Cour d'appel de Poitiers, Chambre sociale, 10 décembre 2014, n° 14/00298

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Poitiers, ch. soc., 10 déc. 2014, n° 14/00298
Juridiction : Cour d'appel de Poitiers
Numéro(s) : 14/00298
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Poitiers, 13 janvier 2014
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

CK/KG

ARRET N° 749

R.G : 14/00298

I J

C/

Me H E -

Mandataire liquidateur de

la SARL SELECTOUR

XXX

CGEA DE BORDEAUX

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE POITIERS

Chambre Sociale

ARRÊT DU 10 DECEMBRE 2014

Numéro d’inscription au répertoire général : 14/00298

Décision déférée à la Cour : Jugement au fond du 14 janvier 2014 rendu par le Conseil de Prud’hommes de POITIERS.

APPELANTE :

Madame Q I J

née le XXX à XXX

de nationalité CAMEROUNAISE

XXX

XXX

Représentée par Me Philippe BROTTIER de la SCP BROTTIER – ZORO, avocat au barreau de POITIERS

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2014/503 du 31/01/2014 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de POITIERS)

INTIMES :

Me E H (SELARL K E) – Mandataire liquidateur de la SARL SELECTOUR XXX

XXX

XXX

XXX

Représenté par Me Jérôme BIEN de la SELAS ACTY, substitué par Me Charlotte PRIES, avocats au barreau de NIORT

CGEA DE BORDEAUX

XXX

XXX

XXX

Représenté par Me Patrick ARZEL, substitué par Me Delphine MICHOT, avocats au barreau de POITIERS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 27 Octobre 2014, en audience publique, devant

Madame Catherine KAMIANECKI, Conseiller.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur Eric VEYSSIERE, Président

Madame Catherine KAMIANECKI, Conseiller

Monsieur Jean-Paul FUNCK-BRENTANO, Conseiller

GREFFIER, lors des débats : Madame Christine PERNEY

ARRÊT :

— CONTRADICTOIRE

— Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

— Signé par Monsieur Eric VEYSSIERE, Président, et par Madame Christine PERNEY, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Mme I J a été engagée par la société Selectour Artique voyages en qualité de conseillère voyages niveau 1 aux termes d’un contrat à durée déterminée du 13 février 2008, à temps plein et d’une durée de trois mois, prolongé par avenant jusqu’au 30 septembre 2008.

Le 1er octobre 2008 Mme I J a été recrutée en contrat à durée indéterminée.

Elle a évolué dans ses fonctions pour devenir le 1er septembre 2010 responsable de secteur d’affaires niveau D de la convention collective du personnel des agences du voyage et du tourisme.

La société Selectour Artique voyages était gérée par Mme A, également responsable d’agence.

Mme I J a été placée en arrêt de travail du 16 juillet au 6 septembre 2012, date à laquelle le médecin du travail l’a déclarée apte dans le cadre d’une visite de reprise.

Mme I J a repris son poste le 7 septembre 2012.

Elle a préalablement adressé à son employeur une lettre concernant l’ambiance de travail, datée du 1er septembre 2012 et reçue le 3 septembre 2012, à laquelle la société Selectour Artique voyages a répondu le 12 septembre 2012 en se déclarant surprise et choquée.

Par courrier du 12 septembre 2012 la société Selectour Artique voyages a convoqué Mme I J à un entretien préalable fixé le 21 septembre 2012 et lui a notifié sa mise à pied à titre conservatoire.

Mme I J a été placée en arrêt de travail du 12 septembre au 10 novembre 2012.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 octobre 2012 la société Selectour Artique voyages a licencié Mme I J pour faute grave.

Le 18 décembre 2012 Mme I J a saisi le conseil de prud’hommes de Poitiers pour contester le licenciement avec toutes conséquences de droit sur son indemnisation et faire reconnaître l’existence d’un harcèlement moral devant également être indemnisé.

Selon jugement du tribunal de commerce de Poitiers en date du 23 mai 2013 la société Selectour Artique voyages a été placée en liquidation judiciaire, Me E étant désigné en qualité de liquidateur judiciaire.

Par jugement du 14 janvier 2014 le conseil de prud’hommes de Poitiers a notamment débouté Mme I J de l’ensemble de ses demandes et l’a condamnée aux dépens.

Vu l’appel régulièrement interjeté par Mme I J.

