Cour Administrative d'Appel de Versailles, 3ème Chambre, 13 décembre 2011, 10VE00230, Inédit au recueil Lebon

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Patrick Michaud · Études fiscales internationales · 14 juillet 2014

Le Conseil d'Etat a rendu, le 4 juillet 2014, une décision d'une énorme et favorable incidence économique pour les restructurations qui pourront être régularisées dans une neutralité fiscale et aussi juridiquement très riche, publiée au recueil Lebon, portant notamment, d'une part, sur les interactions entre le dispositif institué par l'article 209 B et le principe de neutralité des fusions, et, d'autre part, sur la compatibilité de ce même article avec la liberté d'établissement. Le régime des fusions peut il être contrarié par l'article 290 B O FOUQUET Le principe de neutralité …

 
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Sur la décision

Référence :
CAA Versailles, 3e ch., 13 déc. 2011, n° 10VE00230
Juridiction : Cour administrative d'appel de Versailles
Numéro : 10VE00230
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, 30 novembre 2009, N° 0600885
Identifiant Légifrance : CETATEXT000025115424

Sur les parties

Texte intégral

Vu la requête, enregistrée le 26 janvier 2010 au greffe de la Cour administrative d’appel de Versailles, présentée pour la société BOLLORE, dont le siège est Tour Bolloré 31/32 quai de Dion Bouton à Puteaux (92811), par Me Zoubritzky et Me Dellis, avocats à la Cour ; la société BOLLORE demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 0600885 en date du 1er décembre 2009 par lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et intérêts de retard, des cotisations supplémentaires à l’impôt sur les sociétés et à la contribution additionnelle assise sur cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2000 et 2001 ;

2°) de prononcer la décharge des impositions supplémentaires contestées ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat les frais exposés par elle et non compris dans les dépens en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient qu’après l’absorption, en 1998, de la société SDV, elle a reçu en apport et, ainsi, détenait, au titre des exercices vérifiés, des participations dans les sociétés Sennah Ruber, pour 15,32 % de son capital, laquelle a été fusionnée à compter de l’année 2000 avec la société Socfinasia, Socfinal, pour 16,90 % de son capital et, enfin, Socfinasia précitée, pour 25,72 % en 1999 et 25,76 % en 2000 de son capital ; que les dispositions du 1 bis du I de l’article 209 B ne sont pas applicables aux participations reçues par voie d’apport, mais seulement à celles obtenues par voie d’acquisition ou de souscription représentant plus de 10 % du capital social ; que les notions d’acquisition et d’apports sont distinctes, comme le relève l’instruction référencée 7 S-3-08 du 11 avril 2008 relatives à l’article 885-0 V du code général des impôts ; que, dans la mesure où elle n’a ni souscrit, ni acquis, à compter du 30 septembre 1992, des titres de sociétés établies dans des pays à fiscalité privilégiée, elles ne relève pas du champ d’application des dispositions précitées de l’article 209 B ; que, subsidiairement, sa lecture du texte fiscal est conforme à l’esprit du dispositif de lutte contre l’évasion fiscale qui n’a pas vocation à pénaliser des opérations domestiques de réorganisation, étrangères à toute motivation fiscale ; que les dispositions de l’article 209 B constituent une entrave à la liberté de circulation des capitaux stipulées à l’article 56 du traité instituant de la Communauté européenne ; qu’elles restreignent également la liberté d’établissement prévue à l’article 43 dudit traité alors que l’établissement à l’étranger des sociétés Sennah Ruber, Socfinasia et Socfinal n’est pas purement artificiel, mais répond à une motivation économique qui les a conduites à y exposer des frais de structure élevés ;

…………………………………………………………………………………………..

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité instituant la Communauté européenne, notamment ses articles 43, 48, 56 et 58, devenus les articles 49, 54, 63 et 65 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

Vu le protocole n° 3 au traité d’adhésion du Royaume-Uni, du Danemark et de l’Irlande à la Communauté européenne concernant les îles anglo-normandes et l’île de Man ;

Vu la convention signée à Paris le 1er avril 1958 entre la France et le Grand Duché du Luxembourg modifiée tendant à éviter les doubles impositions ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 29 novembre 2011 :

 – le rapport de M. Locatelli, premier conseiller,

 – et les conclusions de M. Brunelli, rapporteur public ;

Vu, enregistrée le 29 novembre 2011, la note en délibéré transmise pour la société BOLLORE ;

