Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 27 janvier 2022, n° 19/06432

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 6 - ch. 8, 27 janv. 2022, n° 19/06432
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 19/06432
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Bobigny, 8 mai 2019, N° F16/02660
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 8

ARRET DU 27 JANVIER 2022

(n° , 10 pages)


Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/06432 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CABPP


Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Mai 2019 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOBIGNY – RG n° F 16/02660

APPELANTE

SA AIR FRANCE

[…]

[…]


Représentée par Me Harold HERMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

INTIMÉ

Monsieur Z X

[…]

[…]


Représenté par Me Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

COMPOSITION DE LA COUR :


En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 Décembre 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie FRENOY, Présidente, chargée du rapport.


Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Nathalie FRENOY, présidente, rédactrice

Madame Corinne JACQUEMIN, conseillère

Madame Emmanuelle DEMAZIERE, vice-présidente placée

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU ARRÊT :


- CONTRADICTOIRE


- mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,


- signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur Z X a été engagé à compter du 12 septembre 1989 par la société Air France par contrat à durée indéterminée en qualité d’ingénieur navigant de l’aviation civile et plus précisément en qualité d’officier mécanicien navigant 5ème classe, échelon A1 des dispositions réglementaires applicables au personnel de la compagnie nationale Air France, appelées ensuite convention d’entreprise commune.


À l’occasion d’un vol entre Paris et Marseille le 27 février 2016, la société Air France a déploré un incident relatif à la soustraction par Mme X de son bagage cabine pourtant destiné à être acheminé en soute.


Par lettre du 12 mai 2016, la société Air France a informé M. X de la suspension temporaire pour une durée de 2 mois du bénéfice pour son épouse des billets à tarifs soumis à restrictions.


Contestant cette sanction, M. X a saisi le 15 juin 2016 le conseil de prud’hommes de Bobigny qui, par jugement du 9 mai 2019, s’est déclaré compétent et a:


-dit les demandes de M. X recevables,


-annulé la sanction disciplinaire du 12 mai 2016 adressée à M. X par la société Air France,


-condamné la société Air France à verser à M. X les sommes de :

*3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour sanction nulle,

*1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,


-rappelé que les créances à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement,


-débouté M. X du surplus de ses demandes,


-débouté la société Air France de ses demandes reconventionnelles,


-condamné la société Air France aux entiers dépens de l’instance.


Par déclaration en date du 21 mai 2019, la société Air France a interjeté appel de ce jugement.


Par ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 6 février 2020, la société Air France demande à la Cour :


-d’infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Bobigny du 9 mai 2019, en conséquence, in limine litis,


-de se déclarer incompétente pour connaître des demandes de M. X au profit du Tribunal de grande instance de Bobigny,

statuant à nouveau,

à titre principal,


-de juger M. X irrecevable en ses demandes,

à titre subsidiaire,


-de débouter M. X de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

en tout état de cause,


-de condamner M. X à payer à la société Air France la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,


-de condamner M. X aux entiers dépens (d’appel et de première instance).


Par ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 1er octobre 2021, M. X demande à la Cour :


-de juger la société Air France irrecevable et infondée en son appel,


-de confirmer le jugement du conseil de prud’hommes en date du 9 mai 2019 en toutes ses dispositions ayant fait droit aux demandes de M. X, et ayant prononcé les condamnations suivantes :

*se déclare compétent

*dit les demandes de M. X recevables

*annule la sanction disciplinaire du 12 mai 2016 adressée M. X

*condamne la société Air France à verser à M. X les sommes de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour sanction nulle et 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

*rappelle que les créances à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du présent jugement

*déboute la SA Air France de ses demandes reconventionnelles

*condamne la SA Air France aux entiers dépens de la présente instance


-de prendre acte de l’appel incident de M. X pour toutes les dispositions du jugement du conseil de prud’hommes du 9 mai 2019 n’ayant pas fait droit à ses demandes,


