CEDH, Cour (cinquième section), KRIKORIAN c. FRANCE, 26 novembre 2013, 6459/07

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 26 nov. 2013, n° 6459/07
Numéro(s) : 6459/07
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 26 janvier 2007
Organisations mentionnées :
  • Cour de justice de l'Union européenne
  • Comité des Ministres
  • ECHR
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-139719
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2013:1126DEC000645907
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 6459/07
Philippe KRIKORIAN
contre la France

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 26 novembre 2013 en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ann Power-Forde,
André Potocki,
Paul Lemmens,
Helena Jäderblom, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière,

Vu la requête susmentionnée introduite le 26 janvier 2007,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Vu les informations complémentaires soumises par le gouvernement défendeur,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1.  Le requérant, M. Philippe Krikorian, est un ressortissant français, né en 1965 et résidant à Marseille. Il est avocat au barreau de Marseille.

A.  Les circonstances de l’espèce

2.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

1.  Contexte

3.  La loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires ou juridiques a institué une formation initiale des avocats, d’une durée d’un an, et créé des centres de formation professionnelle qui la dispensent.

4.  Cette loi a été modifiée par la loi du 11 février 2004, qui a porté à dix‑huit mois la formation initiale des avocats. Elle a en outre introduit dans la loi du 31 décembre 1971 précitée un nouvel article 14-2, aux termes duquel  la formation continue est obligatoire pour les avocats inscrits au tableau de l’ordre des avocats.

5.  Le décret du 21 décembre 2004, pris en application de cette loi, a modifié le décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat, en précisant à l’article 85 du décret modifié la nature et la durée des activités susceptibles d’être validées au titre de l’obligation de formation continue des avocats inscrits au tableau de l’ordre, et a renvoyé au Conseil national des barreaux (ci-après le CNB), institution qui représente l’ensemble des avocats exerçant en France, le soin de prévoir les modalités de mise en œuvre de cette disposition. Le 11 février 2005, le CNB a adopté une décision à caractère normatif portant sur les modalités d’application de la formation continue des avocats (voir paragraphes 43-44 ci‑dessous).

6.  Le requérant a saisi le Conseil d’État de plusieurs recours dirigés contre différents textes ou décisions. Les recours contre le décret du 21 décembre 2004 et contre la décision à caractère normatif du CNB du 11 février 2005 sont l’objet de la présente requête.

2.  Recours du requérant contre le décret du 21 décembre 2004

7.  Le 7 février 2005, le requérant saisit le Conseil d’État d’un recours en annulation dirigé contre les articles 16, 17, 34, 35, 36, 48 et 49, I., du décret du 21 décembre 2004 relatifs à la formation professionnelle des avocats.

8.  Il invoquait la contrariété de ces dispositions avec un certain nombre de normes de droit communautaire (la liberté de prestation de services et le droit d’établissement ainsi que la liberté de la concurrence), de principes généraux du droit communautaire (égalité de traitement, sécurité juridique et confiance légitime), ainsi qu’avec les articles 3, 8 et 14 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1, et les articles 7, 17 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il soulevait en outre l’illégalité des articles visés au regard d’un certain nombre de normes constitutionnelles françaises (principe d’égalité et d’égalité d’accès à la commande publique, principe de sécurité juridique, liberté d’entreprendre et droit de propriété). Il sollicitait à titre principal l’annulation des dispositions attaquées et concluait ainsi :

« Subsidiairement, s’il estimait nécessaire d’obtenir une interprétation du droit communautaire pour trancher le présent litige, le Conseil d’État serait amené à poser à la Cour de justice des Communautés européennes (...) la question préjudicielle suivante (...) »

9.  L’audience devant le Conseil d’État eut lieu le 24 mai 2006. Le commissaire du gouvernement (dénommé rapporteur public depuis l’entrée en vigueur du décret 2009-14 du 7 janvier 2009) assista au délibéré. Le jour même, accédant à la demande du requérant, il lui avait communiqué ses conclusions par télécopie.

10.  Par arrêt du 19 juin 2006, le Conseil d’État rejeta le recours, en répondant dans les termes suivants aux moyens du requérant fondés sur le droit communautaire :

« Considérant, en premier lieu, que l’article 14-2 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée, en se bornant à poser le principe d’une formation continue obligatoire pour les avocats établis en France, quelle que soit leur origine, n’a, en tout état de cause, pas porté une atteinte disproportionnée à la liberté d’établissement ou à la liberté de prestation de services des avocats telles que prévues par les articles 43 et 49 du Traité instituant la Communauté européenne et mises en œuvre par la directive 77/249, du Conseil, du 22 mars 1977 (...) et par la directive 98/5/CE, du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 1998 (...) ;

Considérant, en second lieu, que le moyen invoqué par le requérant et tiré de la méconnaissance, par l’article 14-2 de cette loi, de principes généraux du droit communautaire, est inopérant, dès lors que cette disposition n’a pas été prise pour la mise en œuvre du droit communautaire. »

11.  Le Conseil d’État jugea par ailleurs que l’article 85 du décret du 27 novembre 1991 modifié ne portait pas atteinte au principe d’égalité, ni à la liberté d’entreprendre, au droit de propriété ou au principe de sécurité juridique. Il estima en outre que l’obligation de suivre chaque année des sessions de formation professionnelle ne méconnaissait ni les dispositions de la Convention et du Protocole no 1, ni celles du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

