Cour de cassation, Chambre criminelle, 21 mai 2019, 18-84.319, Inédit

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
Cass. crim., 21 mai 2019, n° 18-84.319
Juridiction : Cour de cassation
Numéro(s) de pourvoi : 18-84.319
Importance : Inédit
Décision précédente : Cour d'appel de Dijon, 20 juin 2018
Dispositif : Rejet
Date de dernière mise à jour : 14 décembre 2021
Identifiant Légifrance : JURITEXT000038567360
Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2019:CR00769
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Texte intégral

N° Y 18-84.319 F-D

N° 769

SM12

21 MAI 2019

REJET

SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

— M. W… M…,

— Mme A… H… épouse K… ,

contre l’arrêt de la cour d’appel de DIJON, chambre correctionnelle, en date du 21 juin 2018, qui, a condamné, le premier, pour diffamation publique envers un particulier, à 1 000 euros d’amende et la seconde pour complicité, à 1 000 euros d’amende avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 26 mars 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Parlos, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Lavaud ;

Sur le rapport de M. le conseiller PARLOS, les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIÉ, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général CROIZIER ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire en demande, commun aux demandeurs, le mémoire en défense et les observations complémentaires produits ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 et 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, 23, 29, 35 et 42 de la loi du 29 juillet 1881, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

« en ce que l’arrêt attaqué a confirmé le jugement entrepris qui a condamné M. W… M… et Mme A… K… du chef de diffamation publique envers un particulier à l’encontre de la Sarl ALS Electronics ;

