Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 1er décembre 2020, n° 19/11293

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 6 - ch. 11, 1er déc. 2020, n° 19/11293
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 19/11293
Décision précédente : Conseil de prud'hommes, 20 novembre 2013, N° 13/11933
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires

REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le

 : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 11

ARRET DU 01 DECEMBRE 2020

(n° , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/11293 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CA6GW

Décision déférée à la Cour : Jugement 21 novembre 2013 – Conseil des Pru’hommes deParis – section Industrie RG F09/17000 – Arrêt du 05 Avril 2018 -Cour d’Appel de PARIS – RG n° 13/11933 – Arrêt du 25 septembre 2019 – Cour de cassation

APPELANT

Monsieur Z X

[…]

[…]

Représenté par M. Alain MACH (Délégué syndical ouvrier)

INTIMÉES

Y devenu ENEDIS

[…]

[…]

Représentée par Me Annie SCHAF-CODOGNET, avocat au barreau de NANCY

SA GRDF

[…]

[…]

Représentée par Me Annie SCHAF-CODOGNET, avocat au barreau de NANCY

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 08 Octobre 2020, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Anne HARTMANN, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Anne HARTMANN, Présidente de chambre,

Sylvie HYLAIRE, Présidente de chambre

Laurence DELARBRE, Conseillère,

Greffier, lors des débats : Madame Mathilde SARRON

ARRET :

— contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Anne HARTMANN, Présidente de chambre et par Mathilde SARRON, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

M. Z X, né en 1957, a été engagé par les sociétés EDF GDF qui avaient alors le statut d’établissement public à caractère industriel et commercial puis sont devenues des sociétés anonymes, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 1er avril 1982. Suite à une opération de filialisation, M. X dépendra des sociétés Y et GRDF filiales respectives de EDF et GDF. La société Y est devenue la société ENEDIS.

Elu délégué de section Force ouvrière en octobre 1999, M. X sera à partir de 2003, salarié mandaté et détaché à 100% de ce syndicat siégeant dans différents organismes. (CSP,commission secondaire du personnel, CMP comité mixte de production, instances représentatives propres aux IEG (Industries Electriques et Gazières).

Après avoir eu cinq enfants, et estimant remplir les conditions, M. X a sollicité le 24 juin 2008 auprès de son employeur un départ anticipé et immédiat en inactivité de service le 24 juin 2008.

L’employeur a refusé ce départ anticipé et lui a opposé les dispositions d’un décret en date du 27 juin 2008, entré en vigueur le 1er juillet 2008 et imposant une nouvelle condition.

Soutenant que la décision de l’employeur constituait une discrimination, caractérisant un trouble manifestement illicite, M. X a alors saisi la formation des référés du conseil de prud’hommes de Paris, qui, par ordonnance du 20 février 2009 a dit n’y avoir lieu à référé sur les demandes formées par M. X à l’égard des sociétés Y et GRDF, en présence de la CNIEG ( Caisse nationale des industries électriques et gazières ayant pour mission le fonctionnement du régime d’assurance vieillesse, invalidité décès et accidents du travail des industries électriques et gazières).

La cour d’appel de Paris, par arrêt en date du 4 mars 2010, a jugé que la demande de mise en inactivité de M. X, présentée le 24 juin 2008, avant l’entrée en vigueur du décret du 27 juin 2008, n’était pas soumise à ce nouveau texte réglementaire, et a ordonné à l’employeur de prononcer la mise en inactivité de M. X, tout en lui allouant la somme de 2.000 € en réparation de son préjudice moral.

M. X a été mis en inactivité le 30 avril 2010 et la Caisse de Retraite du Personnel des Industries Électriques et Gazières (CNIEG) a liquidé sa pension en retenant une ouverture du droit à pension le 1er janvier 2008.

À la date de sa mise en inactivité, M. X avait une ancienneté de 28 ans.