-de réformer dès lors le jugement du conseil de prud’hommes du 9 mai 2019 pour le

surplus, à savoir, pour avoir prononcé les modalités suivantes :
*déboute M. X du surplus de ses demandes,

en conséquence, statuant à nouveau,


-de juger que le bénéfice des tarifs préférentiels pour les ayants- droit de M. X provient d’un avantage lié au contrat de travail de M. X et à son exécution,


-de juger le conseil de prud’hommes de Bobigny, et désormais, la chambre sociale de la


Cour d’appel de Paris, matériellement compétent,


-de débouter la société Air France de son exception d’incompétence,


-de confirmer le jugement de première instance du conseil de prud’hommes de Bobigny à ce titre,


-de juger que le litige issu de la suspension du droit de bénéficier des tarifs soumis à

restrictions pour l’ayant- droit de M. X est un litige concernant exclusivement M. X,


-de juger en conséquence recevable l’action de M. X,


-de confirmer le jugement de première instance du conseil de prud’hommes de Bobigny à ce titre,


-de juger que la sanction notifiée à M. X le 12 mai 2016 constitue une sanction pécuniaire illicite,


-d’annuler et juger nulle la sanction pécuniaire illicite notifiée par la société Air France à M. X le 12 mai 2016,


-de confirmer le jugement de première instance du conseil de prud’hommes de Bobigny à ce titre,

à titre subsidiaire,


-de juger que la sanction notifiée par la société Air France à M. X le 12 mai 2016 constitue une sanction disciplinaire,


-de juger que les faits sanctionnés par la sanction disciplinaire en date du 12 mai 2016 sont prescrits,

à titre infiniment subsidiaire,


-de juger infondée la sanction notifiée le 12 mai 2016 à M .X,

en tout état de cause,


-d’annuler et juger nulle, la sanction notifiée par la société Air France à M. X le 12 mai 2016,


-de confirmer le jugement de première instance du conseil de prud’hommes de Bobigny à ce titre,


-de réformer le jugement de première instance du conseil de prud’hommes de Bobigny quant au quantum des dommages- intérêts alloués,


-de condamner la société Air France au paiement de la somme de 60 000 euros à titre de dommages-intérêts, pour sanction illicite et infondée, toutes causes de préjudices confondues,
-de juger que la société Air France a exécuté de mauvaise foi le contrat de travail,


-de réformer le jugement de première instance du conseil de prud’hommes de Bobigny à ce titre,


-de condamner la société Air France au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts, pour exécution déloyale du contrat de travail,


-de condamner la société Air France au paiement de la somme de 8 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,


-de condamner la société Air France aux entiers dépens de l’instance, y compris de première instance, en application des dispositions des articles 696 à 699 du code de procédure civile, ceux d’appel de M. X, distraits au profit de Maître Baechlin, avocat postulant, sur son affirmation d’y avoir pourvu.


L’ordonnance de clôture est intervenue le 5 octobre 2021 et l’audience de plaidoiries a été fixée au 7 décembre 2021.


Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu’aux conclusions susvisées pour l’exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS DE L’ARRÊT

Sur la compétence :


La société Air France soutient que le conseil de prud’hommes n’est pas compétent pour connaître du litige entre un transporteur et un passager (en l’espèce l’épouse de l’intimé) qui est étranger à la relation de travail existant entre M. X et son employeur, qu’un tel litige (qui ne porte pas sur l’octroi du droit à bénéficier de billets à tarifs soumis à restrictions mais sur les conditions d’exécution du contrat de transport conclu entre la compagnie et un passager) relève de la compétence du Tribunal de grande instance, en l’occurrence celui de Bobigny, et que la Cour doit par conséquent se déclarer incompétente. La société appelante fait valoir notamment que la convention d’entreprise commune prévoit effectivement que les conditions d’acquisition et d’utilisation des billets à tarif soumis à restrictions sont fixées par le contrat de transport, lequel ne peut être considéré comme accessoire du contrat de travail.


Elle sollicite que le litige soit renvoyé devant le tribunal de grande instance de Bobigny.

