Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 16 juillet 2020, n° 19/04468

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 1re ch. 1re sect., 16 juill. 2020, n° 19/04468
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 19/04468
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Versailles, 20 mai 2019, N° 17/06529
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

1ère chambre 1ère section

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

Code nac : 63B

DU 16 JUILLET 2020

N° RG 19/04468

N° Portalis DBV3-V-B7D-TI2A

AFFAIRE :

D Y veuve X

C/

la SCP O A C ET J K

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 Mai 2019 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 17/06529

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

— la SELEURL MINAULT TERIITEHAU,

— la SCP COURTAIGNE AVOCATS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEIZE JUILLET DEUX MILLE VINGT,

La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Madame D Y veuve X

née le […] à NUNEARON (ROYAUME-UNI)

de nationalité Anglaise

[…]

[…]

représentée par Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, avocat postulant – barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619

Me Yves-marie JOUBEAUD, avocat – barreau de PARIS, vestiaire : A0221

APPELANTE

****************

Maître F A

Notaire associée, membre de la SCP O A C ET J K, Venant aux droits de la SCP C O A

né le […] à […]

de nationalité Française

[…]

[…]

Maître N O

Notaire associé, membre de la SCP O A C K SCP titulaire d’un office notarial venant aux droits de la SCP O C A.

né le […] à […]

de nationalité Française

[…]

[…]

Représentant : Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52 – N° du dossier 019437

Maître P A

Retraité ancien membre de la SCP C O A désormais intitulée SCP O A C K, SCP titulaire d’un office notarial.

né le […] à […]

de nationalité Française

SCP A C O

[…]

Maître M C

Notaire associé, membre de la SCP C O A, désormais intitulée SCP O A C K, SCP titulaire d’un office notarial sis […].

né le […] à […]

de nationalité Française

[…]

[…]

SCP N O, F A, H C et J K

Venant aux droits de la SCP M C N O ET F A

[…]

[…]

représentés par Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, avocat
- barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52 – N° du dossier 019437

INTIMÉS

****************

Composition de la cour :

En application de l’article 8 de l’ordonnance 2020-304 du 25 mars 2020 portant, notamment, adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale, il a été décidé par le président que la procédure susvisée se déroulerait sans audience.

M Q PALAU, Président chargé du rapport, a rendu compte du dossier dans le délibéré de la cour à Mmes Anne LELIEVRE et Nathalie LAUER, Conseillers.

Les parties en ont été avisées par le greffe le 19 mai 2020 et ces dernières ne s’y sont pas opposées dans le délai de quinze jours.

Vu le jugement du tribunal de grande instance de Versailles en date du 21 mai 2019 qui a statué ainsi :

Rejette la demande formée par Mme D X tendant à mettre en cause la responsabilité civile professionnelle de Me P A, Me M C, Me N O, Me F A et la SCP N O, F A, H C et J K (venant aux droits de la SCP M C, N O et F A),

Condamne Mme D X aux dépens,

Déboute les parties de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Rejette la demande d’exécution provisoire formée par Mme D X.

Vu la déclaration d’appel de Mme Y veuve X en date du 19 juin 2019.

Vu les dernières conclusions en date du 26 mai 2020 de Mme X qui demande à la cour de :

La recevoir en ses conclusions, moyens et fins,

Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a déboutée de sa demande mettant en cause la responsabilité civile professionnelle de Maître P A, Maître M C, Maître N O, Maître F A et la SCP N O, F A, H C et J K (venant aux droits de la SCP M C, N O et F A),

Statuant à nouveau :

Condamner conjointement et solidairement Maître P A, Maître M C, Maître N O, Maître F A et la SCP N O, F A, H C et J K (venant aux droits de la SCP M C, N O et F A), à lui payer la somme de 226.288,28 euros,

Dire que cette somme portera intérêt au taux légal à compter de la date de l’assignation introductive d’instance avec capitalisation des intérêts en application de l’article 1343-2 du code civil,

Condamner conjointement et solidairement Maître P A, Maître M C, Maître N O, Maître F A et la SCP N O, F A, H C et J K (venant aux droits de la SCP M C, N O et F A), à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl Minault Teriitehau agissant par Maître Stéphanie Teriitehau, avocat, et ce conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions en date du 30 mars 2020 de Maître P A, Maître M C, Maître N O, Maître F A et la SCP N O, F A, H C et J K (venant aux droits de la SCP M C, N O et F A) qui demandent à la cour de':

Déclarer Mme Y mal fondée en son appel principal, l’en débouter

Les recevoir en leur appel incident, les y déclarer bien fondés et y faisant droit

Dire et juger qu’ils n’ont commis aucune faute.

En toute hypothèse,

Confirmer la décision dont appel en ce qu’elle a débouté Mme Y de ses demandes, faute pour cette dernière de justifier d’un préjudice en lien de causalité avec la prétendue faute commise par les Notaires,

En conséquence,

Prononcer purement et simplement leur mise hors de cause

Y ajoutant,

Condamner Mme Y à régler à chacun des notaires concluants la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

Condamner Mme Y aux entiers dépens dont le montant sera recouvré par la SCP Courtaigne avocats, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Vu l’ordonnance de clôture en date du 8 juin 2020.

