Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 16, 11 mai 2021, n° 18/06076

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Denis Bensaude · Gazette du Palais · 13 juillet 2021
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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 - ch. 16, 11 mai 2021, n° 18/06076
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 18/06076
Dispositif : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Chambre commerciale internationale

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 16

Chambre commerciale internationale

ARRET DU 11 MAI 2021

(n° , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/06076 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B5KS3

Décision déférée à la Cour : décision arbitrale du 02 Novembre 2017 – de la Cour internationale d’abitrage n°21145/MCP/DDA (c-21147/MCP)

APPELANTE :

SARL ASPERBRAS LIMITED

Société à responsabilité de droit anglais

Ayant son siège social : […], […], […]

Prise en la personne de ses représentants légaux,

Représentée par Me Cédric FISCHER de la SCP FISCHER TANDEAU DE MARSAC SUR & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0147

INTIMEE :

Société NOVO BANCO

Société anonyme de droit portugais

Ayant son siège social : […], […]

Prise en la personne de ses représentant légaux,

Représentée par Me Philippe LEBOULANGER, avocat au barreau de PARIS, toque : E1157

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 09 Mars 2021, en audience publique, les avocats, informés de la composition du délibéré de la cour, ne s’y étant pas opposés, devant M. E F, Président et Mme Fabienne SCHALLER, Conseillère, chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. E F, Président

Mme Fabienne SCHALLER, Conseillère

Mme Marie-Catherie GAFFINEL, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Clémentine GLEMET

ARRÊT :

— CONTRADICTOIRE

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par E F, Président et par C D greffière placée à laquelle a été remise la minute de la décision par le magistrat signataire.

I-FAITS ET PROCÉDURE

Faits

1-La société Asperbras est une société des Iles Vierges Britanniques, holding du Groupe Asperbras, qui a conclu un contrat de construction d’hôpitaux pour la République du Congo.

2-La société de droit portugais Novo Banco est une banque-relais créée par la Banque Centrale du Portugal le 3 août 2014 à la suite de l’insolvabilité de la banque portugaise Banco Espirito Santo SA (la « BES ») dont la société holding « ESI » a déposé son bilan, ce qui a entraîné la liquidation de la banque BES.

3-En tant que banque-relais, la société Novo Banco a reçu les actifs de la BES et une partie de ses dettes, à l’exclusion des dettes et actifs toxiques. Elle a notamment repris les droits issus d’un contrat conclu le 15 avril 2014 entre la BES et la société Asperbras (contrat dénommé « Discount Agreement » ou « contrat d’escompte ») aux termes duquel la BES avait consenti à Asperbras un crédit de 108,000,000 euros, outre intérêts et frais, en escompte d’une partie des créances d’Asperbras au titre du contrat de construction d’hôpitaux conclu avec la République du Congo, remboursable en deux échéances d’un montant de € 54 millions chacune les 31 janvier 2015 et 31 janvier 2016.

4-La société Asperbras n’ayant pas réglé la première échéance, elle a fait valoir la compensation de cette dette avec la créance détenue par une autre société du groupe Asperbras, sur la société Rio Forte, appartenant au groupe Espirito Santo, au titre de deux contrats de souscription de billets de trésorerie (ci-après « les contrats de souscription » ou « les contrats Rio Forte »), de 30 millions d’euros chacun, compensation que la banque Novo Banco a refusée.

Procédure

5-Le 19 Juin 2015, la société Asperbras a initié une procédure d’arbitrage CCI contre la société Novo Banco afin de voir prononcer la nullité du contrat d’escompte. Parallèlement, la société Novo Banco a introduit, le 22 Juin 2015, une procédure d’arbitrage CCI contre la société Asperbras pour demander l’exécution de ses obligations en vertu dudit contrat. Les deux procédures d’arbitrage ont été introduites sur le fondement de la clause d’arbitrage stipulée à l’article 17 du contrat d’escompte.

