Cour de discipline budgétaire et financière, Conseil économique et social (CES), 23 avril 2012

  • Cour des comptes·
  • Marchés publics·
  • Dépense·
  • Questeur·
  • Juridiction·
  • Crédit·
  • Secrétaire·
  • Prestation·
  • Imputation·
  • Compte

Résumé de la juridiction

La CDBF a sanctionné le président et le secrétaire général du Conseil économique, social et environnemental (CES-E), nommé CES au moment des faits, du fait de la méconnaissance des prescriptions du code des marchés publics, laquelle constitue une infraction aux règles d’exécution des dépenses (art. L.313-4 du CJF). Elle s’était préalablement prononcée sur sa compétence et son impartialité avant de confirmer l’applicabilité du code des marchés publics au CES-E.

La CDBF rappelle que, selon les dispositions de l’article 2 du code des marchés publics en vigueur au moment des infractions, les prescriptions de ce code s’appliquaient aux marchés conclus par l’Etat. La Cour a retenu que le CES, « assemblée consultative auprès des pouvoirs publics », est un organe de l’Etat et, comme tel, soumis au code des marchés publics. La notion d’« organe de l’Etat » renvoie à la jurisprudence, en particulier à celle du juge communautaire selon lequel en matière de commande publique, tout « organisme dont (…) la composition et les fonctions sont prévues par la loi et qui dépend des pouvoirs publics de par la nomination de ses membres, par la garantie des obligations découlant de ses actes et par le financement des marchés publics (…) doit être considéré comme relevant de l’Etat (…), même s’il n’en fait pas formellement partie » (CJCE, 17 décembre 1998, Commission des Communautés européenne c/ Royaume de Belgique, C-323/96, § 26 à 28). Sur ce point, cf. AJDA 2012, p. 1277.Sur le sujet du CES, cf. Recueil 2009, LP, p. 144.Cet arrêt fait l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat.

Chercher les extraits similaires

Commentaire1

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

www.weka.fr · 9 mai 2012
Testez Doctrine gratuitement
pendant 7 jours
Vous avez déjà un compte ?Connexion

Sur la décision

Référence :
CDBF, 23 avr. 2012, n° 182-682
Numéro(s) : 182-682
Publication : Arrêts, jugements et communications des juridictions financières, 2012. - DILA, 2013, p. 193.Gestion et finances publiques, n° 5, mai 2013, p. 83-87.
Date d’introduction : 23 avril 2012
Date(s) de séances : 23 avril 2012
Textes appliqués :
Infractions : L. 313-2 et L. 313-4 du code des juridictions financières (CJF)
Identifiant Cour des comptes : JF00126902

Sur les parties

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

— - – -

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS,

LA COUR DE DISCIPLINE BUDGETAIRE ET FINANCIERE,
Siégeant à la Cour des comptes, en audience publique, a rendu l’arrêt suivant :

Vu la Constitution, notamment ses articles 69 à 71 ;

Vu le code des juridictions financières, notamment le titre 1er du livre III, relatif à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu l’ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre 1958 modifiée, relative au Conseil économique et social dans sa rédaction applicable à la période considérée ;

Vu l’ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 modifiée, portant loi organique relative aux lois de finances, ordonnance en vigueur antérieurement au 31 décembre 2005, et la loi n°2001-692 modifiée du 1er août 2001 portant loi organique relative aux lois de finances, loi en vigueur à compter du 1er janvier 2006 ;

Vu la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services ;

Vu le code des marchés publics dans sa version issue du décret n° 2004-15 du 7 janvier 2004, applicable à l’époque des faits ;

Vu le décret n° 59-600 du 5 mai 1959 relatif à l’organisation du Conseil économique et social ;

Vu le décret n° 59-601 du 5 mai 1959 relatif au régime administratif et financier du Conseil économique et social dans sa rédaction issue du décret n° 74-236 du 13 mars 1974, applicable à l’époque des faits ;

Vu la lettre du 9 juillet 2009, enregistrée au Parquet général le même jour, par laquelle le Président de la quatrième chambre de la Cour des comptes a informé le Procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, de la décision de ladite chambre, lors de son délibéré du 25 juin 2009, de déférer à la Cour de discipline budgétaire et financière des faits présomptifs d’irrégularités dans la gestion administrative et financière du Conseil économique et social, ci-après CES, au cours des exercices 2004 à 2007, ensemble les pièces à l’appui ;

