Cour de cassation, Chambre sociale, 12 février 2014, 12-20.043, Inédit

  • Heures supplémentaires·
  • Salarié·
  • Horaire·
  • Employeur·
  • Obligation de loyauté·
  • Demande·
  • Code du travail·
  • Message·
  • Titre·
  • Informatique

Chronologie de l’affaire

Commentaire1

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Thierry Vallat · 18 mars 2014

Le travail dissimulé ne paie pas pour l'employeur peu scrupuleux qui exige un horaire de travail supérieur à 35 h/semaine sans payer les heures supplémentaires: il s'expose alors à devoir payer non seulement les rappels d'heures, mais aussi l'indemnité forfaitaire de travail dissimulé prévue par l'article L 8225-1 du code du travail (voir sur le sujet notre article dans le journal du management juridique de décembre 2013: http://issuu.com/legiteam/docs/jmj_38_bd/11?e=1003431/6044545) L'arrêt qui vient d'être rendu par la Cour de cassation le 12 février 2014 (pourvoi n°12-20.043) est …

 
Testez Doctrine gratuitement
pendant 7 jours
Vous avez déjà un compte ?Connexion

Sur la décision

Référence :
Cass. soc., 12 févr. 2014, n° 12-20.043
Juridiction : Cour de cassation
Numéro(s) de pourvoi : 12-20.043
Importance : Inédit
Décision précédente : Cour d'appel de Grenoble, 28 mars 2012
Dispositif : Cassation
Date de dernière mise à jour : 4 novembre 2021
Identifiant Légifrance : JURITEXT000028608163
Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2014:SO00284
Lire la décision sur le site de la juridiction

Sur les parties

Texte intégral

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X… a été engagé le 2 avril 2002 par la société Charles André en qualité de directeur des systèmes d’information ; qu’il a été licencié par lettre du 21 mars 2008 ;

Sur le premier moyen du pourvoi incident de l’employeur :

Attendu que l’employeur fait grief à l’arrêt de l’avoir condamné à payer au salarié les sommes de 156 900 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires, 15 690 euros au titre des congés payés y afférents et 45 000 euros à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, alors, selon le moyen :

1°/ que la société faisait valoir que les messages électroniques produits aux débats par le salarié avaient été falsifiés, en s’appuyant sur les incohérences intrinsèques de ces messages et sur l’avis d’un expert en informatique ; qu’en retenant néanmoins que ces éléments étaient de nature à étayer la demande du salarié, la cour d’appel a omis de répondre aux conclusions de l’employeur et a ainsi violé l’article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que la société faisait valoir que les messages électroniques produits aux débats par le salarié avaient été falsifiés, en s’appuyant sur les incohérences intrinsèques de ces messages et sur l’avis d’un expert en informatique ; qu’en s’abstenant de statuer sur cet incident de faux et de procéder aux vérifications qui sont prévues par l’article 299 du code de procédure civile, la cour d’appel a violé ce texte, par refus d’application ;

3°/ que tout jugement doit être motivé ; que la cour d’appel a retenu en l’espèce que les éléments produits aux débats par le salarié établissaient que l’employeur exigeait de ses subordonnés cadres qu’ils fussent présents de huit heures du matin jusqu’à dix-huit heures ; qu’en se bornant à affirmer, pour retenir que ces éléments étaient de nature à étayer la demande du salarié, qu’il avait au minimum les mêmes contraintes que les salariés de son équipe, sans préciser sur quels éléments elle fondait cette affirmation, la cour d’appel s’est prononcée de manière abstraite, sans déterminer la réalité du nombre des heures de travail réellement accomplies par le salarié, en violation de l’article L. 3171- 4 du code du travail ;

4°/ que l’employeur avait fait valoir que la salarié devait lui-même remplir au fur et à mesure de l’exécution du contrat de travail des « fiches d’attachement » indiquant entre autres son temps de travail, et que ces fiches d’attachement, produites aux débats, ne faisaient pas ressortir l’accomplissement d’heures supplémentaires par le salarié ; qu’en s’abstenant d’examiner cet élément de preuve produit par l’employeur, la cour d’appel a violé, pour cette raison supplémentaire, l’article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu d’abord que les juges ne sont pas tenus de recourir à la procédure de vérification d’écriture s’ils trouvent dans la cause des éléments de conviction suffisants ;