6-Le 8 Avril 2016, le tribunal arbitral composé du Z Georges Affaki et Me Yves Derains en qualité de co-arbitres et présidé par le Z A B, a rendu une sentence intérimaire ordonnant notamment à la société Asperbras de payer la première échéance du contrat d’escompte, de 54 millions d’euros, dans l’attente de la sentence finale, sous astreinte de € 100,000 par jour de retard. Il a également ordonné la constitution par Novo Banco d’une garantie bancaire, conditionnant le paiement de la deuxième échéance sous les mêmes conditions d’astreinte. La garantie bancaire a été payée par la société Novo Banco. La société Asperbras n’a pas exécuté la sentence intérimaire.

7-Par une sentence finale rendue le 2 novembre 2017, le tribunal arbitral a en substance dit que:

1. Le contrat d’escompte (Discount Agreement) est valide.

2. La Demanderesse (Asperbras) est enjointe à payer à la Défenderesse (Novo Banco) la Première créance, soit 54.000.000 euros, y compris les intérêts simples au taux EURIBOR 12M + spread de 7% sur la Première créance, à partir du 2 avril 2015 et jusqu’à la date du paiement effectif.

[']

6. La Seconde créance d’un montant de 54 millions d’euros est exigible et payable à la Défenderesse (Novo Banco) quand la République du Congo paiera sur le Compte de paiement conformément au Discount Agreement.

7. Aucun intérêt n’est dû en ce qui concerne la Seconde créance.

8-Le 23 février 2018, le tribunal arbitral a rendu un addendum à la sentence finale décidant qu’il n’y avait pas lieu à interprétation des paragraphes 5 et 6 de la sentence finale et que seuls les coûts faisaient l’objet d’une précision.

9-Le 19 mars 2018, la société Asperbras a saisi la Cour d’appel de Paris d’un recours en annulation de la sentence finale du 2 Novembre 2017.

10-Par ordonnance du 14 février 2019, le conseiller de la mise en état, saisi par la société Asperbras, a déclaré irrecevables les demandes de la société Asperbras d’arrêt de l’exécution de la sentence intérimaire et de l’addendum, rejeté la demande d’arrêt de l’exécution de la sentence finale et condamné la société Asperbras aux dépens et au paiement à Novo Banco de la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

II-PRÉTENTIONS DES PARTIES

11-Aux termes de conclusions notifiées le 28 novembre 2019, la société Asperbras demande à la Cour de :

Vu l’article 1520, alinéa 3 et 5, du code de procédure civile ;

• RECEVOIR Asperbras en ses demandes et les dire recevables et bien fondées ;

Et par conséquent,

• ANNULER dans leur intégralité les sentences arbitrales rendues a’ Paris le 8 avril 2016 (sentence intérimaire) et le 2 novembre 2017 (sentence finale) ainsi que l’addendum a’ la sentence finale en date du 23 février 2018 dans la procédure conduite sous l’égide de la Cour Internationale d’Arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale enregistrée sous le n° 21145/MCP/DDA (c-21147/MCP) ; et

• CONDAMNER Novo Banco S.A. a’ payer a’ Asperbras la somme de 50.000 € au titre de

l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens;

12-Aux termes de conclusions notifiées le 25 juin 2020, la société Novo Banco demande à la cour de :

—  CONSTATER que la Cour n’est saisie que d’un recours en annulation de la Sentence finale rendue le 2 Novembre 2017 sous l’égide de la Cour Internationale d’arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale sous le n° 21145/MCP/DDA (c-21147/MCP), a’ l’exclusion de la Sentence intérimaire du 8 avril 2016 et de l’Addendum du 23 février 2018; - DÉCLARER irrecevables en conséquence les demandes d’annulation de la Sentence intérimaire du 8 avril 2016 et de l’Addendum du 23 février 2018 rendues sous l’égide de la Cour Internationale d’arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale sous le n° 21145/MCP/DDA (c-21147/MCP) ;

13-En tout état de cause, pour la Sentence finale,

Subsidiairement pour la Sentence intérimaire et l’Addendum, si par impossible, la Cour se considérait saisie d’un recours a’ leur égard,

• REJETER la demande d’annulation de la Sentence finale du 2 novembre 2017 rendue sous l’égide de la Cour Internationale d’arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale sous le n° 21145/MCP/DDA (c-21147/MCP) ;

• REJETER les demandes d’annulation de la Sentence intérimaire du 8 avril 2016 et de l’Addendum du 23 février 2018 rendus sous l’égide de la Cour Internationale d’arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale sous le n° 21145/MCP/DDA (c-21147/MCP) ;

• DÉBOUTER la société Asperbras Ltd. de toutes ses demandes, fins et conclusions

• CONDAMNER la société Asperbras Ltd. a’ payer a’ Novo Banco la somme de € 250.000 au titre de l’article 700 Code de procédure civile ;

• CONDAMNER la société Asperbras Ltd. aux entiers dépens en vertu de l’article 696 du Code de procédure civile.