Vu le réquisitoire du 9 mars 2010 par lequel le Procureur général a saisi la Cour desdites irrégularités, conformément à l’article L. 314-1 du code des juridictions financières ;

Vu la décision du 31 mars 2010 par laquelle le Président de la Cour de discipline budgétaire et financière a nommé en qualité de rapporteur M. Sébastien Heintz, premier conseiller de chambre régionale des comptes ;

Vu les lettres recommandées du 22 septembre 2010 par lesquelles le Procureur général a informé M. Patrice Corbin, secrétaire général du CES du 31 mars 1995 au 7 décembre 2005, M. Jacques Dermagne, président du CES de septembre 1999 jusqu’en novembre 2010, MM. Bernard Devy et Francis Vandeweeghe, questeurs du CES du 21 septembre 2004 au 30 septembre 2010, de l’ouverture d’une instruction dans les conditions prévues à l’article L. 314-4 du code des juridictions financières, ensemble les avis de réception de ces lettres ;

Vu la lettre du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 17 février 2011 transmettant au Procureur général le dossier de l’affaire, après dépôt du rapport d’instruction, conformément aux dispositions de l’article précité ;

Vu la lettre du Procureur général en date du 6 juillet 2011 informant le Président de la Cour de discipline budgétaire et financière de sa décision, après communication du dossier de l’affaire, de poursuivre la procédure en application de l’article L. 314-4 du code des juridictions financières ;

Vu les lettres du 11 juillet 2011 du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière transmettant le dossier pour avis au Premier ministre et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, en application de l’article L. 314-5 du même code, ensemble les avis de réception de ces lettres ;

Vu la lettre du 1er septembre 2011 par laquelle le président de la Cour de discipline budgétaire et financière a transmis au Procureur général le dossier de l’affaire, conformément à l’article L. 314-6 du code des juridictions financières ;

Vu la décision du Procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, en date du 8 décembre 2011, renvoyant MM. Corbin, Dermagne, Devy et Vandeweeghe devant la Cour de discipline budgétaire et financière, conformément à l’article L. 314-6 du code des juridictions financières ;

Vu les lettres recommandées de la greffière de la Cour de discipline budgétaire et financière des 4 et 6 janvier 2012, avisant MM. Corbin, Dermagne, Devy et Vandeweeghe qu’ils pouvaient prendre connaissance du dossier de l’affaire et produire un mémoire en défense dans les conditions prévues à l’article L. 314-8 du code des juridictions financières, et les citant à comparaître le 30 mars 2012 devant la Cour, ensemble les avis de réception de ces lettres ;

Vu le mémoire en défense produit par Me Huglo pour M. Corbin le 7 mars 2012, enregistré au greffe de la Cour le 8 mars 2012, ensemble les pièces à l’appui ;

Vu le mémoire en défense produit par Me Delrue pour M. Devy le 12 mars 2012, enregistré le même jour au greffe de la Cour, ensemble les pièces à l’appui ;

Vu le mémoire en défense produit par Me Dutheil pour M. Vandeweeghe le 12 mars 2012, enregistré le même jour au greffe de la Cour, ensemble les pièces à l’appui ;

Vu la lettre du 21 mars 2012 du Président de la Cour de discipline budgétaire et financière autorisant M. Dermagne, sur sa demande, à ne pas se présenter à l’audience publique ;

Vu le courriel du 23 mars 2012 par lequel Me Huglo a présenté certaines observations sur la procédure au Président de la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la réponse du Président de la Cour adressée le 26 mars 2012 à Me Huglo ;

Vu le courriel du 28 mars 2012 adressé au Président de la Cour par Me Huglo ;

Vu les autres pièces du dossier, notamment les procès-verbaux d’audition et le rapport d’instruction de M. Heintz ;

Entendu le rapporteur, M. Heintz, résumant son rapport écrit, en application des articles L. 314-12 et R. 314-1 du code des juridictions financières ;

Entendu le représentant du ministère public, résumant la décision de renvoi, en application des articles L. 314-12 et R. 314-1 du code des juridictions financières ;

Entendu le Procureur général en ses conclusions, en application de l’article L. 314-12 du code des juridictions financières ;

Entendu en leurs plaidoiries Me Huglo pour M. Corbin, Me Forster pour M. Dermagne, Me Delrue pour M. Devy, Me Dutheil pour M. Vandeweeghe, MM. Corbin, Devy et Vandeweeghe ayant été invités à présenter leurs explications et observations, la défense ayant eu la parole en dernier ;

Après en avoir délibéré sans qu’ait joué la voix prépondérante du Président ;

