être discutés par l’employeur et qui sont de nature à étayer sa demande.

Il est donc débouté de ses demandes de rappel de salaire sur heures supplémentaires et congés payés afférents, comme l’ont fait à bon droit les premiers juges.

Sur la rupture du contrat de travail

M. X conteste le licenciement dont il a fait l’objet et qui repose sur les faits suivants :

'À l’issue d’une enquête interne initiée en septembre 2014 et dont le rapport final nous a été communiqué le 5 février 2015, nous sommes parvenus à la conclusion que vous avez exercé des représailles à l’encontre de votre collaboratrice, Madame K-L, suite à la dénonciation effectuée par elle de manquements méthodologiques dans l’analyse du Fonds SG Cash Euro Fund.

Cette enquête a été menée, selon nos règles internes, avec la plus grande rigueur. En effet, ces investigations ont été conduites par un cabinet d’avocats indépendant avec un membre du Département de la Conformité et ont nécessité la tenue d’entretiens très détaillés avec onze personnes différentes dont vous. Les conclusions de cette enquête approfondie sont claires et ont été validées par le Comité d’analyse des enquêtes internes (Investigation Review Committee).

Ces représailles se sont manifestées de la manière suivante :

1- Un changement négatif injustifié est intervenu dans l’évaluation de la performance de Madame K-L

¤ Vous avez ainsi attribué une note de '4' (performance supérieure aux objectifs) relative à la performance globale de Madame K-L lors de son entretien annuel de 2013. Après que Madame K-L eût commencé de soulever des questions au sujet du Fons SG Cash Euro Fund, tout d’abord au sein de votre équipe puis auprès des Départements Compliance et Credit policy, vous avez établi une évaluation négative à mi-année 2014. Plus récemment, vous avez recommandé qu’elle soit évaluée à '2' (performance inférieure aux objectifs) dans le cadre de son évaluation annuelle 2014.

¤ Madame K-L a rapporté que votre attitude à son égard et que l’évaluation de sa performance ont commencé à s’infléchir négativement vers avril 2014 après qu’elle eût commencé de poser des questions au sujet des latitudes prises par Madame G A vis-à-vis des règles de méthodologie de notation dans le cadre de la surveillance du Fonds SG Cash Euro Fund. Madame K-L a contacté les Ressources Humaines de Londres en mai 2014 pour faire part de son appréhension d’être étiquetée comme fauteuse de troubles pour avoir soulevé au sein de son équipe des questions relatives à la notation de ce Fonds. Cette alerte était préalable aux discussions de Madame K-L avec les Départements Compliance et Credit policy au sujet de ses inquiétudes relatives au Fonds SG Cach Euro Fund.

2- L’évaluation à mi-année 2014 de Madame K-L incluait plusieurs points que vous avez soulevés qui reflètent une intention de représailles. Ainsi, à titre d’exemple :

¤ Vous avez inclus un problème qui s’est passé en 2012, en dépit du conseil des Ressources Humaines de ne pas l’inclure dans cette évaluation. Vous avez reconnu lors de l’enquête que vous aviez déjà discuté de ce problème lors de l’évaluation annuelle de 2012. Vous avez précisé à cette occasion que Ted Y, en sa qualité d’alors de Managing Director – Global Insurance and Managed investments, vous aurait suggéré d’inclure une référence à cet incident ancien. M. Y ne se rappelle pas d’une telle suggestion, mais a précisé à l’occasion de l’enquête qu’il lui semblait étonnant d’inclure une référence à un incident de 2012 dans une évaluation de 2014, d’autant qu’il n’en avait pas entendu parler précédemment ni lu une trace documentaire à ce sujet.

¤ Vous avez reproché des déficiences à Madame K-L dans son activité de diffusion externe ('outreach'), sans tenir compte du fait qu’elle a été reconnue par le senior management comme faisant partie des 50 meilleurs analystes du Financial Institutions Group en la matière.

3- Une supposition infondée de votre part selon laquelle Madame K-L aurait entretenu une relation acrimonieuse avec Madame H Z et l’aurait harcelée moralement.