M. X soutient pour sa part que le bénéfice de billets à tarifs soumis à restrictions est exclusivement issu du contrat de travail conclu entre lui et la société Air France, de sorte que toute modification concernant le bénéfice de ces billets – dont la seule personne responsable est l’ouvrant-droit, et donc le salarié – est une mesure issue du contrat de travail. Il estime que le conseil de prud’hommes et la Cour d’appel de Paris sont matériellement compétents pour connaître de ce litige.


Selon l’article L1411-1 du code du travail, le conseil de prud’hommes est compétent pour trancher 'les différents qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient.'


Si , comme le soutient la société Air France, l’alinéa 4 de l’article 14 de l’avenant n° 1 de révision de la convention d’entreprise commune prévoit que 'toutes les dispositions relatives notamment aux conditions d’acquisition et d’utilisation, aux modalités de réservation, de listage, d’émission, aux tarifs, aux conditions générales de transport (priorité d’embarquement et de surclassement') et aux formalités administratives font l’objet d’un contrat de transport unique pour l’ensemble des catégories et de notes d’applications portées à la connaissance des ouvrants-droit salariés ou retraités (Internet, intranet')', force est de constater que l’alinéa 1.1 de ce texte prévoit les conditions d’octroi des 'billets à tarifs soumis à restrictions' vendus au personnel ou anciens membres du personnel, supposant l’existence d’un 'ouvrant-droit' pouvant 'désigner dans la liste' (comprenant notamment les conjoint, concubin…) 'les ayants droits qu’il autorise, sous sa responsabilité, à accéder' à ce dispositif ; or, en l’espèce M. X a la qualité d’ 'ouvrant-droit’ du fait de son contrat de travail avec la société appelante.


Par conséquent, eu égard à la qualité de salarié de M. X à l’origine du bénéfice des billets à tarifs soumis à restrictions, et à la qualité d’employeur de la société Air France, qui l’a conduite à lui notifier sa décision de retrait temporaire de cet avantage, le débat relatif à la nature juridique de cette décision de l’employeur relève bien de la compétence du conseil de prud’hommes, s’agissant d’un différend s’élevant à l’occasion du contrat de travail.


L’exception d’incompétence, par confirmation du jugement entrepris, doit donc être rejetée.

Sur l’irrecevabilité des demandes de M. X :


La société Air France soutient, pour le cas où la cour se déclarerait compétente, que M. X n’a pas d’intérêt à agir direct et personnel, la mesure litigieuse concernant son épouse, et que son action vise à défendre les intérêts de cette dernière.

M. X fait valoir au contraire que la mesure de suspension litigieuse a été prise à son égard dès lors qu’il est seul 'ouvrant-droit’ et susceptible d’acheter de tels billets. Se disant seul destinataire de la décision qui lui a été notifiée personnellement, il estime disposer d’un droit à agir à l’encontre de ladite mesure. Il conclut donc à la recevabilité de ses demandes.


Selon l’article 31 du code de procédure civile, 'l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention.'


S’agissant en l’espèce d’un litige relatif à la nature juridique de la décision de retrait temporaire d’un avantage lié à son statut de salarié et d’ouvrant-droit, M. X a un intérêt légitime et personnel au succès de sa prétention.


La fin de non-recevoir soulevée par la société appelante ne saurait donc être accueillie.

Sur la nature de la suspension des billets à tarifs soumis à restrictions :


La société Air France soutient que la mesure de suspension des billets à tarifs soumis à restrictions ( dits GP) ne peut pas être qualifiée de sanction disciplinaire au titre du contrat de travail de l’ouvrant-droit dès lors qu’elle sanctionne le comportement fautif de son ayant-droit qui a violé les dispositions du contrat de transport. Elle affirme que cette mesure n’affecte ni la présence du salarié dans l’entreprise, ni sa fonction, ni sa carrière, ni sa rémunération, qu’elle est d’ailleurs sans lien avec un quelconque fait considéré comme fautif dans l’exécution du contrat de travail, mais se rapporte au contraire au comportement de Mme X ayant violé les règles de sécurité lors de son embarquement sur un vol. Elle rappelle que le bénéfice des billets litigieux est une simple faculté d’acquérir, ne constitue pas un avantage en nature, ni un élément de rémunération directe ou indirecte, critique les décisions jurisprudentielles invoquées par le salarié, lesquelles ne peuvent être transposées à la présente affaire dont les faits se sont déroulés en 2016, en l’état des modifications du statut entré en vigueur en mai 2006.