Sur la compétence de la Cour

Considérant que, selon les dispositions du I de l’article L. 312-1 du code des juridictions financières, est justiciable de la Cour de discipline budgétaire et financière « b) tout fonctionnaire ou agent civil ou militaire de l’Etat, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics, ainsi que des groupements des collectivités territoriales ; c) tout représentant, administrateur ou agent des autres organismes qui sont soumis soit au contrôle de la Cour des comptes, soit au contrôle d’une chambre régionale des comptes ou d’une chambre territoriale des comptes » ;

Considérant que le Conseil économique et social, institué par l’article 69 de la Constitution, est, selon l’article 1 de l’ordonnance n°58 1360 du 29 décembre 1958 « auprès des pouvoirs publics, une assemblée consultative » ; qu’aux termes de l’article 23 de ladite ordonnance dans sa rédaction applicable au moment des faits « les comptes [du CES], sont soumis au contrôle de la Cour des comptes » ; que ce contrôle s’effectue dans les conditions prévues par l’article L. 111-3 du code des juridictions financières ;

Considérant que, dès lors, M. Corbin, secrétaire général, M. Dermagne, président, et MM. Devy et Vandeweeghe, questeurs du CES au moment des faits, étaient respectivement agent, pour le premier, et représentants, pour les suivants, du CES ; qu’ils sont, de ce fait, justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière en application des dispositions précitées du c du I de l’article L. 312-1 du code des juridictions financières ;

Sur l’absence d’avis du Premier ministre et du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie

Considérant qu’en application de l’article L. 314-5 du code des juridictions financières, l’absence de réponse du Premier ministre et du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie à la demande d’avis qui leur avait été adressée le 11 juillet 2011, ne fait pas obstacle à la poursuite de la procédure ;

Sur la prescription

Considérant qu’aux termes de l’article L. 314-2 du code des juridictions financières : « la Cour ne peut être saisie après l’expiration d’un délai de cinq années révolues à compter du jour où aura été commis le fait de nature à donner lieu à l’application des sanctions prévues par le présent titre » ;

Considérant que la communication du président de la quatrième chambre de la Cour des comptes a été enregistrée au Parquet général près la Cour de discipline budgétaire et financière le 9 juillet 2009 ; qu’ainsi, les irrégularités postérieures au 9 juillet 2004 ne sont pas couvertes par la prescription édictée par l’article L. 314-2 du code des juridictions financières ;

Sur la procédure

Considérant, en premier lieu, qu’il est allégué que la Cour de discipline budgétaire et financière, du fait de sa composition et de son fonctionnement, est intimement liée à la Cour des comptes qui la saisit et ne peut, en conséquence, être tenue pour une juridiction impartiale ;

Considérant toutefois que la Cour de discipline budgétaire et financière constitue un ordre de juridiction distinct de la Cour des comptes ;

Considérant au surplus qu’aucune règle ni aucun principe ne s’opposent à ce que, pour sanctionner les infractions définies au titre III du code des juridictions financières, commises par les ordonnateurs et gestionnaires publics, soit institué un organe à compétence juridictionnelle qui comprenne des membres de la Cour des comptes ;

Considérant qu’il est exposé, en deuxième lieu, qu’une similitude de rédaction existerait entre la décision de renvoi de la présente instance et le texte de l’insertion au rapport public de la Cour des comptes pour 2010 relative au financement par le CES d’opérations par prélèvement sur le fonds d’équilibre destiné au fonds de réserve des retraites ; qu’il en résulterait une partialité des membres de la Cour qui ont participé au délibéré de la Cour des comptes ayant approuvé ce rapport public et du ministère public ;

Considérant, d’une part, que l’impartialité à laquelle est tenue la juridiction ne s’applique pas au ministère public ;

Considérant, d’autre part, que l’insertion au rapport public 2010 de la Cour des comptes, ne fait en aucune manière allusion aux présomptions d’infractions déférées à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Considérant ainsi que le motif tiré d’une partialité des membres de la Cour n’est pas fondé ;

Considérant, en troisième lieu, que selon la défense de M. Corbin, ce dernier n’a pas été destinataire des rapports d’observations, provisoires ou définitifs, de la quatrième chambre de la Cour des comptes, relatifs à la gestion du CES ; que ce défaut de transmission constituerait une violation du principe du contradictoire et une rupture de l’égalité des armes avec le ministère public ;