3.  Recours du requérant contre la décision à caractère normatif du CNB du 11 février 2005

12.  Le 6 mai 2005, le requérant saisit le Conseil d’État d’un recours en annulation de la décision précitée du CNB du 11 février 2005 portant sur les modalités d’application de la formation continue des avocats (paragraphe 5 ci-dessus). Il faisait valoir que le CNB était incompétent pour prendre cette décision, soulevait, au regard tant de la loi du 11 février 2004 et du décret du 21 décembre 2004 que de la décision elle-même, les mêmes moyens d’illégalité que ceux développés dans son recours à l’encontre du décret (paragraphe 8 ci-dessus), et concluait dans des termes identiques :

« Subsidiairement, s’il estimait nécessaire d’obtenir une interprétation du droit communautaire pour trancher le présent litige, le Conseil d’État serait amené à poser à la Cour de justice des Communautés européennes (...) la question préjudicielle suivante (...) »

13.  Le 29 juillet 2005, le CNB produisit ses observations en réponse, dans lesquelles étaient mentionnées deux pièces annexées qui ne furent pas communiquées au requérant. Il s’agissait des deux lettres par lesquelles le CNB avait transmis l’avant-projet de décision normative, puis la décision elle-même, aux ordres, syndicats professionnels et organismes techniques de la profession d’avocat. Le requérant indique que ses lettres des 18 août et 2 septembre 2005 demandant au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d’État de lui communiquer lesdites pièces restèrent sans suite. Le Gouvernement a précisé que, bien qu’annoncées dans le mémoire du CNB, ces lettres n’y étaient pas jointes.

14.  L’audience devant le Conseil d’État fut fixée au 29 juin 2006. Le 23 juin 2006, le requérant demanda sans succès au commissaire du gouvernement de lui communiquer ses conclusions. Ce dernier assista au délibéré de la formation de jugement.

15.  Par arrêt du 27 juillet 2006, le Conseil d’État rejeta le recours, en s’exprimant comme suit sur les moyens du requérant tirés du droit communautaire :

« Considérant que le principe de « confiance légitime » est un principe général du droit communautaire qui ne trouve à s’appliquer dans l’ordre juridique national que dans le cas où sont en cause des situations relevant du droit communautaire ; que tel n’est pas le cas de la réglementation en litige ; qu’il suit de là qu’il ne peut utilement être invoqué à l’appui de la requête ; que le principe de sécurité juridique ne faisait pas obstacle à un changement dans la réglementation de la profession ;

Considérant que le contrôle fondé sur une obligation de déclaration par chaque intéressé des conditions dans lesquelles il a satisfait aux obligations de formation dont les modalités ont été fixées par la délibération attaquée ne méconnaît nullement les principes de libre établissement et de libre prestation de services, et résulte d’ailleurs de l’article 85-1 du décret ;

Considérant que si, par la voie de l’exception, M. Krikorian soulève la non‑conformité tant de la loi que du décret aux mêmes principes, ces textes n’introduisent aucune discrimination fondée sur la nationalité ni aucune discrimination au détriment des nationaux dès lors que l’ensemble des avocats inscrits ou susceptibles de s’inscrire au barreau français sont soumis aux mêmes obligations (...) »

16.  Le Conseil d’État rejeta par ailleurs les moyens fondés sur les articles 3, 8 et 14, combinés avec les articles 7 et 17 de la Convention, au motif qu’aucun des droits protégés par ces dispositions n’était enfreint par l’instauration d’une obligation de formation continue des avocats. Il estima que l’obligation faite à tous les avocats de justifier d’une formation continue acquise dans les conditions précisées par la décision du CNB ne portait atteinte, ni au principe d’égalité, s’agissant d’une obligation applicable à l’ensemble de la profession, ni au principe de la liberté d’entreprendre, ni à l’égal accès à la commande publique. Il conclut enfin que le fait que la décision fixe une date d’entrée en vigueur au 1er janvier 2005, conforme à celle prévue par le décret, ne constituait pas une rétroactivité illégale, dès lors que les règles qu’elle fixait portaient sur un ensemble d’obligations auxquelles il pouvait être satisfait durant l’année en cours.

17.  En outre, le Conseil d’État infligea au requérant une amende de 1 500 euros (EUR), au motif que le recours présentait un caractère abusif, au sens de l’article R. 741-12 du code de justice administrative

B.  Le droit et la pratique pertinents

1.  Le droit et la jurisprudence communautaires

a) La procédure du renvoi préjudiciel devant la Cour de justice des Communautés européennes

18.  Les textes et la jurisprudence relatifs à la procédure du renvoi préjudiciel devant la Cour de justice des communautés européennes, désormais Cour de justice de l’Union européenne (ci-après la Cour de justice) sont exposés dans l’arrêt Ullens de Schooten et Rezabek c. Belgique (nos 3989/07 et 38353/07, § 33-34, 20 septembre 2011).

b) L’applicabilité du droit communautaire dans les États membres

19.  Selon une jurisprudence bien établie, la Cour de justice considère que les normes et principes du droit communautaire ne trouvent à s’appliquer dans un État membre que pour autant que la situation en cause est régie par le droit communautaire. Tel n’est pas le cas s’il s’agit d’une situation purement interne à l’État en cause. La Cour de justice a ainsi affirmé, dans une affaire qui portait sur la liberté d’établissement  (arrêt Gauchard du 8 décembre 1987, Rec. p. 4879, point 12) :