« aux motifs que « La société ALS Electronics et le ministère public font valoir que l’allégation selon laquelle Mme L…, commissaire enquêteur ayant eu la charge de l’enquête publique relative à l’implantation d’un parc éolien en Bourgogne par la société D… Y…, et par ailleurs gérante associée d’une entreprise d’ingénierie électrique prestataire de service pour D… Y…, avec l’indication qu’une plainte a été déposée la concernant pour des faits de complicité de prise illégale d’intérêts, est de nature à porter atteinte à l’honneur et à la considération de la société ALS Electronics ; que les prévenus répliquent qu’il n’en est rien ; que la diffamation visant une personne ne peut rejaillir sur une autre que si les imputations diffamatoires lui sont étendues, fût-ce de manière déguisée ou dubitative, ou par voie d’insinuation ; qu’au cas d’espèce, le contenu de l’article tenu pour diffamatoire par la société ALS Electronics met en cause l’impartialité de Mme L… dont il mentionne qu’elle est associée gérante d’ALS Electronics, en raison des conclusions favorables qu’elle a rédigées au sujet d’un projet de parc éolien par la société D… Y… dont ALS Electronics est prestataire de services ; qu’en imputant à Mme L… une possible prise illégale d’intérêts, dans les conditions précitées, l’article en cause désigne inéluctablement ALS Electronics comme la bénéficiaire des agissements de sa dirigeante, à l’occasion de l’enquête dont elle avait été chargée ; qu’ainsi, cette allégation est de nature à porter atteinte à l’honneur et à la considération de la société ALS Electronics ; que c’est donc à bon droit que les premiers juges ont retenu le caractère diffamatoire à l’égard de cette société des termes qui figurent dans l’article ; que sur l’offre de preuve les prévenus font valoir que la preuve de la vérité de l’intégralité des propos poursuivis est rapportée ; que s’il est démontré que Mme L… était au même moment gérante de la société ALS Electronics et membre titulaire de la commission d’enquête relative à la demande d’autorisation de la société D… Y… d’exploiter un parc éolien, il n’est en revanche pas prouvé par les prévenus que la société ALS Electronics avait comme cliente Mme D… Y… comme cela est mentionné dans l’article en cause ; qu’en effet, s’il ressort des pièces produites que la société ALS Electronics assurait des prestations pour EDF et pour INEO, rien ne démontre qu’il en était de même de Mme D… Y…, ni même que cette dernière était, au moment de l’enquête, filiale de l’une ou l’autre des clientes d’ALS Electronics ; que dès lors, les prévenus ne peuvent se prévaloir des dispositions de l’article 35 de la loi du 29 juillet 1881 ; que sur la bonne foi les prévenus excipent de leur bonne foi pour solliciter leur relaxe ; que l’article incriminé traite d’un sujet d’intérêt général qu’un organe de presse peut légitimement aborder dans le but d’informer le public ; que les termes utilisés ne traduisent aucune animosité personnelle envers la société ALS Electronics ; qu’en revanche, la base factuelle suffisante manque, dès lors que l’affirmation selon laquelle Mme D… Y… était cliente de ALS Electronics ne reposait, au moment de la rédaction de l’article, et sur sa parution, sur aucun élément factuel ; qu’en outre, il apparaît que la journaliste a manqué de prudence et de mesure dans l’expression en affirmant que « cette commissaire, qui a rédigé des conclusions favorables – en juillet dernier – à la réalisation d’un projet de parc éolien en Bourgogne pour la société D… Y… », alors que l’enquête publique et le rapport avaient été confiés à un collège de trois commissaires enquêteurs, de sorte que cette formulation laisse penser au lecteur que la gérante d’ALS Electronics était le seul auteur de ces conclusions ; que le jugement est confirmé en ce qu’il a retenu les prévenus dans les liens de la prévention pour ce qui regarde la diffamation et la complicité de diffamation envers ALS Electronics ; qu’il en est de même des peines prononcées, qui tiennent compte de la nature et de la gravité des faits, des circonstances de leur commission, de l’existence de plusieurs condamnations antérieures dans le même registre pénal pour ce qui concerne M. M… et d’une absence d’antécédents judiciaires pour ce qui regarde Mme K… , ainsi que des ressources et des charges des prévenus, exerçant l’un comme l’autre une activité professionnelle dans un organe de presse ; que sur l’action civile Mme L… et la société ALS Elecronics-Alse sollicitent l’une et l’autre la condamnation in solidum des prévenus à leur payer, à chacune, 10 000 euros à titre de dommages et intérêts ; qu’eu égard à la décision sur l’action pénale, la cour déboute Mme L… de sa demande ; qu’ il apparaît que les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice subi par la société ALS Electronics, de sorte que le jugement est, sur ce point, confirmé ; qu’il n’est pas fait droit à la demande de publication de l’arrêt dans le quotidien le Figaro, aux frais de son directeur de publication, étant observé qu’un droit de réponse a, en son temps, paru dans ce journal ; qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Als Electronics des frais irrépétibles exposés à l’occasion de la procédure ; il lui est alloué, à la charge in solidum des personnes condamnées, 2 500 euros sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale pour l’ensemble de la procédure » ;

« 1°) alors que, la diffamation ne peut être réprimée qu’autant qu’elle impute directement des faits précis attentatoires à l’honneur et à la considération de nature à être, sans difficulté, l’objet d’une preuve ou d’un débat contradictoire ; que les imputations diffamatoires portées à l’encontre d’une personne morale n’échappent pas à cette règle ; que dès lors, n’a pas légalement justifié sa décision, la cour d’appel qui a jugé diffamatoires les propos poursuivis à l’encontre de la société ALS Electronics, lesquels ne constituaient qu’un constat objectif, corroboré par un rapport du service central de la prévention de la corruption, de ce que le secteur des éoliens semblait gangrené par la corruption et les conflits d’intérêts en évoquant les commissaires enquêteurs sans jamais imputer aucun fait précis à Mme L…, laquelle n’était, au demeurant, jamais nommément citée dans l’article litigieux ;

« 2°) alors que, a méconnu le sens et la portée des propos poursuivis la cour d’appel qui a considéré qu’était mise en cause l’impartialité de Mme L… et qu’en lui « imputant (