Vu les conclusions déposées le 16 avril 2014, développées et complétées oralement à l’audience de plaidoiries par lesquelles l’appelante demande notamment à la cour d’infirmer la décision déférée et de :

* dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

* reconnaître le harcèlement moral commis par l’employeur,

* fixer ses créances aux opérations de liquidation judiciaire de la société Selectour Artique voyages aux sommes de :

—  25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice économique du fait du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

—  15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral consécutif au comportement de l’employeur

—  3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

* donner acte à Me E, ès qualités, qu’il a réglé les indemnités de fin de contrat pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et le rappel de salaire pour mise à pied conservatoire, ou subsidiairement le condamner à paiement,

* dire l’arrêt opposable à Cgea de Bordeaux.

Vu les conclusions déposées le 6 octobre 2014 et développées oralement à l’audience de plaidoiries par lesquelles Me E, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Selectour Artique voyages, sollicite notamment la confirmation de la décision déférée, la cour devant débouter Mme I J de l’ensemble de ses demandes et la condamner à lui payer une somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Vu les conclusions déposées le 27 octobre 2014 et développées oralement à l’audience de plaidoiries par lesquelles le Centre de gestion et d’études (Cgea) Ags de Bordeaux demande à la cour de confirmer la décision déférée, et de condamner Mme I J à rembourser la somme de 9 465,58 euros versée à tort à titre d’avance, subsidiairement de limiter les prétentions indemnitaires de Mme I J et rappelle en tout état de cause les limites des conditions légales de son intervention et de sa garantie

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, de moyens et de l’argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux conclusions déposées et oralement reprises.

SUR CE

Sur le licenciement

La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige opposant les parties a énoncé essentiellement deux griefs, la société Selectour Artique voyages reprochant à Mme I J, d’une part, 'de ne pas avoir traité en urgence deux dossiers d’annulation de billets réservés par des clients, ainsi que demandé par Mme A le 7 septembre 2012, demande renouvelée par mail le 11 septembre 2012 à 8h59", ce qui avait entraîné une perte financière pour l’agence, en raison du non respect du délai d’annulation, et, d’autre part, 'd’avoir eu un échange particulièrement virulent avec Mme A à la réception du mail, en adoptant un ton et des propos totalement inadaptés vis à vis de son employeur et en faisant preuve d’agressivité’ sans se calmer malgré les demandes répétées de la gérante.

La faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputable au salarié, rendant impossible son maintien dans l’entreprise pendant la durée du préavis, et l’employeur, débiteur de l’indemnité de préavis et de l’indemnité de licenciement, doit démontrer la gravité de la faute reprochée.

Mme I J a précisé dans son argumentation d’appelante que Me E, ès qualités, lui avait réglé en cours de procédure d’appel les sommes correspondant à un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, à savoir le rappel de salaire pour la période écoulée entre le 12 septembre 2012 et le 15 octobre 2012 (1 499,23 euros), l’indemnité compensatrice de préavis (2 764,19 euros), l’indemnité de licenciement (1 957,64 euros) et les congés payés acquis du 1er juin 2011 au 15 décembre 2012 (1 703 euros), ce dont elle a justifié par sa pièce 40. Mme I J a considéré que le liquidateur judiciaire avait ainsi implicitement reconnu que sa contestation du licenciement était fondée.

Me E, ès qualités, n’ayant pas répondu sur ce point dans ses écritures, il a, sur interrogation de la cour, indiqué avoir commis une erreur matérielle, n’emportant pas acquiescement à la contestation du licenciement par la salariée.

Le Cgea de Bordeaux considère que les sommes concernées ont été, à tort, versées à titre d’avance.

Les pièces produites aux débats ne permettent pas de retenir que c’est en toute connaissance de cause que Me E, ès qualités, a effectué ce paiement, qui n’intègre pas d’ailleurs l’indemnisation d’un licenciement éventuellement dépourvu de cause réelle et sérieuse mais concerne seulement des créances salariales revendiquées par la salariée.

En conséquence il ne peut se déduire de ce paiement la reconnaissance d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse par le liquidateur judiciaire de la société Selectour Artique voyages et la cour discutera du bien fondé du licenciement prononcé pour faute grave.

En l’espèce le mail adressé le 11 septembre 2012 à 8h59 par Mme A à Mme I J et intitulé 'Q : urgent à faire', demande à la salariée de traiter en urgence les changements de billets de M. X N, en se mettant en relation avec la collaboratrice de Châteauroux ainsi que l’annulation des prochains vols de Mme D pour le compte de la société Pga, et de tenir informée par écrit avant midi la gérante de la gestion de ces deux dossiers.