Considérant que les irrégularités alléguées de la procédure devant la Cour des comptes, qui est distincte de la présente instance, sont sans effet sur la régularité de la procédure devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Considérant enfin que le Procureur général, qui est également partie à l’instance, peut, conformément aux articles L. 314-12 et R. 314-1 du code des juridictions financières, présenter son analyse au vu des débats de l’audience publique sous forme de conclusions orales ; que le sens de ces conclusions orales ne peut matériellement être communiqué aux parties préalablement à l’audience publique ; qu’en toute hypothèse, la défense a eu la parole en dernier, à l’issue d’une interruption de séance ;

Considérant ainsi que les principes régissant le procès équitable ont été respectés ;

Sur les faits, leur qualification juridique et les responsabilités

1 – Sur la méconnaissance des prescriptions du code des marchés publics

Considérant qu’aux termes de l’article 2 du code des marchés publics dans sa rédaction alors en vigueur issue du décret n° 2004-15 du 7 janvier 2004, les dispositions de ce code s’appliquent « aux marchés conclus par l’Etat, ses établissements publics autres que ceux ayant un caractère industriel et commercial, les collectivités territoriales et leurs établissements publics » ;

Considérant que le CES, assemblée consultative auprès des pouvoirs publics, est, en tant qu’organe de l’Etat, soumis au code des marchés publics ;

Considérant que l’absence de mention du CES, au moment des faits, à l’annexe IV à la directive 2004/18/CE portant liste des entités adjudicatrices et des pouvoirs adjudicateurs est sans effet sur l’application au CES du code des marchés publics au cours de la période examinée ;

Considérant que selon l’article 29 du code des marchés publics en vigueur au moment des faits, les services de conseil en gestion étaient soumis aux règles de passation des marchés publics ;

Considérant qu’aux termes de l’article 5 dudit code, « la nature et l’étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision par la personne publique avant tout appel à la concurrence ou toute négociation non précédée d’un appel à la concurrence », que « l’autorité compétente détermine le niveau auquel les besoins de fournitures et de services sont évalués. Ce choix ne doit pas avoir pour effet de soustraire des marchés aux règles qui leur sont normalement applicables en vertu du présent code » ;

Considérant qu’en application de l’article 40 du même code, la personne publique, pour les marchés de fournitures et de services d’un montant supérieur à 90 000 € HT pour l’Etat, est tenue de publier un avis d’appel public à la concurrence soit dans le Bulletin officiel des annonces des marchés publics, soit dans un journal habilité à recevoir des annonces légales ; que selon le même article, pour les marchés d’un montant compris entre 4 000 € HT et 90 000 € HT, la personne publique choisit librement les modalités de publicité adaptées au montant et à la nature des travaux, des fournitures ou des services en cause ;

Considérant qu’au premier semestre de l’exercice 2004, le secrétaire général du CES a estimé souhaitable de recruter un prestataire extérieur pour réaliser des prestations dont l’objet se rapportait initialement à l’organisation, le 15 septembre 2004, d’un séminaire des administrateurs, puis pour la préparation et l’animation d’un projet « visant à inscrire le CES dans une perspective de changement », appelé ultérieurement « projet d’amélioration des services et de consolidation de l’activité législative et logistique » ;

Considérant que trois entreprises ont, en dehors de toute formalité de publicité, été auditionnées par un comité de sélection composé du secrétaire général du CES, du directeur des services administratifs, du directeur des services législatifs et économiques et du chef des services des conseillers et du personnel ;

Considérant qu’à la suite de ces auditions une première convention a été conclue le 22 juin 2004 entre le CES et la société « P… », à laquelle ont été confiées la préparation et l’animation du séminaire de rentrée des administrateurs du 15 septembre 2004 ; que cette convention prévoyait un maximum de 8 jours de prestations, soit un coût total de 15 308,80 € TTC ;

Considérant que, sans qu’il y ait eu d’autres consultations, une seconde convention du 1er octobre 2004 a confié à ladite société une mission de diagnostic de la situation du CES et de « préparation et d’animation du projet visant à inscrire le Conseil dans une perspective de changement » ; que, selon cette convention, la prestation devait correspondre à un montant compris entre 86 112 € TTC et 105 248 € TTC ; que ladite convention a été modifiée par deux avenants des 30 juin 2005 et 6 décembre 2005 ; que ces deux avenants ont successivement augmenté le volume des prestations, fixé ces dernières à un montant compris entre 181 792 € TTC et 239 200 € TTC, puis autorisé la prolongation des prestations dans la limite de 80 journées ;

