Cour d'appel de Versailles, 6ème chambre, 29 décembre 2011, n° 10/04810

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 6e ch., 29 déc. 2011, n° 10/04810
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 10/04810
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt, 8 septembre 2010, N° 08/01336
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 29 DECEMBRE 2011

R.G. N° 10/04810

AFFAIRE :

SA E INTERNATIONAL

C/

I X

XXX

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 09 Septembre 2010 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

Section : Encadrement

N° RG : 08/01336

Copies exécutoires délivrées à :

Me Pierre LEMAIRE

Me Hélène SAID

Me Catherine ROIG

Copies certifiées conformes délivrées à :

SA E INTERNATIONAL

I X

XXX

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT NEUF DECEMBRE DEUX MILLE ONZE,

La cour d’appel de VERSAILLES, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

SA E INTERNATIONAL

XXX

XXX

Comparante en la personne de M. G F, secrétaire général, en vertu d’un pouvoir de M. Romain GUINIER, président directeur général, en date du 10 octobre 2011

Assistée de Me Pierre LEMAIRE, avocat au barreau de POITIERS

APPELANTE

****************

Monsieur I X

XXX

XXX

XXX

Comparant

Assisté de Me Isabelle DUCASSE collaboratrice de Me Hélène SAID, avocat au barreau de PARIS

INTIME

****************

XXX

XXX

XXX

XXX

Représentée par Me Catherine ROIG, avocat au barreau de BOBIGNY

INTERVENANT VOLONTAIRE ET APPELANT INCIDENT

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 18 Octobre 2011, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Monsieur Jean-Marc DAUGE, président et Madame Pascale LOUÉ-WILLIAUME, conseiller, chargés d’instruire l’affaire.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Jean-Marc DAUGE, président

Madame Marielle LUXARDO, conseiller

Madame Pascale LOUÉ-WILLIAUME, conseiller

Greffier, lors des débats : Madame Sabine MARÉVILLE

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur I X a saisi le 15 juillet 2008 le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt et dans le dernier état de la procédure demandait la condamnation de la société E INTERNATIONAL à lui payer les sommes suivantes :

—  232 066 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

—  29 008 euros à titre de dommages et intérêts en raison du préjudice moral distinct, du fait des circonstances de la rupture

—  784,95 euros au titre du remboursement de frais

—  8 122 euros au titre de la prime sur objectifs pour l’année 2007

—  109,75 euros au titre du remboursement des frais de traduction exposés par Monsieur X pour assurer sa défense

—  3 000 euros d’indemnité de procédure avec l’exécution provisoire.

La société E INTERNATIONAL s’opposait à ces prétentions et demandait 3 000 euros à titre d’indemnité de procédure.

Par jugement rendu le 9 septembre 2010, le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt a :

— condamné la société E INTERNATIONAL à payer à Monsieur X :

* 116 000 euros à tire de licenciement sans cause réelle et sérieuse

* 784,95 euros à titre de remboursement de frais

* 8 122 euros à titre de prime d’objectifs

* 950 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

— débouté Monsieur X du surplus de ses demandes

— dit qu’il n’y a pas lieu à exécution provisoire autre que de droit

— fixé la moyenne des trois derniers mois de salaires de Monsieur X à 8 454 euros

— ordonné, en application des dispositions de l’article 1234-4 du code du travail, le remboursement par l’employeur, la société E INTERNATIONAL, succombant à la présente instance, aux organismes intéressés, des indemnités versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de deux mois d’indemnités

— reçu la société E INTERNATIONAL en sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile et l’en a débouté

— mis les dépens éventuels à la charge de la société E INTERNATIONAL.

La cour est régulièrement saisie d’un appel formé par la société E INTERNATIONAL contre cette décision.

Monsieur X a été engagé par la société E INTERNATIONAL le 8 décembre 1989 en qualité de responsable export. En 1995 il est devenu directeur export, avant d’être nommé, en 2000, directeur ventes internationales. A ce titre, il détenait la responsabilité de la commercialisation des produits E sur les marchés « export », responsabilité complétée par le management des équipes dédiées à cette activité.

Tous les ans, au cours d’un entretien annuel d’évaluation, des objectifs tant qualitatifs que quantitatifs étaient fixés en discussion avec son responsable hiérarchique, le directeur général de l’entreprise, Monsieur B.