Parallèlement, et afin de voir constater qu’il était en inactivité anticipée et voir condamner l’employeur à réparer le préjudice subi depuis sa demande de mise en inactivité anticipée par la perte de mensualités, mais aussi son préjudice moral ainsi que des dommages-intérêts pour harcèlement moral de gestion et pour manoeuvres dilatoires, M. X a saisi le 30 décembre 2009 le conseil de prud’hommes de Paris qui, par jugement du 21 novembre 2013 a statué comme suit :

- Constate que la mise en inactivité de M. X avait été ordonnée par la cour d’appel de Paris, par un arrêt du 4 mars 2010, et qu’elle avait été prononcée avec effet au 1er mai 2010 ;

- Fixe à la somme de 2.000 euros la condamnation des sociétés Y et GRDF au titre des dommages-intérêts pour préjudice moral ;

- Constate que cette somme a déjà été versée au demandeur ;

- Déboute les parties des demandes plus amples ou contraires ;

-Dit n’y avoir lieu à condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

-Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire ;

-Condamne les sociétés Y et GRDF aux entiers dépens.

Par déclaration du 12 décembre 2013, M. X a interjeté appel de cette décision.

Par arrêt en date du 5 avril 2018, la cour d’appel de Paris a statué comme suit :

- Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

- Rejette comme irrecevables, les demandes mettant en cause la responsabilité ou pouvoirs de la CNIEG ;

- Déclare mal fondées les demandes dirigées contre contre les sociétés Y et ENEDIS ;

- Dit n’y avoir lieu à l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

- Condamne M. X aux dépens d’appel.

Par arrêt rendu le 25 septembre 2019 suite au pourvoi formé par M. X, la Cour de cassation a annulé en toutes ses dispositions l’arrêt rendu le 5 avril 2018 entre les parties par la cour d’appel de Paris, a remis la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt, et a renvoyé les parties devant la cour d’appel de Paris, autrement composée.

« Attendu qu’à peine de nullité, les arrêts de cour d’appel sont rendus par des magistrats délibérant en nombre impair ;

Attendu que l’arrêt mentionne que la cour d’appel était composée, lors du délibéré, par un président et un conseiller ; que, par cette inobservation l’impartialité, révélée postérieurement aux débats, l’arrêt doit être annulé  ».

La cour a été saisie par déclaration de M. X le 6 novembre 2019.

Par conclusions régulièrement remises et visées par le greffe à l’audience, M. X demande à la cour de :

- infirmer l’ordonnance des juges de première instance ;

- condamner Y et GrDF pour discrimination syndicale à 50.000 € ;

- condamner l’employeur pour l’absence d’entretien individuel d’évaluation pendant le détachement syndical, à payer à M. X pour mauvaise exécution du contrat de travail la somme de 15.000 € ;

- condamner l’employeur pour l’absence d’entretien professionnel, à payer pour mauvaise exécution du contrat de travail la somme de 15.000 € ;

- condamner l’employeur pour l’absence d’entretien de jalonnement de mi-carrière dès ses 45 ans, à payer à M. X, pour discrimination liée à l’âge la somme de 15.000 € ;

- condamner l’employeur pour défaut d’adaptation en raison de l’absence de formation professionnelle, au regard des articles L. 6311-1 et L. 6321-1 du code du travail, et l’article 1315 du code civil à 15.000 € ;

- condamner l’employeur aux reclassements de 2003 à 2010, jusqu’au NR 135 pour discrimination syndicale, au paiement du rappel de rémunération principale de 6.777,95 € ;

- condamner l’employeur pour la perte de la prime variable annuelle et rémunération complémentaire à 42,5 % de la rémunération principale annuelle de janvier 2008 au 30 avril 2010, soit 33.801,10 € ;

- condamner l’employeur pour harcèlement moral discriminatoire de gestion, après avoir constaté que M. X a été mis en inactivité 2 ans après sa demande par l’arrêt de la cour d’appel du 4/3/2010 pour un trouble manifestement illicite créant une discrimination selon le droit communautaire à 45.000 € ;