¤ Vous avez contacté les Ressources Humaines au sujet de ce que vous avez qualifié d’harcèlement exercé par Madame K-L à l’encontre de Madame Z (I J president – Analyste).

¤ Lorsque Madame Z a été entendue dans le cadre de l’enquête, celle-ci a indiqué ne pas avoir eu le sentiment d’être harcelée par Madame K-L, considérant que les incidents intervenus entre elles deux étaient sans importance et qu’elle pouvait avoir sa part de responsabilité dans la survenance de ces incidents.

¤ Vous avez écrit au service des Ressources Humaines que 'ma déduction est qu’elle (Madame K-L) ayant déjà rempli la demande d’enquête à l’égard de Madame A, … elle portait maintenant ses efforts à l’encontre de Madame Z'. Lors de l’enquête, vous avez initialement nié avoir jamais dit que Madame K-L avait initié l’enquête initiale. Après vous être fait présenter le courriel mentionné ci-dessus, vous avez reconnu avoir formulé cette remarque. Je vous rappelle du reste que Madame K-L n’a pas initié d’enquête concernant Madame A et le Fonds SG Cash Euro Fund, pas plus qu’elle n’a été à l’origine d’une enquête visant Madame Z.

¤ Dans une note interne fournie plus tard au Département de la conformité, vous avez écrit que ces courriels montraient 'une passion à trouver quelque chose', ainsi que l’influence négative de Madame K-L sur l’équipe. Vous avez également dit que certains de ces courriels démontraient que Madame K-L instrumentalisait Monsieur B pour qu’il questionne les autres membres de l’équipe, qu’elle dénigrait les autres analystes et que Monsieur B et Madame K-L étaient de mèche.

Il n’y a aucune preuve matérielle à l’appui de vos théories selon lesquelles Madame K-L a agi de mauvaise foi dans le cadre de l’enquête relative au Fonds SG Cash Euro Fund et, de fait, ses inquiétudes ont été confirmées par les faits établis lors de l’enquête.

En conséquence, nous parvenons à la conclusion que vous avez exercé des représailles à l’encontre de votre collaboratrice – Madame K-L – en violation flagrante des dispositions de la loi du Code de déontologie de Moody’s, ce qui est inacceptable.

En effet, le Code de déontologie de Moody’s, annexé au Règlement intérieur de l’entreprise, stipule que :

Moody’s respecte le droit de chaque salarié de signaler de bonne foi une violation potentielle du Code ou d’autres politiques de la Société. Aucune représaille à l’encontre d’un salarié qui aurait effectué un tel signalement de bonne foi ne sauraient être tolérées.

Toute personne ayant exercé des représailles contre un individu pour avoir signalé de bonne foi une violation suspectée du Code ou d’une autre politique de la Société ou pour avoir participé à une enquête sur les allégations d’une telle conduite fera l’objet des mesures disciplinaires appropriées.

Cela est par ailleurs conforté par le Code du travail.

Moody’s, comme vous le savez, veille rigoureusement à ce que de telles pressions ou représailles ne puissent s’exercer en son sein. En effet, de tels comportements inacceptables peuvent avoir comme effet d’empêcher la transparence et les remontées d’informations indispensables à son fonctionnement et à son strict respect de ses valeurs éthiques, réglementaires et déontologiques.

De telles représailles sont par conséquent absolument inacceptables dans notre organisation et ne sont pas tolérées'.

En application de l’article L. 1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être licencié pour avoir témoigné d’agissements répétés de harcèlement moral ou les avoir relatés, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par l’intéressé de la fausseté des faits qu’il dénonce.

En l’espèce, M. X a été licencié, notamment, pour avoir supposé sans fondement et dénoncé à l’employeur une situation qu’il avait lui-même qualifiée de harcèlement moral subie par Mme H Z de la part de Mme M K-L, ce, en guise de représailles contre cette dernière.