Le 13 février 2007, des objectifs étaient ainsi arrêtés avec Monsieur X, sur base d’une réalisation de chiffre d’affaires, au budget de 2007, de 32,1 millions d’euros.

Il a fait l’objet le 18 janvier 2008 d’une convocation à entretien préalable à licenciement, tenu le 25 janvier 2008 et a été licencié le 30 janvier 2008 pour motifs personnels.

L’entreprise emploie au moins onze salariés. Il existe des institutions représentatives du personnel. La convention collective applicable est celle du caoutchouc.

Le salaire annuel brut moyen était de 116 033 euros, soit 9 669,42 euros mensuels.

Monsieur X, âgé de 50 ans lors de la rupture, a perçu des allocations de chômage durant trois ans. Il n’a pas retrouvé d’emploi. Il est en fin de droit depuis le mois de septembre 2011.

La société E INTERNATIONAL, par écritures visées par le greffier et soutenues oralement, demande à la cour de :

— réformer le jugement entrepris

— débouter Monsieur X de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions

— condamner Monsieur X à payer à la société E INTERNATIONAL la somme de 5 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens,

en soutenant essentiellement que :

* la rupture du contrat de travail repose sur :

— son attitudet inadmissible à l’encontre de Madame Z, proche du harcèlement moral qui s’est manifesté par un comportement déplacé de façon répétée envers une salariée , comportement qui n’avait pas cessé lors de la mise en oeuvre du licenciement

— le contentieux avec une société chinoise : Monsieur X ayant commis une faute en adressant à la société ZAHO MING XIN, au cours de négociation commerciale, des documents préjudiciables pour son employeur, sans l’en informer ni avoir obtenu son aval

— des résultats commerciaux insuffisants par rapport aux objectifs fixés et acceptés, dont il ne peut s’exonérer en invoquant l’absence d’imputabilité en raison de ses fonctions et de l’étendue de ses responsabilités

* la procédure de licenciement n’a revêtu aucun caractère vexatoire et il n’existe aucun motif pour faire droit à la demande en paiement de la prime d’objectif y compris en raison du montant sollicité.

Monsieur I X par écritures visées par le greffier et soutenues oralement, demande à la cour de :

— constater que son licenciement est dépourvu de toute cause réelle et sérieuse, et donc confirmer le jugement entrepris sur ce point

— condamner la société E à lui verser la somme de 232 066 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et donc infirmer le jugement entrepris sur ce point

— condamner la société E à lui verser la somme de 29 008 € à titre de dommages et intérêts en raison du préjudice moral distinct du fait des circonstances de la rupture, et donc infirmer le jugement entrepris sur ce point

— condamner la société E à lui verser la somme de 784,95 € au titre du remboursement de frais, et donc confirmer le jugement entrepris sur ce point

— condamner la société E à lui verser la somme de 8 122 € au titre de la prime sur objectifs au titre de l’année 2007, et donc confirmer le jugement entrepris sur ce point

— condamner la société E à 7 285 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance et 5 382 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel ; et donc infirmer le jugement entrepris sur ce point

— condamner la société E aux entiers dépens,

en exposant essentiellement que :

le licenciement ne repose sur aucun fondement légitime en l’absence de démonstration par la société E d’une quelconque insuffisance de résultats imputable à Monsieur X, de preuve de sa responsabilité dans la perte d’un contentieux judiciaire en Chine dont la société a constaté le caractère infondé de la décision dont elle a relevé appel. Il oppose la prescription s’agissant de ces agissements qualifiés de fautes par l’employeur et soutient que la société E INTERNATIONAL était informée de ces courriers voire les avaient avalisés. Et aucun agissement ne peut s’apparenter à du harcèlement moral, le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement devant s’apprécier à la date de la rupture et il n’est justifié d’aucune vérification de ces allégations de la part de l’employeur. Le véritable motif du licenciement s’inscrit dans la volonté de la société E de se séparer de Monsieur X dans le cadre d’une plus profonde réorganisation de l’entreprise dictée par la stratégie du nouvel actionnaire suisse, le groupe MAUS Frères.

Il a subi un préjudice moral en raison du caractère vexatoire et intempestif du licenciement.