- condamner l’employeur (remplacer la provision de 2.000 € par 89.811,78 €) pour préjudice moral sur le retard au droit au repos principe fondamental reconnu par les lois de la République, à payer 89.811,78 € ;

- condamner l’employeur à la réparation intégrale du préjudice selon l’article L. 1134-5 du code du travail et ex article 1149 du code civil aux pertes de chance certaines d’avoir une pension calculée sur le NR 135 à la capitalisation des pertes à 42.741,21 € ;

- condamner l’employeur à l’article 700 du code de procédure civile à 2.000 € et aux dépens.

Par conclusions régulièrement remises et visées par le greffe à l’audience, la SA ENEDIS et la SA GRDF demandent à la cour de :

- constater que M. X n’a pas fait l’objet de discrimination syndicale ;

- le débouter de sa demande d’indemnisation à ce titre ;

- déclarer M. X non fondé en ses demandes afférentes à une absence d’entretien individuel d’évaluation, à une absence d’entretien professionnel, à une absence d’entretien de jalonnement de mi-carrière, à une absence de formation professionnelle ;

- l’en débouter ;

- dire et juger n’y avoir lieu à reclassement pour la période de 2003 à 2010, jusqu’au NR 135 ;

- déclarer M. X non fondé en ses demandes de complément de rémunération et de versement d’indemnisation au titre de la prime variable annuelle, et de façon générale de toute demande de cette nature ;

- l’en débouter ;

- constater que M. X n’a pas fait l’objet de harcèlement moral discriminatoire de gestion ;

- l’en débouter ;

- le déclarer non fondé en ses demandes à titre de préjudice moral pour le droit au repos, et au titre de perte de chance d’avoir une pension calculée sur le NR 135 ;

en conséquence,

- confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’elle a alloué 2.000 € de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

- de façon générale, débouter M. X de toutes réclamations qu’elle qu’en soit la nature ;

- infirmant sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral, déclarer M. X non fondé en ses demandes ;

- l’en débouter ;

si par impossible la cour estimait devoir maintenir une condamnation au titre de préjudice moral,

- confirmer la décision en ce qu’elle a fixé le montant des dommages et intérêts à 2.000 €, et en ce qu’elle a constaté que cette somme avait été versée au demandeur ;

- écarter toutes autres réclamations ;

- condamner M. X au paiement de 1.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l’audience des débats.

SUR CE, LA COUR

Il résulte des articles 624, 625, 632 et 638 du code de procédure civile que la cassation qui atteint un chef de dispositif n’en laisse rien subsister, quel que soit le moyen qui a déterminé la cassation, les parties étant remises de ce chef dans l’état où elles se trouvaient avant la décision censurée et ayant la faculté d’invoquer de nouveaux moyens à l’appui de leurs prétentions, l’affaire étant à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l’exclusion des chefs non atteints par la cassation.

Sur la discrimination syndicale

Le statut des Industries électriques et gazières, ci-après IEG, régissant les sociétés intimées remonte à 1946. L’article 32 du statut consacre la liberté syndicale en précisant que : « Les agents sont libres d’adhérer à toute organisation syndicale légalement constituée ayant leur préférence. Les services et exploitations ne peuvent prendre en considération le fait d’appartenir ou de ne pas appartenir à une organisation syndicale pour arrêter une décision quelle qu’elle soit à l’égard d’un agent statuaire même temporaire ».

A ce titre, la sauvegarde des droits à l’avancement/ rémunération et à la retraite des agents en congé ou détachés pour fonctions politiques ou syndicales est garantie et assurée par deux dispositifs réglementaires internes: la « Pers 245 » du 8 décembre 1953 et la note du 2 août 1968 qui instaurent des comparaisons des mandatés avec les rémunérations et classifications moyennes des agents.