Et attendu ensuite que la cour d’appel, qui n’est pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a fondé sa décision sur les éléments de preuve fournis par les deux parties conformément à l’article L. 3174-4 du code du travail, qu’elle a souverainement appréciés ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le second moyen du pourvoi incident de l’employeur :

Attendu que l’employeur fait grief à l’arrêt de le condamner à payer au salarié la somme de 45 000 euros à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, alors, selon le moyen :

1°/ que la question relative à l’existence d’heures supplémentaires et celle du travail dissimulé présentent un caractère indivisible ou, à tout le moins, un lien de dépendance nécessaire ; que dès lors, la cassation à intervenir sur le premier moyen entraînera par voie de conséquence la censure du chef de l’arrêt critiqué par le second moyen, en application des dispositions de l’article 624 du code de procédure civile ;

2°/ qu’en statuant comme elle l’a fait, par des motifs impuissants à démontrer que la société avait intentionnellement dissimulé certaines heures de travail effectuées par le salarié lui-même, dès lors que les prétendues consignes de l’employeur ne concernaient pas directement celui-ci et dès lors que l’employeur soutenait qu’il était cadre dirigeant de telle sorte qu’il n’était pas soumis aux dispositions relatives au temps de travail, moyen que les juges du fond ont rejeté sans relever qu’il aurait été soutenu de mauvaise foi, la cour d’appel a violé les articles L. 8221-5 et L. 8223-1 du code du travail ;

Mais attendu que la cour d’appel, constatant que l’employeur exigeait par écrit et de façon habituelle de son salarié un horaire de travail supérieur à l’horaire légal sans payer la moindre heure supplémentaire, a estimé que la dissimulation d’une partie du travail accompli revêtait un caractère intentionnel ; que le moyen n’est pas fondé ;

Mais sur le moyen unique du pourvoi principal du salarié :

Vu l’article L. 1232-1 du code du travail ;

Attendu que pour dire le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et rejeter la demande présentée au titre de dommages-intérêts, l’arrêt retient que le salarié avait adopté un comportement déloyal en prenant une position radicalement contraire à celle qu’il avait soutenue par le passé sur le bien fondé d’une demande en paiement d’heures supplémentaires présentée par un autre salarié afin de conforter sa demande personnelle présentée un peu plus tard au même titre, démontrant ainsi son incapacité à faire la distinction entre son intérêt personnel et celui de l’entreprise ;

Qu’en statuant ainsi, alors que le changement d’opinion de l’intéressé sur la valeur des prétentions d’un autre salarié ne pouvait suffire à caractériser un manquement à l’obligation de loyauté, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi incident de l’employeur ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et rejette les demandes indemnitaires du salarié à ce titre, l’arrêt rendu le 29 mars 2012, entre les parties, par la cour d’appel de Grenoble ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Lyon ;

Condamne la société Charles André aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer la somme de 3 000 euros à M. X… ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze février deux mille quatorze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Fabiani et Luc-Thaler, avocat aux Conseils, pour M. X…, demandeur au pourvoi principal

Il est reproché à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir dit que le licenciement de Monsieur X… était fondé sur une cause réelle et sérieuse et de l’avoir débouté de l’ensemble de ses demandes à ce titre ;