Considérant que les six paiements effectués par le CES au cours des exercices 2004, 2005 et 2006 en faveur de l’entreprise « P… » se sont élevés au total de 353 600 € HT, soit 422 905,60 € TTC, dont 12 800 € HT (15 308,80 TTC) pour la convention du 22 juin 2004 et 340 800 € HT (407 596,80 € TTC) pour les prestations relatives à la convention du 1er octobre 2004 et à ses deux avenants ;

Considérant que, pour ce qui concerne la convention susmentionnée du 1er octobre 2004, le secrétaire général du CES n’a procédé, ou fait procéder, à aucune évaluation préalable des besoins ; que la consultation informelle des trois entreprises n’a pas été précédée de la rédaction d’un cahier des charges ou d’un document écrit équivalent ;

Considérant que les formalités de publicité, prescrites par l’article 40 du code des marchés publics, n’ont pas été effectuées ;

Considérant que les prescriptions des articles 5 et 40 du code des marchés publics ont ainsi été méconnues ; que les modalités de dévolution de la convention du 1er octobre 2004 contrevenaient donc aux principes de libre accès à la commande publique, d’égalité des candidats et de transparence des procédures qui fondent le code des marchés publics ;

Considérant que les conditions d’application de l’article 35-I-4 du code des marchés publics, qui autorise l’attribution de marchés négociés après publicité préalable et mise en concurrence dans les « cas exceptionnels, lorsqu’il s’agit de services dont la nature ou les aléas qui peuvent affecter leur réalisation ne permettent pas une fixation préalable et globale des prix » n’étaient pas réunies ; que le recours à ladite procédure aurait nécessité des formalités de « publicité préalable et mise en concurrence » ce qui n’a pas été le cas ;

Considérant que la procédure de marchés négociés, sans publicité préalable et avec mise en concurrence, prévue par l’article 35-II du code des marchés publics pour les cas d’urgence impérieuse, ne pouvait davantage s’appliquer ; qu’en effet, les prestations de la société « P… » se sont échelonnées de septembre 2004 à décembre 2005 ; que les éventuelles difficultés d’organisation au sein des services administratifs du CES ne pouvaient ni relever de circonstances imprévues ou nouvelles, ni d’une urgence impérieuse ;

Considérant que la procédure de marché négocié sans mise en concurrence et sans publicité préalable dite de « marché complémentaire » relevant de l’article 35-III du code des marchés publics ne pouvait pas non plus être mise en œuvre ; qu’en effet, cette procédure suppose l’existence d’un marché passé préalablement avec mise en concurrence formalisée ; qu’en outre, dans cette hypothèse, « le montant cumulé des marchés complémentaires ne doit pas dépasser 50 % du montant du marché principal », condition en l’espèce non respectée ;

Considérant que la preuve que l’entreprise choisie aurait été la seule susceptible de l’être, compte tenu de l’objet du marché, n’est pas rapportée ;

Considérant que l’article 19 du code des marchés publics dispose : « sauf sujétions techniques imprévues ne résultant pas du fait des parties, un avenant ne peut bouleverser l’économie du marché, ni en changer l’objet » ;

Considérant que les dépenses afférentes à la convention du 1er octobre 2004 représentent plus de trois fois le montant initial de ladite convention ; que dès lors, l’économie du marché a été bouleversée ; que les dispositions de l’article 19 du code des marchés publics ont été méconnues tant par les modifications apportées par les deux avenants, que par le volume horaire et la consistance des prestations ;

Considérant que la méconnaissance des prescriptions du code des marchés publics constitue une infraction réprimée par l’article L. 313-4 du code des juridictions financières aux termes duquel « toute personne visée à l’article L. 312-1 qui, en dehors des cas prévus aux articles précédents, aura enfreint les règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses de l’Etat ou des collectivités, établissements et organismes mentionnés à ce même article ou à la gestion des biens leur appartenant ou qui, chargée de la tutelle desdites collectivités, desdits établissements ou organismes, aura donné son approbation aux décisions incriminées sera passible de l’amende prévue à l’article L. 313-1 » ;

Considérant que M. Corbin, secrétaire général du CES, titulaire d’une délégation de signature accordée par le président du CES, a, après avoir organisé la dévolution de la convention du 1er octobre 2004 en méconnaissance des prescriptions du code des marchés publics, signé ladite convention et les avenants litigieux ;