Considérant que la société BOLLORE a absorbé en 1998 la société SDV et a, au terme de l’opération, reçu les participations que cette dernière détenait dans les sociétés Sennah Ruber, fusionnée avec la société Socfinasia en 2000, Socfinasia et Socfinal pour, respectivement, 15,35 %, 25,72 % et 16,90 % de leur capital social ; qu’elle relève régulièrement appel du jugement en date du 1er décembre 2009 par lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires à l’impôt sur les sociétés et à la contribution additionnelle assise sur cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2000 et 2001 à raison des bénéfices de ces trois sociétés, établies, pour la première, dans l’île de Guernesey et, pour les deux autres, au Luxembourg, dans un territoire et un Etat dont les régimes fiscaux sont regardés par l’administration comme privilégiés au sens de l’article 238 A du code général des impôts ;

Considérant qu’aux termes de l’article 209 B dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : I bis 1. Lorsqu’une personne morale passible de l’impôt sur les sociétés exploite une entreprise hors de France ou détient directement ou indirectement 10 p. 100 au moins des actions, parts, droits financiers ou droits de vote dans une société ou un groupement, établi hors de France, ou détient dans une telle société ou groupement une participation dont le prix de revient est égal ou supérieur à 150 millions de francs et que cette entreprise, cette société ou ce groupement est soumis à un régime fiscal privilégié au sens de l’article 238 A, le résultat bénéficiaire de l’entreprise, de la société ou du groupement est réputé constituer un résultat de cette personne morale et, s’il s’agit d’une société ou d’un groupement, ce résultat est retenu dans la proportion des actions, parts, droits financiers qu’elle y détient directement ou indirectement (…) II bis. Les dispositions du I bis ne s’appliquent pas si la personne morale établit que les opérations de l’entreprise, de la société ou du groupement, établi hors de France n’ont pas principalement pour effet de permettre la localisation de bénéfices dans un Etat ou territoire où elle est soumise à un régime fiscal privilégié. Cette condition est réputée remplie notamment : – lorsque l’entreprise, la société ou le groupement établi hors de France a principalement une activité industrielle ou commerciale effective ; – et qu’il réalise ses opérations de façon prépondérante sur le marché local (…) IV. 1. Les dispositions du I bis s’appliquent à raison : a) des créations ou acquisitions d’entreprises mentionnées au 1 du I bis intervenues à compter du 30 septembre 1992 ; b) des acquisitions ou souscriptions d’actions, parts, droits financiers ou droits de vote mentionnés au I bis intervenues à compter de cette même date, ayant pour effet de conférer à la personne morale la détention de 10 p. 100 visée au même 1 du I bis ou, si ce taux est déjà atteint, de le maintenir ou de l’augmenter ; c) des acquisitions ou souscriptions de participations, faites à compter de cette même date, permettant d’atteindre le seuil de 150 millions de francs visé au 1 du I bis ou d’augmenter le montant de la participation si ce seuil est déjà atteint (…) 4. Les dispositions du II bis s’appliquent, à compter du 30 septembre 1992, aux personnes morales passibles de l’impôt sur les sociétés mentionnées au I bis (…)  ; qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article 238 A du même code, dans sa rédaction alors applicable : (…) les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l’Etat ou le territoire considéré si elles n’y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus notablement moins élevés qu’en France (…)  ; qu’il résulte de l’ensemble de ces dispositions qu’elles autorisent, notamment, l’imposition des bénéfices réalisés par une société établie à l’étranger, soumise dans un territoire ou dans un Etat à un régime fiscal privilégié, à condition, d’une part, que les droits acquis, à compter du 30 septembre 1992, dans cette société, excèdent 10 p. 100 au moins de son capital et, d’autre part, que cette société puisse être regardée comme n’ayant pas principalement une activité industrielle ou commerciale effective ;

Sur l’application de la loi fiscale :

Considérant, en premier lieu, que les acquisitions visées au b) du IV du 1 de l’article 209 B précité du code général des impôts s’entendent des catégories d’opérations définies et régies par le droit des sociétés ; que figurent au nombre de ces opérations, celles réalisées par voie d’apports, de cession, de scission, de fusion, d’absorption ou autrement, qui ont pour conséquence le transfert de la propriété des actions, des parts ou des droits financiers détenus dans une société industrielle ou commerciale ; que, par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions du b) du IV du 1 de l’article 209 B ne seraient pas applicables à la société BOLLORE dès lors que les participations en cause ont été acquises par voie d’absorption, et non à la suite d’une cession de titres, ne peut qu’être rejeté ;