*******************************

FAITS ET PROCÉDURE

Q X a épousé en secondes noces Mme D Y le […] sous le régime de la séparation de biens aux termes d’un contrat de mariage reçu par Maître P A, notaire à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines) le 23 novembre 1977.

Q X est décédé le […], laissant pour lui succéder Mme D X, son conjoint survivant, et ses trois enfants, Mme R X, issue d’une précédente union, M. S X et M. T X, issus de son union avec Mme D X.

A la suite de ce décès, Mme D X a chargé Maître B, notaire, de procéder au règlement de la succession de son mari.

Maître B a demandé à la SCP C-O-A de lui remettre le testament que Q X aurait déposé à l’étude suivant lettre avec accusé de réception du 19 juin 1979.

Par lettre du 18 février 2016, la chambre départementale des notaires a informé Mme D X que le successeur de Maître P A ne retrouvait pas trace d’un testament déposé par Q X.

Par actes des 3 et 4 octobre 2017, Mme D Y veuve X a fait assigner Maître P A, Maître M C, Maître N O, Maître F A et la SCP C -O-A devant le tribunal de grande instance de Versailles qui a prononcé le jugement dont appel.

Aux termes de ses conclusions précitées, Mme X expose qu’elle est de nationalité britannique, que, postérieurement à leur mariage, les époux ont demandé à leur notaire, Maître P A, d’établir une donation au dernier vivant et que Maître A les a informés que la donation au

dernier vivant était une institution inconnue du droit britannique et ne pouvait recevoir application en Grande-Bretagne.

Elle expose également qu’il leur a, alors, proposé d’établir un testament olographe instituant chacun des conjoints légataire de la plus forte quotité disponible spéciale prévue par l’article 1094-1 du code civil, un tel testament étant reconnu par le droit international privé et par le droit britannique.

Elle indique que cette quotité correspond, au cas présent, soit à un quart de la succession d’Q X soit à un quart des biens en pleine propriété et trois quarts en usufruit soit à la totalité des biens en usufruit seulement.

Elle précise que Maître B a confirmé cet avis.

Elle affirme que Maître A leur a proposé de leur faire parvenir chacun leur testament pour le déposer au coffre de son étude.

Elle déclare que Q X a, ainsi, fait parvenir son testament, l’instituant légataire de la plus forte quotité disponible spéciale prévue par l’article 1094-1 du code civil, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 19 juin 1979 à Maître A, elle faisant de même.

Elle précise que le notaire lui a adressé une lettre en date du 21 mars 1980 dans laquelle il accuse réception de l’envoi par elle de son testament, lui indique qu’il l’a classé au coffre de l’étude sous le n°2648 et lui demande si elle souhaite que ce testament soit classé au fichier central de disposition des dernières volontés.

Elle souligne qu’il mentionne, dans ce courrier, qu’il a présenté une demande identique à Q X.

Elle ajoute que, par lettre du 8 avril 1980, elle a informé Maître A qu’elle ne demandait pas que son testament soit inscrit au fichier central de disposition des dernières volontés.

Elle expose que Maître B a vainement demandé, après le décès d’Q X, à Maître A de lui remettre le testament qu’Q X avait déposé à l’étude suivant la lettre du 19 juin 1979 et que la chambre interdépartementale des notaires, saisie par elle, l’a informée par lettre du 18 février 2016 que le successeur de Maître A n’avait pas trouvé trace de ce testament.

Elle fait valoir qu’elle n’a pas pu faire valoir, dans la succession d’Q X, les droits que lui conférait son testament soit le choix de la plus forte quotité disponible prévue par l’article 1094-1 du code civil et que ses droits se sont limités à la vocation successorale légale du conjoint survivant prévue par l’article 757 du code civil, en l’espèce, le quart en pleine propriété des biens composant la succession.

Elle relate la procédure.

Elle invoque une faute commise par Maître A et ses successeurs.

Elle rappelle ses développements sur le dépôt par Q X et elle d’un testament auprès de Maître A.

Elle se prévaut de l’accusé de réception du 19 juin 1976 de la lettre adressée par Q X à Maître A qui contenait les testaments originaux d’Q X et d’elle-même.

Elle cite la lettre que Maître A lui a adressée le 21 mars 1980 dans laquelle il lui écrit : « Pouvez-vous me confirmer vos prénoms et nom de jeune fille et m’indiquer -ainsi que l’a fait votre

mari- si vous souhaitez ou non que votre testament adressé à l’Etude le 18 juin 1979 en recommandé, soit inscrit au fichier des dispositions de dernière volonté.»

Elle cite également sa lettre en réponse du 8 avril 1980 dans laquelle elle lui demande le montant de ses honoraires pour l’établissement de son testament ainsi que celui de son mari.

Elle cite enfin la lettre des époux à Maître A du 10 mars 2003 par laquelle ils lui demandent de leur envoyer une copie des dispositions qu’ils s’étaient mutuellement consentis, « sans doute une donation entre époux » ce qu’il n’a pas fait.

Elle en infère qu’Q X a fait parvenir son testament au notaire.