« L’absence de tout élément sortant d’un cadre purement national dans une espèce déterminée a ainsi pour effet, en matière de liberté d’établissement tout comme dans les autres secteurs, que les dispositions du droit communautaire ne sont pas applicables à une telle situation. »

20.  Faisant application de cette jurisprudence aux contentieux portés devant les juridictions administratives, le Conseil d’État considère que les principes généraux du droit communautaire « ne trouvent à s’appliquer dans l’ordre juridique national que dans le cas où la situation juridique dont a à connaître le juge administratif français est régie par le droit communautaire » (arrêt du 9 mai 2001, Entreprise personnelle de transports Freymuth, mentionné aux tables du Recueil Lebon).

c) La profession d’avocat

21.  Le Traité CE garantit dans ses articles 43 et 49 (devenus articles 49 et 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) le libre établissement et la libre prestation de services pour les activités non salariées.

22.  Plusieurs directives ont été adoptées concernant la profession d’avocat. La directive 77/249/CEE du 22 mars 1977 tend à faciliter la libre prestation de services des avocats communautaires dans un autre État membre que celui où ils ont obtenu leur qualification professionnelle. La directive 98/5/CE du 16 février 1998 permet à tout avocat de s’établir et d’exercer sous son titre professionnel d’origine dans un autre État membre que celui où il a obtenu sa qualification professionnelle et, au terme de trois années d’exercice effectif et régulier du droit de l’État d’accueil, de porter le titre professionnel de cet État.

23.  Selon la jurisprudence de la Cour de justice, en l’absence de règles communautaires spécifiques en la matière, chaque État membre est libre de régler l’exercice de la profession d’avocat sur son territoire (arrêts du 12 juillet 1984, Klopp, 107/83, Rec. p. 02971, points 17 et 20 et du 12 décembre 1996, Reisebüro Broede, C-3/95, Rec. p. I-06511, point 37). Les règles applicables à cette profession peuvent, de ce fait, différer substantiellement d’un État membre à l’autre (arrêt du 19 février 2002, Wouters, C‑309/99, Rec. p. I-01577, point 99).

24.  Pour la Cour de justice, l’application de règles professionnelles aux avocats, notamment les règles d’organisation, de qualification, de déontologie, de contrôle et de responsabilité, procure la nécessaire garantie d’intégrité et d’expérience aux consommateurs finaux des services juridiques et à la bonne administration de la justice (arrêts du 3 décembre 1974, Van Binsbergen, 33/74, Rec. p. 1299, points 12 à 14, du 19 janvier 1988, Gullung, 292/86, Rec. p. 111, point 29, Reisebüro Broede précité, point 38 et Wouters, précité, point 97).

25.  La Cour de justice a également affirmé que les organismes professionnels représentatifs de la profession d’avocat, tels les ordres d’avocats, ne portent pas une atteinte injustifiée à la concurrence, ni à la liberté d’établissement et de prestation de services, lorsqu’ils adoptent une réglementation qui s’avère nécessaire au bon exercice de la profession d’avocat telle qu’elle est organisée dans l’État membre concerné (Wouters précité, points 110 et 122).

2.  Le droit interne

a) Dispositions pertinentes du code de justice administrative

26.  L’article R. 741-12 du code de justice administrative (ci-après le code) dispose :

« Le juge peut infliger à l’auteur d’une requête qu’il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 3000 euros. »

27.  Les articles R. 412-2 et R. 611-5 du code, relatifs à la production des pièces annexées aux requêtes et mémoires, se lisent ainsi :

Article R. 412-2

« Lorsque les parties joignent des pièces à l’appui de leurs requêtes et mémoires, elles en établissent simultanément un inventaire détaillé. Sauf lorsque leur nombre, leur volume ou leurs caractéristiques y font obstacle, ces pièces sont accompagnées de copies en nombre égal à celui des autres parties augmenté de deux. »

Article R. 611-5

« Les copies, produites en exécution de l’article R. 412-2, des pièces jointes à l’appui des requêtes et mémoires sont notifiées aux parties dans les mêmes conditions que les requêtes et mémoires. Lorsque le nombre, le volume ou les caractéristiques des pièces jointes font obstacle à la production de copies, l’inventaire détaillé de ces pièces est notifié aux parties qui sont informées qu’elles‑mêmes ou leurs mandataires peuvent en prendre connaissance au greffe et en prendre copie à leurs frais. »

b) Présence au délibéré du commissaire du gouvernement

28.  Les dispositions relatives à la désignation des commissaires du gouvernement et à leur présence au délibéré en vigueur au moment des faits, telles qu’elles résultent du décret du 19 décembre 2005 modifiant le code de justice administrative (articles R. 731-4, R. 731-6 et R. 731-7), sont exposées dans l’arrêt Martinie c. France ([GC], no 58675/00, § 21, CEDH 2006‑VI).

29.  Dans le cadre des mesures générales prises en vue d’assurer l’exécution de l’arrêt Kress c. France ([GC], no 39594/98, CEDH 2001-VI) et de l’arrêt Martinie précité, le code de justice administrative a été modifié par le décret no 2006-964 du 1er août 2006, entré en vigueur le 1er septembre 2006 (voir Etienne c. France (déc.) no 11396/08, 15 septembre 2009). L’article 4 du décret a abrogé les articles R. 731-4, R. 31-6 et R. 731-7 du code de justice administrative et l’article 5 du même décret a introduit dans le code un article R. 732‑2 selon lequel, devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, le délibéré a lieu hors la présence des parties et du commissaire du gouvernement.

