CEDH, Cour (cinquième section), KONRAD c. ALLEMAGNE, 11 septembre 2006, 35504/03

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1Trois arrêts du Conseil d’Etat du 13 décembre 2022 sur l’instruction en famille
Me Rémy Schmitt · consultation.avocat.fr · 19 décembre 2022

L'article 49 de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a soumis l'instruction en famille à un « régime d'autorisation administrative » au lieu du « régime déclaratif » antérieurement en vigueur (conclusions du rapporteur public sur l'arrêt du Conseil d'Etat du 13 décembre 2022, n° 462274). Depuis lors, l'instruction étant obligatoire « pour chaque enfant dès l'âge de trois ans et jusqu'à l'âge de seize ans » (article L. 131-1 du code de l'éducation), « les personnes responsables d'un enfant soumis à (cette) obligation scolaire (…) doivent …

 

2Conclusions du rapporteur public sur l'affaire n°462274
Conclusions du rapporteur public · 13 décembre 2022

Nos 462274 – M. D… 463175 – Association liberté éducation 463177 – Association liberté éducation 463210 – Association les enfants d'abord 463212 – Association les enfants d'abord 463320 – Mme B… et autres 466467 – Association les enfants d'abord 468228 – Fédération nationale de l'enseignement privé 4ème et 1ère chambres réunies Séance du 23 novembre 2022 Lecture du 13 décembre 2022 CONCLUSIONS M. Jean-François de MONTGOLFIER, Rapporteur public I. - Présentation de la réforme En soumettant l'instruction en famille à un régime d'autorisation administrative, la loi du 24 août 2021 confortant …

 

3Conclusions du rapporteur public sur l'affaire n°435002
Conclusions du rapporteur public · 2 avril 2021

N° 435002, Les Enfants d'Abord 3ème et 8ème chambres réunies Séance du 12 mars 2021 Décision du 2 avril 2021 CONCLUSIONS Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique 1. Cette requête, qui a pour toile de fond un sujet sensible et d'actualité, va vous conduire à vous pencher sur la procédure de contrôle de l'instruction dispensée dans la famille, et plus spécifiquement sur la possibilité de recourir à des contrôles inopinés. Comme chacun sait, depuis la loi du 28 mars 1882 portant sur l'organisation de l'enseignement primaire, dite « loi Ferry », l'instruction des enfants est …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 11 sept. 2006, n° 35504/03
Numéro(s) : 35504/03
Publication : Recueil des arrêts et décisions 2006-XIII
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 4 novembre 2003
Jurisprudence de Strasbourg : Camp et Bourimi c. Pays-Bas, no 28369/95, § 37, CEDH 2000-X
Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres c. Turquie [GC], nos 41340/98, 41342/98, 41343/98 et 41344/98, § 89, CEDH 2003-II Eur. Comm. H.R. No. 10233/83, Dec. 6.3.84, D.R. 37, p. 108
Efstratiou c. Grèce, arrêt du 18 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, p. 2359, § 32
Linguistique belge (au principal), arrêt du 23 juillet 1968, série A no 6, p. 32, § 5
Campbell et Cosans c. Royaume-Uni, arrêt du 25 février 1982, série A no 48, p. 16, § 36
Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, arrêt du 7 décembre 1976, série A no 23, pp. 24-25, 27-28, §§ 50, 54
No 17678/91, Dec. 30.6.93, pas publié
No. 19844/92, Dec. 9.7.92, pas publié
Niveau d’importance : Publiée au Recueil
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Inadmissible
Identifiant HUDOC : 001-102839
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2006:0911DEC003550403
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Sur les parties

Texte intégral

(...)

EN FAIT

Les quatre requérants sont M. Fritz Konrad, ressortissant suisse et allemand né en 1951, Mme Marianna Konrad, ressortissante suisse née en 1956, et leurs enfants Rebekka et Josua, qui ont la double nationalité suisse et allemande et qui sont nés en 1992 et 1993 respectivement. Ils résident à Herbolzheim (Allemagne) et sont représentés devant la Cour par Me W. Roth et Me R. Reichert, avocats à Bonn.