En effet, la lettre de licenciement, qui fixe les termes du litige, mentionne expressément : '3- Une supposition infondée de votre part selon laquelle Madame K-L aurait entretenu une relation acrimonieuse avec Madame H Z et l’aurait harcelée moralement. Vous avez contacté les Ressources Humaines au sujet de ce que vous avez qualifié d’harcèlement exercé par Madame K-L à l’encontre de Madame Z (…)', étant observé qu’il résulte des pièces produites que le salarié a fait part, au service des ressources humaines, dans un courriel daté du 21 septembre 2014, d’incidents entre les deux salariées et, les 6 et 7 novembre 2014, dans le cadre d’une enquête diligentée par l’employeur, du fait que Mme Z était venue vers lui à plusieurs reprises en lui disant qu’elle se sentait harcelée, l’ensemble des exemples cités impliquant Mme K-L.

Or, la société Moody’s France, sur qui pèse la charge de la preuve de la mauvaise foi du salarié telle que définie ci-dessus et qui apparaît sous-tendue dans la lettre de licenciement contrairement à ce que soutient l’appelant, ne démontre ni que les faits dénoncés par M. X étaient faux, ni, par voie de conséquence, que le salarié avait connaissance de cette fausseté lorsqu’il les a dénoncés.

En effet, elle produit au débat un rapport d’investigation dont elle a déduit l’inexistence de faits de harcèlement moral subis par Mme Z.

Néanmoins, ce rapport est un résumé des entretiens qui ont eu lieu dans le cadre de l’enquête qu’elle a diligentée à l’automne 2014, au cours desquels ce sujet a été abordé, qui, non signé par les salariés interrogés pour la partie qui les concerne, est partial en ce qu’il est l’interprétation, par le rédacteur, des échanges qui ont eu lieu.

Cette inexistence est, en outre, contredite par le témoignage direct livré le 22 avril 2015 par Mme Z, principale intéressée, qui déclare avoir fait part à M. X, en mai, juin, septembre et octobre 2014, d’une 'attitude offensive, voire abusive'de la part de Mme M K-L, dont elle a cité de nombreux exemples précis (des critiques de ses travaux en mai, juin, août et octobre 2014, une exclusion de sa mission de 'back-up' en septembre 2014, une interférence dans sa relation avec un gérant dont elle était responsable en octobre 2014) et qui a eu des incidences sur ses conditions de travail, ce qu’elle a d’ailleurs résumé ainsi :

'Des exemples où M a, à mes yeux, sévèrement manqué de professionnalisme et utilisé régulièrement une attitude offensive, voire abusive, à mon égard ainsi qu’à l’égard d’autres membres de l’équipe sont nombreux. J’en ai fait part à C X à plusieurs reprises en mai, juin, septembre et octobre 2014. J’attendais de lui qu’il intervienne et impose à M d’arrêter sa conduite offensive à mon égard, de se comporter professionnellement et en adulte afin de rétablir l’équilibre dans notre équipe.

Je ne sais pas ce que C X lui a dit, mais le comportement de M n’a guère évolué. J’ai dit à C que je souhaitais limiter mon interaction avec elle au strict minimum. Étant donné la taille réduite de l’équipe je ne pouvais pas raisonnablement demander de ne plus travailler avec elle, bien que c’est ce que j’aurais souhaité.

Selon moi, le comportement de M K-L va à l’encontre des valeurs de Moody’s d’échange d’opinions et de travail d’équipe. Ce comportement a malheureusement transformé la bonne ambiance de coopération de notre équipe qui régnait avant l’arrivée de M en une ambiance suspicieuse et non coopérative entre les analystes. Si je parviens bien à dissocier le travail de ma vie privée et que mes problèmes avec M ne passent pas le seuil de mon domicile (ou rarement), son comportement agressif, suspicieux et contre-productif me mine au quotidien et affecte la façon dont je perçois mon travail. En conséquence, je n’apprécie plus mon travail autant qu’avant et comme indiqué à C, si la situation devait persister, cela pourrait m’amener à rechercher un autre poste en interne',

étant rappelé que le harcèlement moral se définit, selon l’article L. 1152-1 du code du travail, par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, ce qui correspond à la description faite par Mme Z, même si celle-ci n’a pas cité expressément les termes de ' harcèlement moral' dans son attestation.