Par mail du même jour, mentionnant l’heure de 12h04, ce retard de 4 minutes étant inopérant pour critiquer le travail de la salariée, Mme I J a détaillé les diligences accomplies, conformément aux directives reçues, en précisant que l’un des dossiers entraînait une retenue de 20 euros pour éviter au client un réajustement tarifaire de 113,13 euros et les frais de service, outre complications administratives, et que l’autre impliquait 19 euros de pénalités et un avoir de 45,28 euros à rembourser au client.

Il s’en déduit que la salariée s’est conformée aux instructions données par son supérieur hiérarchique, la perte de 39 euros ne pouvant fonder un licenciement pour faute grave, ni même pour cause réelle et sérieuse.

En outre, c’est par simple affirmation que l’employeur soutient avoir demandé à Mme I J dès le 7 septembre 2012 puis le 10 septembre 2012, de traiter en urgence précisément ces deux dossiers de réservation de billets devant être modifiés. Par ailleurs, il est constant que Mme I J a repris son poste le 7 septembre 2012 après un arrêt de travail d’un mois et demi et il est indiqué dans le mail précité que Mme A lui a alors fait le 'compte rendu des dossiers urgents à traiter, entre autres ceux de M. X et de Mme D'.

L’employeur ne communiquant pas d’élément probant permettant de vérifier la masse de travail devant être traitée par la salariée à son retour et ne justifiant pas avoir insisté pour que les deux dossiers litigieux soient examinés en priorité, Mme I J soutient ainsi à juste titre qu’elle n’avait pas été informée, avant de recevoir le mail déjà discuté, de l’urgence extrême concernant ces deux dossiers.

Il s’évince des échanges de mail du 11 septembre 2011 que les modifications réalisées concernaient des voyages programmés les 16 et 23 septembre 2012, soit plusieurs jours plus tard. La société Selectour Artique voyages communique d’autres mails, en date des 4 et 6 septembre 2012, révélant que Mme A s’était déjà chargée d’étudier les possibilités de modification demandées par les deux clients, sans qu’il soit démontré que les dernières négociations réalisées le 11 septembre 2012 par Mme I J aient pénalisé l’agence de voyages ou les clients concernés.

Il s’en déduit que le premier grief n’est pas avéré.

La lettre de licenciement a exposé de manière non circonstanciée, faute d’énoncer les propos tenus par Mme I J, que la salariée, après avoir pris connaissance du message électronique, avait eu un échange particulièrement virulent avec Mme A, en faisant preuve d’agressivité, sans se calmer.

Pour établir la réalité de ce comportement, l’employeur se limite à communiquer l’attestation de Mme Y, assistante de la responsable d’agence, qui ne cite pas plus les paroles ayant pu être prononcées par Mme I J et reprend les termes généraux de la lettre de licenciement, témoignage insuffisant pour considérer établi le second grief.

De surcroît il s’évince des pièces produites aux débats qu’à partir du printemps 2012, le personnel de l’agence s’était divisé en deux clans, Mme Y étant très proche de Mme A, et le compte rendu de M. Bellot, conseiller Fo ayant assisté Mme I J lors de l’entretien préalable, mentionne que Mme Y a participé à cet entretien, en qualité 'd’assistante’ de Mme A. L’impartialité du témoignage de l’intéressée s’en trouve donc largement fragilisée.

Enfin ce même compte rendu d’entretien préalable précise que Mme I J a reconnu avoir 'haussé le ton’ mais parce que 'Mme A s’était bouchée les oreilles avec ses doigts pour ne pas l’écouter'. Les attestations prises dans leur ensemble de Mme Y et des deux autres salariées Mme Z et Mme C, ces dernières ayant témoigné en faveur de Mme I J, suffisent pour considérer cette explication sincère, Mme Y P, pour critiquer ses collègues, l’ambiance de travail de 'cour d’école maternelle’ tout admettant que 'Mme A n’avait peut être pas su trouver toujours les mots justes'.

Il ne se déduit pas de ce comportement de Mme I J confrontée à celui de Mme A une attitude inacceptable et agressive.

Le second grief n’est donc pas avéré.

En conséquence la cour infirmera la décision déférée et dira le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences du licenciement

Les précédents motifs ont rappelé que Me E, ès qualités, avait notamment payé à Mme I J l’indemnité compensatrice de préavis, le rappel de salaire correspondant à la mise à pied ainsi que l’indemnité de licenciement.

Mme I J demande à la cour d’en donner acte au liquidateur judiciaire et se considère remplie de ses droits de ces chefs.