Considérant qu’aux termes de l’article 7 du décret n° 59-601 du 5 mai 1959 «  la comptabilité du Conseil économique et social comprend (…) en dépenses, le montant des opérations décidées par le Président du Conseil économique et social après visa des questeurs » ; que selon l’article 7 du règlement intérieur, « les questeurs assurent avec le Président la préparation et l’exécution du budget » ;

Considérant que M. Dermagne, en sa qualité de président et ordonnateur du CES, a signé les mandats de paiement ; que MM. Devy et Vandeweeghe, en tant que questeurs, ont visé les mandats de paiement sans formuler d’observation ;

Considérant que la délégation de signature accordée au secrétaire général ne pouvait dispenser le président, à titre principal, et les questeurs, secondairement, de leur devoir de surveillance des opérations en cause ;

Considérant ainsi que MM. Corbin, Dermagne, Devy et Vandeweeghe ont contrevenu, ou laissé contrevenir, aux règles applicables au CES en matière de commande publique, infraction sanctionnée par l’article L. 313-4 du code des juridictions financières ; que leur responsabilité est engagée à ce titre ;

2 – Sur les imputations irrégulières en vue de dissimuler des dépassements de crédits

Considérant qu’aux termes de l’ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, applicable à l’exercice 2005, les chapitres peuvent faire l’objet d’un décret de virement majorant les crédits de 10% au plus de leur dotation initiale ;

Considérant que la nomenclature budgétaire des dépenses, applicable jusqu’en 2005 inclusivement, distinguait au sein du titre III « moyens des services » de la section « services du Premier ministre : III Conseil économique et social » plusieurs parties ; que la première, « personnels – rémunérations d’activité » (chapitres 31-01 et 31-02) avait pour objet exclusif l’imputation de dépenses de personnel, et la quatrième, « dépenses de fonctionnement » (chapitre 34) rassemblait les dépenses des services du CES hors dépenses de personnels ; que pour les exercices 2004 et 2005, les crédits ouverts pour le CES comportaient trois chapitres, dont le 31-01 « indemnités des membres du conseil économique et social et des sections », et le 34-01 « dépenses de matériel » ;

Considérant que l’imputation de dépenses de fonctionnement sur les crédits de personnel était prohibée ; que si l’utilisation des crédits du chapitre 31-01 a pu donner lieu à une interprétation extensive, elle devait nécessairement se rapporter à la rémunération des membres du CES et non pas au fonctionnement administratif de cette institution ;

Considérant, que l’assouplissement des règles de gestion des crédits, autorisé par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) du 1er août 2001, applicable à compter de l’exercice 2006, n’a en aucune manière réduit la séparation entre les crédits de personnels et les autres dépenses ;

Considérant que les dépenses effectuées en faveur de la société « P… », en règlement de quatre factures émises en 2005, ont été imputées sur les crédits du chapitre 31-01 « indemnités des membres du Conseil économique et social et des sections » au compte 662-122 ; que, dans le cadre de l’ordonnance du 2 janvier 1959 susvisée, ce chapitre ne pouvait supporter que les dépenses de rémunération des membres du CES et les frais en lien direct avec leur activité ;

Considérant que deux des mandats de paiement effectués au profit de la société « P… », d’un montant global de 182 748,80 € TTC, ont été payés, sur la demande du secrétaire général, sur le chapitre 31-01 ;

Considérant en outre, que les montants ordonnancés au titre de 2005 sur le chapitre 34-01 « dépenses de matériel » se sont élevés à 3 074 466,75 € pour des crédits ouverts de 3 075 164 € ; que les montants ordonnancés en 2005 au titre des prestations de la société « P… », irrégulièrement imputés sur les crédits du chapitre 31-01 « indemnités membres du Conseil économique et social et des sections », excédaient de 385 850,15 € les crédits disponibles sur le chapitre 34-01 « dépenses de matériel » auquel ils auraient dû être imputés ; que dès lors, l’imputation erronée sur les crédits du chapitre 31-01 « indemnités membres du Conseil économique et social et des sections » a eu pour objet et pour effet de dissimuler le dépassement des crédits sur le chapitre 34-01 « dépenses de matériel » ;

Considérant que cette imputation, irrégulière, constitue une infraction aux dispositions de l’article L. 313-2 du code des juridictions financières qui dispose : « toute personne visée à l’article L. 312-1 qui, pour dissimuler un dépassement de crédit, aura imputé ou fait imputer irrégulièrement une dépense sera passible de l’amende prévue à l’article L. 313-1 » ;