AUX MOTIFS QUE sur le licenciement, embauché le 2 avril 2002 en qualité de directeur des services d’information, Jérôme X… était en charge de l’administration du réseau, du développement des programmes, de la gestion du parc, de la maintenance et de l’assistance technique ; qu’au cours de la relation contractuelle, il a fait de nombreuses réclamations relatives à sa rémunération (24 janvier 2003, 29 avril 2005, 30 mai 2005, 22 septembre 2005, 23 novembre 2005, 9 juillet 2007, 13 août 2007, 11 octobre 2007, 30 novembre 2007, 13 décembre 2007, 21 janvier 2008) ; que la dernière est un courrier recommandé du 15 février 2008 dans lequel il déplore une rémunération inférieure à la rémunération convenue, l’absence d’augmentation de son salaire, les difficultés rencontrées pour obtenir le paiement du bonus et invoque une créance de 44.717 € au titre des salaires et de 239.233 € au titre des heures supplémentaires ; que dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, la Société CHARLES ANDRE lui reproche son manque de loyauté caractérisé par la mise en place d’un programme de suivi des projets préjudiciables aux intérêts de l’entreprise en ce qu’il permet aux salariés de réclamer le paiement d’heures supplémentaires dont la réalité ne peut être vérifiée par l’entreprise ; qu’elle lui reproche également un revirement de position permettant de douter de sa loyauté et de sa capacité à faire la distinction entre son intérêt personnel et celui de la société ; qu’il ressort des explications fournies par les parties lors de l’audience et des pièces versées aux débats, que le système litigieux est destiné à la planification et au suivi des projets menés par les salariés du service informatique ; que bien qu’aucun document contemporain de son élaboration ne soit versé aux débats, il résulte des pièces produites que ce programme n’était en aucune façon un outil de calcul ou de suivi des horaires des, salariés de sorte que si les projets étaient planifiés sur la base d’un horaire de 40 heures par semaine pour les cadres du service, cet horaire était purement théorique et ne pouvait servir de fondement à des réclamations ; que Jérôme X… a rappelé ce point lorsqu’au mois de septembre 2007, Nicolas Y…, salarié du service informatique, a sollicité du directeur des ressources humaines le paiement d’heures supplémentaires ; qu’en réponse à sa demande, Nicolas Y… a été reçu en entretien le 6 septembre 2007, par Serge Z… et Jérôme X…, ce dernier ayant rédigé en ces termes le compte-rendu de l’entretien : « Il montre très clairement que les heures supplémentaires sont un levier pour entamer une discussion avant son départ. (….) Nous lui avons indiqué que nous ne partageons pas son approche et que nous ne sommes pas d’accord sur les heures supplémentaires faites. A aucun moment nous lui avons validé des heures supplémentaires. Ces deux « arguments » sont : 1/ une note que j’aurai faite il y a des années avant son arrivée dans le groupe indiquant que les horaires étaient jusqu’à 18 heures, 2/ la gestion de projet où nous travaillons sur une charge de jours/homme de 40 heures. J’ai donc reprécisé les deux éléments : pour le premier point, un email fut effectivement envoyé avant son arrivée indiquant qu’il n’y aurait plus de récupération et que les horaires (….), sur le deuxième point, le suivi de projet se base sur40 heures pour calculer une charge en jours/homme théorique, mais en aucun cas un calcul d’horaires ou un suivi des horaires. De plus, Nicolas peut saisir ce qu’il désire dans le système sans qu’un contrôle de sa hiérarchie ne soit effectué. C’est donc un outil de travail pour la gestion des projets mais non pas un suivi et contrôle des horaires. (…) A la suite de cela NL est venu me voir dans mon bureau pour me demander quels étaient ses horaires. J’ai immédiatement demandé à Jean-Noël A… de venir m’assister comme témoin dans ma réponse afin que celle-ci ne soit pas sortie du contexte. Ma réponse fut : « tes horaires sont ceux en vigueur dans le groupe et spécifié sur le tableau d’affichage à l’entrée principale des employés et sont ceux que tu dois respecter depuis ton entrée dans le groupe » » ; qu’au vu de ce compte-rendu, Richard B…, directeur des ressources humaines, a par courrier du 20 septembre 2007 adressé une fin de non recevoir à Nicolas Y… en reprenant l’argumentation de Jérôme X… sur le deuxième point, expliquant que la charge de 40 heures en jour/homme est purement théorique ; qu’il ressort du compte-rendu du 6 septembre 2007 que selon le concepteur du programme lui-même, il ne peut être utilisé pour calculer ou suivre les horaires dès lors que la saisie se fait sans aucun contrôle de la hiérarchie ; que c’est en des termes dénués de toute ambiguïté que Jérôme X… a contesté la possibilité pour Nicolas Y… de réclamer le paiement d’heures supplémentaires sur la base du programme de gestion de projets et qu’il a fait appel à un salarié de l’entreprise pour lui communiquer sa réponse, afin qu’elle ne soit pas dénaturée ; que deux semaines après qu’il ait formulé une demande tendant au paiement de la somme de 239.233 € au titre des heures supplémentaires et près de six mois après qu’il ait argumenté en faveur du rejet de la demande d’heures supplémentaires de Nicolas Y…, Jérôme X… a écrit à Richard B… : « Je reviens vers toi concernant la demande de paiement des heures supplémentaires de Nicolas Y… et de son action en justice. J’ai vérifié l’ensemble de ces éléments que son avocat a avancé dans ses conclusions et il me paraît évident que sa demande est fondée. Soit nous procédons au paiement de ces heures, soit vous ne désirez pas le faire mais dans ce dernier cas je te demande de me donner des instructions précises par retour de la présente car, comme je viens de le dire, sa demande est fondée » ; que dans ce courrier, Jérôme X… n’explique pas les éléments sur lesquels il s’est appuyé pour revoir sa position et affirme de façon péremptoire que la demande du salarié est justifiée ; que la Société CHARLES ANDRE ne peut sérieusement reprocher à Jérôme X… d’avoir à son insu mis en place un système fortement préjudiciable aux intérêts de l’entreprise, dès lors qu’il était admis que le programme n’avait aucune finalité de contrôle des horaires ; ET QUE le grief concernant la déloyauté doit en revanche être retenu ; qu’il ressort en effet de la chronologie ci-dessus rappelée, qu’à la seule fin de conforter sa demande au titre des heures supplémentaires (239.233 €), Jérôme X… n’a pas hésité à prendre une position radicalement contraire à celle qu’il avait prise quelques mois plus tôt sans expliquer en quoi que ce soit la raison de son revirement ; que la Société CHARLES ANDRE soutient à juste titre que ce revirement traduit l’incapacité de Jérôme X… à faire la distinction entre son intérêt personnel et celui de l’entreprise ; que le manquement du salarié à son obligation de loyauté justifie la rupture du contrat de travail ; que le jugement sera infirmé en ce qu’il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