A.  Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Les requérants, qui appartiennent à une communauté chrétienne profondément attachée à la Bible, refusent, pour des motifs religieux, toute fréquentation de quelque école que ce soit, privée ou publique. Les parents requérants estiment que l’instruction assurée dans les établissements scolaires ne correspond pas à leurs convictions à cause des cours d’éducation sexuelle qui y sont dispensés, des images de créatures telles que des sorcières et des lutins de contes de fées que les enfants peuvent voir pendant la classe et de la violence physique et psychologique croissante entre élèves.

Les parents requérants éduquent leurs enfants chez eux en s’appuyant sur les programmes et supports pédagogiques de « l’école de Philadelphie », une institution ayant son siège à Siegen et qui n’est pas reconnue par l’Etat comme une école privée. Cette institution spécialisée aide les parents chrétiens pratiquants à instruire leurs enfants à la maison. Le programme de l’école se fonde à la fois sur les manuels et supports utilisés par les écoles publiques ou privées et sur les matériels conçus spécifiquement pour l’instruction religieuse. L’enseignement dispensé par les parents est placé sous la supervision d’une équipe formée par l’école de Philadelphie. Il est complété par des rencontres occasionnelles entre les parents, les enfants et les membres de l’équipe pédagogique.

Les parents requérants déposèrent une demande visant à ce que leurs enfants fussent dispensés de la scolarité primaire obligatoire et à ce qu’eux-mêmes fussent autorisés à les éduquer chez eux. Les troisième et quatrième requérants atteignirent en 1999 et en 2000 respectivement l’âge de la scolarité obligatoire. A l’heure actuelle, ils ne fréquentent ni une école privée ni une école publique.

Le 28 août 2000, les autorités scolaires d’Offenburg (Staatliches Schulamt Offenburg) repoussèrent la demande des parents en application de l’article 72 § 1 combiné avec l’article 76 § 2 de la loi du Bade-Wurtemberg sur l’école (Schulgesetz Baden-Württemberg). Le 30 octobre 2000, les autorités scolaires régionales de Fribourg (Oberschulamt Freiburg) rejetèrent le recours dont les requérants les avaient saisies.

Le 11 juillet 2001, le tribunal administratif de Fribourg écarta la demande de dispense de la scolarité primaire obligatoire formée par les requérants. Il fit observer que la Loi fondamentale garantissait aux parents la liberté de religion et le droit d’éduquer leurs enfants dans le respect de leurs convictions religieuses et philosophiques, avec comme corollaire le devoir de ne pas exposer leurs enfants à des convictions qui, de l’avis des parents, pourraient leur nuire. Une telle liberté était néanmoins limitée par l’obligation faite à l’Etat de dispenser une instruction. Partant, la scolarité obligatoire n’était pas laissée à la discrétion des parents. Le souhait des parents requérants de laisser leurs enfants grandir à la maison, dans un « environnement protégé » et sans influence extérieure, ne pouvait primer l’obligation de fréquenter l’école. Les enfants pouvaient certes recevoir à la maison une instruction d’un niveau suffisant, mais l’obligation constitutionnelle pour l’Etat de dispenser une éducation ne serait pas remplie si les enfants n’avaient aucun contact avec d’autres enfants. L’école primaire, où se retrouvaient des élèves de tous les milieux, permettait aux enfants de faire leurs premières expériences de la vie en société et d’acquérir des aptitudes sociales. Aucun de ces objectifs ne pourrait être atteint si les parents étaient autorisés à éduquer leurs enfants à la maison, d’autant que les parents en l’espèce avaient explicitement déclaré qu’ils souhaitaient éviter que leurs enfants eussent des contacts réguliers avec d’autres enfants. Le tribunal nota que l’obligation de l’Etat de dispenser une éducation servait aussi les intérêts des enfants et contribuait à la protection de leurs droits personnels. En raison de leur jeune âge, les enfants requérants étaient incapables de mesurer les conséquences de la décision de leurs parents de les éduquer à la maison. Ils ne pouvaient donc guère se déterminer de façon autonome en la matière. De plus, la scolarité obligatoire ne portait pas atteinte au droit des parents requérants d’éduquer leurs enfants, puisque les parents avaient la possibilité d’instruire leurs enfants avant et après la classe, ainsi que pendant le week-end. Les parents étaient également libres d’envoyer leurs enfants dans une école religieuse, qui serait peut-être plus prudente en matière d’éducation sexuelle qu’une école publique, encore que le tribunal se demandât si l’éducation sexuelle avait sa place dans un programme d’enseignement primaire.