14- La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, aux décisions déférées et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

III- MOTIFS DE LA DECISION

1. Sur la recevabilité de la demande d’annulation de la sentence intérimaire et de l’addendum

15- La société Novo Banco soutient que la demande d’annulation de la sentence intérimaire et de l’addendum est irrecevable au motif que la Cour n’est pas saisie d’un recours contre ces deux sentences, la déclaration de saisine du 19 mars 2018 ne visant que la sentence finale du 2 novembre 2017.

16-La société Novo Banco ajoute qu’en tout état de cause le recours contre la sentence intérimaire serait tardif, le délai pour faire un recours en annulation étant expiré, la sentence intérimaire ayant été signifiée à la société Asperbras le 30 septembre 2016, soit plus d’un an avant.

17-En réponse, la société Asperbras conclut à la recevabilité de son recours au motif que les sentences ont tranché les mêmes questions et que l’annulation de la sentence finale entraînera nécessairement et automatiquement celle de la sentence intérimaire et de l’addendum.

Sur ce,

18-Il résulte de l’article 1527 du code de procédure civile applicable en matière d’arbitrage

international que l’appel de l’ordonnance ayant statué sur l’exequatur et le recours en annulation sont formés, instruits et jugés selon les règles relatives à la procédure contentieuse prévues aux articles 900 à 930-1 du code de procédure civile.

19-Sont ainsi applicables aux recours en annulation les dispositions régissant la procédure avec représentation obligatoire devant la cour d’appel.

20-Aux termes de l’article 901 du code de procédure civile, l’indication de la décision attaquée est requise à peine de nullité dans la déclaration valant recours. Il en résulte qu’en cas de pluralité de décisions attaquées par la voie de l’annulation, il doit être fait mention de toutes les décisions visées par ledit recours ou il doit être fait autant de recours que de décisions contestées.

21-En conséquence, le recours en annulation formé contre la sentence visée dans la déclaration de recours n’emporte pas implicitement recours en annulation contre une autre sentence, non indiquée dans le recours.

22-En l’espèce, par déclaration de saisine en date du 19 mars 2018 faite par RPVA, la société Asperbras a formé un recours en annulation contre la seule décision du tribunal arbitral du 2 novembre 2017.

23-Elle n’a pas formé de recours en annulation contre d’autres décisions.

24-En ce qui concerne l’Addendum prononcé par décision du tribunal arbitral du 23 février 2018, la société Asperbras n’a pas formé de recours en annulation contre cet Addendum, ni de façon autonome, ni par voie de conséquence.

25-Sa demande d’annulation à l’encontre de cet Addendum est dès lors irrecevable.

26-De même, concernant la sentence intérimaire rendue le 8 avril 2016 notifiée à la société Asperbras le 30 septembre 2016, le fait que ladite sentence soit qualifiée d’intérimaire et qu’elle ordonne un paiement par provision, assorti d’une astreinte, ne lui ôte pas sa qualité de sentence, même partielle, dès lors qu’elle tranche, même à titre provisoire, une partie du litige et qu’elle est dès lors susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation, dans les conditions fixées par le code de procédure civile.

27-Or, il résulte des éléments de la procédure que la société Asperbras n’a pas formé de recours contre ladite sentence, ni de façon autonome, ni conjointement avec le recours en annulation qu’elle a formé le 19 mars 2018 contre la seule sentence finale du 2 novembre 2017.

28-Par conséquent, elle est irrecevable à solliciter l’annulation de la sentence intérimaire du 8 avril 2016.

29-La cour d’appel n’est dès lors saisie que du recours en annulation de la sentence finale du 2 novembre 2017.