ALORS, D’UNE PART, QUE ne saurait constituer un manquement à l’obligation de loyauté justifiant le licenciement d’un salarié exerçant les fonctions de Directeur des services d’information, et non celles de Directeur des ressources humaines ou de juriste, le seul fait d’avoir dit qu’il estimait justifiée, eu égard aux pièces produites par son conseil, la demande de paiement d’heures supplémentaires formulée par un autre salarié, alors qu’il avait estimé six mois plus tôt qu’elle ne l’était pas ; qu’en se bornant à retenir, pour infirmer la décision des premiers juges, que « ce revirement traduit l’incapacité de Jérôme X… à faire la distinction entre son intérêt personnel et celui de l’entreprise » et constituerait un manquement à son obligation de loyauté justifiant la rupture de son contrat de travail, la Cour d’appel, qui a statué par des motifs impropres à justifier sa décision, l’a d’ores et déjà privée de base légale au regard de l’article L.1232-1 du Code du travail ;

ALORS, D’AUTRE PART, QUE l’exécution déloyale par un salarié de son contrat de travail implique qu’il ait agi dans le dessein de tromper son co-contractant, en sachant qu’il portait atteinte à ses intérêts ; qu’en estimant que Monsieur X… aurait changé de position quant au bien fondé de la demande de paiement d’heures supplémentaires formulée par un autre salarié, « à seule fin de conforter sa propre demande au titre des heures supplémentaires », ce qui constituerait un manquement à son obligation de loyauté, sans rechercher si son avis avait eu quelque incidence que ce soit sur la demande de Monsieur Y… ou sur sa propre demande, recherche qui lui aurait permis de constater que cet avis n’avait pas engagé l’entreprise et qu’elle avait persisté à refuser aux deux salariés le paiement d’heures supplémentaires, alors même que celle de Monsieur X… s’était avérée parfaitement fondée, la Cour d’appel a encore privé sa décision de base légale au regard de l’article L.1232-1 du Code du travail ;

ALORS, ENCORE, QUE l’intérêt de l’entreprise est de se conformer aux dispositions légales ; qu’en indiquant à son employeur qu’après examen des éléments avancés par le conseil de Monsieur Y…, la demande de paiement d’heures supplémentaires qu’il formulait lui paraissait finalement fondée et en lui demandant de lui donner des instructions précises selon que la Société accepterait ou non d’accéder à cette demande, Monsieur X… avait agi dans l’intérêt de l’entreprise, dans le but de lui éviter une procédure prud’homale, procédure effectivement engagée par la suite ; qu’en affirmant néanmoins que le changement d’avis de Monsieur X… traduisait son incapacité « à faire la distinction entre son intérêt personnel et celui de l’entreprise » et constituait un manquement à son obligation de loyauté, quand il était dans l’intérêt de l’entreprise d’accéder, si elle s’avérait juridiquement fondée, à la demande de l’un de ses salariés, de sorte que le conseil de Monsieur X… en ce sens ne pouvait être qualifié de déloyal, la Cour d’appel a violé l’article L.1232-1 du Code du travail ;