Elle fait valoir que, dès lors que celui-ci a adressé son testament à Maître A, ce dernier, en sa qualité de dépositaire de confiance, avait l’obligation de le conserver au coffre de son étude. Elle souligne que, dans la lettre qu’il lui a adressée le 21 mars 1980, Maître A a précisé qu’il classait son testament au coffre de l’étude et estime que cette déclaration vaut pour celui d’Q X.

Elle soutient également, invoquant l’article 1927 du code civil et des arrêts, qu’en sa qualité de dépositaire, le notaire est tenu d’apporter, dans la garde du testament, les mêmes soins que si le document émanait de lui-même et qu’il commet une faute engageant sa responsabilité en ne pouvant pas restituer le testament qui lui a été confié.

Elle rappelle que la SCP C-O-A a été, postérieurement au décès d’Q X, dans l’incapacité de restituer son testament et a fortiori de le faire exécuter.

Elle ajoute que la SCP a été dans l’incapacité de restituer son propre testament.

Elle invoque la responsabilité solidaire de Maître A et de ses successeurs.

Elle admet que le testament d’Q X a été reçu par Maître A mais fait valoir que ce sont ses successeurs qui ont été dans l’incapacité de restituer son testament, ainsi que celui de Mme X.

Elle conclut que la perte du testament d’Q X peut donc avoir été commise par Maître P A ou par l’un de ses successeurs, Maîtres C, O ou F A.

Elle excipe d’un arrêt ayant jugé qu’un notaire qui n’avait pas retrouvé, en temps utile, un testament olographe déposé auprès de son prédécesseur était entièrement responsable du préjudice subi par l’ayant droit du testateur.

Elle se prévaut, concernant la responsabilité de la SCP notariale, des articles 15 et 16 de la loi n°66-879 du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles.

Elle cite le jugement.

L’appelante invoque un préjudice.

Elle critique le jugement qui a rejeté sa demande aux motifs qu’en ayant reçu un quart de la succession de son époux, elle a été intégralement remplie de ses droits, et que le testament n’aurait pu être appliqué puisque ses dispositions avaient pour effet de lui léguer une quotité supérieure à la quotité disponible.

Elle rappelle les articles 913 et 1094-1 du code civil.

Elle en conclut que la possibilité de gratifier son conjoint dans la limite maximale de la quotité disponible spéciale entre époux prévue par l’article 1094-1 du code civil est ouverte au défunt quel que soit le nombre d’enfants qu’il laisse à son décès et ce, même en présence d’enfants issus d’une précédente union.

Elle affirme, citant un manuel et un arrêt, qu’en présence d’une libéralité au conjoint survivant, la réserve héréditaire globale des enfants se calcule, non pas par déduction de la quotité disponible ordinaire de l’article 913 du code civil mais par déduction de la quotité disponible spéciale de l’article 1094-1 du code civil.

Elle déclare qu’elle s’élève donc en présence de trois enfants, aux trois quarts en nue-propriété de la succession.

Elle ajoute que si l’option entre les trois quotités disponibles appartient en principe au de cujus, il est fréquent qu’il délègue au conjoint survivant le choix entre les trois quotités prévues par la loi.

Elle soutient donc qu’Q X pouvait, en application de l’article 1094-1 du code civil, la gratifier au-delà de la quotité disponible ordinaire prévue par l’article 913 du code civil, en l’instituant par testament légataire de la plus forte quotité spéciale prévue par l’article 1094-1 du code civil, c’est-à-dire en lui laissant le choix entre la quotité disponible ordinaire de l’article 913 du code civil qui s’élève au quart de la succession en présence de trois enfants, le quart des biens en pleine propriété et les trois autres quarts en usufruit ou la totalité des biens en usufruit.

Elle expose son préjudice.

Elle admet, avec le tribunal, que celui-ci s’analyse en une perte de chance résultant de l’impossibilité pour elle d’établir le contenu du testament de son mari du fait de la faute commise par le notaire dépositaire.

Elle réitère que cette faute l’a empêchée d’établir le contenu de ce testament qui l’avait instituée légataire universelle de la plus forte quotité disponible entre époux prévue par l’article 1094-1 du code civil et, donc, de faire valoir les droits que lui conférait le testament de son mari dans la succession.

Elle rappelle, en réponse aux intimés, que la perte de chance a justement pour objet de réparer « la privation d’une potentialité présentant un caractère de probabilité raisonnable et non un caractère certain ».

Elle expose que les époux, en rédigeant chacun un testament immédiatement après leur mariage, ont voulu se conférer mutuellement des droits successoraux plus importants que la loi ne leur en conférait en l’absence de dispositions testamentaires.

Elle souligne qu’en 1979, lorsqu’ils ont rédigé leurs testaments, le conjoint survivant ne bénéficiait que de droits restreints dans la succession du de cujus puisque sa vocation successorale légale était limitée au quart de la succession en usufruit et que la loi leur permettait de se gratifier mutuellement de la plus forte quotité disponible prévue par l’article 1094-1 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du 3 janvier 1972 qu’elle rappelle.

Elle indique que c’est pour ce motif que les époux avaient souhaité se consentir une donation au dernier vivant qui avait pour objet d’augmenter leur vocation successorale et que, compte tenu de sa nationalité britannique, Maître A leur avait conseillé, plutôt que de se consentir mutuellement une donation au dernier vivant, d’établir chacun un testament olographe instituant l’autre époux légataire de la plus forte quotité disponible spéciale prévue par l’article 1094-1 du code civil.