) une possible prise illégale d’intérêts (

) l’article en cause désigne inéluctablement ALS Electronics comme la bénéficiaire des agissements de sa dirigeante, à l’occasion de l’enquête dont elle avait été chargée » lorsque l’article litigieux se bornait à évoquer l’existence d’une plainte déposée le 13 mai 2016 par le président de l’association« Chazelle-L’Echo Environnement » et le contenu de celle-ci ;

« 3°) alors qu’en tout état de cause, on ne saurait, sans porter une atteinte disproportionnée à la liberté d’information, exiger des journalistes qu’ils se distancient systématiquement et formellement du contenu d’une plainte qui pourrait insulter des tiers, les provoquer ou porter atteinte à leur honneur ; qu’ainsi, a privé sa décision de toute base légale la cour d’appel qui a jugé, sans mentionner aucune raison particulièrement sérieuse, que la diffamation à l’encontre de la société ALS Electronics était punissable en ce qu’elle était prétendument visée comme étant la bénéficiaire des agissements de sa dirigeante quand les propos poursuivis, qui s’inscrivaient dans un problème d’intérêt général, se contentaient d’évoquer le contenu d’une plainte déposée à l’encontre de cette dernière et justifiant l’ouverture d’une enquête préliminaire confiée à la section de recherches de la gendarmerie de Dijon ;

« 4°) alors que, l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme garantit la liberté d’expression, laquelle ne peut faire l’objet d’une limitation qu’à la condition d’être nécessaire dans une société démocratique et proportionnée au but légitime poursuivi ; que l’ingérence litigieuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire, y compris la teneur des propos reprochés aux requérants et le contexte dans lequel ceux-ci les ont tenus ; que n’a pas excédé les limites admissibles de la liberté d’expression, la publication d’un article portant sur les conflits d’intérêts dans le secteur éolien, sujet d’intérêt général mis en avant dans un rapport du service central de la prévention de la corruption, comportant quelques passages relatifs au dépôt d’une plainte du chef de prise illégale d’intérêts à l’encontre d’une commissaire enquêteur, jamais nommément désignée, dont l’opinion n’avait pu être recueillie avant publication et qui avait, postérieurement à cette publication, publié un droit de réponse ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, dans son édition du 30 mai 2016, le quotidien Le Figaro a publié un article signé par Mme K… intitulé « Eoliennes : le vent mauvais de la suspicion », contenant le passage suivant, "la corruption et les conflits d’intérêts dans le secteur éolien dénoncés l’an dernier par un rapport du service central de prévention de la corruption (SCPC) qui qualifiait de «phénomène d’ampleur» les «cas de prise illégale d’intérêts impliquant des élus locaux», semblent gangrener aussi le monde des commissaires enquêteurs … En Côte d’Or, l’un d’entre eux -une femme- est accusée d’avoir été «juge et partie», selon V… X…, auteur de la plainte et président de l’association «Chazelle-l’Echo Environnement». La procédure, qui dénonce «un conflit d’intérêts parfaitement scandaleux», vise la complicité de prise illégale d’intérêts. Cette commissaire, qui a rédigé des conclusions favorables – en juillet dernier – à la réalisation d’un projet de parc éolien en Bourgogne pour la société D… Y…, est par ailleurs associée gérante d’une entreprise prestataire de services pour D… Y…, propriété d’Engie. Selon nos informations, son entreprise d’ingénierie électrique, ALS Electronics, avec comme cliente Mme D… Y…, exploitante des parcs éoliens détenue à 49 % par la société mère D… et à 51 % par Engie, ce groupe étant devenu actionnaire à 100 % en mars dernier» et, reprenant les propos de la présidente de la compagnie nationale des commissaires enquêteurs, Mme Z… R…, cet autre passage « Mais comme partout, il peut exister chez les commissaires enquêteurs des gens moins intègres », déplore-t-elle en découvrant le dossier de Dijon et en regrettant «le peu de réponses» de la commissaire mise en cause par les plaignants ;