La circulaire PERS 245 précise la procédure à suivre pour sauvegarder le droit à l’avancement des agents exerçant leurs fonctions syndicales, politiques ou mutualistes à plus de 50% de leur temps de travail et qui consiste à comparer la progression en termes de salaire de base, des mandatés par rapport à la moyenne des agents de même niveau via l’ancienneté dans le niveau de rémunération pour aboutir à un avancement en cas de retard constaté. Ce principe de non-discrimination dans la carrière pour les permanents, avec une progression garantie à la moyenne est encadré par une note du 2 août 1968 qui instaure un système dynamique de comparaison des carrières avec des listes de dix homologues avec des profils similaires (classement de GF, fonction, formation, ancienneté, âge) afin de comparer la progression moyenne en terme de grader à partir de la date de prépondérance (mandats à plus de 50%).

M. X rappelle que le jugement déféré a retenu que le refus de lui accorder la mise en inactivité le 24 juin 2008 constituait un trouble manifestement illicite lié au sexe sur une différence de rémunération homme/femme et que la résistance lui avait causé un préjudice moral. Mais il expose que la raison de son départ est surtout la conséquence d’une carrière stagnante parce que son employeur ne respectait pas la réglementation des IEG en représailles à ses mandats syndicaux. Il invoque dès lors avoir été victime d’une discrimination syndicale.

La société Enedis et la société GRDF concluent à la confirmation du jugement déféré en faisant valoir que les éléments invoqués par M. X pris séparément ou globalement ne sont pas constitutifs de discrimination.

Aux termes de l’article L.2141-5 alinéa 1 du code du travail, il est interdit à l’employeur de prendre en considération l’appartenance à un syndicat ou l’exercice d’une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d’avancement, de rémunération et d’octroi d’avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail.

La preuve de la discrimination syndicale obéit au régime général des discriminations.

En application de l’article L. 1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l’article 1er de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison notamment de ses activités syndicales.

En vertu de l’article L. 1134-1, lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance des dispositions qui précèdent, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte au vu desquels il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

M. X expose qu’il était salarié d’EDF/GDF détaché pour exercer des mandats syndicaux depuis 2003 et qu’au 1er janvier 2008 alors qu’il était toujours mandaté permanent syndical à temps plein, son contrat de travail a été transféré dans la filiale Y GrDF.

Au soutien de la discrimination syndicale qu’il estime avoir subi M. X invoque les faits suivants:

— durant les 7 années de son activité syndicale il n’a bénéficié que d’une journée de formation ;

— l’employeur n’a pas réalisé d’entretien annuel d’appréciation professionnelle ni d’entretien de deuxième partie de carrière ;

— il n’a pas eu de rémunération variable ni de rémunération complémentaire que les autres salariés percevaient ;

— l’attribution du classement NR 130 au 1er janvier 2010 était tardive et ne sera pas prise en compte dans le calcul de la pension ;

— sa carrière a connu un arrêt brusque de son évolution en GF 6 à compter de 2003 et il n’est pas justifié de l’application à son égard de la note du 2 août 1968 dont il était bénéficiaire, destinée à la comparaison avec l’évolution des autres salariés « homologues ».

M. X fournit ainsi des éléments de fait précis et concordants qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’une discrimination à son encontre en raison de ses activités syndicales.

Sur l’absence de formation, les sociétés intimées se bornent à indiquer qu’au long de ses 28 années d’embauche, M. X a connu plusieurs évolutions en termes de fonctions et de rémunération, et à affirmer s’être toujours assurées de la capacité de l’intéressé à assumer les missions qui lui étaient confiées.

Force est de constater toutefois qu’il n’est pas justifié que M. X a pu profiter de formations tout au long de la relation de travail, au mépris de l’article L.6321-1 du code du travail qui prévoit notamment que l’employeur peut proposer des formations qui participent au développement des compétences et ce malgré l’engagement de développement professionnel pris dans l’accord EDF de novembre 1993, ni qu’il a bénéficié de l’accompagnement plus particulier au salarié de +de 45ans prévu dans l’accord du 16 septembre 2005 (sans qu’il puisse être retenu une discrimination due à l’âge à ce titre).