Elle soutient que la probabilité qu’Q X l’ait instituée légataire de la plus forte quotité disponible spéciale entre époux est établie par les termes de leur lettre du 10 mars 2003, la proximité entre la date du mariage et la date de l’envoi de leurs testaments et la concomitance de ceux-ci.

Elle ajoute qu’Q X qui avait un enfant d’un premier mariage, et dont la différence d’âge avec elle était de quinze ans, était à ce titre conduit à prendre des dispositions protectrices en sa faveur.

Elle conclut que la perte du testament a eu pour conséquence de lui faire perdre toute chance de faire valoir, dans la succession de son mari, la libéralité qu’il lui avait consentie., sa vocation successorale s’étant limitée à la vocation légale, soit un quart en pleine propriété de la succession.

Elle indique que Maître B a établi un décompte de ses droits en présence, d’une part, d’un testament l’instituant légataire de ses biens à hauteur de la plus forte quotité disponible spéciale et, d’autre part, en l’absence de testament.

Elle réitère qu’en l’absence de testament, sa vocation successorale légale est limitée au quart des biens en pleine propriété (article 757 du code civil).

Elle chiffre ses droits, dans cette situation, à la somme de 150.858,10 euros, correspondant à ce qu’elle a perçu au décès de son mari, qui comprend le droit viager au logement estimé à 150.000 euros (60% de l’usufruit) et le reliquat, soit la somme de 858,10 euros.

Elle indique qu’en présence d’un testament l’instituant légataire universelle de ses biens à hauteur de la plus forte quotité disponible spéciale, elle aurait eu le choix d’opter soit pour le quart des biens de la succession en pleine propriété et les trois quarts en usufruit ce qui correspond à la somme de 377.146,38 euros soit pour la totalité des biens en usufruit ce qui représente une somme de 301.717,10 euros.

Elle déclare qu’elle aurait choisi la disposition qui lui est la plus favorable soit le quart des biens de la succession en pleine propriété et les trois quarts en usufruit.

Elle conclut que son préjudice correspond à la différence entre la somme qu’elle a perçue au titre de sa vocation successorale légale et la somme qu’elle aurait perçue si le testament n’avait pas été perdu (377.146,38 euros ' 150.858,10 euros) soit 226.288,28 euros.

Elle réfute les moyens des intimés.

Elle estime qu’ils ne peuvent lui reprocher de ne pas produire un testament olographe écrit, daté et signé de la main d’Q X alors que ce sont eux qui ont perdu le testament olographe original que celui-ci leur avait confié.

Elle ajoute qu’elle ne demande pas l’application du testament dans le cadre du règlement de sa succession- la succession ayant été déjà réglée et le testament qui a été égaré ne pouvant être appliqué- mais la réparation du préjudice qu’elle a subi du fait de la faute du notaire, qui consiste en une perte de chance de faire valoir les droits que lui conférait le testament de son mari dans sa succession.

Elle réitère que les époux peuvent, en application des dispositions de l’article 1094-1 du code civil, se consentir mutuellement, par donation au dernier vivant ou, par testament, des libéralités excédant la vocation successorale légale du conjoint survivant.

Elle souligne que son préjudice correspond à la différence entre les droits qu’elle a reçus en application de sa vocation successorale légale – 150.858,10 euros- et ceux qu’elle aurait reçus en

choisissant la plus forte quotité disponible prévue par l’article 1094-1 du code civil- 377.146,38 euros.

Elle estime inapplicable l’argument fondé sur le fait que le notaire ne peut être tenu au paiement de restitutions auxquelles un contractant est condamné.

Elle fait valoir que les restitutions sont les sommes auxquelles un cocontractant est condamné à la suite de l’annulation d’un contrat et qu’elle ne demande pas le paiement de restitutions consécutives à l’annulation d’un contrat, mais l’indemnisation du préjudice qu’elle a subi par la faute du notaire.

Elle soutient, citant des arrêts, que ce préjudice est un préjudice indemnisable.

Elle conteste que seuls les héritiers réservataires puissent être débiteurs de la somme revendiquée par elle.

Elle rappelle qu’elle ne demande pas l’application du testament dans le cadre de la succession de son époux qui a déjà été réglée mais la condamnation des intimés pour le préjudice subi par elle qui est constitué par l’impossibilité pour elle d’avoir pu faire valoir ses droits dans la succession de son mari par suite de la faute commise par le notaire qui n’a pas pu restituer le testament de celui-ci.

Elle réitère que c’est le notaire qui est responsable du préjudice causé par la perte fautive du testament -et non les héritiers réservataires auxquels elle ne peut réclamer aucune somme en l’absence de testament.

Elle ajoute qu’elle a effectué de nombreuses démarches, qu’elle cite, auprès des intimés ainsi qu’auprès de la chambre interdépartementale des notaires de Versailles avant que la succession de son mari ne soit réglée pour obtenir communication du testament et que ce n’est que plusieurs mois après la réponse de la chambre interdépartementale du 18 février 2016 qui l’informait de la perte du testament et du courrier de la SCP du 11 mars 2016 qui confirmait cette perte que la succession d’Q X a été réglée, le 27 juillet 2016.