Le 18 juin 2002, la cour d’appel administrative du Bade-Wurtemberg rejeta l’appel qu’avaient formé les requérants. Elle conclut que, même si le droit des parents requérants d’éduquer leurs enfants comprenait l’instruction religieuse, la Loi fondamentale ne donnait pas aux intéressés un droit exclusif quant à l’instruction de leurs enfants. L’obligation constitutionnelle pour l’Etat de prodiguer une éducation aux enfants était placée sur un pied d’égalité avec le droit des parents. La cour d’appel souligna que le point décisif n’était pas de savoir si l’éducation dispensée à domicile était aussi efficace que l’instruction donnée à l’école primaire mais le fait que la scolarité obligatoire amenait les enfants provenant de tous les milieux sociaux à se retrouver. Les parents ne pouvaient faire dispenser leurs enfants de la scolarité obligatoire lorsqu’ils étaient en désaccord avec le contenu de certaines parties du programme scolaire, même si leur désaccord était motivé par des considérations religieuses. Les parents requérants ne pouvaient être autorisés à tenir leurs enfants à l’écart de l’école et de l’influence des autres enfants. Les écoles représentaient la société et il était dans l’intérêt des enfants de s’intégrer à cette société. Le droit des parents d’éduquer leurs enfants n’allait pas jusqu’à la possibilité de priver ceux-ci de cette expérience. Les parents pouvaient demander à l’Etat de prendre des mesures positives de façon à mettre leurs enfants à l’abri des mauvais traitements de la part d’autres enfants. Les parents requérants n’avaient pas soutenu au demeurant que les autorités scolaires du Bade-Wurtemberg ne prendraient pas de telles mesures, pas plus qu’ils n’avaient prétendu de façon convaincante que les enfants requérants seraient exposés à une influence religieuse contraire à leurs opinions. L’obligation de neutralité religieuse incombant aux établissements scolaires mettrait les enfants requérants à l’abri de tout endoctrinement pratiqué contre leur gré. S’agissant du grief selon lequel le programme scolaire était dominé par l’aspect scientifique et niait toute influence divine dans la création et l’histoire du monde, la cour d’appel conclut que la liberté de religion n’impliquait pas le droit de se soustraire à la discussion de conflits éventuels entre la science et la religion. Les « créatures mythiques » telles que les lutins ou les sorcières que les requérants considéraient comme représentatives de l’occultisme étaient des personnages de contes de fées et de livres pour enfants qui étaient bien connus de tous les petits. A l’école, ils étaient présentés aux enfants comme des personnages fictifs. Par conséquent, l’Etat ne développait pas la superstition à travers ses écoles.

Le 7 janvier 2003, la Cour administrative fédérale refusa aux requérants l’autorisation de se pourvoir en cassation.