Considérant que la mesure de suspension prise à l’encontre de Mme X ne constitue pas une sanction et a été prise indépendamment de la fourniture d’une prestation de travail par le salarié, la société appelante rappelle que les dispositions en matière de prescription des faits fautifs ne sont pas applicables en l’espèce.


Elle conclut à l’infirmation du jugement entrepris et au débouté de l’intégralité des demandes de M. X, rappelant que le document diffusé en juillet 2012 ne constitue nullement une reconnaissance de sa part de l’illicéité des suspensions du bénéfice des billets GP et qu’il a été renoncé au changement de pratique envisagé initialement du fait de la jurisprudence de la Cour de cassation qui considère que la mesure de suspension ne relève pas du droit disciplinaire.


L’intimé soutient pour sa part que la mesure invoquée est une sanction disciplinaire dès lors que l’attribution de billets à tarifs soumis à restrictions constitue un avantage conventionnel dont il bénéficie en sa qualité de salarié et que le retrait de cet avantage le prive du droit de bénéficier d’une économie substantielle sur les prix des billets d’avion. Il soutient qu’il importe peu que cet avantage soit ou non qualifié d’avantage en nature, que cette sanction est une sanction pécuniaire illicite, interdite par le code du travail, quels que soient les comportements reprochés à la passagère. Il sollicite l’annulation de cette sanction, qui n’aurait pas dû lui être notifiée en sa qualité de salarié mais qui aurait dû être décidée à l’encontre du passager, en lui interdisant les vols, quel que soit le prix du billet acquitté.


Rappelant que dans une note de juillet 2016, la société Air France a reconnu l’illicéité des suspensions du bénéfice des billets à tarifs préférentiels à titre de sanction et a ainsi reconnu que cette décision constitue une sanction disciplinaire, M. X sollicite la confirmation du jugement de première instance.


À titre subsidiaire, M. X invoque la prescription des faits fautifs reprochés à son épouse, faits du 27 février 2016 qui n’ont donné lieu à la décision litigieuse que le 12 mai suivant, soit en dehors du délai de deux mois prévu par l’article L 1332-4 du code du travail.


Selon l’article L.1331-1 du code du travail, 'constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération'.


L’article L1331-2 du code du travail interdit les amendes ou autres sanctions pécuniaires, disposant également que 'toute disposition ou stipulation contraire est réputée non écrite'.


Il résulte de l’article 4 'dispositions diverses’ de la convention d’entreprise commune que les modalités et conditions d’acquisition et d’utilisation ainsi que les conditions générales de transport font l’objet d’un contrat de transport.


Le contrat de transport des passagers disposant de billets à tarifs soumis à restrictions stipule en son chapitre II que pour l’utilisation de leurs billets lesdits passagers doivent se conformer aux règles en vigueur telles que précisées dans le contrat et qu’en cas d’utilisation non conforme ou abusive, l’achat et/ou l’utilisation de ces billets peut être suspendu ou supprimé à tout moment par Air France à des conditions précisées dans le contrat.


En son chapitre XI, à la rubrique ' dispositions particulières pour les passagers disposant de billets à tarifs soumis à restrictions', le contrat prévoit que la société Air France peut statuer sur les mesures éventuelles de suspension ou de suppression d’accès aux billets à tarifs soumis à restrictions lorsque le passager se trouve dans un des cas énumérés à l’article 1 du chapitre XI intitulé 'droit de refuser au transport’ à savoir la non-conformité au droit applicable, la mise en danger de la sécurité, de la santé, du confort ou de la commodité des autres passagers ou de l’équipage à raison du passager ou de ses bagages, la compromission de la sécurité, du bon ordre et/ou la discipline lors d’un vol précédent, la non-observations des instructions et des réglementations concernant la sécurité ou la sûreté, notamment, ainsi qu’au titre des 'dispositions particulières pour les passagers disposant de billets à tarifs soumis à restrictions'.