Elle conteste donc avoir laissé la succession se régler « sans faire état d’un prétendu testament établi à son profit ».

Elle dément que son action n’aurait pu être engagée qu’en cas de refus opposé par les héritiers d’Q X de voir appliquer le testament aux motifs qu’à défaut de pouvoir produire le testament, elle ne pouvait revendiquer son application et que l’impossibilité pour elle de produire le testament est le résultat de la faute des intimés qui constitue précisément l’objet et le fondement de la présente action.

Elle soutient que le lien de causalité entre la faute et le préjudice n’est pas discutable, dès lors que c’est la perte du testament par eux qui l’a empêchée de faire valoir dans la succession de son mari les droits qui résultaient de son testament.

Elle conteste avoir dû conserver une copie du testament et le faire inscrire au fichier national des dispositions de dernière volonté, le notaire, dépositaire de confiance, ayant l’obligation de conserver le testament et de le faire exécuter au décès.

Elle considère que les époux n’avaient pas à prendre de dispositions particulières pour anticiper une éventuelle carence du notaire dans l’exécution de ses obligations.

Elle estime qu’il ne peut donc leur être reproché de ne pas avoir conservé une copie des testaments et souligne que c’est pour assurer la sécurité de leur testament qu’ils l’ont déposé chez le notaire.

Elle rappelle que la loi n’impose nullement au testateur de conserver une copie de son testament.

Elle affirme en outre que l’inscription du testament au fichier central des dispositions de dernières volontés n’exonère pas le notaire ayant reçu le testament de son obligation de conservation.

Elle ajoute que cette inscription n’aurait pas pu permettre d’établir le contenu du testament.

Elle conclut que la perte du testament et le préjudice qui en est résulté pour elle résultent exclusivement de la faute du notaire.

Aux termes de leurs écritures précitées, Maître P A, Maître M C, Maître N O, Maître F A et la SCP N O, F A, H C et J K (venant aux droits de la SCP M C, N O et F A) rappellent les courriers échangés et la procédure.

Ils contestent toute faute.

Ils reprochent à Mme X de ne verser aucune copie du prétendu testament.

Ils relèvent que, par lettre du 29 juin 2016, Maître B a informé Mme X que la donation entre époux est inconnue du droit britannique et donc inapplicable dans ce pays.

Ils estiment curieux qu’elle l’ait interrogé alors qu’un testament aurait été établi pour pallier cette difficulté.

Ils déclarent ignorer le contenu du courrier de M. X du 19 juin 1979 ayant fait l’objet d’un accusé de réception et s’étonnent que celui-ci n’ait pas conservé la copie de ce contenu, surtout s’il s’agit du testament olographe.

Ils observent que si le courrier du 21 mars 1980 adressé à Mme X fait référence à l’existence d’un testament adressé par M. X il ne précise pas que le testament de ce dernier aurait été classé au coffre de l’étude.

Ils relèvent, s’agissant de la copie de la lettre adressée le 8 avril 1980 par Mme X, que celle-ci a conservé la copie du courrier adressé au notaire lui précisant son état civil mais pas la copie des testaments que les époux auraient établis.

Ils ajoutent qu’elle n’a pas souhaité, pour une raison non expliquée, que son testament soit inscrit au fichier central des dispositions des dernières volontés et estiment qu’elle a ainsi pris le risque de s’exposer à des difficultés.

Ils concluent qu’elle ne justifie pas de l’existence et de la consistance du testament qu’aurait pu dresser son mari à son profit.

Ils rappellent le formalisme prévu par l’article 970 du code civil et des arrêts aux termes desquels l’authenticité d’un testament perdu ne peut résulter d’un procès- verbal notarié attestant de son contenu.

Ils soulignent que Mme X n’est même pas en mesure de produire une copie du testament allégué.

Ils contestent tout préjudice.

Ils se prévalent des termes du jugement.

Ils réfutent l’existence d’un préjudice indemnisable.

Ils soutiennent qu’eu égard à l’article 913 du code civil, l’appelante ne peut justifier d’aucun préjudice dans la mesure où le testament n’aurait pu être appliqué eu égard aux droits des héritiers réservataires, la part légale lui revenant en qualité de conjoint survivant dans la déclaration de succession représentant un quart de la succession, soit la totalité de la quotité disponible.

Ils relèvent que Mme X n’avait pas invoqué initialement l’article 1094-1 du code civil.

Ils rappellent que seule constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable, à condition que cette éventualité apparaisse suffisamment sérieuse.

Ils affirment que tel n’est pas le cas.

Ils font valoir qu’elle ne justifie pas que Maître A a proposé aux époux d’établir un testament olographe constituant chacun des conjoints légataire universel du conjoint prédécédé et réitèrent qu’elle ne verse aux débats qu’un courrier de Maître B leur précisant que la donation entre époux est inconnue du droit britannique et donc inapplicable dans ce pays.

Ils ajoutent que les autres éléments relatifs à la proximité entre la date du mariage et les accusés de réception des courriers adressés à Maître A, dont le contenu est ignoré, sont sans incidence, pas plus que la différence d’âge entre les époux.

Ils estiment qu’il ne s’agit que de supputations.