Le 29 avril 2003, la Cour constitutionnelle fédérale refusa de connaître d’un recours introduit par les requérants au motif que sa jurisprudence établie tranchait déjà les questions constitutionnelles décisives que le recours soulevait. Elle observa que les décisions des juridictions administratives ne violaient ni le droit des parents requérants d’éduquer leurs enfants ni leur liberté de religion. L’équilibre à ménager entre, d’une part, les droits des requérants et, d’autre part, l’obligation faite à l’Etat d’assurer l’éducation scolaire n’exigeait pas d’accorder une dispense de la scolarité obligatoire. La Cour constitutionnelle fédérale souligna que l’obligation de l’Etat dans le domaine de l’éducation ne portait pas uniquement sur l’acquisition des connaissances mais impliquait aussi l’éducation de citoyens responsables amenés à jouer leur rôle dans une société démocratique et pluraliste. Il n’était pour le moins pas erroné de dire que l’instruction dispensée à la maison sous le contrôle de l’Etat n’était pas aussi efficace pour atteindre ces objectifs. Seuls des contacts réguliers avec la société permettaient d’acquérir les aptitudes sociales nécessaires pour communiquer avec d’autres personnes ayant des points de vue différents et pour affirmer une opinion autre que celle de la majorité. Cet objectif pouvait être atteint de manière efficace par une fréquentation régulière de l’école permettant de côtoyer d’autres enfants au quotidien. La Cour constitutionnelle fédérale conclut que les ingérences dans l’exercice par les requérants de leurs droits fondamentaux étaient proportionnées, l’intérêt général de la communauté étant de prévenir l’émergence de sociétés parallèles fondées sur des convictions philosophiques distinctes. De plus, l’intérêt de la société était également d’intégrer les minorités. Cette intégration voulait non seulement que les minorités ayant des opinions religieuses et philosophiques différentes ne fussent pas exclues, mais également qu’elles ne s’excluent pas elles-mêmes. Par conséquent, l’apprentissage et la pratique de la tolérance à l’école primaire était un objectif majeur. Enfin, la Cour constitutionnelle fédérale estima que l’ingérence était raisonnable, les parents conservant la possibilité d’éduquer eux-mêmes leurs enfants en dehors des heures de classe et le système scolaire étant tenu de prendre en compte les convictions religieuses différentes.

B.  Le droit interne pertinent

1.  La Loi fondamentale

Les dispositions pertinentes de la Loi fondamentale sont les suivantes :

Article 6

« 1.  Le mariage et la famille sont placés sous la protection particulière de l’Etat.

2.  Elever et éduquer les enfants sont un droit naturel des parents et une obligation qui leur échoit en priorité. La communauté étatique veille sur la manière dont ils s’acquittent de ces tâches.

(...) »

Article 7

« 1.  L’ensemble de l’enseignement scolaire est placé sous le contrôle de l’Etat.

2.  Les personnes investies de l’autorité parentale ont le droit de décider de la participation des enfants à l’instruction religieuse.

3.  L’instruction religieuse est une matière d’enseignement régulière dans les écoles publiques à l’exception des écoles non confessionnelles. L’instruction religieuse est dispensée conformément aux principes des communautés religieuses, sans préjudice du droit de contrôle de l’Etat. Aucun enseignant ne peut être obligé de dispenser l’instruction religieuse contre son gré.

4.  Le droit de fonder des écoles privées est garanti. Les écoles privées qui se substituent aux écoles publiques doivent être agréées par l’Etat et sont soumises aux lois des Länder. L’agrément doit être délivré lorsque les écoles privées ne sont pas d’un niveau inférieur aux écoles publiques quant à leurs programmes, leurs installations et la formation professionnelle de leur personnel, ni ne favorisent une ségrégation des élèves fondée sur la fortune des parents. L’agrément doit être refusé si la situation économique et juridique du personnel enseignant n’est pas suffisamment assurée.

(...) »

2.  La Constitution du Land de Bade-Wurtemberg

L’article 14 § 1 de la Constitution du Land de Bade-Wurtemberg dispose :

« La scolarité est obligatoire. »

3.  La loi du Bade-Wurtemberg sur l’école

Les dispositions pertinentes de la loi du Bade-Wurtemberg sur l’école se lisent ainsi :

Article 72 – Scolarité obligatoire ; obligations des élèves

« 1.  La scolarité est obligatoire pour tous les enfants et les adolescents résidant de façon permanente (...) dans le Land de Bade-Wurtemberg.