30.  S’agissant de la procédure devant le Conseil d’État, l’article 5 précité a inséré dans le code les articles suivants :

Article R. 733-2

« La décision est délibérée hors la présence des parties. »

Article R. 733-3

« Sauf demande contraire d’une partie, le commissaire du gouvernement assiste au délibéré. Il n’y prend pas part.

La demande prévue à l’alinéa précédent est présentée par écrit. Elle peut l’être à tout moment de la procédure avant le délibéré. »

L’avis d’audience adressé aux parties reproduit notamment le texte de l’article R. 733-3 (article R. 712-1 du code).

c) La formation professionnelle des avocats

α) Le système antérieur à la loi du 11 février 2004

31.  La loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires ou juridiques a institué une formation initiale des futurs avocats, dispensée au sein de centres de formation professionnelle qu’elle a créés, dont l’accès se fait sur examen. Telle que modifiée par la loi du 31 décembre 1990 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, qui a par ailleurs institué un centre régional de formation professionnelle auprès de chaque cour d’appel, la loi précise dans son article 12 que la formation professionnelle exigée pour l’exercice de la profession d’avocat comprend 1o) un examen d’entrée à un centre régional de formation professionnelle  2o) une formation théorique et pratique d’une année dans un centre, sanctionnée par le certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA) et 3o) un stage de deux années, sanctionné par un certificat de fin de stage. Les avocats inscrits sur la liste du stage portent le titre d’avocat et peuvent accomplir tous les actes de la profession. A l’issue de leur stage, ils sont inscrits au tableau de l’ordre des avocats.

32.  Par ailleurs, l’article 14 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée prévoit que les centres régionaux de formation professionnelle sont chargés d’assurer la formation permanente des avocats. L’article 85 du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat précisait ce qui suit :

«  Le centre régional de formation professionnelle (...) organise chaque année une ou plusieurs sessions de formation destinées aux avocats inscrits aux tableaux des barreaux de son ressort

(...)

Le Conseil national (des barreaux) peut organiser des sessions de formation permanente.»

β) Le système résultant de la loi du 11 février 2004

i) La formation initiale des avocats

33.  La loi du 11 février 2004 a porté à dix-huit mois la formation initiale des avocats, dispensée par les centres régionaux de formation professionnelle et sanctionnée par le CAPA.

ii) Dispositions de la loi du 31 décembre 1971 modifiée sur la formation continue des avocats

34.  La loi précitée a également introduit un nouvel article 14-2 dans la loi du 31 décembre 1971, qui se lit ainsi :

« La formation continue est obligatoire pour les avocats inscrits au tableau de l’ordre.

Un décret en Conseil d’État détermine la nature et la durée des activités susceptibles d’être validées au titre de l’obligation de formation continue. Le Conseil national des barreaux détermine les modalités selon lesquelles elle s’accomplit. »

35.  Le nouvel article 21-1 de la loi modifiée, relatif au Conseil national des barreaux (CNB), dispose dans ses deux premiers alinéas:

« Le Conseil national des barreaux, établissement d’utilité publique doté de la personnalité morale, est chargé de représenter la profession d’avocat notamment auprès des pouvoirs publics. Dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, le Conseil national des barreaux unifie par voie de dispositions générales les règles et usages de la profession d’avocat.

Le Conseil national des barreaux est, en outre, chargé de définir les principes d’organisation de la formation et d’en harmoniser les programmes. Il coordonne et contrôle les actions de formation des centres régionaux de formation professionnelle (...) »

36.  Aux termes de l’article 13 de la loi modifiée, les centres régionaux de formation professionnelle sont chargés d’assurer la formation continue des avocats, dans le respect des missions et prérogatives du CNB.

iii) Dispositions du décret du 27 novembre 1991 modifié sur la formation continue

37.  L’article 85 du décret du 27 novembre 1991, tel que modifié par le décret du 21 décembre 2004, se lit ainsi :

« La formation continue prévue par l’article 14-2 de la loi du 31 décembre 1971 susvisée assure la mise à jour et le perfectionnement des connaissances nécessaires à l’exercice de sa profession pour l’avocat inscrit au tableau de l’ordre.

La durée de la formation continue est de vingt heures au cours d’une année civile ou de quarante heures au cours de deux années consécutives.

L’obligation de formation continue est satisfaite :

1o Par la participation à des actions de formation, à caractère juridique ou professionnel, dispensées par les centres régionaux de formation professionnelle ou les établissements universitaires ;

2o Par la participation à des formations dispensées par des avocats ou d’autres établissements d’enseignement ;

3o Par l’assistance à des colloques ou à des conférences à caractère juridique ayant un lien avec l’activité professionnelle des avocats ;

4o Par la dispense d’enseignements à caractère juridique ayant un lien avec l’activité professionnelle des avocats, dans un cadre universitaire ou professionnel ;

5o Par la publication de travaux à caractère juridique.

Au cours des deux premières années d’exercice professionnel, cette formation inclut dix heures au moins portant sur la déontologie (...)