Ils rappellent, citant un arrêt, que seule la perte de l’original d’un testament olographe par suite d’un cas fortuit ou d’une force majeure autorise celui qui s’en prévaut à rapporter par tous moyens la preuve de son existence et de son contenu, l’impossibilité pour le bénéficiaire d’un legs de produire l’original égaré par son avocat ne constituant pas un tel cas.

Ils réitèrent qu’en refusant que les testaments invoqués soient inscrits au fichier central des dispositions des dernières volontés, les époux ont pris le risque de s’exposer à des difficultés.

Ils en infèrent qu’ils sont responsables du préjudice dont Mme X demande réparation.

Ils ajoutent qu’elle ne justifie pas de l’opposition des enfants de son époux à la voir bénéficier de ces prétendues dispositions testamentaires.

Ils concluent à l’absence de préjudice.

En réponse à l’appelante, ils lui font grief d’avoir laissé la succession de son époux se régler sans faire état du prétendu testament et de demander réparation au notaire pour n’avoir pu faire valoir les droits que lui conférait celui-ci.

Ils soutiennent qu’il lui incombait de tenter de faire valoir ses prétendus droits découlant du prétendu testament et que ce n’est qu’en cas de refus opposé par les enfants de le voir appliquer qu’elle aurait éventuellement pu se retourner contre le notaire.

Ils relèvent qu’elle ne justifie d’aucune démarche dans ce sens.

Ils affirment qu’elle réclame plus de droits que ceux que conférait la succession de son époux puisque l’intégralité de ces droits a d’ores et déjà été distribué aux ayants-droits de celui-ci.

Ils ajoutent qu’elle occupe actuellement l’appartement litigieux pour lequel elle bénéficierait d’un droit d’usage et d’habitation.

Ils considèrent donc, très subsidiairement, que le seul préjudice dont elle pourrait faire état porterait sur l’absence de droits aux liquidités et aux titres.

Ils relèvent enfin qu’elle sollicite le paiement de la somme de 226 288,28 euros correspondant selon elle au montant de son préjudice, alors qu’elle indique elle-même qu’elle ne peut être indemnisée qu’au titre de la perte de chance.

Ils rappellent que le notaire ne peut être tenu au paiement de restitutions auxquelles un contractant est condamné, ces restitutions ne constituant pas par elle-même un préjudice indemnisable.

Ils en concluent qu’ils ne peuvent être tenus de prendre en charge la prétendue perte subie par Mme X du fait de l’absence de testament à son profit.

Ils lui font enfin grief de ne pas avoir appelé dans la cause les héritiers réservataires qui seuls pourraient être débiteurs de la somme revendiquée par elle.

Ils réitèrent qu’elle ne justifie pas qu’elle aurait tenté d’opposer l’existence d’un testament à son profit qui aurait été écarté par les héritiers réservataires.

Ils considèrent donc qu’en n’entreprenant aucune démarche lors du règlement de la succession de son époux pour faire valoir ses prétendus droits découlant dudit testament, elle est seule à l’origine du préjudice dont elle demande réparation.

Ils estiment que ce n’est qu’à la suite au refus opposé par les héritiers d’appliquer le testament qu’elle aurait pu justifier de la réalité d’un quelconque préjudice.

Ils contestent tout lien de causalité.

Ils soulignent que la faute du notaire doit être la cause efficiente du dommage et, donc, citant des arrêts, que le demandeur doit rapporter la preuve que le préjudice invoqué a pour cause exclusive une faute du notaire.

Ils réitèrent, au vu de leurs développements précités, qu’aucune faute ne peut leur être reprochée.

****************************

Considérant qu’aux termes de l’ancien article 1382 du code civil, devenu l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ;

Considérant qu’il appartient à l’appelante de rapporter la preuve d’une faute des intimés, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre celui-ci et cette faute ;

Considérant que Mme X verse aux débats un avis de réception par Maître A d’un courrier que lui a adressé le 19 juin 1979 Q X ;

Considérant qu’elle produit également une lettre que lui a envoyée la SCP U V et P A le 21 mars 1980';

Considérant que cette lettre- qui a pour références « JM/BP X testament » vise une correspondance de ladite SCP du 20 juin 1979- le lendemain de la signature de l’accusé de réception de la lettre d’Q X- à laquelle il n’a pas été répondu ;

Considérant que la SCP demande à Mme X de lui confirmer divers éléments d’état-civil et de

lui « indiquer-ainsi que l’a fait votre mari-» si elle souhaite que son testament adressé à l’étude le 18 juin 1979 soit inscrit au Fichier central des dispositions de dernière volonté ; que la SCP précise que, dans l’attente d’une réponse, elle classe le testament au coffre de l’étude sous un numéro ;

Considérant qu’en réponse, le 8 avril 1980, Mme X déclare ne pas avoir reçu la lettre précitée, fournit les précisions réclamées, indique qu’elle ne souhaite pas l’inscription du testament au fichier et demande « le montant de vos honoraires pour l’établissement de nos testaments, mon mari et moi » ;

Considérant qu’il résulte de ces échanges qu’Q X a adressé un courrier recommandé à Maître A reçu le 19 juin, que la SCP a écrit à Mme X les 20 juin 1979 et 8 avril 1980 au sujet de son testament et que Mme X a répondu à ses demandes le 8 avril 1980 en faisant état du testament de son conjoint ;