À la suite de la réunion du comité de direction en date du 27 avril 2016 à ce sujet, M. X a été informé qu’à la suite du rapport du Pôle Client mettant en cause le comportement de son ayant-droit, Mme X, lors de l’embarquement d’un vol à destination de Marseille le 27 février 2016 , cette dernière faisait l’objet d’une suspension de ses facilités de transport d’une durée de deux mois prenant effet le 5 mai 2016.


Il résulte des termes de ce courrier que la mesure a été prise à l’égard de Mme X, qu’elle n’est pas liée à un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif dans le cadre de l’exécution du contrat de travail, mais se rapporte à un comportement de l’ayant-droit apprécié comme contraire aux règles de sécurité et constitutif d’une gêne à la qualité et au bon fonctionnement du service au sol par la société Air France.


Cette décision ne peut donc être qualifiée de sanction disciplinaire, s’avère par conséquent non soumise à la prescription spécifique de l’article L 1332-4 du code du travail et, dès lors, la privation subséquente de l’avantage tarifaire ne constitue pas une sanction pécuniaire prohibée.


Le jugement de première instance qui a décidé du contraire doit être infirmé de ce chef.

Sur le bien fondé de la mesure :


La société Air France considère que la mesure prise était justifiée puisque la soustraction de bagages cabine, lesquels sont sous la responsabilité de l’escale, constitue un manquement aux règles de sécurité et notamment aux consignes de l’agent d’embarquement. Elle rappelle que le référentiel Escale du 'Passenger Airport Manuel’ s’impose à tous les personnels de l’exploitation et qu’il est de la responsabilité du personnel au sol de vérifier la conformité du bagage cabine pour assurer la sécurité du vol et d’anticiper les actions nécessaires pour limiter au maximum les ralentisseurs à l’embarquement. Ce document précise, selon elle, qu’en cas d’afflux important de bagages en cabine, ces derniers sont retirés au passager au moment de l’embarquement et considérés comme des bagages en soute ; elle souligne que soustraire un tel bagage sans autorisation de l’escale constitue un manquement aux règles de sécurité. Considérant que Mme X a été sanctionnée de façon justifiée, la société appelante souligne que son époux ne démontre aucun préjudice direct, certain et personnel et doit être débouté de ses demandes.


À titre subsidiaire, elle considère que l’indemnisation sollicitée est injustifiée et totalement disproportionnée. Elle critique la valeur probante de l’attestation médicale produite et rappelle que Mme X effectue au mieux une rotation par mois et que les dommages-intérêts ont été calculés sur la base de six rotations en l’espace de deux mois.

Monsieur X fait valoir, à titre infiniment subsidiaire, que son épouse n’a pas contrevenu aux demandes de l’agent d’embarquement puisque l’impression d’une étiquette pour placer le bagage cabine en soute a été faite mais que cet agent n’a pas contrôlé la prise du bagage par le prestataire CGS, que son épouse ne voyant personne prendre son bagage et constatant l’imminence du départ du vol, a été contrainte de le prendre et de se présenter avec à la porte de l’avion, ne commettant ainsi aucun manquement. Rappelant au surplus qu’il a été sanctionné pour un comportement commis par un tiers, sans considération apportée aux contestations développées quant aux griefs avancés par l’agent au sol et aux explications fournies à l’employeur – et alors que le commandement de bord a confirmé que l’embarquement du bagage cabine de Mme X avait été accepté par le chef de cabine et n’a pas perturbé le vol du 27 février 2016 -, soulignant que cette décision relève de la seule autorité du commandant de bord ou du chef de cabine par délégation en application des articles L 6522-4 et suivants du code des transports, il sollicite l’annulation de cette sanction infondée.
Invoquant les différents préjudices issus de la suspension du bénéfice de ces billets à tarifs préférentiels – préjudices à analyser au regard de la spécificité de la situation de l’espèce et de la fréquence des voyages de Mme X qui accompagne pour des motifs médicaux son époux sur la quasi-totalité de ses destinations professionnelles-, l’intimé sollicite la somme de 60'000€ à titre de dommages-intérêts.