ALORS, DE SURCROIT, QU’un salarié, fusse-t-il cadre, n’est pas tenu de faire prévaloir l’intérêt de l’entreprise sur son intérêt personnel, dès lors qu’il est fondé dans ses revendications ; que la Cour d’appel, tout en constatant que la demande de Monsieur X… en paiement des heures supplémentaires qui ne lui avaient pas été réglées était justifiée au regard des pièces émanant de la Société elle-même, puisqu’elle exigeait sa présence de 8 heures à 18 heures, voir 19 heures, tout en le rémunérant pour 35 heures hebdomadaires, et qu’il devait lui être alloué en conséquence les sommes de 156.900 € à ce titre, outre 15.690 € au titre des congés payés afférents, a néanmoins conclu au bien-fondé de son licenciement en retenant qu’en changeant de position quant au caractère justifié de la demande similaire d’un autre salarié de l’entreprise, il n’aurait cherché qu’à conforter sa propre demande et aurait ainsi révélé son « incapacité à faire la distinction entre son intérêt personnel et celui de l’entreprise » ; qu’en statuant de la sorte, alors qu’elle constatait que sa demande était juridiquement fondée, elle a violé l’article L.1232-1 du Code du travail ;

ET ALORS, ENFIN, QUE les juges du fond ont l’obligation de vérifier la cause exacte du licenciement ; qu’en déclarant fondé le licenciement de Monsieur X… au motif qu’en changeant d’avis sur le caractère justifié de la demande de paiement d’heures supplémentaires formulée par un salarié de l’entreprise, il aurait manqué à son obligation de loyauté, sans rechercher, ainsi qu’elle y était pourtant invitée par le salarié (Conclusions en appel, p. 12 et p. 15 ), si le licenciement n’était pas en réalité justifié par la réorganisation du groupe annoncée dès le 17 décembre 2007, qui remettait en cause, compte tenu de la séparation des services fonctionnels, et en particulier de l’informatique, les fonctions de directeur des services d’information qui étaient les siennes, et par la décision, actée dès le mois de janvier 2008, de le remplacer, son successeur, Monsieur C…, cadre siégeant au comité de direction, étant d’ores et déjà désigné, de sorte que le manquement invoqué à l’obligation de loyauté n’était qu’un prétexte pour prononcer la rupture, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L.1232-1 du Code du travail.

Moyens produits par la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat aux Conseils, pour la société Charles André, demanderesse au pourvoi incident.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR condamné la société CHARLES ANDRÉ à payer à Monsieur X… les sommes de 156.900 € à titre de rappel d’heures supplémentaires, 15.690 € au titre des congés payés y afférents et 45.000 € à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;