2. Sur l’annulation de la sentence finale pour défaut de conformité du Tribunal à sa mission (Art. 1520(3) CPC)

30- La société Asperbras soutient que le tribunal aurait méconnu sa mission en ce qu’il a statué ultra petita en subordonnant le paiement de la seconde créance à son exigibilité, alors qu’aucune partie n’avait demandé au tribunal de préciser les conditions d’exigibilité de la seconde créance.

31- Elle précise qu’il faut prendre en compte à cet égard, non les demandes formulées dans l’acte de mission, l’objet du litige pouvant évoluer en cours de procédure, mais celles présentées dans les

derniers mémoires, celui de la société Novo Banco ne présentant pas dans son dispositif de demande au tribunal relative aux conditions d’exigibilité de la deuxième créance, et notamment pas que la société Asperbras soit condamnée à payer la seconde créance « conformément au Contrat d’escompte ». Elle ajoute que la mention de l’exigibilité de la seconde créance à l’alinéa 6 du dispositif de la sentence finale n’est pas un ajout bénin, comme le montre la demande de modification présentée postérieurement pas la société Novo Banco concernant cet alinéa.

32- En réponse, la société Novo Banco, rappelle que le contrat d’escompte précise que la société Asperbras doit rembourser deux fois 54 millions d’euros suite aux paiements de la République du Congo et qu’elle a dès l’acte de mission demandé au Tribunal de valider ce contrat d’escompte, ainsi que ses conséquences. Elle soutient qu’une demande formulée dans l’acte de mission ne peut être abandonnée que de façon expresse, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

33- Elle ajoute qu’elle a demandé la condamnation de la société Asperbras au paiement de la seconde créance « conformément au Contrat d’escompte » dans les motifs de son dernier mémoire et que cette mention correspondant à un fondement de sa demande n’avait pas à paraître dans le dispositif.

34-Elle fait valoir qu’en jugeant que la Seconde Créance était exigible et payable « quand la République du Congo paiera[it] sur le Compte de paiement conformément au Discount Agreement », le Tribunal arbitral n’a fait qu’accueillir sa demande tout en renvoyant aux mécanismes de paiement prévus par le Contrat d’escompte, notamment l’article 5 dudit contrat. Elle ajoute que cette hypothèse était nécessairement comprise dans sa demande visant à « ordonner à Asperbras de payer 108 millions d’euros à Novo Banco, soit le montant de la Première créance (54 millions d’Euros) et celui de la Seconde créance (54 millions d’Euros) », sans qu’il soit besoin de reprendre dans chaque formulation de la demande les conditions d’exigibilité et le mécanisme de paiement de cette créance.

35-La société Novo Banco fait valoir qu’en tout état de cause, seul l’alinéa 6 de la sentence serait susceptible d’annulation et non la sentence dans son intégralité.

Sur ce,

36-Aux termes de l’article 1520, 3° du code de procédure civile, le recours en annulation n’est ouvert que si le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée.

37-À ce titre, il appartient au tribunal arbitral de statuer dans les limites des demandes formulées de sorte que s’il accorde plus que ce qui avait été demandé, sa sentence est susceptible d’être annulée pour méconnaissance de sa mission.

38-Pour apprécier l’existence de ce vice, le juge doit se pencher sur les demandes des parties et non sur les pièces de la procédure, qui ne fixent pas l’étendue du litige.

39-En l’espèce il résulte de la sentence finale faisant l’objet du recours que :

« la demanderesse est enjointe à payer à la Défenderesse la Première créance, soit 54 M €, y compris les intérêts (') »

1.

« la seconde créance d’un montant de 54 M € est exigible et payable à la défenderesse quand la République du Congo paiera sur le Compte de paiement conformément au Discount Agreement »

2.

40-La critique formulée au visa de l’article 1520, 3° porte sur la décision du tribunal arbitral d’avoir lié le paiement et l’exigibilité de la deuxième échéance au paiement par la République du Congo de sa propre dette à l’égard d’Asperbras sur un compte de paiement, alors, selon Asperbras, que cela ne lui avait pas été demandé.