Il résulte du ' rapport Pôle Client T2F du 27 février 2016' que ' sur le vol AF 7660 avons eu un incident avec Mme X/ D. Cette cliente voyageait en tant que r1 sur le vol et en porte d’embarquement l’agent d’embarquement R,S.P., l’a informée qu’elle devait lui prélever son bagage cabine, le vol étant orange. L’éditeur de cab était HS et nous avons dû nous rendre sur la porte d’à côté pour imprimer l’étiquette. De plus, avons contacté le prestataire CGS pour descendre les bagages. À l’arrivée du prestataire, celui-ci nous informe que le bagage de Mme X est manquant. A l’heure d’annuler les clients manquants, l’agent emb R a dû se rendre à bord pour faire le point avec la cliente. Il s’avère qu’elle avait récupéré son bagage qui avait été mis de côté en passerelle, et l’a emmené à bord avec elle. (…) Or en agissant ainsi, elle a empêché l’agent emb r de clôturer à l’heure son embarquement puisque celle-ci était à bord'.


Par courriel du 12 avril 2016, Mme C. B., Responsable Incidents Comportement, a adressé à M. X la copie du rapport, lui a rappelé que 'chaque ouvrant-droit est responsable, en toutes circonstances, de la tenue et du comportement de chacun de ses ayants-droit 'et lui a demandé de lui transmettre ses explications pour décider de la suite à donner à l’incident.


Par courriel du 14 avril suivant, le salarié a expliqué que son épouse, une fois son bagage étiqueté, ne voyant personne pour le descendre en soute est allée jusqu’à la porte de l’avion, a demandé au chef de cabine si elle devait laisser son bagage en porte, ce dernier lui ayant répondu qu’il y avait de la place dans les coffres, elle l’avait pris avec elle, que le commandant de bord lui avait indiqué que l’avion était parti à l’heure et qu’il n’avait aucun souvenir de cet événement.


Le chapitre 'comportement’ du contrat de transport, prévoit pour les passagers disposant de billets à tarifs soumis à restrictions que 'd’une manière générale, la tenue et le comportement du passager ne doivent apporter aucune gêne ni pour la qualité de bon fonctionnement du service, ni pour les passagers commerciaux et/ou les personnels au sol ou de bord. Les passagers disposant de billets à tarifs soumis à restrictions doivent être caractérisés par la discrétion et le souci de coopération avec le personnel au sol et navigant, chaque fois qu’il y est fait appel. (…)

Tout incident au sol ou à bord concernant un passager dont la tenue et/ou le comportement ne correspondent pas à ce que la compagnie est en droit d’attendre, fait l’objet d’un rapport à la direction des Facilités de Transport et de l’Interline qui, après enquête et demande d’explications de l’intéressé, statue sur les mesures éventuelles à prendre en matière de suspension ou de suppression d’accès aux billets à tarifs soumis à restrictions.'


Les éléments produits par la société Air France permettent de vérifier l’enquête réalisée après le rapport d’incident, la demande d’explications et la réalité du comportement de Mme X, en infraction avec les règles d’enregistrement et de prise en charge des bagages.


Le courriel du commandant de bord responsable du vol litigieux, confirmé par son témoignage en ce sens, ne pouvant contredire la relation des faits faisant l’objet du rapport et confirmés en partie, puisque l’embarquement du bagage cabine de Mme X a été avoué nonobstant son enregistrement et son étiquetage comme bagage en soute, il y a lieu de considérer qu’en l’état de cette infraction aux règles de l’escale, la mesure de suspension des billets GP était justifiée en son principe.