Considérant, en second lieu, qu’il résulte de l’instruction que la société BOLLORE détenait, directement ou indirectement, dans les sociétés Sennah Ruber, Socfinasia et Socfinal des participations excédant 10 % de leur capital ; que l’administration soutient, sans être contredite, que leurs bénéfices respectifs n’ont été assujettis à aucun impôt ou en ont été exonérés, dans leur Etat ou territoire d’implantation alors qu’ils auraient été imposés en France à l’impôt sur les sociétés au taux de droit commun ; que, dès lors, l’administration établit que ces sociétés ont été soumises dans l’île de Guernesey et au Luxembourg à un régime fiscal privilégié au sens de l’article 238 A du code général des impôts ;

Considérant que la société BOLLORE ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe en vertu du II bis de l’article 209 B, que la société Sennah Ruber a exercé à Guernesey en 1999 et jusqu’à sa fusion en 2000 avec la société Socfinasia, une activité industrielle ou commerciale effective, ni que cette dernière et la société Socfinal ont déployé une activité effective similaire alors surtout que l’administration fait par ailleurs valoir que ces deux sociétés sont régies par la loi luxembourgeoise du 31 juillet 1929 qui leur interdit expressément l’exercice d’une telle activité ou encore de détenir directement des biens immobiliers ; qu’enfin, la circonstance que ces trois sociétés ont exposé des frais de structures élevés ne suffit pas, à elle seule, à établir l’existence d’une activité industrielle ou commerciale effective ; que, dans ces conditions, la société BOLLORE ne peut être regardée comme justifiant que ses participations de plus de 10 % dans le capital des sociétés Sennah Ruber, Socfinasia et Socfinal n’ont pas eu principalement pour effet, au titre des années vérifiées, de permettre la localisation d’une partie de ses bénéfices dans un territoire ou un Etat au régime fiscal privilégié ; que, par suite, c’est à bon droit que les bénéfices des filiales ont été assujettis en France à l’impôt sur les sociétés, à proportion des droits sociaux que la société BOLLORE y détenait en application de l’article 209 B du code général des impôts ;

Sur le bénéfice de la doctrine administrative :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales : Il ne sera procédé à aucun rehaussement d’impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l’administration est un différend sur l’interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s’il est démontré que l’interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l’époque, formellement admise par l’administration. Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l’interprétation que l’administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu’elle n’avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente  ; que si ces dispositions instituent une garantie contre les changements de doctrine de l’administration, qui permet aux contribuables de se prévaloir des énonciations contenues dans les notes ou instructions publiées, qui ajoutent à la loi ou la contredisent, c’est à la condition que les intéressés entrent dans les prévisions de la doctrine, appliquée littéralement, résultant de ces énonciations ;

Considérant qu’à supposer même que la société BOLLORE a entendu revendiquer le bénéfice de l’instruction administrative référencée 7 S-3-08 du 11 avril 2008, celle-ci se rapporte à l’article 885-0 V bis du code général des impôts, relatif à l’impôt de solidarité sur la fortune ; qu’ainsi, cette instruction ne comporte, sur le point en litige, aucune interprétation de la loi fiscale dont la société requérante pourrait se prévaloir de manière pertinente sur le fondement de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales ;

Sur la compatibilité de l’article 209 B avec les libertés d’établissement et de circulation des capitaux protégées par le traité instituant la Communauté européenne, auquel a succédé le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne :

Considérant que si la fiscalité directe relève de la compétence des Etats membres, ces derniers doivent toutefois exercer celle-ci dans le respect du droit communautaire ;

Considérant que relèvent du champ d’application matériel des stipulations du traité relatives à la liberté d’établissement, les dispositions de droit national qui trouvent à s’appliquer à la détention par un ressortissant de l’Etat membre concerné, dans le capital d’une société établie dans un autre Etat membre, d’une participation lui permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions de cette société et d’en déterminer les activités ; que les dispositions de l’article 209 B du code général des impôts concerne l’imposition, sous certaines conditions, des bénéfices de sociétés établies en dehors de France dans lesquelles une société résidente détient une participation d’au moins 10 % du capital ; qu’ainsi, dans l’hypothèse où la société résidente contrôle la société établie à l’étranger, les dispositions de cet article doivent être examinées au regard de la liberté d’établissement dès lors qu’à supposer que cette législation ait également des effets restrictifs sur la libre circulation des capitaux, de tels effets seraient la conséquence inéluctable d’une éventuelle entrave à la liberté d’établissement et ne justifieraient donc pas, en tout état de cause, un examen autonome de celles-ci au regard de la libre circulation des capitaux ; que, dans l’hypothèse, contraire, où la participation de la société résidente n’est pas de nature à lui conférer une influence certaine sur les décisions de la personne morale étrangère et à lui permettre d’en déterminer les activités, il y a lieu d’examiner la question au regard des stipulations du traité relatives à la libre circulation des capitaux dans la mesure où celles relatives à la liberté d’établissement ne sont pas applicables dans cette seconde hypothèse et où les dispositions de l’article 209 B sont dès lors susceptibles de comporter une restriction autonome à liberté de mouvement des capitaux ;