PÔLE EMPLOI Ile de France intervenu volontairement en cause d’appel et appelant incident, par conclusions déposées et soutenues oralement à l’audience demande de :

— le recevoir en son intervention volontaire

— d’infirmer le jugement entrepris

— et de condamner la société E INTERNATIONAL à lui payer une somme de 31 302 euros corespondant aux allocations chômage versées à Monsieur X du 9 septembre 2008 au 7 mars 2009 outre une indemnité de 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties la cour, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l’audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le licenciement

La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige est libellée comme suit :

'Sur les résultats 2007 :

Les résultats export 2007 et les portefeuilles de commande 2008 sont très inférieurs aux objectifs. Le chiffre d’affaire de 2007 à l’export (hors Chine) est à moins 6 % par rapport à l’année précédente et à moins 10% par rapport au budget.

De plus, outre des résultats 2007 très décevants, je vous ai fait remarque que le portefeuille export 2008 était en nette baisse par rapport à l’année 2007 (moins 11%).Lors de l’entretien, vous avez mis en cause de prétendues mauvaises décisions stratégiques de la Direction Générale sans en préciser la teneur.

Contentieux avec la société ZAHO MING XIN :

Par un courrier du 7 janvier 2008, de notre conseil juridique Johan Y, qui suit le contentieux avec la société ZHAO MING XIN, nous avons été informés qu’ E a été condamné à verser au demandeur la somme d’environ 1.170.000 euros. Par cette lettre, nous avons également découvert l’existence de documents émis par vous même, et fournis par vous à la société ZHAO MING XIN, au cours de l’année 2005, alors que vous aviez pourtant connaissance des négociations engagées entre E et la société A, ayant pour conséquence la cessation des activités avec la société ZHAO MING XIN. Il s’agit d’une attestation du 21 février 2005 signée de votre main, lui reconnaissant un statut « GENERAL AGENT», et d’un e-mail à Angus Hou du 20 avril 2005, mentionnant des droits exclusifs « exclusive rights for importation and distribution of E products’ . Vous contestez que la société E subisse un préjudice effectif du fait de la décision du tribunal chinois, puisqu’il a été fait appel de la décision prononcée, et vous rejetez également l’analyse juridique établie sur ce dossier. Ce qui vous est reproché est cependant d’avoir contribué à conférer, par un écrit, un statut juridique à la société ZHAO MING XIN, engageant la société E. Vous n’étiez nullement compétent pour engager la société E à ce titre, de surcroît dans un contexte de négociation avec une autre société, dont vous aviez pourtant connaissance.

Sur le problème relationnel :

« … des faits particulièrement graves ont été portés à ma connaissance le mercredi 18 janvier 2008 , lors de l’entretien professionnel annuel de la Directrice Communication Madame C. Elle m’a alors alerté sur le fait qu’une de ses collaboratrices, Madame K Z s’était confiée à elle après de nombreux mois de souffrance morale pour avoir subi de graves difficultés relationnelles provoquées par vous… Votre comportement à l’égard de cette collaboratrice, proche du harcèlement, ne peut être admis, tant au regard de votre statut au sein de l’entreprise que de l’éthique propre à la société E ».

Aux termes de l’article L 1235-1 du code du travail, en cas de litige, le juge à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La lettre de licenciement comporte trois motifs, le premier porte sur une insuffisance de résultats.

L’insuffisance de résultats n’est pas en tant que telle une cause réelle et sérieuse de licenciement sauf à démontrer que le fait de ne pas avoir atteint les objectifs a pour cause une insuffisance professionnelle imputable au salarié, comme le soutient l’employeur en l’espèce.La société E considère en effet aux termes de la lettre de licenciement que cette insuffisance professionnelle provient des résultats du chiffre d’affaires à l’export 2007 et du portefeuille de commandes 2008 inférieurs aux objectifs fixés. Dans ses conclusions l’appelante soutient qu’il appartenait à Monsieur X compte tenu de ses attributions et de ses compétences de définir une stratégie commerciale et managériale pour atteindre ses objectifs . Elle ajoute que durant deux années consécutives les objectifs n’ont pas été atteints par le salarié. Ce dernier point n’est nullement mentionné dans la lettre de licenciement qui ne porte que sur les objectifs 2007 non atteints.