41-Or, il résulte des écritures des parties au cours de la procédure arbitrale que la société Novo Banco avait saisi le tribunal arbitral dans l’Acte de mission d’une demande de « condamner Asperbras à payer à Novo Banco :

' la première créance d’un montant de 54 millions d’euros et les intérêts correspondants,

' la seconde créance d’un montant de 54 millions d’euros et les intérêts correspondants à compter de la date d’échéance (soit le 31 janvier 2016) jusqu’au paiement final conformément à l’article 4, paragraphe 3, du contrat d’escompte. »

42-Il en résulte clairement que la société Novo Banco a saisi le tribunal arbitral d’une demande en paiement basée sur le contrat d’escompte. Le lien entre le contrat d’escompte et la demande en paiement fait dès lors partie de la mission du tribunal arbitral qui doit en apprécier le bien fondé, nonobstant les développements ultérieurs dans les écritures des parties, pour autant que les parties n’y aient pas renoncé.

43-Il résulte également des écritures de la société Novo Banco qu’elle a saisi le tribunal arbitral d’une demande en paiement des deux créances qu’elle estimait lui être dues, dont les échéances avaient été fixées contractuellement et dont le mécanisme de paiement était clairement lié au contrat d’escompte qui prévoit expressément sur quel compte la République du Congo devait effectuer son paiement à Asperbras.

44-Le fait pour le tribunal arbitral d’avoir précisé que la seconde créance serait exigible et payable lorsqu’Asperbras recevra le paiement de la République du Congo sur le « compte de paiement » n’est qu’une application par le tribunal arbitral du mécanisme de remboursement prévu par les parties dans le contrat d’escompte dont la société Asperbras a contesté la validité et qui faisait partie de l’objet du litige et de la mission du tribunal, à tel point d’ailleurs que la société Novo Banco en a demandé l’interprétation au motif qu’elle souhaitait voir préciser ce qui se passerait si la République du Congo ne payait pas sur le « compte de paiement » visé par la sentence.

45-En tout état de cause la demande en paiement formulée par la société Novo Banco portait sur le paiement des deux échéances de 54 millions d’euros chacune dans les conditions contractuellement fixées.

46-Le tribunal arbitral y a fait droit en appliquant les conditions contractuelles sans dépasser sa mission, la condition d’exigibilité et le mécanisme de paiement décidé par le tribunal arbitral en faisant partie intégrante.

47-Le dépassement de mission allégué n’est dès lors pas établi, le tribunal arbitral ayant statué dans les limites de sa saisine.

48-Il y a lieu par conséquent de rejeter la demande d’annulation sur ce motif.

3. Sur l’annulation de la sentence finale pour contrariété à l’ordre public international (Art. 1520(5) CPC)

49-La société Asperbras soutient que la sentence permet à la société Novo Banco de retirer les bénéfices d’un contrat faisant partie d’une opération constitutive d’une fraude à la loi. Elle fait valoir que le contrat d’escompte était lié à deux contrats de souscription de billets de trésorerie conclus par une autre société du groupe Asperbras avec la société Rio Forte, avec lesquels il formait un ensemble contractuel unique conclu dans le but de contourner des dispositions d’ordre public du droit bancaire portugais, à savoir, les mesures de cantonnement imposées par la Banque du Portugal à la BES, visant à interdire tout transfert de capitaux de la partie financière du groupe Espirito Santo, dont la BES faisait partie, vers les entités non-financières du groupe, telle la société Rio Forte Investments

SA.

50-Elle fait valoir qu’en retenant que ces contrats sont distincts, le tribunal arbitral a ignoré des indices « graves, précis et concordants » de fraude visant à contourner les mesures de cantonnement, comme les documents internes et les correspondances, la date de maturité des contrats et leurs montants, l’utilisation des fonds par la société Asperbras, ou encore la faillite de la BES et la condamnation de Y X, concepteur de l’opération, à payer une amende de 3,75 millions d’euros pour violation des mesures de cantonnement. Elle ajoute qu’un document interne révèle que la banque Novo Banco a refusé d’opérer la compensation des sommes dues au titre du contrat d’escompte et des contrats de souscriptions, car cela aurait conduit la société Novo Banco à admettre implicitement la fraude à la loi.