Sur l’absence d’entretiens, les sociétés intimées répliquent que l’obligation de réaliser des entretiens professionnels annuels n’était pas généralisée au sein des entreprises dépendant du régime des industries électriques et gazières, ceux-ci n’ayant été déployés qu’à compter de 2009, pour être systématisés en 2010 et faire l’objet d’un support officiel de présentation en septembre 2013, le logiciel EEAP (pièce 27 intimées ).

Toutefois la cour relève que la lecture de la note concernant ce logiciel, révèle que celui-ci « reprend des grilles d’entretien papier utilisés auparavant » ce qui tend à contredire les sociétés lorsqu’elles affirment qu’il n’était pas procédé aux entretiens professionnels et qu’elles n’expliquent pas pour quelle raison M. X n’en a pas bénéficié et cette absence étant de nature à avoir des conséquences sur son évolution de carrière.

Sur l’évolution de sa rémunération et l’absence de rémunération variable et prime PVA, les sociétés intimées répondent que M. X relevait des dispositions de la circulaire PERS 245 et d’un système de « comparants » et non de celui « d’homologie » résultant de la note du 2 août 1968. Elles font valoir que le comparatif des salariés placés dans une situation comparable à celle de l’appelant produit en pièce 28 établit qu’il n’y avait pas de différence de situation.

Il a été rappelé plus que la circulaire PERS 245 et la note du 2 août 1968 ainsi que sa circulaire d’application du 31 décembre 1974 visent à garantir ensemble une évolution de carrière aux agents exerçant une activité syndicale ou sociale élective par comparaison avec celle d’agents, présentant un ensemble de caractéristiques similaires appelés «  homologues », de sorte qu’il n’y a pas lieu à distinction entre les deux textes.

Les bénéficiaires de ce système de reclassement sont limitativement énumérés :

— les agents en congé sans solde pour fonctions syndicales (article 21 du statut national) (circulaire PERS 245) ;

— les membres appartenant aux structures syndicales telles qu’elles ont été portées à la connaissance des exploitations ;

— les membres élus d’un organisme social ;

— les membres élus ou désignés d’un organisme statutaire.

Il est acquis aux débats que M. X a été désigné délégué de section du syndicat Force Ouvrière EDF/GDF le 29 octobre 1999, délégué titulaire SLV suite aux élections de juin 2000, puis le 14 juin 2007, membre de la commission secondaire (représentants du personnel) et au CMP (organisme propre aux IEG, proche du comité d’établissement). (pièces 4, salarié)

Il ne fait pas de doute contrairement à ce qu’affirment les sociétés intimées que M. X par ses fonctions syndicales évoquées ci-avant, relevait également de la note du 2 août 1968 précitée (même si le syndicat de M. X dans un courrier du 21 février 2008 ne vise que la circulaire PERS 245, pièce 4, salarié).

Or, il n’est pas justifié de la mise en oeuvre, dans les conditions prévues, de la comparaison avec des agents homologues selon des listes établies alors même qu’il ressort du dossier que M. X était depuis le 1er mars 2003 classé GF : 6 NR : 110.

Les sociétés intimées n’expliquent pas pour quelle raison, ce n’est qu’après l’intervention syndicale du 21 février 2008 (pièce 4 précitée, salarié) qu’il a été classé NR 120 et au 1er janvier 2010 classé au NR 130, ni ne justifient que de façon générale il a eu une évolution comparable en terme de GF par rapport à des agents dans une situation comparable, de sorte qu’il n’est pas justifié que son droit à une évolution de carrière a été garanti.