Monsieur X répond avec des éléments chiffrés et étayés par des documents internes à l’entreprise que le chiffre d’affaires attendu n’a pas été atteint à cause de difficultés y compris exogènes comme la direction l’a reconnu notamment dans un document communiqué au mois de juin 2007 au comité d’entreprise ('marché à maturité, concurrence exacerbée, pression sur les prix, client indiscernable') et dans ses déclarations au cours de cette réunion.

Il est également établi au vu des documents produits par Monsieur X que des décisions qui ne relevaient pas de la responsabilité du salarié ont été prises dans le secteur de l’export en particulier la diminution dès février 2007 du budget communication à l’international, la modification de l’équipe du département chaussures fin 2006 et encore au début de 2007, la réduction des effectifs des équipes export ou à l’international en 2006 et 2007.

De plus Monsieur X justifie sans être contredit que plusieurs franchisés ont cessé leur activité ce qui a eu un impact direct sur le montant du chiffre d’affaires export 2007 et le carnet de commandes 2008 au profit de celui du réseau de distribution France, sans que ses objectifs en soient modifiés.

Enfin l’intimé n’a pas été contesté lorsqu’il soutient et démontre qu’aucun des réseaux sauf celui des 'grands comptes’ n’a atteint ses objectifs de chiffres d’affaires en 2007.

Monsieur X justifie avec des éléments chiffrés et argumentés face auxquels la société E n’apporte aucune réponse précise et étayée, que la non réalisation des objectifs de chiffres d’affaires et de portefeuille de commandes ne lui est pas personnellement imputable compte tenu de ses attributions et de ses compétences mais provient d’éléments extérieurs sur lesquels le salarié n’avait pas la maîtrise.Il est également démontré que ces objectifs, compte tenu du contexte économique auquel était confrontée l’entreprise, n’étaient pas réalisables.

Les deux autres motifs de licenciement portent sur des fautes reprochées au salarié.

Tout d’abord il lui est reproché d’avoir sans y être habilité établi par un écrit un 'statut juridique’ à une société chinoise, engageant ainsi la société E dans un contexte de négociation avec une autre société.

La société E fait état de deux écrits émanant de Monsieur X. Celui du 21 février 2005 est en langue anglaise. L’employeur doit rapporter la preuve dans la langue française seule applicable devant les présentes juridictions des faits qu’il allègue à l’appui du licenciement. En l’absence de traduction le document produit ne peut constituer une preuve valable du grief reproché au salarié. Quant à celui du 20 avril 2005 il s’agit d’un courrier électronique qui a été adressé au dirigeant de la société chinoise ZHAO MING XIN et en même temps en copie au supérieur hiérarchique du salarié.L’employeur a donc eu connaissance de ce dernier document plus de deux mois avant l’introduction de la procédure de licenciement, comme le soutient Monsieur X. Par application de l’article L 1332-4 du code du travail, ce fait est donc prescrit.

Il est reproché ensuite à Monsieur X dans la lettre de licenciement d’avoir provoqué de graves souffrances morales, proches du harcèlement à une salariée de la société E, Mademoiselle Z, ce que celui-ci nie.

Aux termes de l’article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Lorsque survient un litige relatif à l 'application des dispositions précitées, le salarié, conformément aux dispositions de l’article L 1154-1 du même code, établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné en cas de besoin toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Il résulte de l’article L 1152-1 précité que le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l’intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié , d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L’article L 1152-4 du même code énonce que l’employeur prend toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

La société E fait état des courriers électroniques adressés par le salarié à Mademoiselle Z de juin 2005 jusqu’en juillet 2007. S’ils révèlent un comportement maladroit et peut être déplacé de la part de Monsieur X il est constant qu’aucun autre courrier électronique n’a été envoyé après le 2 juillet 2007 par le salarié.

Le témoin Madame D rapporte les confidences de Mademoiselle Z dans des termes vagues, selon lesquels jusqu’à son départ Monsieur X la poursuivait de ses avances. Aucun des comportements décrits par Mademoiselle Z dans son témoignage à propos des regards insistants, des allusions, d’un comportement changeant de Monsieur X, n’est étayé par un autre témoignage ou n’a été vérifié par l’employeur lorsqu’il a eu connaissance de ces doléances au mois de janvier 2008.