51-Elle soutient de plus que la violation des mesures de cantonnement, qui relèvent de l’ordre public financier portugais, doit être considérée comme une violation de l’ordre public français, par l’effet réflexe, dans la mesure où l’article L. 612-1 du code monétaire et financier français, est similaire aux articles 92(1), 93(1) et 116(1)(c) du Regime Geral das Institutiçoès da Credito e Sociedades Financeiras en vigueur à l’époque et que ces mesures visaient à garantir la stabilité du marché financier. La gravité et le caractère effectif des violations est établi, ayant entraîné un coût de 4 Milliards d’euros à l’État portugais.

52-Enfin, la société Asperbras soutient que le contrôle du juge de l’annulation de la conformité de la sentence à l’ordre public international est un contrôle en fait et en droit, en particulier lorsque sont en cause des activités condamnées par la communauté internationale.

53-En réponse, la société Novo Banco expose en premier lieu que la fraude alléguée par la société Asperbras Ltd ne concerne par le litige soumis aux arbitres, précisant que les sociétés Asperbras et Novo Banco ne sont pas parties aux contrats de souscription, conclus exclusivement par des tiers (les sociétés Asperbras Development LLP et Rio Forte Investments S.A) qui ne contiennent par ailleurs aucune référence au contrat d’escompte ni de clause d’arbitrage. Elle souligne par ailleurs que la société Asperbras n’a pas poursuivi la nullité des contrats de souscription devant les juridictions compétentes.

54-Sur le fond, elle rappelle le principe de non-révision des sentences et soutient que la société Asperbras ne démontre pas la violation manifeste, effective et concrète de l’ordre public alléguée.

55-Elle ajoute que le Tribunal arbitral a rejeté l’existence d’un lien d’interdépendance entre le contrat d’escompte et les contrats de souscription des billets de trésorerie après avoir analysé méticuleusement les circonstances de fait et les éléments de preuve soumis par les Parties et a reconnu la licéité du contrat d’escompte.

56-Enfin, elle souligne que ni la faillite de BES, ni les agissements de Y X, son dirigeant, ne faisaient l’objet de l’arbitrage et ne sauraient constituer des « indices de l’existence d’une fraude à la loi ». Elle conteste par ailleurs toute rétention d’information dans le cadre de la procédure arbitrale. Elle ajoute que l’audition des témoins a établi que s’il y a eu une volonté de lier les contrats, cette volonté n’a existé que du côté de la société Asperbras.

57-Elle conteste que la fraude au droit portugais invoquée puisse être retenue au titre de l’ordre public international français, des dispositions étrangères, même d’ordre public interne ou de police propres au droit local, ne formant pas une partie de la conception française de l’ordre public international. Elle ajoute que l’incorporation des mesures de cantonnement à l’ordre public international portugais est incertaine, au motif que ces mesures n’ont pas de caractère obligatoire, de sorte que leur contournement ne saurait constituer une violation de la loi. Elle ajoute que si la violation venait à être caractérisée, la sanction serait purement administrative et par conséquent sans incidence sur l’ordre public international français.

Sur ce,

58-Aux termes de l’article 1520, 5° du code de procédure civile, une sentence ne peut être reconnue ou exécutée en France « si la reconnaissance ou l’exécution de la sentence sont contraires à l’ordre public international ».

59-L’ordre public international s’entend de la conception française de l’ordre public, c’est-à-dire de l’ensemble des règles et des valeurs dont l’ordre juridique français ne peut souffrir la méconnaissance, même dans des matières internationales.

60-A cet égard, une sentence qui donnerait effet à une opération constitutive d’une fraude à la loi caractérisée violerait l’ordre public international français et encourrait la nullité.

61-En l’espèce, la société Asperbras soutient que la fraude à la loi résulterait de l’illicéité du Discount Agreement dans la mesure où il aurait été conçu et conclu en lien avec les deux contrats de souscription de billets de trésorerie à son insu dans le cadre d’une opération unique qui aurait eu pour but de contourner des dispositions d’ordre public portugais, à savoir, les mesures de cantonnement imposées par la Banque centrale du Portugal à la banque BES et qu’il serait ainsi l’instrument de ladite fraude en permettant à la société Novo Banco venant aux droits de BES de retirer les bénéfices de ce contrat.