Considérant, surtout, qu’en lui demandant de lui indiquer « ainsi que l’a fait votre mari » si elle souhaitait que son testament soit inscrit au Fichier central des dispositions de dernière volonté, la SCP a reconnu avoir reçu un testament de Q X ; qu’il importe peu qu’elle ne mentionne pas qu’il a été classé au coffre de l’étude dès lors qu’elle admet l’avoir reçu ;

Considérant qu’il ressort de ces courriers qu’Q X et son épouse ont, chacun rédigé un testament olographe qu’ils ont adressé à Maître A et que celui-ci a reçu ;

Considérant que l’interrogation par Mme X, postérieurement au décès de son époux et à la découverte de la perte du testament, de Maître B sur les différences entre une donation entre époux et un testament au regard de la législation britannique ne contredit pas l’existence, reconnue dans la lettre du 21 mars 1980, du testament d’Q X ;

Considérant que Mme X a sollicité en vain, après le décès de son conjoint, la communication par la SCP du testament d’Q X étant observé qu’elle a également réclamé vainement la communication du sien ;

Considérant que le notaire est, conformément à l’article 1927 du code civil, tenu d’apporter dans la garde du testament les mêmes soins que si l’acte émanait de lui-même ; que, dépositaire de confiance compte tenu de son statut, il doit conserver et faire exécuter le testament qui lui a été confié ; qu’en ne pouvant pas restituer le testament qui lui a ainsi été confié, le notaire commet une faute ;

Considérant que la volonté de l’intéressé de ne pas inscrire son testament au fichier précité est sans incidence sur la faute du notaire qui a perdu celui-ci ;

Considérant, de même, que l’absence de conservation par les parties d’une copie ne peut l’exonérer de son manquement ;

Considérant que le testament égaré a été reçu par Maître P A ; que lui-même et ses successeurs sont dans l’incapacité de le restituer ; que tant Maître P A que ses successeurs ont donc engagé leur responsabilité ;

Considérant que la SCP est, aux termes de l’article 16 de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 solidairement responsable avec l’associé des conséquences dommageables de ses actes ;

Considérant que les intimés sont donc tenus in solidum de réparer les conséquences préjudiciables qui résultent de la perte fautive du testament d’Q X ;

Considérant que c’est en raison de la faute des intimés que Mme X ne peut produire le testament de son époux ; que la disparition du testament adressé par son conjoint leur est imputable ;

qu’ils ne peuvent donc utilement lui faire grief de ne pas justifier du respect par Q X du formalisme prescrit par l’article 970 du code civil ;

Considérant que Mme X n’a pu invoquer ce testament dans la liquidation de la succession de son époux ;

Considérant qu’elle a, ainsi, perdu une chance de se prévaloir de dispositions testamentaires en sa faveur ;

Considérant qu’elle ne justifie pas des échanges invoqués avec Maître A sur le choix du legs de la plus forte quotité disponible, la donation au dernier vivant étant inconnue du droit britannique ;

Considérant, toutefois, que, dans leur lettre du 10 mars 2003 adressée à Maître A- qui avait établi leur contrat de mariage-, les époux exposent qu’ils avaient établi « à cette occasion une disposition, sans doute une donation entre époux », dans le cas du décès de l’un d’entre eux et qu’ils n’en trouvent pas trace et lui demandent de les « éclairer à ce sujet et de » leur envoyer un double de cet engagement ;

Considérant qu’il résulte de ce courrier -demeuré sans réponse- qu’ils avaient décidé de mesures afin de donner au survivant des droits excédant ceux qu’il tenait de la loi ;

Considérant que la référence faite par la SCP dans sa lettre du 21 mars 1980 adressée à Mme X au testament d’Q X confirme que les testaments sont dans l’intérêt réciproque de chacun des époux ; que la demande de Mme X de lui indiquer le montant de ses honoraires pour l’établissement des deux testaments corrobore également l’existence d’un intérêt réciproque ;

Considérant, par ailleurs, que le testament d’Q X a été adressé peu après leur mariage ;

Considérant, enfin, que Mme X est née 15 ans après son époux qui avait, de plus, un enfant issu d’une précédente union ;

Considérant que ces circonstances et la proximité du testament et du mariage témoignent de l’intérêt pour Q X de rédiger un testament en faveur de son épouse ;

Considérant que ces éléments démontrent que la faute des notaires intimés a fait perdre à Mme X une chance de se prévaloir d’un testament lui donnant des droits excédant ses droits légaux ;

Considérant que Mme X justifie ainsi d’une perte de chance réparable résultant de la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable ;

Considérant qu’au vu des éléments ci-dessus, cette perte de chance sera évaluée à 75 % ;

Considérant qu’en 1979, l’article 1094 -1 du code civil disposait :

« Pour le cas où l’époux laisserait des enfants ou descendants, soit légitimes, issus ou non du mariage, soit naturels, il pourra disposer en faveur de l’autre époux, soit de la propriété de ce dont il pourrait disposer en faveur d’un étranger, soit d’un quart de ses biens en propriété et des trois autres quarts en usufruit, soit encore de la totalité de ses biens en usufruit seulement » ;