Au jour du licenciement la salariée avait plus de deux ans d’ancienneté mais l’entreprise employait habituellement moins de 11 salariés.

En application de l’article L 1235-5 alinéa 2 du code du travail, Mme I J a droit à une indemnité correspondant au préjudice subi en raison du licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. En l’espèce la cour s’estime suffisamment informée pour fixer cette indemnité à la somme de 10 000 euros compte tenu de l’ancienneté (4 ans 8 mois) de la salariée, née en 1981, du salaire de référence (1 683,45 euros brut outre 67,34 euros de prime d’ancienneté) et de l’absence de retour à l’emploi justifiée jusqu’au 15 octobre 2013 (pièce 41).

La cour ordonnera la remise par l’employeur des documents prévus par l’article L 1234-19 du code du travail.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l’article L 1152-1 du code du travail le harcèlement moral d’un salarié se définit par des agissements répétés, ayant pour objet ou effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel. En application de l’article L 1152-2 du même code, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral, ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

En application de l’article L 1154-1 du même code il incombe au salarié d’établir des faits permettant de présumer l’existence d’un tel harcèlement, éléments au vu desquels la partie défenderesse doit prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

L’article L 1152-3 du code du travail ajoute que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissances des dispositions des articles L 1152-1 et L 1152-2 est nulle.

En l’espèce Mme I J ne conclut pas à la nullité du licenciement mais seulement à l’indemnisation du préjudice moral subi en raison du comportement de son employeur qu’elle analyse comme un harcèlement moral.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 1er septembre 2012, adressée en copie à l’inspection et à la médecine du travail, Mme I J a, sur 5 pages, exposé à Mme A, des 'observations préalables à sa reprise de fonctions et des remarques à propos de l’émergence des relations douloureuses entre la direction de l’agence et le personnel'.

Mme I J justifie avoir été placée en arrêt de travail du 16 juillet au 5 septembre 2012 et souligne exactement que le médecin conseil chargé de contrôler son état de santé sur la demande de son employeur a considéré le 24 juillet 2012 que l’arrêt de travail prescrit était médicalement justifié et que sa prolongation était au surplus envisageable.

Il ne peut être reproché à la société Selectour Artique voyages d’avoir exercé son droit à contrôler la pertinence de l’arrêt de travail de Mme I J.

C’est par simple affirmation que Mme I J invoque un état dépressif prolongé et imputable à ses conditions de travail, le Dr F, prescripteur de l’arrêt de travail, ne précisant pas, dans le certificat rédigé et produit aux débats, la nature de la pathologie de la salariée et aucun autre élément probant n’étant produit sur ce point.

Au surplus cet arrêt de travail a succédé aux congés d’été pris par Mme I J, du 2 au 13 juillet 2012 cette chronologie excluant de faire présumer d’une dégradation de l’état de santé imputable à l’employeur.

Enfin Mme I J a été déclarée apte sans réserve par le médecin du travail lors de la visite de reprise organisée le 6 septembre 2012.

Mme I J soutient toutefois également que 'Mme A faisait régner la terreur au sein de l’entreprise', menaçait de ne pas payer les salariées avant le 10 du mois si elles ne relançaient pas les sociétés, exerçait un contrôle oppressant et des pressions inacceptables, insultait et humiliait son personnel. Elle ajoute que ses autres collègues Mme Z et Mme C souffraient également tandis que Mme Y jouait un double jeu.

Les motifs précédents ont déjà retenu que l’ambiance de travail était particulière. Les attestations des trois collègues de Mme I J, prises dans leur ensemble, permettent d’analyser le management mis en oeuvre par Mme A comme évolutif, voire instable, car passant d’une certaine décontraction chaleureuse à une démonstration d’autorité soudaine, et une 'reprise en mains’ étant certaine à compter du printemps 2012, au moment où le personnel se divisait en deux clans ainsi que déjà observé, l’assistante de direction, Mme Y, se rapprochant alors de la gérante.

Mme Y précise que les trois autres salariées avaient annoncé en juin 2012 qu’elles pourraient être placées simultanément en arrêt de travail pour bloquer l’agence. L’impartialité de son témoignage a déjà été discutée dans les précédents motifs alors que les trois salariées concernées dont Mme I J soulignent qu’une réunion de 'crise’ s’est tenue le 8 juin 2012 et considèrent que l’ambiance de travail ne s’est pas apaisée.

Mme C atteste avoir été victime de pressions morales depuis novembre 2011, ayant justifié des arrêts de travail pour maladie, et avoir accepté avec soulagement une rupture conventionnelle le 27 août 2012.