(...)

4.  Les élèves doivent fréquenter une école allemande. Les autorités scolaires de tutelle peuvent, le cas échéant, accorder des dispenses.

(...) »

Article 76 – Respect de la scolarité obligatoire

« 1.  Tous les enfants et adolescents sont tenus de fréquenter des établissements scolaires au sens de l’article 72 § 2-2 de la présente loi, à moins que d’autres dispositions ne soient prises pour leur éducation et leur suivi scolaire. Une dispense de la fréquentation obligatoire d’un établissement primaire ne peut être accordée que dans des circonstances exceptionnelles par les autorités scolaires de tutelle.

(...) »

GRIEFS

Se plaçant sur le terrain des articles 8 et 9 de la Convention et de l’article 2 du Protocole no 1, les requérants dénoncent le refus d’autoriser les parents requérants à éduquer leurs enfants à la maison conformément à leurs convictions religieuses, et les décisions ultérieures des tribunaux allemands confirmant ce refus. Ils invoquent en outre les trois dispositions en combinaison avec l’article 14.

EN DROIT

1.  Les parents requérants allèguent que le refus de les autoriser à éduquer leurs enfants chez eux méconnaît leur droit d’assurer à ceux-ci une éducation conforme à leurs convictions religieuses, tel que garanti par l’article 2 du Protocole no 1, qui dispose :

« Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’Etat, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. »

Les parents requérants soutiennent qu’il est de leur devoir d’éduquer leurs enfants conformément à la Bible et aux valeurs chrétiennes. Ils déduisent de nombreux passages de la Bible que l’éducation de leurs enfants est une obligation qui leur incombe et qui ne peut aisément être confiée à des tiers. Ils estiment suivre un ordre divin en éduquant leurs enfants chez eux. Si leurs enfants fréquentaient une école primaire, leurs convictions personnelles se trouveraient inévitablement et gravement en conflit avec les programmes et méthodes d’enseignement. La scolarité obligatoire mettrait, par conséquent, sérieusement en péril l’instruction religieuse de leurs enfants, en particulier à cause des cours d’éducation sexuelle et de l’entraînement à la concentration (comme c’est le cas dans certaines écoles), qui, du point de vue des parents requérants, revient à pratiquer des exercices ésotériques. Les parents requérants soutiennent que l’obligation de neutralité religieuse faite à l’Etat rendrait impossible l’éducation de leurs enfants dans une école publique conformément à leurs convictions. Les requérants appartenant à une minorité religieuse, il n’existe aucune école privée qui corresponde à leurs convictions. En outre, les requérants rappellent que l’éducation scolaire à domicile est autorisée aux Etats-Unis, au Canada, en Suisse, en Autriche et en Norvège. Des pays comme le Danemark, la Finlande et l’Irlande l’ont même prévue dans leur Constitution.

La Cour relève que le grief des parents requérants concerne principalement la seconde phrase de l’article 2 du Protocole no 1. Cette disposition consacre le rôle de l’Etat dans le domaine de l’éducation ainsi que le droit des parents à ce que l’éducation et l’enseignement donnés à leurs enfants soient respectueux de leurs convictions religieuses et philosophiques. Cette disposition vise à sauvegarder le pluralisme éducatif, essentiel pour la préservation d’une « société démocratique » au sens où l’entend la Convention (B.N. et S.N. c. Suède, no 17678/91, décision de la Commission du 30 juin 1993, non publiée). En raison du poids de l’Etat moderne, c’est surtout par l’enseignement public que doit se réaliser ce dessein (Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, 7 décembre 1976, § 50, série A no 23).

