Conseil d'État, 5ème / 4ème SSR, 7 avril 2016, 376080

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

Vu les procédures suivantes :

Mme A… F… et M. B… F…, agissant en leur nom propre et au nom de leurs enfants mineursD…, E…, C… et G… ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de mettre à la charge des Hôpitaux civils de Colmar et des Hôpitaux universitaires de Strasbourg la réparation des préjudices ayant résulté d’un défaut d’information, pendant la grossesse de Mme F… en 2002, sur le handicap de l’enfant à naître. La caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) du Bas-Rhin a demandé le remboursement de ses débours. Par un jugement n° 0901873 du 6 novembre 2012, le tribunal administratif a rejeté ces demandes.

Par un arrêt n°12NC02068 du 12 décembre 2014, la cour administrative d’appel de Nancy a rejeté l’appel formé contre ce jugement par les consorts F… et la CPAM de Bas-Rhin.

1° Sous le n° 376080, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 mars, 30 avril et 27 novembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, Mme A… F… et M. B… F…, agissant en leur nom propre et au nom de leurs enfants mineursD…, E…, C… etG…, demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre à la charge des Hôpitaux civils de Colmar et des Hôpitaux universitaires de Strasbourg le versement d’une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 376225, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 10 mars et 10 juin 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) du Bas-Rhin demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler le même arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge des Hôpitaux civils de Colmar et des Hôpitaux universitaires de Strasbourg le versement d’une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

…………………………………………………………………………

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

— la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

— le code de l’action sociale et des familles ;

— le code de la santé publique ;

— le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

— le rapport de M. Lionel Collet, conseiller d’Etat,

— les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat des consortsF…, à Me Le Prado, avocat des Hôpitaux universitaires de Strasbourg et des Hôpitaux civils de Colmar , à la SCP Foussard, Froger, avocat de la caisse primaire d’assurance maladie du Bas-Rhin ;

1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme F… a été admise le 20 août 2002, au cours de sa deuxième grossesse, dans le service de gynécologie obstétrique des Hôpitaux civils de Colmar, en raison d’un retard de développement du foetus décelé par son médecin traitant ; que les examens échographiques ayant confirmé une hypotrophie foetale, l’intéressée a été hospitalisée du 22 au 31 août 2002 à l’hôpital Hautepierre à Strasbourg, dépendant des Hôpitaux universitaires de Strasbourg, où des examens spécialisés ont été pratiqués ; qu’elle a donné naissance le 29 octobre 2002 à une fille prénommée D… présentant une arthrogrypose, ainsi qu’un pied bot bilatéral et une fente palatine, entraînant une invalidité dont le taux a été estimé à 80 % ; que ses parents, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom d’D… et de leurs trois autres enfants, ont recherché devant le tribunal administratif de Strasbourg la responsabilité des Hôpitaux civils de Colmar et des Hôpitaux universitaires de Strasbourg au titre d’un défaut de diagnostic de l’état de santé de l’enfant à naître et d’un défaut d’information sur les anomalies constatées lors de la grossesse ; que la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) du Bas-Rhin a demandé le remboursement des frais exposés par elle en raison du handicap de l’enfant ; que, par un jugement du 6 novembre 2012, le tribunal administratif a rejeté les demandes dont il était saisi ; que les consorts F… et la caisse primaire se pourvoient en cassation contre l’arrêt du 9 janvier 2014 par lequel la cour administrative d’appel de Nancy a rejeté les appels qu’ils avaient présentés contre ce jugement ; qu’il y a lieu de joindre leurs pourvois pour statuer par une seule décision ;

Sur l’applicabilité des dispositions de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles :

2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles, dans sa rédaction résultant de la codification, par la loi du 11 février 2005, de dispositions qui figuraient antérieurement aux trois premiers alinéas du I de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : « Nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance. / La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l’acte fautif a provoqué directement le handicap ou l’a aggravé, ou n’a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l’atténuer. / Lorsque la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale » ;

3. Considérant que si l’application de ces dispositions législatives aux personnes ayant engagé avant la date d’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 une action tendant à la réparation des préjudices résultant de la naissance d’un enfant handicapé porterait au droit de ces personnes au respect de leurs biens une atteinte contraire aux stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, il est constant que la naissance d’D… Da Silva-Carvalho et, par suite, l’action indemnitaire portée devant les juges du fond sont postérieures à cette date ; que, dans ces conditions, la cour n’a pas commis d’erreur de droit en écartant le moyen invoqué devant elle, tiré de l’incompatibilité entre ces stipulations et les dispositions de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles ;

Sur le rejet des conclusions indemnitaires présentées au nom d’D… Da Silva-Carvalho et des conclusions présentées par la CPAM du Bas-Rhin subrogée dans les droits de celle-ci :