Considérant qu’il est constant que la société BOLLORE détenait des participations dans les sociétés Sennah Ruber, Socfinasia et Socfinal comprises entre 15 % et 26 % de leur capital ; qu’il ne résulte pas de l’instruction que ces participations lui ont ou, au contraire, ne lui ont pas permis d’exercer une influence certaine sur les décisions de ces sociétés et de déterminer leur activité au point de lui assurer un contrôle sur celles-ci ; que, par suite, les dispositions de l’article 209 B, dès lors qu’elles autorisent, sous certaines conditions, l’imposition des bénéfices de sociétés établies hors de France dans lesquelles une société résidente détient une participation minoritaire, doivent, au premier cas, être examinées au regard de la liberté d’établissement et, au second cas, lorsque les stipulations du traité relatives à la liberté d’établissement ne sont pas applicables, faire l’objet d’un examen autonome au regard de la libre circulation des capitaux ;

En ce qui concerne l’hypothèse où la société requérante serait réputée contrôler les sociétés Sennah Ruber, Socfinasia et Socfinal :

Considérant, en premier lieu, que les articles 43 et 48 du traité instituant la Communauté européenne, devenus les articles 49 et 54 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne doivent s’entendre, tels qu’interprétés par la Cour de justice des Communautés européennes, en ce sens qu’ils s’opposent à l’incorporation, dans l’assiette imposable d’une société résidente établie dans un Etat membre, des bénéfices réalisés par une société étrangère détenue dans un autre Etat membre lorsque ces bénéfices y sont soumis à un niveau d’imposition inférieur à celui applicable dans le premier Etat, à moins qu’une telle incorporation ne concerne que les montages purement artificiels destinés à éluder l’impôt national normalement dû ; que l’application d’une telle mesure d’imposition doit par conséquent être écartée lorsqu’il s’avère, sur la base d’éléments objectifs et vérifiables par des tiers, que, nonobstant l’existence de motivations de nature fiscale, ladite société est réellement implantée dans l’Etat membre d’accueil et y exerce des activités économiques effectives ;

Considérant qu’il est constant que les dispositions de l’article 209 B, notamment celles mentionnées au I bis de cet article, comportent une différence de traitement des sociétés résidentes en fonction du niveau d’imposition frappant la société dans laquelle elles détiennent une participation ; qu’en effet, lorsque la société résidente a pris une participation dans une filiale établie dans un Etat membre dans lequel celle-ci est soumise à un régime fiscal privilégié au sens de l’article 238 A du code général des impôts, les bénéfices réalisés par une telle filiale sont, en vertu de cet article, attribués à la société résidente, qui est imposée sur ces bénéfices ; qu’en revanche, lorsqu’une filiale a été constituée et est imposée en France ou dans un Etat dans lequel elle n’est pas soumise à un régime fiscal privilégié, les dispositions de l’article 209 B ne sont pas applicables et, conformément à la législation relative à l’impôt sur les sociétés, la société résidente n’est pas, dans de telles circonstances, imposée sur les bénéfices de la filiale ; que cette différence de traitement crée un désavantage fiscal pour la société résidente à laquelle l’article 209 B est applicable ; que le traitement fiscal distinct découlant de cet article et le désavantage qui en résulte pour les sociétés résidentes qui disposent d’une filiale soumise dans un autre Etat membre à un régime fiscal privilégié sont ainsi de nature à entraver l’exercice de la liberté d’établissement par de telles sociétés, en les dissuadant de créer, d’acquérir ou de maintenir une société dans un Etat membre dans lequel celle-ci se trouve soumise à un tel niveau d’imposition ; que ces dispositions constituent dès lors une restriction à la liberté d’établissement au sens des articles 43 et 48 du traité instituant la Communauté européenne ;