Considérant que M. Corbin a demandé au trésorier du CES de procéder à une imputation irrégulière de deux des mandats sur les crédits du chapitre 31-01, à hauteur de 182 748,80 € TTC, dissimulant un dépassement de crédit sur le chapitre 34-01 de 182 051,55 € ; que la responsabilité de M. Corbin est ainsi engagée sur le fondement de l’article L. 312-2 du code des juridictions financières ;

Considérant par ailleurs que M. Dermagne a demandé au trésorier du CES de procéder à l’imputation irrégulière des deux autres mandats imputés sur les crédits du chapitre 31-01, à hauteur de 203 798,40 € TTC ; que l’imputation était la même que celle des prestations précédentes de l’entreprise « P… » en 2005 ;

Considérant qu’aux termes de l’article 7 du décret n° 59-601 du 5 mai 1959, les crédits du CES « donnent lieu à des retraits de fonds périodiques (…) par le président du CES » ; que le président « en tient informé le bureau » ; que, si le président « peut déléguer tout ou partie de ses attributions », il est tenu de veiller à la correcte exécution du budget et donc à la disponibilité des crédits sur chacun des chapitres budgétaires ; qu’il doit exercer sa vigilance sur la correcte imputation de la dépense ; qu’en signant tous les mandats en cause sans formuler d’observation, le président, M. Dermagne, responsable de l’exécution du budget et des décisions de dépenses, a également, par défaut de vigilance, engagé sa responsabilité sur le fondement de l’article L. 313-2 du code des juridictions financières ;

Considérant en revanche qu’un tel défaut de vigilance ne peut être retenu à l’encontre de MM. Devy et Vandeweeghe qui, en tant que nouveaux questeurs, ne sont pas intervenus dans la mise en œuvre des irrégularités et ne disposaient pas des informations suffisantes pour y mettre un terme ;

Considérant ainsi que la responsabilité de MM. Corbin et Dermagne est engagée sur le fondement de l’article L. 313-2 du code des juridictions financières ;

3 – Sur la méconnaissance des règles en matière de contrôle financier

Considérant que l’article L. 313-1 du code des juridictions financières dispose : « toute personne visée à l’article L. 312-1 qui aura engagé une dépense sans respecter les règles applicables en matière de contrôle financier portant sur l’engagement des dépenses sera passible d’une amende dont le minimum ne pourra être inférieur à 150 € et dont le maximum pourra atteindre le montant du traitement ou salaire brut annuel qui lui était alloué à la date à laquelle le fait a été commis » ;

Considérant que le CES n’est pas soumis au contrôle externe exercé par un représentant du ministre chargé du budget, contrôle prévu par la loi du 10 août 1922 modifiée relative à l’organisation du contrôle des dépenses engagées ;

Considérant qu’à défaut de contrôle des dépenses engagées au CES, l’infraction visée à l’article L. 313-1 du code des juridictions financières n’est pas constituée ;

4 – Sur l’octroi d’un avantage injustifié à la société « P… »

Considérant que l’article L. 313-6 du code des juridictions financières dispose : « toute personne visée à l’article L. 312-1 qui, dans l’exercice de ses fonctions ou attributions, aura, en méconnaissance de ses obligations, procuré à autrui un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, entraînant un préjudice pour le Trésor, la collectivité ou l’organisme intéressé, ou aura tenté de procurer un tel avantage sera passible d’une amende dont le minimum ne pourra être inférieur à 300 € et dont le maximum pourra atteindre le double du montant du traitement ou salaire brut annuel qui lui était alloué à la date de l’infraction » ;

Considérant que la société « P… » a facturé le 5 décembre 2005, pour un montant de 133 952 € TTC, 70 jours de prestations, réalisées entre le 1er juillet et le 5 décembre 2005, alors que les conventions correspondantes passées avec le CES ne permettaient qu’un reliquat de 18,5 jours ; que de surcroît, le second avenant, signé le 6 décembre 2005, confiait à la société prestataire des missions peu précises dans leur définition et recoupant les missions précédemment commandées, potentiellement importantes en volume financier, soit 80 jours maximum, sans mention du tarif, régularisant a posteriori les facturations du 5 décembre 2005 dépassant le cadre contractuel ;

Considérant qu’ainsi la société « P… » a facturé le 31 décembre 2005, pour un montant de 69 846,40 €TTC, un volume de 36,5 jours de prestations, réalisées entre le 7 et le 31 décembre 2005, alors que les conventions correspondantes ne permettaient plus qu’un plafond facturable de 28,5 jours pour l’ensemble des prestations ;