4. Considérant que, pour rejeter en application des deux premiers alinéas de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles les conclusions relatives à la réparation des préjudices subis par D… Da Silva-Carvalho, l’arrêt attaqué énonce que le handicap dont elle est atteinte est imputable à une anomalie génétique et non à des actes médicaux susceptibles d’engager la responsabilité des Hopitaux civils de Colmar et des Hôpitaux universitaires de Strasbourg ; que ce motif n’étant pas critiqué, l’arrêt attaqué n’encourt pas la cassation en tant qu’il rejette, d’une part, les conclusions présentées par M. et Mme F… au nom d’D… et, d’autre part, les conclusions de la caisse primaire, qui agissait au titre de sa subrogation dans les droits de celle-ci ;

Sur le rejet des conclusions indemnitaires présentées par M. et Mme F… autres que celles présentées au nom de leur filleD… :

5. Considérant qu’il ressort du rapport de l’expert désigné par le tribunal administratif de Strasbourg que les médecins des Hopitaux civils de Colmar et des Hôpitaux universitaires de Strasbourg avaient mis en oeuvre avec diligence tous les moyens disponibles sans parvenir à identifier une pathologie du foetus ; que l’expert indiquait notamment que l’absence de détection, lors des échographies, de la fente labiale et de la malposition des pieds trouvait son origine dans la difficulté particulière de ces examens du fait de l’immobilité du foetus et de l’insuffisance du liquide amniotique et ne résultait pas d’une faute ; qu’en jugeant, après avoir rappelé les examens pratiqués, que les médecins avaient satisfait à l’obligation de moyens qui pesait sur eux dans la recherche d’une pathologie, si bien qu’il ne pouvait leur être reproché d’avoir commis sur ce point une faute caractérisée, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt, n’a pas dénaturé les faits qui lui étaient soumis et leur a donné une exacte qualification juridique ;

6. Mais considérant que l’expert soulignait par ailleurs que l’hypotrophie très marquée du foetus, dont la taille était inférieure au troisième décile, et son immobilité presque totale, rapprochées de la consanguinité des parents et d’un antécédent familial, laissaient fortement soupçonner une affection grave et qu’alors même qu’aucune pathologie n’avait pu être identifiée, Mme F… aurait dû, à son sens, en être informée afin de pouvoir demander l’avis d’un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal sur la possibilité de pratiquer une interruption médicale de grossesse au titre d’une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable, ainsi que le permettaient les dispositions, alors en vigueur, des articles L. 2213-1 et R. 162-27 du code de la santé publique ; qu’il ressort également du rapport de l’expert que les médecins de l’hôpital Hautepierre avaient, lors de l’hospitalisation de Mme F…, soumis son cas au centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal rattaché aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg et que ce centre avait demandé des examens complémentaires sans que l’intéressée en ait été informée et sans que le dossier fasse apparaître un avis rendu au vu du résultat de ces examens ; qu’en ne retenant pas que le défaut d’information de l’intéressée sur l’existence d’un risque de pathologie grave du foetus était constitutif d’une faute caractérisée, la cour a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ;

7. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’arrêt du 9 janvier 2014 de la cour administrative d’appel de Nancy doit être annulé en tant qu’il statue sur les conclusions de M. et Mme F… autres que celles présentées au nom de leur fille D… et relatives à l’indemnisation du préjudice causé par le défaut d’information sur l’existence de risques d’atteinte d’une pathologie grave pour l’enfant à naître ;

8. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge des Hôpitaux civils de Colmar et des Hôpitaux universitaires de Strasbourg, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 500 euros chacun aux consortsF… ; que la CPAM du Bas-Rhin n’obtenant pas l’annulation de l’arrêt en tant qu’il la concerne, les conclusions qu’elle a présentées au même titre ne peuvent être accueillies ;

D E C I D E :

--------------


Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy du 9 janvier 2014 est annulé en tant qu’il statue sur les conclusions de M. et Mme F… autres que celles présentées au nom de leur fille D… et relatives à l’indemnisation du préjudice causé par le défaut d’information sur l’existence de risques d’atteinte d’une pathologie grave pour l’enfant à naître.

Article 2 : L’affaire est renvoyée dans cette mesure à la cour administrative d’appel de Nancy.

Article 3 : Les Hôpitaux civils de Colmar et les Hôpitaux universitaires de Strasbourg verseront chacun aux consorts F… une somme globale de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi des consorts F… et le pourvoi de la CPAM du Bas-Rhin sont rejetés.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme A… F…, à M. B… F…, à la caisse primaire d’assurance maladie du Bas-Rhin, aux hôpitaux civils de Colmar et aux hôpitaux universitaires de Strasbourg.

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