Considérant, toutefois, qu’il convient d’apprécier si la restriction à la liberté d’établissement découlant des dispositions de l’article 209 B peut être justifiée par des motifs de lutte contre les montages purement artificiels et, le cas échéant, si cette législation s’avère proportionnée au regard de l’objectif poursuivi ; que ces dispositions visent les situations dans lesquelles une société résidente détient, directement ou indirectement, des droits dans une société non résidente qui est soumise, dans l’Etat membre où elle est établie, à un niveau d’imposition notablement inférieur au montant de l’impôt qui aurait dû être acquitté en France si les bénéfices de cette société y avaient été imposés ; qu’en prévoyant l’intégration des bénéfices d’une société relevant d’un régime fiscal privilégié dans l’assiette d’imposition de la société résidente, l’article 209 B permet de contrecarrer des pratiques qui n’auraient d’autre but que d’éluder l’impôt normalement dû sur les bénéfices des activités réalisées sur le territoire français ; que l’article 209 B est donc susceptible d’atteindre l’objectif en considération duquel il a été adopté ; que, dès lors, il y a lieu, pour la Cour, de vérifier si ses dispositions ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif ;

Considérant que l’article 209 B du code général des impôts contient un certain nombre d’exceptions dans lesquelles l’application de l’imposition des bénéfices d’une société non résidente dans le chef de la société résidente est écartée ; que figurent notamment au nombre de ces exceptions, l’accomplissement par la société établie à l’étranger d’une activité industrielle et commerciale effective qui exclut, pour sa part, l’existence d’un montage artificiel dépourvu de tout lien économique réel avec l’Etat membre d’accueil ; qu’à cet effet, le II bis de l’article 209 B prévoit que les dispositions du I bis ne s’appliquent pas si la société résidente produit des éléments concernant la réalité de l’implantation de la société à l’étranger et le caractère effectif des activités industrielles et commerciales de celle-ci, lui permettant de démontrer que l’établissement hors de France de la société concernée n’a pas principalement eu pour effet de permettre la localisation de bénéfices dans un Etat ou un territoire où elle est soumise à un régime fiscal privilégié ; que de telles dispositions, qui sont propres à garantir la réalisation de l’objectif de lutte contre des pratiques abusives qui n’auraient d’autre but que d’éluder l’impôt normalement dû sur les bénéfices des activités réalisées en France, doivent, dans ces conditions, être regardées comme n’allant pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ledit objectif ; que, par suite, elles sont compatibles avec les articles 43 et 48 relatifs à la liberté d’établissement, dont l’objectif, tel qu’interprété par la Cour de justice des Communautés européennes, vise d’abord à permettre à un ressortissant d’un Etat membre de créer un établissement secondaire dans un autre Etat membre pour y exercer ses activités et, par-là, de favoriser l’interpénétration économique et sociale à l’intérieur de la Communauté européenne et que la réalisation de cet objectif implique nécessairement l’implantation réelle de la société concernée dans l’Etat membre d’accueil et l’exercice effectif, par elle, d’une activité économique au moyen d’une installation stable, dans cet Etat, pour une durée indéterminée ;

Considérant que la société BOLLORE n’établit pas, en tout état de cause, que les sociétés Socfinasia et Socfinal ont exercé au Luxembourg une activité industrielle ou commerciale effective ; que, par suite, elle n’est pas fondée à soutenir que les articles 43 et 48 faisaient obstacle à l’application de l’article 209 B du code général des impôts qui, dans les circonstances de l’espèce, ne leur est pas contraire ;

Considérant, en second lieu, qu’aux termes de l’article 299 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l’article 355 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : 1. Le présent traité s’applique au Royaume de Belgique (…) à la République française (…) au Grand-duché de Luxembourg (…) et au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord. / (…) / 6. Par dérogation aux paragraphes précédents : (…) c) les dispositions du présent traité ne sont applicables aux îles Anglo-Normandes et à l’île de Man que dans la mesure nécessaire pour assurer l’application du régime prévu pour ces îles par le traité relatif à l’adhésion de nouveaux États membres à la Communauté économique européenne et à la Communauté européenne de l’énergie atomique, signé le 22 janvier 1972  ; que l’article 2 du protocole n° 3 au traité d’adhésion du Royaume-Uni, du Danemark et de l’Irlande stipule, en ce qui concerne les îles anglo-normandes et l’île de Man, que les droits dont bénéficient les ressortissants de ces territoires au Royaume-Uni ne sont pas affectés par l’acte d’adhésion. Toutefois, ceux-ci ne bénéficient pas des dispositions communautaires relatives à la libre circulation des personnes , dont participe notamment la liberté d’établissement ;