En revanche, s’agissant de la rémunération variable, c’est à juste titre que les sociétés co-employeurs, font observer que le contrat de M. X ne prévoyait pas de rémunération variable ou que des objectifs lui étaient fixés, étant observé que la prime PVA instituée en octobre 2009 n’a été généralisée qu’en 2010 date à laquelle M. X a été mis, à sa demande, en inactivité, de sorte qu’il doit être débouté de sa demande de rappel de salaires à ce titre.

Dès lors, la cour estime que les sociétés intimées échouent à démontrer que ses décisions, hormis celle concernant la rémunération variable prétendue, étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

En conséquence l’existence d’une discrimination syndicale est démontrée.

Sur les demandes indemnitaires

M. X réclame en réparation du préjudice subi au titre de la discrimination syndicale la somme de 50.000 euros ainsi que 15.000 euros pour absence d’entretien individuel d’évaluation pendant le détachement syndical, 15.000 euros pour absence d’entretien professionnel,15.000 euros pour absence d’entretien de jalonnement de mi-carrière et enfin 15.000 euros pour manquement à

l’obligation de formation

L’article L. 2141-8 du code du travail énonce que les dispositions des articles L. 2141-5 à L. 2141-7 sont d’ordre public. Toute mesure prise par l’employeur contrairement à ces dispositions est considérée comme abusive et donne lieu à dommages et intérêts.

Compte tenu des circonstances de la discrimination subie, de sa durée, depuis 2003, et des conséquences dommageables qu’elle a eues pour le salarié appelant qui ne réclame pas de reclassement en termes de GF mais ne déplore qu’un retard en termes de NR (niveau de rémunération), le préjudice qui en est résulté doit être réparé par l’allocation de la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts.

S’agissant des manquements concernant les entretiens d’évaluation pendant toute la relation contractuelle et d’absence d’entretien de jalonnement de carrière qu’il n’y a pas lieu de distinguer, la cour évalue son préjudice à la somme de 2.000 euros.

S’agissant du manquement à l’obligation de formation, au constat que M. X ne justifie pas avoir sollicité des formations qui lui auraient été refusées, la cour évalue son préjudice à un montant de 2.000 euros de dommages-intérêts.

Sur la demande pour harcèlement discriminatoire de gestion

M. X réclame une indemnité de 45.000 euros en faisant valoir que le refus de sa demande de départ anticipé à la retraite en 2008, alors que la jurisprudence était bien établie en ce que les restrictions du statut des des industries électriques et gazières relatives à la mise en inactivité anticipée aux seuls agents féminins étaient incompatibles avec la réglementation européenne, refus qui l’a contraint à la saisine de la juridiction prud’homale, relève d’un harcèlement moral discriminatoire de gestion, qui à lui seul justifie une réparation.

Les sociétés intimées répliquent que le harcèlement moral suppose des agissements répétés et une dégradation des conditions de travail voire de santé qui ne sont pas rapportés.

Elles ajoutent que cette problématique des revendications des pères de famille réclamant à leur profit le statut institué en 1946 au profit des salariées mères de famille, a donné lieu à un important contentieux qui n’était pas réservé à M. X et que rien ne permet d’affirmer qu’il y a eu un acharnement le concernant ou que le refus était discriminatoire.

L’article 1 de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 prévoit que le harcèlement discriminatoire est une forme de discrimination et se définit comme : « Tout agissement lié à [un motif prohibé], subi par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ».

Trois éléments doivent donc être réunis pour caractériser le harcèlement discriminatoire au travail :

1/ un agissement à l’encontre d’une personne salariée ,

2/ lié à un motif prohibé par la loi,

3/ qui a pour objet ou effet de porter atteinte à la dignité, ou de dégrader l’environnement de travail.

Il est constant qu’à l’inverse des situations de harcèlement classique, les agissements n’ont pas besoin d’être répétés pour qu’une situation puisse être qualifiée de harcèlement discriminatoire, un acte unique peut suffire.