Attendu que, le 18 juillet 2016, Mme L…, commissaire enquêteur et gérante de la société Advanced Logic Synthesis for Electronics (la société Als Electronics), ainsi que cette société, ont porté plainte et se sont constituées partie civile des chefs de diffamation publique envers un citoyen dépositaire de l’autorité publique ou un citoyen chargé d’un service public et de diffamation publique envers un particulier ; que M. M…, directeur de la publication, et Mme K… ont été renvoyés, le premier, de ces chefs et, la seconde, du chef de complicité de ces délits devant le tribunal correctionnel, qui les a relaxés des chefs de diffamation publique envers un citoyen dépositaire de l’autorité publique ou un citoyen chargé d’un service public et complicité de ce délit, relevant que Mme L… n’avait pas l’une ou l’autre de ces qualités, et les a déclarés coupables pour le surplus ; que les prévenus, le ministère public et les parties civiles ont relevé appel de cette décision ;

Sur le moyen, pris en ses deux premières branches ;

Attendu que, pour confirmer le jugement sur le caractère diffamatoire des passages litigieux à l’égard de la société ALS Electronics, l’arrêt, après avoir relevé qu’ils mettent en cause l’impartialité de Mme L… dont ils mentionnent qu’elle est associée gérante de cette société, en raison des conclusions favorables qu’elle a rédigées au sujet d’un projet de parc éolien présenté par une entreprise dont la société, plaignante, est prestataire de services, énonce que l’article incriminé désigne inéluctablement celle-ci comme la bénéficiaire des agissements de sa dirigeante, lors de l’enquête dont Mme L… avait été chargée, pouvant recevoir la qualification pénale de complicité de prise illégale d’intérêts ;

Attendu qu’en l’état de ces constatations et énonciations, dont elle a, à bon droit, déduit que les propos poursuivis imputent à la société ALS Electronics un fait, portant atteinte à son honneur ou à sa réputation suffisamment précis, de nature à être, sans difficulté, l’objet d’une preuve et d’un débat contradictoire, la cour d’appel a justifié sa décision ;

D’où il suit que les griefs doivent être écartés ;

Sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches ;

Attendu que pour refuser aux prévenus le bénéfice de la bonne foi, l’arrêt expose, en substance, que, d’une part, si Mme L… a été au même moment gérante de la société ALS Electronics et membre titulaire de la commission d’enquête relative à la demande d’autorisation de la société D… Y… d’exploiter un parc éolien, en revanche, aucun élément n’a établi au moment de la rédaction de l’article et de sa parution que, comme l’indique l’article en cause, la société ALS Electronics avait comme cliente la société D… Y…, d’autre part, la journaliste a manqué de prudence en affirmant que la commissaire en cause a rédigé des conclusions favorables à la réalisation d’un projet de parc éolien en Bourgogne pour la société D… Y…, de sorte que cette formulation laisse penser au lecteur que la gérante de la société partie civile a été le seul auteur de ces conclusions alors que l’enquête publique et le rapport ont été confiés à un collège de trois commissaires enquêteurs ;

Attendu qu’en l’état de ces constatations et énonciations, dont elle a déduit, à juste titre, en dépit de l’existence d’un rapport du service de prévention de la corruption pour l’année 2013, faisant état de l’existence de nombreux cas de prise illégale d’intérêts dans le développement de l’activité éolienne, ainsi que d’une plainte d’une association de défense de l’environnement, dénonçant l’existence de liens commerciaux entre une ancienne filiale du groupe ENGIE, devenue membre à 100 % de ce groupe, lequel est chargé du développement éolien, et la société ALS Electronics, que les propos poursuivis, s’ils s’inscrivaient dans le cadre d’un débat d’intérêt général, ne reposaient pas sur une base factuelle suffisante, la cour d’appel n’a méconnu aucun des textes visés au moyen, lequel ne saurait être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Fixe à 1 500 euros la somme globale que M. M… devra payer à Mme L… et à la société ALS Electronics au titre de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

Fixe à 1 500 euros la somme globale que Mme K… devra payer à Mme L… et à la société ALS Electronics au titre de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt et un mai deux mille dix-neuf ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

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