En effet la seule enquête que la société E justifie avoir menée lors de la révélation de ces plaintes a été de connaître les rumeurs au sujet des relations entre Mademoiselle Z et Monsieur X, comme il a été mentionné dans le compte rendu d’entretien préalable du 25 janvier 2008. Le témoignage de Monsieur F, directeur des ressources humaines au moment du licenciement, n’emporte pas la conviction en raison de son caractère tardif, puisqu’il n’a été établi que le 4 octobre 2011 et incohérent en comparaison avec les propos de ce même salarié au cours de l’entretien préalable c’est à dire au cours de la période qui a suivi immédiatement la connaissance de ces faits par l’employeur. En effet à cette période Monsieur F n’a fait état d’aucune démarche pour entendre la salariée et vérifier ses déclarations. Il a uniquement déclaré avoir pris connaissance des courries électroniques en contactant Mademoiselle C directrice de la communication.

L’employeur ne rapporte la preuve d’aucun comportement assimilable à un harcèlement moral imputable à Monsieur X.

Le licenciement ne repose donc sur aucune cause réelle et sérieuse. C’est pourquoi le jugement du conseil de prud’hommes de BOULOGNE BILLANCOURT doit être confirmé sur ce point.

Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse

Au moment de la rupture de son contrat de travail, Monsieur X avait au moins deux années d’ancienneté et la société E INTERNATIONAL employait habituellement au moins onze salariés. En application de l’article L. 1235-3 du code du travail, Monsieur X peut prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui ne peut être inférieure au montant des salaires bruts qu’il a perçus pendant les six derniers mois précédant son licenciement. Au-delà de cette indemnisation minimale, Monsieur X justifie d’un préjudice supplémentaire tant au plan professionnel compte tenu de son ancienneté supérieure à 18 années et de ce qu’il n’a pas retrouvé d’emploi depuis ce licenciement que matériel ,étant parvenu en fin de droits aux allocations chômage au mois de septembre 2011. En conséquence il convient de lui allouer en réparation de l’intégralité de son préjudice consécutif à la rupture sans cause réelle et sérieuse une indemnité d’un montant de 150 000 euros.

Monsieur X démontre que les circonstances de la rupture ont eu un caractère vexatoire dès lors que l’employeur a reproché au salarié pour le licencier une faute assimilée à un harcèlement sans justifier d’aucune enquête ni de vérification, et lui ont causé un préjudice moral distinct qu’il convient de réparer par le versement de 15 000 euros de dommages-intérêts.

Le jugement sera donc réformé sur l’indemnité sans cause réelle et sérieuse et infirmé sur les dommages intérêts en réparation du préjudice moral subi distinct du fait des circonstances de la rupture.

Sur les demandes salariales

Il n’est pas contesté qu’une prime annuelle sur réalisation des objectifs était prévue chaque année en faveur des cadres. Pour l’année 2007, il a été prévu en mars 2008, que celle ci s’élevait de 0 à 7 % du salaire annuel 2007 pour les cadres du comité de direction. Une majoration de cette prime de 0 à 50 % était prévue en outre en fonction des résultats de la société par rapport au budget et à l’année précédente.

Les critères d’attribution de cette prime sur objectifs personnels étaient les suivants : le management, le relationnel Pour les Responsables d’équipes : leur qualité managériale impliquant leurs équipes et les autres services

Pour les individuels : leur qualité de travail en groupe

Le quantitatif chiffrable pour les membres des équipes produits et commerciales : l’accroissement de la marge, du chiffre d’affaires pour les techniciens et gestionnaires : gains en terme de temps, rebuts, achats …

Le qualitatif mesurable : prendre en compte la notion de performance individuelle : gestion d’un projet, apport d’un produit innovant ou à forte marge, mise en place d’une procédure permettant une amélioration en terme technique ou de gestion.

Monsieur X demande la confirmation du jugement en ce qu’il lui a alloué la prime sur objectifs correspondant à 7 % de son salaire.

Pour s’y opposer la société E INTERNATIONAL invoque les motifs du licenciement et le comportement managérial du salarié.