Les modalités de mise en œuvre des dispositions du présent article sont fixées par le Conseil national des barreaux. »

38.  Le décret du 15 mai 2007 a ajouté à cet article le paragraphe suivant :

« Les décisions déterminant les modalités selon lesquelles s’accomplit l’obligation de formation continue, prises par le Conseil national des barreaux en application du second alinéa de l’article 14-2 de la loi du 31 décembre 1971 susvisée sont, dans le délai de trente jours de leur date, notifiées par lettre recommandée avec demande d’avis de réception au garde des sceaux, ministre de la justice, et au conseil de l’ordre de chacun des barreaux. Elles sont publiées au Journal officiel de la République française. »

39.  L’article 85-1 du décret modifié est ainsi rédigé :

« Les avocats déclarent, au plus tard le 31 janvier de chaque année civile écoulée, auprès du conseil de l’ordre dont ils relèvent, les conditions dans lesquelles ils ont satisfait à leur obligation de formation continue au cours de l’année écoulée. Les justificatifs utiles à la vérification du respect de cette obligation sont joints à cette déclaration. »

iv) Dispositions du décret du 27 novembre 1991 modifié sur les sanctions disciplinaires

40.  L’article 183 du décret dispose que toute contravention aux lois et règlements, toute infraction aux règles professionnelles, tout manquement à la probité, à l’honneur ou à la délicatesse, même se rapportant à des faits extraprofessionnels, expose l’avocat qui en est l’auteur aux sanctions disciplinaires énumérées à l’article 184.

41.  Aux termes de l’article 184, les peines disciplinaires sont  l’avertissement, le blâme, l’interdiction temporaire, dont la durée ne peut dépasser trois ans, et la radiation du tableau des avocats.

42.  Dans un arrêt du 14 octobre 2008, produit par le requérant, la cour d’appel de Bordeaux a jugé que le fait pour un avocat de ne pas remplir son obligation de formation continue constituait une infraction à une règle professionnelle qui l’exposait à une sanction disciplinaire  et a confirmé l’avertissement prononcé à son encontre par le conseil de discipline de l’ordre des avocats.

v) Décision à caractère normatif du CNB du 11 février 2005

43.  En application des articles 14-2 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée et de l’article 85 du décret du 27 novembre 1991 modifié, l’assemblée générale du CNB a adopté le 11 février 2005 une décision à caractère normatif relative aux modalités d’application de la formation continue des avocats. L’avant-projet de décision avait été transmis pour avis aux ordres, syndicats professionnels et organismes techniques de la profession d’avocat le 4 février 2005 ; la décision elle-même leur a été adressée le 16 février 2005.

44.  La décision fixe les modalités d’application de l’article 85 du décret. Elle précise notamment qu’une heure d’enseignement dispensée par un avocat, au sens du 4e dudit article, équivaut à quatre heures de formation reçues (dans la limite de douze heures si la formation est dupliquée) et que, s’agissant de publications au sens du 5e de l’article 85 précité, les travaux publiés, traitant de sujets relatifs à des matières juridiques, à la déontologie ou à la réglementation professionnelle, doivent contenir au minimum 10 000 signes et sont équivalents à trois heures de formation.

L’article 8 de la décision dispose qu’elle s’applique à compter du 1er janvier 2005.

GRIEFS

45.  Le requérant allègue plusieurs violations de l’article 6 § 1 de la Convention : 1) il se plaint que, lors des audiences devant le Conseil d’État, les commissaires du gouvernement ont assisté aux délibérés ; 2) il estime que le principe du contradictoire a été violé dans la procédure qui a donné lieu à l’arrêt du 27 juillet 2006, dans la mesure où les pièces annoncées par le CNB dans son mémoire ne lui ont pas été communiquées, ainsi que dans la procédure visant la décision du CNB car le commissaire du gouvernement ne lui a pas communiqué ses conclusions avant l’audience ; 3) il se plaint que, dans les deux procédures, le Conseil d’État a refusé de poser une question préjudicielle à la Cour de justice des Communautés européennes ; 4) il souligne l’absence totale de motivation à ses yeux des arrêts des 19 juin et 27 juillet 2006 et estime que le Conseil d’État a commis une erreur manifeste d’appréciation du droit interne.

46. Faisant valoir que l’accès à un tribunal procède de la liberté d’expression, il se plaint que l’amende pour recours abusif qui lui a été infligée constitue une atteinte injustifiée à sa liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention.

47.  Il considère que l’obligation de formation continue, en ce qu’elle tend à infantiliser des professionnels chevronnés, constitue un traitement dégradant contraire à l’article 3 de la Convention et estime par ailleurs que la sanction encourue en cas de refus d’un avocat de suivre la formation continue, qui peut aller jusqu’à l’interdiction d’exercice, constitue une ingérence injustifiée dans sa vie privée et familiale et son droit au respect de ses biens contraire à l’article 8 de la Convention ainsi qu’à l’article 1 du Protocole no 1.

48.  Invoquant l’article 14 combiné avec les articles 3 et 8 ainsi qu’avec l’article 1 du Protocole no 1, il fait valoir que les textes attaqués instituent, quant à l’obligation de formation continue, une discrimination entre les avocats et les autres professions judiciaires et juridiques, et une discrimination entre avocats. Il considère en outre que sa condamnation à une amende pour recours abusif révèle une discrimination à son encontre.

EN DROIT

I. SUR LES GRIEFS TIRES DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

49.  Le requérant soulève plusieurs griefs en invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes sont ainsi rédigées :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A.  Sur l’applicabilité de l’article 6 § 1

50.  Le Gouvernement soutient à titre principal que l’article 6 § 1 n’est pas applicable aux procédures en cause. S’il admet que le droit visé est celui d’exercer la profession d’avocat, qui constitue un droit de caractère civil selon la jurisprudence de la Cour, il fait valoir que le lien entre ce droit et la contestation du requérant apparaît particulièrement ténu, et que les répercussions des textes réglementaires incriminés sur son exercice sont particulièrement lointaines et limitées.