AUX MOTIFS QUE « Sur les heures supplémentaires, la société CHARLES ANDRE n’établit pas en quoi Jérôme X…, qui n’avait aucune délégation de pouvoir, était habilité à prendre des décisions de façon largement autonome ; que la société CHARLES ANDRE ne le contredit pas lorsqu’il indique dans ses écritures qu’il effectuait avec son supérieur hiérarchique les entretiens annuels des membres de son équipe, qu’il recevait des directives et ne circulait pas dans des véhicules de la même gamme que les cadres dirigeants ; que c’est à tort qu’elle soutient qu’il était cadre dirigeant, ce qui ne peut uniquement se déduire de la liberté dont il disposait dans l’organisation de son temps de travail ; que Jérôme X… soutient à bon droit qu’en l’absence de convention de forfait, il était soumis à l’horaire légal de travail, de sorte qu’il peut légitimement réclamer le paiement des heures supplémentaires accomplies au-delà de 35 heures par semaine sur la base desquelles il était rémunéré ; qu’il résulte des pièces produites, que la société CHARLES ANDRE exigeait une grande disponibilité du pôle informatique afin qu’il puisse fournir un service aux filiales ; que c’est ainsi que, dans une note du 17 septembre 2004, Richard B… exigeait la présence des chefs de projet de 8 heures du matin jusqu’à 18 heures et écrivait : « Bien entendu, si le travail l’exige, ils doivent rester plus tard pour dépanner la filiale. Pour les appels d’urgence pendant le déjeuner, merci d’y répondre personnellement » ; que dans de nombreux autres documents (courriers électroniques énumérés par le conseil de prud’hommes), l’employeur exige de la part des cadres, un travail quotidien de 8 heures ; qu’en tant que directeur des systèmes d’information, Jérôme X… avait au minimum les mêmes contraintes que les salariés de son équipe ; que, dans une attestation du 28 juillet 2008, Jean-Noël A…, responsable études et développement dans le service de Jérôme X…, atteste de sa présence quotidienne de 8 heures à 19 heures, sans interruption certains jours de la semaine ; que Jérôme X… établit qu’il travaillait bien au delà de la durée légale du travail, la société CHARLES ANDRE ne pouvant refuser de payer les heures supplémentaires accomplies en invoquant le montant de sa rémunération ; que sur la base d’un horaire de travail de 45 heures par semaine, il sera fait droit dans les limites de la prescription à sa demande au titre des heures supplémentaires (en tenant compte des majorations) à hauteur de 156.900 €, outre 15.690 € au titre des congés payés afférentes ; qu’il ne peut être contesté que l’employeur, qui exige par écrit et de façon habituelle de ses salariés un horaire de travail supérieur à l’horaire légal sans payer la moindre heure supplémentaire, agit de façon intentionnelle ; qu’il sera fait droit à la demande de Jérôme X… sur le fondement de l’article L.8223-1 du Code du travail, à hauteur de la somme de 45.000 € qu’il réclame » ;

ET AUX MOTIFS ADOPTÉS DES PREMIERS JUGES QUE « Sur le paiement des heures supplémentaires et congés payés afférents, l’article L3171-4 du Code du travail stipule qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; qu’au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ; que le contrat de travail du 2 avril 2002 ne contient aucune disposition relative aux horaires et à la durée de travail de Monsieur X… ; que la SA CHARLES ANDRE, comme l’ attestent de nombreux courriels fournis par Monsieur X…, souhaite que les cadres effectuent un horaire de 8 h à 12 h et de 14 h à 18 h, sans récupération, ni paiement d’heures supplémentaires (courriels 17 et 20/09/2004, 7/06/2005, 5 et 11/10/2005, 6/09/2007) ; que les fiches d’attachement mensuelles fournies par l’employeur portent comme seule annotation les jours de congés payés ou les jours d’absence et qu’aucune indication d’horaire n’y figure ; que les bulletins de paye délivrés à Monsieur X… font tous état d’un horaire contractuel de 151,67 heures mensuelles pour cinq jours travaillés par semaine sans que n’apparaissent des heures supplémentaires effectuées ; que l’article L3111-2 du Code du travail stipule que « sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement. » ; que, dans ces conditions, une convention de forfait est signée entre les parties, ce qui n’est pas le cas de Monsieur X… ; que le salaire mensuel de Monsieur X… est de 7.622,50 € ; que le taux de l’heure supplémentaire est de 50,25 € (7.622,50 / 151,67) et le taux majoré (25 %) de 62,81 € ; qu’il convient donc de rémunérer : 5 h x 4,33 = 21,65 h x 62 mois = 1.342,30 h, auxquelles il faut retrancher les congés payés 5 x 35 h x 5 ans = 875 h, soit un total de 467,30 h x 62,81 € = 29.351,11 € au titre des heures supplémentaires et 2.935,11 € au titre des congés payés afférents ; que la demande porte sur la période d’avril 2002 à juin 2008, mais que les salaires ou indemnités sont soumis à la prescription de 5 ans conformément à l’article 2224 du Code civil ; que, par ailleurs, la date de la saisine est le 7 avril 2008, le rappel ne pourra se faire que d’avril 2003 à juin 2008, soit 62 mois ; sur le Conseil condamne la SA CHARLES ANDRE à payer à Monsieur X… la somme de 26. 631,44 € au titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires et 2.663,14 € au titre des congés payés afférents ;