S’il doit être admis en l’espèce que la décision initiale concernant M. X, le concernant personnellement a été prise en application d’un texte déclaré illégal par une décision du Conseil d’Etat du 7 juin 2006 ce qui a conduit la cour de céans le 4 mars 2010 à ordonner à la SA Y et à la SA GRDF d’accorder à M. X le bénéfice de la mise en inactivité anticipée sollicitée, il n’en ressort pas que cette décision avait pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité ou de dégrader l’environnement de travail de l’intéressé étant observé qu’il est justifié qu’un contentieux important a découlé de l’application de ce texte sans qu’il puisse en être déduit que la décision était dirigée contre l’intéressé à titre personnel de sorte que le harcèlement discriminatoire ne saurait être retenu. En conséquence, M. X doit être débouté de sa demande indemnitaire à ce titre.

Sur la demande d’indemnité pour préjudice moral

M. X réclame une indemnité de 89.811,78 euros pour le préjudice moral en lien avec le retard au droit au repos qu’est supposé récompenser la retraite pour une carrière de labeur, principe fondamental de la République, estimant que les heures de travail effectuées doivent être majorées de 50% au titre des heures supplémentaires.

Les sociétés intimées s’opposent à la demande de M. X en faisant observer qu’il a été rémunéré pendant la période litigieuse allant du 24 juin 2008 au 1er mai 2010 et qu’il a bénéficié de ses repos quotidiens et de congés payés, de sorte que l’évaluation des premiers juges était raisonnable.

Il est constant que M. X ne peut exiger que les heures de travail effectuées à compter de la date où il a demandé sa mise en inactivité anticipée et qui lui ont été régulièrement rémunérées soient considérées comme des heures supplémentaires et indemnisées comme telles.

En revanche, il est constant que M. X a été contraint de saisir la juridiction prud’ homale afin d’obtenir sa mise en inactivité et être rempli de ses droits de ce chef et que le refus illicite initial opposé à sa demande par l’employeur alors qu’il était justement désireux de cesser son activité a retardé la réalisation d’autres projets, de sorte qu’il a incontestablement subi un préjudice moral qui a été justement réparé par l’octroi d’une somme de 2000 euros de dommages-intérêts. Le jugement déféré sera confirmé sur ce point.

Sur la demande de reclassement jusqu’au NR 135 et de rappel de rémunération

M. X expose que faute d’examen de sa situation dans les temps, il a bénéficié de 2NR d’un coup en 2008, après 5 années, sans rattrapage des années précédentes alors qu’ il aurait dû avoir une augmentation de 1 pas de 5 soit 2,3% d’augmentation, au plus tard en 2007 (après 4 années qui est la butée maximale), date à laquelle il aurait du passer au NR 115, puis au NR 120 en 2008 et au NR 125 en 2009, puis au NR 130 en janvier 2010, de sorte qu’il a perdu à deux reprises sur 13 mois l’augmentation de 2,3% et qu’il réclame un rappel de rémunération à raison de 6.777,95 euros.

Les sociétés intimées répliquent que dans le cadre du système des « comparants », la carrière de M. X a suivi celle des salariés ayant les mêmes profils que lui de sorte qu’il a été rempli de ses droits.

Il ressort de l’accord national relatif aux évolutions salariales dans les industries électriques et gazières en 2006 et 2007 du 24 février 2006 produit en pièce 10, salarié et plus précisément de l’article 5221, qu’il était expressément prévu que la situation des agents dont le temps d’activité dans leur rémunération est égal ou supérieur à 4 ans est examinée en priorité au moment des avancements afin de leur accorder, sauf choix négatif qui doit être clairement motivé et exprimé, un avancement de niveau dans le cadre du contingent annuel.

Il n’est pas établi ni même allégué que la situation de M. X ait été examinée en 2007 ou qu’il ait fait l’objet d’un avis négatif motivé sur ce point alors qu’ il était classé NR110 depuis 2003 et ce n’est

qu’en 2008, qu’il a accédé au NR 120 sans passer par le NR 115 à partir de 2007 de sorte que c’est à juste titre qu’il estime avoir perdu 2,3% sur sa rémunération entre 2007 et 2008. C’est à tort en revanche, qu’il tient le même raisonnement entre 2009 et 2010, l’employeur étant en droit alors que la butée maximale de 4 années n’était pas atteinte de lui accorder une augmentation de 2 pas de 5, en une seule fois en 2010, sans qu’il puisse pour autant prétendre à un classement au NR135.