En outre, la seconde phrase de l’article 2 doit se lire en combinaison avec la première qui consacre le droit de chacun à l’instruction. C’est sur ce droit fondamental que se greffe le droit des parents au respect de leurs convictions religieuses et philosophiques (B.N. et S.N. c. Suède, décision précitée). Par conséquent et eu égard au fait que l’ensemble de l’article 2 du Protocole no 1 est dominé par sa première phrase, il convient de protéger uniquement celles des convictions des parents qui ne portent pas atteinte au droit de l’enfant à l’instruction (Campbell et Cosans c. Royaume-Uni, 25 février 1982, § 36, série A no 48). En d’autres termes, les parents ne sauraient, sous couvert de leurs convictions, méconnaître le droit de l’enfant à l’instruction (B.N. et S.N. c. Suède, décision précitée, et Leuffen c. Allemagne, no 19844/92, décision de la Commission du 9 juillet 1992, non publiée).

La Cour relève que, en l’espèce, les parents requérants ont introduit leur requête également au nom des enfants requérants. On ne peut donc pas vraiment dire qu’ils cherchent à imposer leurs convictions religieuses contre la volonté de leurs enfants. Cependant, la Cour partage la conclusion du tribunal administratif de Fribourg selon laquelle, en raison de leur jeune âge, les enfants requérants étaient incapables de mesurer les conséquences de la décision de leurs parents de leur faire suivre une éducation à domicile. Etant donné que les enfants requérants auraient bien du mal, à leur âge, à se déterminer de façon autonome, la Cour estime que les principes susmentionnés sont applicables dans la présente affaire.

Le droit à l’instruction, garanti par l’article 2 du Protocole no 1, appelle de par sa nature même une réglementation par l’Etat, réglementation qui peut varier dans le temps et dans l’espace en fonction des besoins et des ressources de la communauté et des individus (Affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique » c. Belgique, 23 juillet 1968, p. 32, § 5, série A no 6). Il s’ensuit que l’article 2 du Protocole no 1 implique pour l’Etat le droit d’instaurer une scolarisation obligatoire, qu’elle ait lieu dans les écoles publiques ou grâce à des leçons particulières de qualité (Famille H. c. Royaume-Uni, no 10233/83, décision de la Commission du 6 mars 1984, Décisions et rapports 37, pp. 109, 112 ; B.N. et S.N. c. Suède, décision précitée, et Leuffen, décision précitée). A cet égard, la Cour relève qu’il semble n’exister aucun consensus entre les Etats contractants en ce qui concerne la fréquentation obligatoire de l’école primaire. Alors que certains pays autorisent l’instruction à la maison, d’autres imposent la scolarisation dans des établissements publics ou privés.

En l’espèce, la Cour relève que les autorités et tribunaux allemands ont soigneusement motivé leur décision et ont principalement insisté sur le fait que non seulement l’acquisition des connaissances mais également l’intégration dans la société et les premières expériences que l’on peut faire de celle-ci sont des objectifs cruciaux de l’éducation à l’école primaire. Les tribunaux allemands ont conclu que l’instruction à la maison ne permettait pas à un degré égal d’atteindre ces objectifs même si elle offrait aux enfants la possibilité d’acquérir un niveau de connaissances identique à celui d’une éducation dispensée à l’école primaire. Pour la Cour, cette hypothèse n’est pas erronée et relève de la marge d’appréciation laissée aux Etats contractants lorsqu’ils fixent et interprètent les règles régissant leur système éducatif. La Cour constitutionnelle fédérale a souligné l’intérêt général de la société à prévenir l’émergence de sociétés parallèles fondées sur des convictions philosophiques distinctes et l’importance de l’intégration des minorités dans la société. La Cour estime que cette manière de voir est conforme à sa propre jurisprudence concernant l’importance du pluralisme pour la démocratie (voir, mutatis mutandis, Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres c. Turquie [GC], nos 41340/98, 41342/98, 41343/98 et 41344/98, § 89, CEDH 2003-II).