ALORS, D’UNE PART, QUE la société CHARLES ANDRÉ faisait valoir (ses conclusions, pages 13-14) que les messages électroniques produits aux débats par Monsieur X… avaient été falsifiés, en s’appuyant sur les incohérences intrinsèques de ces messages et sur l’avis d’un expert en informatique ; qu’en retenant néanmoins que ces éléments étaient de nature à étayer la demande du salarié, la cour d’appel a omis de répondre aux conclusions de l’employeur et a ainsi violé l’article 455 du Code de procédure civile ;

ALORS, D’AUTRE PART, QUE la société CHARLES ANDRÉ faisait valoir (ses conclusions, pages 13-14) que les messages électroniques produits aux débats par Monsieur X… avaient été falsifiés, en s’appuyant sur les incohérences intrinsèques de ces messages et sur l’avis d’un expert en informatique ; qu’en s’abstenant de statuer sur cet incident de faux et de procéder aux vérifications qui sont prévues par l’article 299 du Code de procédure civile, la cour d’appel a violé ce texte, par refus d’application ;

ALORS, ENSUITE QUE tout jugement doit être motivé ; que la cour d’appel a retenu en l’espèce que les éléments produits aux débats par le salarié établissaient que l’employeur exigeait de ses subordonnés cadres qu’ils fussent présents de huit heures du matin jusqu’à dix-huit heures ; qu’en se bornant à affirmer, pour retenir que ces éléments étaient de nature à étayer la demande de Monsieur X…, qu’il avait au minimum les mêmes contraintes que les salariés de son équipe, sans préciser sur quels éléments elle fondait cette affirmation, la cour d’appel s’est prononcée de manière abstraite, sans déterminer la réalité du nombre des heures de travail réellement accomplies par Monsieur X…, en violation de l’article L.3171-4 du Code du travail ;

ALORS, ENFIN ET EN TOUTE HYPOTHÈSE QUE l’employeur avait fait valoir (ses conclusions, page 21) que Monsieur X… devait lui-même remplir au fur et à mesure de l’exécution du contrat de travail des « fiches d’attachement » indiquant entre autres son temps de travail, et que ces fiches d’attachement, produites aux débats, ne faisaient pas ressortir l’accomplissement d’heures supplémentaires par le salarié ; qu’en s’abstenant d’examiner cet élément de preuve produit par l’employeur, la cour d’appel a violé, pour cette raison supplémentaire, l’article 455 du Code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)

Il est fait grief à l’arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, d’AVOIR condamné la société CHARLES ANDRÉ à payer à Monsieur X… la somme de 45.000 € à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;

AUX MOTIFS QU'« il ne peut être contesté que l’employeur qui exige par écrit et de façon habituelle de ses salariés un horaire de travail supérieur à l’horaire légal sans payer la moindre heure supplémentaire, agit de façon intentionnelle ; qu’il sera fait droit à la demande de Jérôme X… sur le fondement de l’article L. 8223-1 du Code du travail, à hauteur de la somme de 45.000 € qu’il réclame » ;

ALORS, D’UNE PART, QUE la question relative à l’existence d’heures supplémentaires et celle du travail dissimulé présentent un caractère indivisible ou, à tout le moins, un lien de dépendance nécessaire ; que dès lors, la cassation à intervenir sur le premier moyen entrainera par voie de conséquence la censure du chef de l’arrêt critiqué par le second moyen, en application des dispositions de l’article 624 du Code de procédure civile ;

ALORS, D’AUTRE PART, QU’en statuant comme elle l’a fait, par des motifs impuissants à démontrer que la société CHARLES ANDRÉ avait intentionnellement dissimulé certaines heures de travail effectuées par Monsieur X… lui-même, dès lors que les prétendues consignes de l’employeur ne concernaient pas directement celui-ci et dès lors que l’employeur soutenait qu’il était cadre dirigeant de telle sorte qu’il n’était pas soumis aux dispositions relatives au temps de travail, moyen que les juges du fond ont rejeté sans relever qu’il aurait été soutenu de mauvaise foi, la cour d’appel a violé les articles L. 8221-5 et L. 8223-1 du Code du travail.

Extraits similaires
highlight
Extraits similaires
Extraits les plus copiés
Extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour de cassation, Chambre sociale, 12 février 2014, 12-20.043, Inédit