Il sera fait droit à sa demande de ce chef à hauteur d’une somme de 3.388,97 euros.

Sur la demande d’indemnisation pour perte de chance d’avoir une pension calculée sur le NR 135

M. X réclame réparation intégrale du préjudice selon l’article L.1134-5 du code du travail et ex article 1149 du code civil pour perte de chance certaine d’avoir une pension calculée sur le NR 135 à la capitalisation des pertes à raison d’un montant de 42.741,21 euros.

Les sociétés intimées répliquent que M. X ne pouvait en aucun cas exiger de bénéficier d’un NR 135 et concluent au débouté de la demande.

Même s’il a été jugé plus avant que M. X ne pouvait prétendre au NR 135, il a été retenu en revanche qu’il n’est pas justifié que son droit à une évolution de carrière a été garanti d’autant que sa situation n’a pas été examinée régulièrement.

Il résulte de la notification d’attribution de la pension de M. X, que celle-ci a été liquidée par le CNIEG (Centre de gestion national des pensions des industries électriques et gazières) au 1er mai 2010 sur le NR 120, telle que revalorisée en 2008.

Il en ressort qu’il n’a pas été tenu compte de la réactualisation du classement de M. X intervenue le 26 juillet 2010 à effet au 1er janvier 2010 de sorte qu’il en résulte une perte de chance pour M. X d’avoir une pension liquidée non au NR 135 mais à tout le moins au NR 130 qui lui a été attribué rétroactivement mais sans qu’il puisse en être tenu compte.

Il est constant que la réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.

Au vu des éléments soumis à l’appréciation de la cour, le préjudice de M. X doit être indemnisé par la somme de 5.000 euros, au paiement de laquelle les sociétés intimées seront condamnées, par infirmation du jugement déféré.

Sur les autres dispositions

Parties perdantes, les sociétés intimées seront condamnées aux dépens d’instance et d’appel, le jugement déféré étant confirmé sur ce point et à verser à M. X une somme de 1.500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile, elles-mêmes étant déboutées de leur demande sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS

Vu l’arrêt de cassation et de renvoi rendu le 25 septembre 2019 par la chambre sociale de la Cour de Cassation,

La cour statuant dans les limites de sa saisine:

INFIRME le jugement déféré sauf en ce qu’il a fixé la condamnation des sociétés Y (devenue ENEDIS) et GrDF au titre des dommages-intérêts pour préjudice moral à 2.000 euros en constatant

que cette somme a déjà été versée à M. X et en ce qu’il l’a débouté de sa demande d’indemnité pour harcèlement discriminatoire de gestion.

Et statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant:

CONDAMNE les sociétés ENEDIS et GrDF à payer à M. Z X les sommes suivantes:

-10.000 euros d’indemnité pour discrimination syndicale.

-2.000 euros de dommages-intérêts pour manquements aux entretiens professionnels d’évaluation de de jalonnement de mi-carrière.

-2.000 euros de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de formation.

-3.338,97 euros à titre de rappel de rémunération entre 2007 et 2008.

—  5.000 euros de dommages-intérêts à titre de perte de chance de percevoir une retraite majorée.

-1.500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.

DÉBOUTE M. Z X de sa demande pour perte de la prime variable annuelle et de rémunération complémentaire.

DÉBOUTE M. Z X de sa demande de repositionnement sur le NR 135.

DÉBOUTE les sociétés ENEDIS et GrDF de leur demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNE les sociétés ENEDIS et GrDF aux entiers dépens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 1er décembre 2020, n° 19/11293