De plus, les tribunaux allemands ont relevé que les parents requérants étaient libres d’éduquer leurs enfants après la classe et pendant le week-end. Par conséquent, le droit des parents de donner à leurs enfants une éducation conforme à leurs convictions religieuses n’a pas fait l’objet d’une restriction disproportionnée. La scolarité obligatoire dans le primaire ne prive pas les parents requérants de leur droit « d’exercer envers [leurs enfants] leurs fonctions naturelles d’éducateurs, de les orienter dans une direction conforme à leurs propres convictions religieuses ou philosophiques » (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen précité, § 54, et Efstratiou c. Grèce, 18 décembre 1996, § 32, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI).

Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

2.  Les requérants voient dans le refus d’autoriser les parents requérants à éduquer leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses une violation du droit au respect de leur vie privée garanti par l’article 8 de la Convention, lequel est ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

De plus, les requérants allèguent la violation de leur liberté de pensée, de conscience et de religion, telle que protégée par l’article 9 de la Convention, lequel énonce :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2.  La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

La Cour estime que si ingérence il y a eu dans les droits des requérants tels que garantis par l’une ou l’autre de ces dispositions, elle est justifiée pour les raisons susmentionnées au regard de l’article 8 § 2 et de l’article 9 § 2 respectivement, puisqu’elle est prévue par la loi et nécessaire, dans une société démocratique, à la sauvegarde de l’intérêt public à l’éducation des enfants.

Il s’ensuit que cette partie de la requête est elle aussi manifestement mal fondée au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

3.  Par ailleurs, les requérants allèguent la violation de l’article 14 de la Convention combiné avec les articles 8 et 9 et l’article 2 du Protocole no 1. L’article 14 dispose :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

Les requérants soutiennent qu’ils sont l’objet d’une discrimination par rapport aux personnes qui ont des convictions religieuses différentes n’entrant pas en conflit avec la scolarité obligatoire (article 14 de la Convention combiné avec l’article 9 et l’article 2 du Protocole no 1). A cela s’ajouterait une discrimination résultant de l’obligation, pour les enfants requérants, de fréquenter une école publique ne dispensant pas d’enseignement religieux. Eu égard à sa conclusion au sujet de l’article 9 et de l’article 2 du Protocole no 1, la Cour conclut qu’aucune question distincte ne se pose sous l’angle de l’article 14.

De plus, les requérants allèguent une discrimination par rapport à des familles dont les enfants sont dispensés de la scolarité obligatoire au motif que les parents travaillent à l’étranger ou n’ont pas de résidence fixe car leur vie professionnelle les amène à se déplacer dans le pays (article 14 de la Convention combiné avec l’article 8).

La Cour rappelle qu’une différence de traitement entre des personnes placées dans des situations analogues ou comparables est discriminatoire au sens de l’article 14 de la Convention si elle manque de justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Par ailleurs, les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des différences de traitement (Camp et Bourimi c. Pays-Bas, no 28369/95, § 37, CEDH 2000‑X).

La Cour constate qu’il existe une différence de traitement entre les enfants requérants et d’autres enfants qui sont dispensés de la scolarité obligatoire dans « des circonstances exceptionnelles » comme le prévoient l’article 76 § 1 de la loi du Bade-Wurtemberg sur l’école ou les dispositions équivalentes des autres Länder. Toutefois, ainsi que les requérants le font remarquer, les autorités scolaires n’ont admis l’existence de pareilles « circonstances exceptionnelles » que dans les cas où les enfants étaient physiquement incapables de fréquenter l’école ou encore les cas où les parents étaient amenés à se déplacer dans le pays pour raisons professionnelles. Les autorités scolaires de tutelle ont alors accordé de telles dispenses car la possibilité restreinte de fréquenter l’école aurait été source de difficultés inutiles pour les enfants concernés. Par conséquent, ces dispenses ont été accordées pour des raisons purement pratiques, tandis que les requérants visaient à obtenir une dispense pour des motifs religieux. Partant, la Cour conclut que la distinction ci-dessus justifie une différence de traitement.

Il s’ensuit que ce grief est lui aussi manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

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