Considérant qu’il résulte de la combinaison de ces stipulations que la société BOLLORE ne peut, en ce qui concerne sa participation au capital de la société Sennah Ruber établie dans l’île de Guernesey, invoquer la méconnaissance du principe relatif à la liberté d’établissement reconnu aux Etats membres par les articles 43 et 48 du traité instituant la Communauté européenne dès lors que l’île de Guernesey y est regardée, pour l’application de ce principe, comme un Etat tiers ; que, dès lors, l’imposition des bénéfices de la société Sennah Ruber, qui est établie dans le territoire de Guernesey, doit faire l’objet d’un examen autonome au regard du principe de libre circulation des capitaux mentionné à l’article 56 du traité instituant la Communauté européenne ;

Considérant qu’aux termes de cet article, devenu l’article 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne : Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites  ; qu’aux termes de l’article 58 du même traité, devenu l’article 65 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : L’article 56 ne porte pas atteinte au droit qu’ont les Etats membres : / a) d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis ; / b) de prendre toutes les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale (…) / 2. Le présent chapitre ne préjuge pas la possibilité d’appliquer des restrictions en matière de droit d’établissement qui sont compatibles avec les traités / 3. Les mesures et procédures visées aux paragraphes 1 et 2 ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l’article 56  ;

Considérant qu’il est constant que les dispositions de l’article 209 B, notamment celles mentionnées au I bis, sont de nature à dissuader les assujettis à l’impôt sur les sociétés de prendre des participations dans des sociétés établies dans d’autres Etats membres ou dans des Etats tiers dans lesquelles ils détiennent, directement ou indirectement, une participation égale à au moins 10 % du capital ; que cette situation constitue dès lors, dans le chef de ces assujettis, une restriction à la liberté des mouvements de capitaux au sens de l’article 56 précité du traité instituant la Communauté européenne ;

Considérant, toutefois, qu’il convient d’apprécier si la restriction à la libre circulation des capitaux découlant des dispositions de l’article 209 B peut être justifiée par des motifs de lutte contre les montages purement artificiels et, le cas échéant, si cette législation s’avère proportionnée au regard de cet objectif ; qu’en l’espèce, les motifs pour lesquels cette restriction est justifiée sont identiques à ceux retenus précédemment pour justifier la restriction à la liberté d’établissement pour l’application de l’article 209 B ; qu’ainsi, et dès lors que la société BOLLORE n’établit pas davantage que la société Sennah Rubber a exercé au titre de l’année 1999 et jusqu’à sa fusion en 2000 avec la société Socfinasia, dans l’île de Guernesey, une activité industrielle ou commerciale effective, elle n’est pas fondée à soutenir que les articles 56 et 58 faisaient obstacle à l’application de l’article 209 B du code général des impôts qui, dans les circonstances de l’espèce, n’est pas contraires à ces articles ;

En ce qui concerne la libre circulation des capitaux dans l’hypothèse où l’article 43 du traité ne s’appliquerait pas, faute pour les participations concernées de permettre le contrôle de l’activité des sociétés Sennah Ruber, Socfinasia et Socfinal :

Considérant que, dans cette hypothèse, il convient également d’apprécier si la restriction à la libre circulation des capitaux découlant des dispositions de l’article 209 B peut être justifiée par des motifs de lutte contre les montages purement artificiels et, le cas échéant, si cette législation s’avère proportionnée au regard de cet objectif ; qu’ainsi qu’il vient d’être dit, les motifs pour lesquels cette restriction est justifiée sont identiques à ceux retenus pour justifier la restriction à la liberté d’établissement pour l’application de l’article 209 B ; que, dès lors, en l’absence d’activité industrielle ou commerciale effective exercée tant dans l’île de Guenesey qu’au Luxembourg par les sociétés Sennah Ruber, Socfinasia et Socfinal, la société BOLLORE n’est pas fondée à soutenir que les stipulations des articles 56 et 58 faisaient obstacle à l’application des dispositions de l’article 209 B du code général des impôts qui, dans les circonstances de l’espèce, ne sont pas contraires aux stipulations de ces articles ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la société BOLLORE n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et intérêts de retard, des suppléments d’impôts litigieux ; que, par suite, les conclusions présentées par la société requérante tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées ;


DECIDE :


Article 1er : La requête de la société BOLLORE est rejetée.

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N° 10VE00230 2

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