Il a été jugé que les résultats commerciaux en baisse par rapport aux objectifs ne lui sont pas personnellement imputables. Par ailleurs l’employeur ne fournit aucun élément prouvant que Monsieur X a sur un autre aspect de ses compétences managériales, manqué à ses obligations. Il n’est justifié ainsi d’aucune évaluation annuelle. Le seul fait d’invoquer le montant de la prime versé les années précédentes est insuffisant à démontrer que le salarié n’a pas rempli en totalité les objectifs personnels qui étaient définis.Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a alloué à Monsieur X la somme de 8 122 euros de prime sur objectifs 2007.

Monsieur X demande le remboursement par la société E INTERNATIONAL des frais professionnels engagés au cours de l’année 2005. Celle-ci tout en demandant la réformation du jugement en toutes ses dispositions n’apporte aucun moyen pour contester cette demande qui est justifiée par les documents versés aux débats par l’intimé.

Le jugement doit donc être entièrement confirmé en ce qu’il a fait droit à ces demandes.

Les créances salariales sont productives d’intérêts au taux légal à partir de la date à laquelle l’employeur a eu connaissance de la demande. Les autres sommes allouées sont assorties des intérêts légaux à compter du jour et dans la proportion de la décision qui les fixe.

Sur l’intervention volontaire de PÔLE EMPLOI Ile de France

En application de l’article L. 1235-4 du code du travail, il convient de recevoir POLE EMPLOI Ile de France en son intervention volontaire et en son appel incident et de condamner la société E INTERNATIONAL à lui rembourser la somme correspondant à six mois d’indemnités de chômage versées à Monsieur X soit 31 302 euros. Le jugement sera donc réformé sur ce point.

Sur l’article 700 du code de procédure civile

Tenue aux dépens la société E INTERNATIONAL devra verser à Monsieur X la somme de 3 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens en cause d’appel et il y a lieu de confirmer le jugement qui avait mis en sa charge la somme de 950 euros pour ses frais irrépétibles. La société E INTERNATIONAL devra également verser la somme de 500 euros à POLE EMPLOI Ile de France au titre de ses frais non compris dans les dépens.

La société E est déboutée de sa demande au titre des frais non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement, en dernier ressort et par arrêt mis à la disposition des parties au greffe,

CONFIRME le jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt rendu le 9 septembre 2010 en ce qu’il a condamné la société E INTERNATIONAL à payer à Monsieur I X la somme de 8 122 euros (huit mille cent vingt deux euros) de prime sur objectifs 2007, la somme de 784,95 euros (sept cent quatre vingt quatre euros et quatre vingt quinze centimes) de remboursement de frais et une indemnité de 950 euros (neuf cent cinquante euros) en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

INFIRME le jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt rendu le 9 septembre 2010 en ce qu’il a débouté Monsieur I X de sa demande de dommages intérêts en réparation du préjudice moral subi distinct du fait des circonstances de la rupture ;

LE REFORME sur le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

STATUANT A NOUVEAU,

CONDAMNE la société E INTERNATIONAL à payer à Monsieur I X les sommes suivantes :

—  150 000 euros (CENT CINQUANTE MILLE EUROS) à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

—  15 000 euros (QUINZE MILLE EUROS) de dommages intérêts en réparation du préjudice moral subi distinct du fait des circonstances de la rupture ;

DIT que les sommes à caractère salarial porteront intérêt au taux légal à compter du jour où l’employeur a eu connaissance de leur demande, et les sommes à caractère indemnitaire, à compter de la décision qui les a prononcées ;

REÇOIT PÔLE EMPLOI Ile de France en son intervention volontaire ;

CONDAMNE la société E INTERNATIONAL à rembourser à PÔLE EMPLOI Ile de France la somme correspondant à six mois d’indemnités de chômage versées à Monsieur I X, soit 31302 euros (TRENTE ET UN MILLE TROIS CENT DEUX EUROS) ;

CONDAMNE la société E INTERNATIONAL à payer à titre d’indemnité en application de l’article 700 du code de procédure civile :

— à Monsieur I X la somme de 3 000 euros (TROIS MILLE EUROS)

— à PÔLE EMPLOI Ile de France la somme de 500 euros (CINQ CENTS EUROS) ;

DÉBOUTE la société E INTERNATIONAL de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société E INTERNATIONAL aux dépens.

Arrêt prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

Signé par Monsieur Jean-Marc DAUGE, Président, et par Madame Sabine MARÉVILLE, greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.

Le GREFFIER, Le PRÉSIDENT,

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