Cependant, le commandant de bord en charge du vol litigieux (AF 7660 du 27 février 2016) ne se souvenant pas qu’ 'un quelconque événement ait pu perturber sensiblement le déroulement de la touchée, ceci d’autant plus qu’après vérification, ce vol est parti à l’heure', a indiqué que Mme X avait été 'autorisée par un membre de mon équipage à garder son bagage en cabine alors que celui-ci avait été étiquetté par un personnel de l’embarquement pour être placé en soute' et souligné que 'impliquant l’équipage et concernant l’avion et son chargement, cette décision au final est de toute façon de mon unique responsabilité', qu’elle ' n’a eu aucune conséquence sur le départ du vol et, en tout état de cause, l’agent R d’embarquement n’a pas une vision de la situation générale de la touchée pour juger de son impact réel', concluant à 'un incident bagage très mineur'.


Alors que la société Air France ne démontre pas la réalité du retard pris par le vol, ni les conséquences tangibles du geste de Mme X, il y a lieu de considérer la mesure prise pour une durée de deux mois comme disproportionnée à la faute commise.


En l’état des éléments produits par le salarié (à savoir son carnet de vol pour les mois de décembre 2014 à avril 2016, ses plannings de mai et juin 2016, la liste des voyages de son épouse) constitutifs du préjudice subi sur le plan financier notamment, il y a lieu d’évaluer à la somme de 6 000 € l’indemnisation due à l’intimé du fait de cette mesure disproportionnée.

Sur l’exécution déloyale du contrat de travail :


Face à M. X qui considère que son employeur a pris à son encontre une sanction illicite, alors qu’il a été condamné à de nombreuses reprises pour des faits similaires, et a exécuté de mauvaise foi son contrat de travail, la société Air France considère la demande non fondée, la mesure litigieuse ne concernant pas le salarié. Elle conclut au rejet de la demande et à la confirmation du jugement entrepris de ce chef.


Rappelant que la décision de la société Air France a été prise en parfaite connaissance de son mode de vie particulier et de l’accompagnement de son épouse sur chacun des déplacements depuis la fin de l’année 2014, M. X sollicite réparation à hauteur de 10'000 € au titre de l’exécution de mauvaise foi de son contrat de travail par son employeur.


La mesure litigieuse n’est pas liée à l’exécution du contrat de travail de M. X et ne saurait être analysée dans le cadre des relations de travail.


Surabondamment, aucun élément n’est versé aux débats par M. X permettant de vérifier, non seulement la connaissance par son employeur de la situation médicale de Mme X, ni surtout que la décision ait été prise en considération de ce mode de vie particulier.


La preuve d’une exécution déloyale du contrat de travail n’étant pas rapportée, la demande d’indemnisation doit être rejetée, par confirmation du jugement entrepris de ce chef.

Sur les frais irrépétibles et les dépens:


L’équité commande de confirmer le jugement de première instance relativement aux frais irrépétibles, de faire application de l’article 700 du code de procédure civile également en cause d’appel et d’allouer à ce titre la somme de 1 500 € à l’intimé.


L’employeur, qui succombe, doit être tenu aux dépens de première instance, par confirmation du jugement entrepris, et d’appel.


En ce qui concerne la demande de distraction d’une partie des dépens, il convient de dire,

le ministère d’avocat n’étant pas obligatoire en l’espèce, qu’il n’y a pas lieu à application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile; la demande formulée de ce chef doit donc être rejetée.
PAR CES MOTIFS


La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

INFIRME le jugement déféré, sauf en ses dispositions relatives à la compétence, à la recevabilité des demandes de M. X, au rejet de l’indemnisation de l’exécution déloyale du contrat de travail, aux frais irrépétibles et aux dépens,


Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

DIT que la mesure de suspension des billets à tarifs soumis à restrictions ne constitue pas une sanction disciplinaire,

CONSTATE que cette mesure est en l’espèce disproportionnée dans sa durée,

CONDAMNE la société Air France à payer à M. Z X les sommes de


- 6 000 € à titre de de dommages-intérêts,


- 1 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

REJETTE les autres demandes des parties,

CONDAMNE la société Air France aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE
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Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 27 janvier 2022, n° 19/06432