Mme Z confirme la dégradation des conditions de travail et détaille dans son attestation les paroles et comportements adoptés par Mme A à compter de janvier 2012 à l’égard de l’ensemble des salariées et surtout de Mme I J, la description effectuée accréditant l’ambiance de 'cour d’école maternelle’ déjà relevée mais également un dénigrement déplacé de la salariée.

Il s’en déduit suffisamment une présomption de dégradation des conditions de travail imputable à l’employeur.

Mme A s’est prévalue à tort de la convention collective applicable en informant les salariées par lettre datée du 30 juillet 2012, qu’à compter du 1er juillet 2012 les trois jours de carence seraient à nouveau appliqués lors des arrêts maladie, dès lors que la convention collective applicable prévoyait le contraire.

Mme I J justifie ne pas avoir bénéficié du maintien de salaire prévu par la convention collective applicable durant son arrêt de travail, sa situation étant régularisée seulement après l’envoi de son courrier du 1er septembre 2012 et en cours de procédure de licenciement. La société Selectour Artique voyages lui a expliqué sur ce point, le 12 septembre 2012, jour de la convocation à l’entretien préalable, mais par courrier séparé, qu’il s’agissait d’un malentendu avec le cabinet prestataire chargé de la gestion des paies. Toutefois l’employeur ne démontre pas la réalité de l’implication du cabinet comptable dans sa décision et les termes du courrier du 30 juillet 2012 traduisent une mesure de rétorsion à l’absentéisme des salariées méconnaissant la convention collective applicable, au détriment des droits des salariées dont Mme I J alors en arrêt de travail.

Mme I J soutient que les salaires de juin et juillet 2012 lui ont versés après le 6 du mois alors qu’ils étaient préalablement versés au plus tard le 2 du mois, situation confirmée par ses deux collègues. L’employeur n’explique pas pour quelle raison cette modification, défavorable aux salariées, est intervenue.

Dans son courrier du 1er septembre 2012 Mme I J a reproché à Mme A de lui tenir des propos racistes et humiliants, à savoir 'je me suis faite avoir sur la marchandise', 'je ferai des économies sur ton poste, j’en ai marre de faire du social', 'tu te prends pour une princesse', 'tu te crois en Afrique', argumentation reprise devant le conseil de prud’hommes comme devant la cour.

Les attestations de Mme C et Mme Z confirment la teneur de ces propos que Mme B ne pouvait légitimer, comme elle l’a fait dans sa réponse du 12 septembre 2012, en se prévalant de sa propre nationalité chilienne et des origines des salariées employées dans l’agence, excluant selon elle, des opinions racistes. En effet, même s’il est exact que Mme I J est camerounaise, Mme C née au Brésil et Mme Z née en Martinique, Mme A ne pouvait s’adresser à son personnel en employant des termes à connotation raciste et portant atteinte à la dignité de Mme I J.

Ces motifs sont suffisants pour caractériser un comportement de l’employeur répondant à la définition du harcèlement moral.

La cour s’estime suffisamment informée pour limiter à 5 000 euros l’indemnisation intégrale du préjudice moral ainsi subi par Mme I J et réformera la décision déférée en ce sens.

Sur la garantie du Cgea de Bordeaux

Le Cgea de Bordeaux devra sa garantie dans les conditions et limites légales.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dépens seront réputés frais privilégiés de la procédure collective.

L’issue de l’appel, l’équité et les circonstances économiques commandent de faire droit à la demande d’indemnité prévue par l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles engagés en première instance et en appel, la cour réformant et ajoutant à la décision déférée en ce sens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Infirme la décision déférée et statuant à nouveau :

Dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Dit que la société Selectour Artique voyages a fait preuve de harcèlement moral à l’encontre de Mme I J ;

Constate que Me E, ès qualités, a payé à Mme I J les éléments de salaire correspondant à la mise à pied à titre conservatoire, l’indemnité compensatrice de préavis, l’indemnité de licenciement, et les congés payés ;

Fixe les créances de Mme I J aux opérations de liquidation judiciaire de la société Selectour Artique voyages aux sommes de :

—  10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ,

—  5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

—  700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Dit que le Cgea de Bordeaux devra sa garantie dans les conditions et limites légales ;

Y ajoutant :

Fixe la créance de Mme I J aux opérations de liquidation judiciaire de la société Selectour Artique voyages à une somme complémentaire de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles engagés en cause d’appel ;

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions ;

Dit que les dépens seront réputés frais privilégiés de la procédure collective.

LE GREFFIER, LE PRESIDENT,

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