51.  Il souligne qu’aucun de ces textes n’a d’effet patrimonial sur le requérant, ni n’entrave même partiellement l’exercice de son activité, puisqu’il s’agit de l’obligation de suivre vingt heures de formation continue par an. Quant au risque de sanction disciplinaire, le Gouvernement l’estime hautement hypothétique, tout en admettant que, s’il advenait, l’on pourrait s’interroger sur l’applicabilité de l’article 6 § 1.

52.  Le requérant considère pour sa part que cet article est applicable et se réfère à la jurisprudence de la Cour. Il souligne que l’obligation de formation continue créée par la loi du 11 février 2004 est sanctionnée disciplinairement jusqu’à l’interdiction temporaire et même la radiation, ce qui entraîne des conséquences patrimoniales évidentes pour l’avocat concerné. Il produit un arrêt de la cour d’appel de Bordeaux qui a infligé à un avocat une sanction disciplinaire pour manquement à son obligation de formation continue (paragraphe 42 ci-dessus).

53.  Faisant valoir que ses recours tendaient à la suppression d’un facteur d’entrave au libre exercice de la profession d’avocat, il conclut que l’issue des procédures qu’il a portées devant le Conseil d’État, lequel avait le pouvoir d’annuler les dispositions en cause, était déterminante pour ses droits de caractère civil, au sens de l’article 6 § 1.

54. La Cour n’estime pas nécessaire de trancher la question de l’applicabilité de l’article 6 § 1, dans la mesure où les griefs du requérant doivent en tout état de cause être rejetés pour les motifs ci-après exposés.

B.  Sur les griefs du requérant

1.  Le grief tiré de la présence des commissaires du gouvernement aux délibérés du Conseil d’État

a) Arguments des parties

55.  Le Gouvernement soulève à titre principal l’irrecevabilité de ce grief en raison de l’absence de préjudice important, au sens de l’article 35 § 3 b) de la Convention. Citant les critères dégagés par la jurisprudence de la Cour (notamment dans les affaires Korolev c. Russie ((déc.), no 25551/05, CEDH 2010 et Rinck c. France (déc.), no 18774/09, 19 octobre 2010), il fait valoir en premier lieu que l’enjeu de l’affaire pour le requérant était très limité, puisque les actes dont il demandait l’annulation concernaient uniquement l’organisation de la formation continue des avocats, qui est obligatoire de par la loi, et que ni son patrimoine, ni son accès à la profession, ni la prospérité de son cabinet n’étaient en cause.

56.  En deuxième lieu, le Gouvernement soutient que le respect des droits de l’homme n’exige pas d’examiner la requête au fond. Il rappelle que, dans l’affaire Etienne précitée, la Cour a déclaré la requête irrecevable pour défaut manifeste de fondement, après avoir pris note des modifications introduites en application des arrêts Kress et Martinie dans le code de justice administrative, ainsi que de la Résolution finale du Comité des Ministres sur cette question (CM/ResDH(2007)44). Le Gouvernement souligne enfin, en se référant aux affaires Holub c. République Tchèque ((déc.), 24880/05, 14 décembre 2010) et Ionescu c. Roumanie ((déc.), 36659/04, 1er juin 2010), que le troisième critère est également rempli, puisque le Conseil d’État a tranché les contestations portées devant lui par le requérant et que, dès lors, l’affaire a été dûment examinée par un tribunal interne.

57.  Subsidiairement, au fond, le Gouvernement reconnaît que les faits de la présente affaire ont eu lieu avant les modifications introduites par le décret du 1er août 2006 (paragraphe 30 ci-dessus) et s’en remet à la sagesse de la Cour sur ce point.

58. Quant au premier critère, à savoir l’existence d’un préjudice important, le requérant rappelle qu’après l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux du 14 octobre 2008, il n’y a plus de doute sur la portée de l’obligation de formation continue des avocats, qui est sanctionnée disciplinairement (paragraphe 42 ci-dessus). Dès lors, l’appréciation du Gouvernement selon laquelle l’enjeu de la présente affaire serait limité lui paraît manifestement erronée. Il souligne les points suivants : le montant de l’amende pour recours abusif que lui a infligé le Conseil d’État (1 500 EUR) ne peut être qualifié de dérisoire et représente dix fois celui de l’amende infligée dans l’affaire Rinck précitée ; l’enjeu du litige est loin d’être négligeable dès lors que du respect de l’obligation de formation continue dépend le bon exercice professionnel des avocats ; enfin il estime que se pose avec une particulière acuité la question de savoir si le législateur peut soumettre les avocats, dont le statut est selon lui, non pas légal et réglementaire, mais constitutionnel en vertu d’une décision du Conseil constitutionnel des 19-20 janvier 1981, à une obligation de formation continue sanctionnée disciplinairement.

59.  Le requérant estime en deuxième lieu que, dès lors que le Gouvernement reconnaît implicitement la violation de l’article 6 § 1 en raison de la présence des commissaires du gouvernement aux délibérés, le respect des droits de l’homme garantis par la Convention exige un examen de la requête au fond.