Considérant que le conjoint survivant bénéficiait ainsi de sa vocation légale augmentée de la libéralité excédant cette vocation dans la limite de la quotité disponible spéciale entre époux ;

Considérant que la réserve héréditaire globale des enfants se calculait donc non en déduisant la quotité disponible ordinaire mais en déduisant la quotité disponible spéciale du conjoint survivant ;

Considérant qu’en l’espèce, Mme X pouvait ainsi opter pour la quotité disponible ordinaire soit un quart de la succession, pour la totalité des biens en usufruit ou pour un quart des biens en pleine propriété et les ¾ en usufruit ;

Considérant que ses droits, en l’absence de testament, ont été évalués à la somme de 150.858,10 euros, montant incluant son droit viager au logement, 150.000 euros ;

Considérant qu’il résulte du décompte, non contredit par des pièces émanant notamment d’autres professionnels, de Maître B qu’elle aurait perçu, si elle avait opté pour le quart en pleine propriété et les ¾ en usufruit, des droits à hauteur de 377.146,38 euros et, pour la totalité des biens en usufruit, de 301.717,10 euros ;

Considérant que cette perte n’est donc pas limitée aux seuls titres ou liquidités ;

Considérant qu’en l’absence de tout élément de nature à considérer que Mme X aurait fait le choix d’une option lui apportant des droits moindres, elle aurait opté pour le quart en pleine propriété et les ¾ en usufruit et donc aurait bénéficié de droits d’une valeur de 377.146,38 euros ;

Considérant que la faute des intimés lui a, en conséquence, fait perdre 75% de la somme de 226.288,28 euros soit 169.716 euros ;

Considérant que la volonté de Mme X -voire celle de l’auteur du testament- de ne pas inscrire son testament au Fichier central des dispositions de dernière volonté ne caractérise nullement une faute de la victime, cette inscription étant, au surplus, facultative et ne donnant aucune indication sur le contenu de l’acte ;

Considérant que seule la perte de l’original d’un testament olographe par suite d’un cas fortuit ou d’une force majeure autorise celui qui s’en prévaut à rapporter par tous moyens, lors des opérations successorales, la preuve de son existence et de son contenu ;

Considérant que les motifs pour lesquels l’original du testament n’a pu, en l’espèce, être représenté ne sont pas constitutifs d’un cas fortuit ou d’une force majeure comme le relèvent les intimés ;

Considérant que Mme X ne pouvait donc invoquer le testament égaré par eux dans les opérations de succession de son époux ;

Considérant qu’elle ne pouvait, dès lors, opposer ce document aux héritiers réservataires ;

Considérant qu’en n’invoquant pas ce testament dans le cadre de la succession, elle n’a donc pas commis une faute à l’origine de son préjudice ;

Considérant que, pour le même motif, ce préjudice n’est pas imputable aux héritiers réservataires auxquels le testament ne pouvait être opposé ;

Considérant qu’il ne peut pas davantage lui être fait grief de ne pas avoir entrepris de démarches lui permettant de produire le testament avant la fin des opérations successorales, celles-ci s’étant achevées le 27 juillet 2016, plusieurs mois après les courriers l’informant de la perte du testament ;

Considérant, enfin, que Mme X sollicite la réparation d’un préjudice causé par une faute des notaires ; que sa demande ne porte donc pas sur une restitution mais sur l’indemnisation d’un préjudice ; que celui-ci est indemnisable ;

Considérant, par conséquent, que Mme X rapporte la preuve d’une faute des notaires, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre celui-ci et cette faute ;

Considérant que les intimés devront donc, in solidum, lui payer la somme de 169.716 euros ;

Considérant que cette somme portera intérêts légaux à compter de l’assignation, ceux-ci étant capitalisés dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil ;

Considérant que les intimés devront lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ; que leur demande aux mêmes fins sera, compte tenu du sens du présent arrêt, rejetée ;

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition ;

INFIRME le jugement en ce qu’il a rejeté la demande de Mme X et l’a condamnée au paiement des dépens,

Statuant de nouveau de ces chefs :

CONDAMNE in solidum Maître P A, Maître M C, Maître N O, Maître F A et la SCP N O, F A, H C et J K (venant aux droits de la SCP M C, N O et F A), à payer à Mme X la somme de169.716 euros,

DIT que cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 4 octobre 2017,

DIT que les intérêts seront capitalisés dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil,

Y ajoutant :

CONDAMNE in solidum Maître P A, Maître M C, Maître N O, Maître F A et la SCP N O, F A, H C et J K (venant aux droits de la SCP M C, N O et F A), à payer à Mme X la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

REJETTE les demandes plus amples ou contraires,

CONDAMNE in solidum Maître P A, Maître M C, Maître N O, Maître F A et la SCP N O, F A, H C et J K (venant aux droits de la SCP M C, N O et F A) aux dépens de première instance et d’appel,

AUTORISE la Selarl Minault Teriitehau agissant par Maître Stéphanie Teriitehau, avocat, à recouvrer directement à leur encontre ceux des dépens qu’elle a exposés sans avoir reçu provision ;

— prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

— signé par Monsieur Q PALAU, président, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,

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Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 16 juillet 2020, n° 19/04468