Ce grief emporte de plein droit, à lui seul, la nullité du licenciement, en application de l’article L. 1152-3 du code du travail, sans qu’il soit besoin d’examiner le bien-fondé des autres griefs énoncés dans la lettre de licenciement.

Le jugement entrepris est donc infirmé en son appréciation sur ce point.

Compte tenu de la nullité du licenciement litigieux, la cour ordonne la réintégration de M. X sur l’emploi de team managing director, statut cadre, avec une ancienneté au 14 août 2000, telle que figurant dans le contrat de travail conclu par les parties et sur les bulletins de paie qui n’avaient, par le passé, fait l’objet d’aucune contestation de la part du salarié, étant observé que ce dernier ne produit aucune pièce contractuelle permettant de retenir la date du 25 juin 1998 qu’il réclame, avec un salaire de base mensuel de 22 431,50 euros bruts et une prime de véhicule d’un montant de 1 070 euros bruts par mois, tel que ces éléments figurent sur les bulletins de paie produits, dans le délai d’un mois à compter du présent arrêt, mais sans astreinte, laquelle n’est pas justifiée, les conditions relatives au bonus et à l’attribution d’actions, qui ne peuvent être précisées par la cour en l’absence d’éléments contractuels sur ces points, demeurant celles qui existaient avant le licenciement de M. X.

Le salarié dont le licenciement est nul et qui demande sa réintégration a droit au paiement d’une somme correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s’est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé.

La société Moody’s devra donc payer à M. X la somme provisionnelle de 1 000 000 euros bruts à valoir sur la réparation du préjudice subi entre le 19 mars 2015 et la date de sa réintégration, remettre au salarié un bulletin de paie récapitulatif conforme au présent arrêt et régulariser les cotisations sociales y afférentes, ce, dans le délai de deux mois suivant son prononcé.

Enfin, au vu des circonstances du licenciement et des pièces relatives à la situation qui a été la sienne après cet événement, notamment médicales et professionnelles, produites au débat, la cour alloue à M. X la somme de 5 000 euros au titre de la réparation de son préjudice moral et de carrière.

Le jugement de première instance est donc infirmé en son rejet de ces chefs de demandes.

Sur le bonus 2014

En l’espèce, le droit à bonus de M. X, bien que non mentionné dans le contrat de travail versé au débat, n’est pas contesté par l’intimée qui explique l’absence d’entretien d’évaluation et la privation qui a eu lieu en conséquence pour l’année 2014 par la procédure de licenciement qui était en cours pendant la période d’évaluation et par la non-atteinte, par le salarié, de ses objectifs, liée aux dysfonctionnements constatés dans son équipe, aux deux enquêtes internes qui ont dû être diligentées en son sein et aux représailles qu’il a exercées contre une de ses subordonnées au cours de l’exercice.

Lorsque le contrat ne permet pas de déterminer le montant de la rémunération variable et qu’aucun accord n’a été conclu entre les parties sur ce point, il appartient au juge de le fixer en fonction des critères visés au contrat et des accords conclus les années précédentes ou des éléments de la cause.

Le contrat de travail ne définit pas les modalités précises d’attribution, de calcul et de versement du bonus litigieux.

Aucune autre pièce contractuelle ne pallie cette carence.

Les années précédentes, M. X a perçu un bonus annuel :

— d’un montant de 115 500 euros pour l’année 2010, ce qui figure sur le bulletin de paie de mars 2011,

— d’un montant de 106 574 euros pour l’année 2011, ce qui figure sur le bulletin de paie de mars 2012,

— d’un montant de 159 799 euros pour l’année 2012, ce qui figure sur le bulletin de paie de mars 2013,

— d’un montant de 89 683 euros pour l’année 2013, ce qui figure sur le bulletin de paie de mars 2014.

Pour l’année 2013, il a été évalué, notamment, sur le travail de son équipe et sur ses compétences managériales.

Pour l’année 2014, un document établi le 24 février 2014 fait apparaître que le bonus prévisible s’élevait à la somme de 108 707 euros.