60.  Le requérant fait enfin valoir que sa cause n’a pas été dûment examinée par le Conseil d’État, dans la mesure où ce dernier n’a pas répondu à ses demandes de communication des pièces produites par le CNB, en violation flagrante du principe du contradictoire.

b) Appréciation de la Cour

61. Les dispositions pertinentes de l’article 35 § 3 b) de la Convention se lisent comme suit depuis l’entrée en vigueur le 1er juin 2010 du Protocole no 14 :

«  La Cour déclare irrecevable toute requête individuelle introduite en application de l’article 34, lorsqu’elle estime :

(...)

b) que le requérant n’a subi aucun préjudice important, sauf si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles exige un examen de la requête au fond et à condition de ne rejeter pour ce motif aucune affaire qui n’a pas été dûment examinée par un tribunal interne »

La Cour doit donc vérifier si le requérant a subi un « préjudice important » et, dans la négative, contrôler qu’aucune des deux clauses de sauvegarde ne trouve à s’appliquer

α) Sur l’existence d’un préjudice important

62.  La Cour rappelle que ce nouveau critère a été conçu pour lui permettre de traiter rapidement les requêtes à caractère futile afin de se concentrer sur sa mission essentielle, qui est d’assurer au niveau européen la protection juridique des droits garantis par la Convention et ses Protocoles (Stefanescu c. Roumanie (déc.), no 11774/04, § 35, 12 avril 2011 et Liga Portuguesa de Futebol Professional c. Portugal (déc.), no 49639/09, § 35, 3 avril 2012).

Issue du principe de minimis non curat praetor, la notion de « préjudice important » renvoie à l’idée que la violation d’un droit, quelle que soit sa réalité d’un point de vue strictement juridique, doit atteindre un seuil minimum de gravité pour justifier un examen par une juridiction internationale (décision Korolev précitée). Les violations purement techniques ou insignifiantes en dehors d’un cadre formaliste ne méritent pas un contrôle européen (Shefer c. Russie (déc.), no 45175/04, § 18, 13 mars 2012).

63.  Afin de vérifier si la violation d’un droit atteint le seuil minimum de gravité, il y a lieu de prendre en compte notamment les éléments suivants : la nature du droit prétendument violé, la gravité de l’incidence de la violation alléguée dans l’exercice d’un droit et/ou les conséquences éventuelles de la violation sur la situation personnelle du requérant. Dans l’évaluation de ces conséquences, la Cour examinera, en particulier, l’enjeu de la procédure nationale ou son issue (Giusti c. Italie, no 13175/03, § 34, 18 octobre 2011 et décision Liga Portuguesa de Futebol Professional précitée, § 36).

64.  En l’espèce, le requérant se plaint du fait que, lors des audiences devant le Conseil d’État, les commissaires du gouvernement (désormais appelés rapporteurs publics) ont assisté aux délibérés des formations de jugement ; il estime que leur seule présence, fût‑elle passive, a pu influer sur leur issue.

65.  La Cour souligne que, dans la récente affaire Marc-Antoine c. France ((déc.), no 54984/09 no 54984/09, § 32, 4 juin 2013), elle a rappelé que le rôle du rapporteur public consiste à procéder à une analyse du dossier et à exposer publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu’elles appellent. Elle a également noté que le requérant ne démontrait pas en quoi le rapporteur public serait susceptible d’être qualifié d’adversaire ou de partie dans la procédure.

66.  La Cour estime que rien ne permet de s’écarter de cette approche dans la présente affaire, où le requérant se plaint uniquement de ce que les commissaires du gouvernement ont assisté aux délibérés, mais ne prétend pas qu’ils y auraient participé. Dès lors, sans remettre en cause sa jurisprudence antérieure résultant notamment des arrêts Kress et Martinie précités, elle considère que la violation alléguée par le requérant peut être qualifiée de purement technique et formelle, au sens de la décision Shefer précitée (§ 18) et n’a pas eu de conséquences sur sa situation personnelle. Elle précise à cet égard que l’on ne saurait, comme le fait le requérant, assimiler le « préjudice », au sens de l’article 35 § 3 b), à l’amende pour recours abusif qui lui a été infligée (décision Liga Portuguesa de Futebol Professional précitée, § 39).

67. S’agissant enfin de l’enjeu des procédures en cause, la Cour note avec le Gouvernement que les textes objets des recours du requérant concernaient uniquement la mise en œuvre de la formation continue des avocats, que la loi du 11 février 2004 a rendue obligatoire, et n’avaient pas d’incidence sur son exercice professionnel

68.  Dans ces conditions, la Cour arrive à la conclusion que le requérant n’a pas subi un « préjudice important », au sens de l’article 35 § 3 b).

β) Sur la question de savoir si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles exige d’examiner la requête au fond

69.  La Cour rappelle qu’elle a déjà jugé que le respect des droits de l’homme n’exige pas la poursuite de l’examen de la requête lorsque, par exemple, la législation pertinente a été modifiée et que des questions similaires ont déjà été résolues dans d’autres affaires portées devant elle (Léger c. France (radiation) [GC], no 19324/02, § 51, 30 mars 2009 et décision Ionescu précitée, § 37).

70. Comme la Cour l’a relevé dans l’affaire Etienne précitée, dans le cadre des mesures générales prises en vue d’assurer l’exécution des arrêts Kress et Martinie, le code de justice administrative a été modifié par le décret no 2006-964 du 1er août 2006, entré en vigueur le 1er septembre 2006, qui a introduit dans le code un article R. 732‑2 selon lequel, devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, le délibéré a lieu hors la présence des parties et du commissaire du gouvernement (désormais le rapporteur public) ; s’agissant de la procédure devant le Conseil d’État, le nouvel article R. 733‑3 prévoit expressément la faculté pour les parties de demander que le commissaire du gouvernement n’assiste pas au délibéré, cette faculté étant indiquée sur l’avis d’audience adressé aux parties (R. 712-1 du même code).