62-Il appartient dès lors à la cour de rechercher en droit et en fait les éléments permettant de vérifier que la solution résultant de la sentence ne permet pas de donner effet à une telle opération constitutive d’une fraude à la loi caractérisée.

63-Ce faisant, il convient de considérer que la société Novo Banco ne peut se contenter, pour s’opposer à la demande d’annulation, de faire valoir que la fraude alléguée par la société Asperbras ne concernerait ni le contrat litigieux, ni les parties à la présente procédure, mais des contrats distincts, conclus exclusivement par des tiers alors que la fraude alléguée en l’espèce résulterait précisément du lien d’interdépendance entre ces contrats qui constitueraient une seule et même opération unique frauduleuse.

64-Il convient de relever en revanche que le tribunal arbitral a examiné la question de l’interdépendance entre le contrat d’escompte et les contrats de souscription, et qu’il ne l’a pas retenue, estimant après analyse des pièces du dossier que « le Contrat d’escompte et les contrats de Rio Forte ne constituent pas une seule et même opération économique ».

65-Le tribunal arbitral a ajouté « qu’il n’existait pas de preuve, pas même dans un court e-mail ou dans les déclarations de principe des contrats en question, du prétendu lien entre les transactions » (§453 de la sentence finale), et a rejeté comme non pertinentes la concomitance des dates de signature et les communications entre les divers intervenants. Ainsi, il a relevé que la chronologie des négociations entre les deux contrats, quand bien même ils ont été signés à un jour d’intervalle, ne démontre pas que les deux contrats auraient été négociés conjointement et de façon interdépendante, ni que la signature de l’un soit conditionnée par la signature de l’autre, les dates de signature ayant été plusieurs fois reportées de part et d’autre pour des raisons diverses, indépendantes de tout lien entre les contrats, les équipes et les personnes étant différentes, même si les cabinets d’avocats s’occupant de la négociation étaient en contact.

66-Ainsi, après avoir pris en considération l’ensemble des arguments (§421 ' 435), le tribunal a estimé que les flux financiers objets dudit contrat d’escompte ne concernaient que des transferts d’argent entre la BES et la société Asperbras, destinés à fournir de la trésorerie à Asperbras, en échange d’intérêts et commissions au bénéfice de BES (§443) et n’avaient aucun lien avéré avec un transfert illicite d’argent vers le groupe Espirito Santo.

67-En outre, la simple suspicion tirée de la condamnation de Monsieur X pour violation des mesures de cantonnement, et ses poursuites dans d’autres affaires pour blanchiment, ne permettent pas d’établir qu’il était le concepteur de l’opération alléguée, en faisant un montage pour contourner l’interdiction de transfert de capitaux de la partie financière à la partie non financière du groupe Espirito Santo dont il était le dirigeant.

68-De même le fait que la BES ait fait faillite n’est pas un indice suffisant pour établir une dissimulation d’opérations illégales dont le groupe Espirito Santo serait le bénéficiaire.

69-En conséquence, à supposer même que la loi portugaise sur les règles prudentielles puisse relever de l’ordre public international français, l’existence d’une opération économique unique n’étant pas établie, la fraude à la loi alléguée n’est pas caractérisée.

70-Dès lors, le grief de violation de l’ordre public international n’est pas caractérisé et sera par conséquent rejeté.

4. Sur les frais et dépens

71- La société Asperbras étant partie perdante, il y a lieu de la condamner aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

72-En outre, elle doit être condamnée à verser à la société Novo Banco, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile qu’il est équitable de fixer à la somme de 150 000 euros.

IV ' DISPOSITIF

Par ces motifs, la cour

1-Déclare la société Asperbras Ltd irrecevable en ses demandes d’annulation des sentences intérimaire et d’addendum,

2-Rejette le recours en annulation contre la sentence du 2 novembre 2017,

3-Condamne la société Asperbras Ltd à payer à la société Novo Banco SA la somme de 150.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

4-La condamne aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

La greffière Le Président

C D E F

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Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 16, 11 mai 2021, n° 18/06076