Il n’est pas contestable, pour l’année 2014, bien qu’aucune évaluation n’ait été effectuée, et indépendamment des faits de représailles reprochés au salarié dans la lettre de licenciement, qui ne peuvent être pris en compte dès lors que le licenciement a été jugé nul, que des dysfonctionnements son survenus au sein de son équipe, comme en attestent les deux enquêtes internes qui ont dû être diligentées, ce qui questionne ses compétences managériales.

Compte tenu de l’ensemble des éléments ainsi recueillis, la cour alloue à M. X les sommes de 89 683 euros à titre de bonus 2014, quantum qui est admis par l’intimée à titre subsidiaire, et 8 968,30 euros au titre des congés payés afférents.

Le jugement déféré est donc infirmé en son rejet sur ces chefs de demandes.

Sur la perte de chance au titre des 'restricted stock units'

Il est acquis au débat que M. X s’est vu attribuer, par son employeur, des 'restricted stock units', soit des droits à options, dont il n’est pas contesté qu’à la date de rupture du contrat de travail, ils étaient au nombre de 3 458.

Par suite de son licenciement, M. X n’a pu faire usage de ses droits.

Or, ledit licenciement ayant été jugé nul, le préjudice étant résulté pour M. X de la perte de chance de faire usage de ses droits et de bénéficier de droits supplémentaires doit être réparé, ce, nonobstant le fait que la condition de présence dans l’entreprise pour lever l’option n’était pas remplie.

Compte tenu des pièces produites, relatives, notamment, aux droits attribués entre 2012 et 2015, à leur usage et aux cours des actions applicables depuis 2012, la perte de chance susvisée est évaluée à la somme de 500 000 euros, qui est octroyée à M. X à titre de dommages-intérêts, par infirmation du jugement sur ce point.

Sur les autres demandes

Il est rappelé que les créances de nature salariale portent intérêts au taux légal à compter du 9 juillet 2015, date de réception de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes, et que les autres créances portent intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

La cour ordonne la capitalisation des intérêts échus pour au moins une année entière, conformément à l’article 1343-2 nouveau du code civil.

La société Moody’s France succombant principalement à l’instance, il est justifié de la condamner aux dépens de première instance et d’appel, tels que prévus par l’article 695 du code de procédure civile, et à payer à M. X la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles dont il serait inéquitable de lui laisser la charge.

La demande qu’elle a présentée de ce dernier chef est, en conséquence, rejetée.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu’il a rejeté les demandes de rappel de salaire sur heures supplémentaires entre 2011 et 2015 et congés payés afférents ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

Déclare le licenciement pour faute grave prononcé à l’encontre de M. X nul ;

Ordonne à la SAS Moody’s France de réintégrer M. X sur l’emploi de team managing director, statut cadre, avec une ancienneté au 14 août 2000, un salaire de base mensuel de 22 431,50 euros bruts et une prime de véhicule d’un montant de 1 070 euros bruts par mois, ce, dans le délai d’un mois suivant le présent arrêt, les conditions relatives au bonus et à l’attribution d’actions demeurant celles qui existaient avant le licenciement de M. X ;

Condamne la SAS Moody’s France à payer à M. X les sommes suivantes :

—  1 000 000 euros bruts à titre provisionnel à valoir sur la réparation du préjudice subi entre le 19 mars 2015 et la date de sa réintégration,

—  5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral et de carrière,

—  89 683 euros bruts à titre de bonus 2014 et 8 968,30 euros bruts au titre des congés payés afférents,

—  500 000 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de chance au titre des 'restricted stock units' ;

Dit que les créances de nature salariale portent intérêts au taux légal à compter du 9 juillet 2015 et que les autres créances portent intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Ordonne la capitalisation des intérêts échus pour au moins une année entière ;

Ordonne à la SAS Moody’s France de remettre à M. X un bulletin de paie récapitulatif conforme au présent arrêt et de régulariser les cotisations sociales y afférentes, ce, dans le délai de deux mois suivant son prononcé ;

Ajoutant,

Condamne la SAS Moody’s France aux dépens de première instance et d’appel, tels que prévus par l’article 695 du code de procédure civile, et à payer à M. X la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 9 janvier 2019, n° 16/15627