Considérant que M. Corbin a attesté le 19 janvier 2006 en tant que « secrétaire général du Conseil jusqu’au 7 décembre 2005 » que les prestations facturées par la société « P… » avaient été réalisées ; que ces prestations ont été effectuées, en partie, postérieurement au terme des fonctions du secrétaire général ; que cette attestation a contribué à ce que les sommes réglées à la société « P… » excèdent le maximum conventionnel ;

Considérant que, si les prestations effectuées par la société « P… » de 2004 à 2005 correspondent à des tarifs usuels, les sommes facturées ont toutefois dépassé le maximum prévu conventionnellement ; que, même en admettant les régularisations a posteriori résultant de l’avenant du 6 décembre 2005, le total des facturations de la société excède ainsi le total des plafonds de prestations autorisées de 8 jours, soit 15 308,80 € TTC, pour la réalisation de missions inchangées par rapport aux objectifs fixés dans les conventions et les avenants alors en vigueur ;

Considérant toutefois que l’infraction sanctionnée par les dispositions de l’article L. 313-6 du code des juridictions financières suppose l’existence d’un préjudice subi par la personne publique ; que l’existence d’un tel préjudice n’est pas irréfutablement établie et qu’ainsi l’infraction n’est pas constituée ;

Sur les circonstances

Considérant que M. Corbin, secrétaire général du CES, a été averti en temps utile par le trésorier et par le directeur administratif du dépassement des plafonds prévus par le code des marchés publics lors de l’exécution de la convention du 1er octobre 2004, sans tenir compte de ces alertes ; qu’il a par ailleurs personnellement signé, le 19 janvier 2006, des attestations de service fait alors qu’il n’était plus en fonctions ;

Considérant que ces circonstances sont de nature à aggraver la responsabilité de M. Corbin ;

Considérant que M. Dermagne, s’il a méconnu le devoir de surveillance qui s’imposait à lui en sa qualité d’ordonnateur, a été insuffisamment informé par son secrétaire général ; qu’en outre, il a décidé de solder le règlement des factures relatives à l’exécution de la convention du 1er octobre 2004 dans le but d’épargner au CES un contentieux coûteux pour les deniers de l’institution qu’il présidait ;

Considérant que ces circonstances conduisent à atténuer la responsabilité de M. Dermagne ;

Considérant que MM. Devy et Vandeweeghe ont pris leurs fonctions le 21 septembre 2004, soit quelques jours seulement avant la signature de la convention du 1er octobre 2004 ; qu’il résulte de l’instruction qu’ils n’ont disposé que d’une information partielle et tardive au moment où ils ont apposé leur visa sur les mandats de paiement ;

Considérant dès lors que MM. Devy et Vandeweeghe bénéficient de circonstances absolutoires justifiant la relaxe ;

Sur l’amende

Considérant qu’il sera fait une juste appréciation des irrégularités commises et des circonstances de l’espèce en infligeant à M. Corbin une amende de 5 000 € et à M. Dermagne une amende de 500 € ;

Sur la publication au Journal officiel de la république française

Considérant qu’il y a lieu, compte tenu des circonstances de l’espèce, de publier le présent arrêt au Journal officiel de la République française en application de l’article L. 314-20 du code des juridictions financières.

ARRÊTE :

Article 1er : M. Patrice Corbin est condamné à une amende de 5 000 € (cinq mille euros) ;

Article 2 : M. Jacques Dermagne est condamné à une amende de 500 € (cinq cents euros) ;

Article 3 : MM. Bernard Devy et Francis Vandeweeghe sont relaxés des fins de la poursuite ;

Article 4 : Le présent arrêt sera publié au Journal officiel de la République française.

Délibéré par la Cour de discipline budgétaire et financière, le trente mars deux mille douze par M. Migaud, Premier président de la Cour des comptes, Président ; M. Toutée, président de la section des finances du Conseil d’État, vice-président ; MM. Loloum et Pêcheur, conseillers d’État, MM. Vachia et Duchadeuil et Mmes Fradin et Vergnet, conseillers maîtres à la Cour des comptes, M. Larzul, conseiller d’État et M. Geoffroy, conseiller maître à la Cour des comptes.

Lu en audience publique le vingt-trois avril deux mille douze.

En conséquence, la République mande et ordonne à tous huissiers de justice sur ce requis de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous les commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le président de la Cour et la greffière.

Le Président,
Didier MIGAUD

la greffière,
Maryse LE GALL

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour de discipline budgétaire et financière, Conseil économique et social (CES), 23 avril 2012