Par ailleurs, au vu des mesures individuelles et générales prises par le Gouvernement, le Comité des Ministres, dans sa Résolution finale CM/ResDH(2007)44, a estimé qu’il avait rempli ses fonctions en vertu de l’article 46 § 2 de la Convention et qu’il convenait de clore l’examen des affaires concernées (voir paragraphe 56 ci-dessus et décision Etienne précitée).

71.  Dans ces conditions, compte tenu du fait que la présente requête ne présente plus qu’un intérêt historique, la Cour estime que le respect des droits de l’homme n’exige pas la poursuite de l’examen de ce grief (décision Ionescu précitée et Boelens et autres c. Belgique (déc.), no 20007/09, 11 septembre 2012).

γ) Sur la question de savoir si les affaires ont été dûment examinées par un tribunal interne

72.  Le troisième élément du nouveau critère d’irrecevabilité vise à assurer qu’aucune requête ne sera rejetée de cette manière par la Cour si l’affaire n’a pas été dûment examinée par un tribunal interne.

73.  La Cour a déjà eu l’occasion de préciser à cet égard qu’un tel « examen » par un tribunal interne doit porter sur l’affaire (au sens de demande, action, prétention) que le requérant a portée devant ledit tribunal, plutôt que sur les griefs tels qu’ils sont ensuite soumis à la Cour (Holub et Liga Portuguesa de Futebol Professional (§ 47), décisions précitées).

74.  En l’espèce, la Cour constate que les recours du requérant ont été examinés par le Conseil d’État statuant en premier et dernier ressort, qui a répondu à l’ensemble des moyens qu’il avait soulevés. Quant à la question de savoir si ses affaires ont été « dûment examinées », la Cour rappelle que cette condition ne saurait être interprétée aussi strictement que les exigences de l’équité de la procédure ; sinon, l’on ne comprendrait pas pourquoi le libellé de l’article 35 § 3 b) n’utilise pas le terme de « examinée équitablement » (Holub et Liga Portuguesa de Futebol Professional (§ 48), décisions précitées). Par ailleurs, le grief du requérant tenant au non-respect du principe du contradictoire est envisagé ci-après (paragraphes 81-86 ci‑dessous). Dans ces conditions, la Cour conclut que les affaires du requérant ont été dûment examinées.

75.  Les trois conditions du nouveau critère de recevabilité étant réunies, la Cour estime que, dans les circonstances de l’espèce, ce grief doit être déclaré irrecevable conformément à l’article 35 §§ 3 b) et 4 de la Convention.

2.  Les griefs tirés du non-respect du principe du contradictoire

a) La non-transmission alléguée des annexes au mémoire du Conseil national des barreaux (CNB)

α) Arguments des parties

76.  Le Gouvernement soutient qu’il n’a pas été porté atteinte en l’espèce au principe du contradictoire. Il fait valoir, d’une part, que si les observations en réponse du CNB mentionnaient deux pièces (la lettre de transmission aux ordres, syndicats et groupements techniques de la profession d’un avant-projet de décision, ainsi que la lettre de notification de la décision attaquée à ces mêmes organismes), ces pièces n’ont pas été annexées au mémoire reçu par le Conseil d’État. Le requérant aurait fort bien pu s’en rendre compte par lui-même, dès lors qu’il avait la faculté de consulter les pièces enregistrées au greffe.  Le Gouvernement souligne, d’autre part, qu’à les supposer jointes au mémoire du CNB, ces pièces n’auraient pu avoir aucune influence sur l’issue du litige : en effet, elles n’avaient pour objet que de témoigner du respect par le CNB de la procédure ; en tout état de cause, le requérant n’avait soulevé, dans son recours devant le Conseil d’État, aucun moyen de vice de procédure contre la décision en cause.

77.  Invité par la Cour à transmettre le dossier contentieux de l’affaire devant le Conseil d’État, le Gouvernement a indiqué dans ses observations complémentaires que cette communication n’était pas possible, le dossier ayant été détruit à la suite d’une erreur. Il précise toutefois qu’il est possible d’affirmer que le dossier détruit ne comportait pas les pièces annoncées, au vu de la « fiche requête » qu’il produit. Il s’agit d’un fichier informatique rempli par le greffe et le secrétariat de la sous-section, qui retrace l’ensemble des événements concernant l’instruction d’un dossier. La fiche requête comporte une rubrique NP (abréviation pour « nombre de pièces ») qui permet de connaître, pour chaque production faite par une partie, le nombre de pièces reçues et enregistrées. Ainsi, un mémoire produit sans pièce sera noté comme une pièce, et un mémoire comportant deux pièces jointes donnera lieu à la mention « trois pièces reçues ». Or, le Gouvernement souligne que la fiche requête du dossier en cause mentionne que le mémoire du CNB a été enregistré comme ayant été reçu le 29 juillet 2005 et que la colonne NP indique le nombre 1, ce qui implique qu’aucune pièce n’était jointe au mémoire.

78 Dans ses observations en réponse à celles du Gouvernement, le requérant note que ce dernier n’apporte aucune preuve de la réalité des pièces effectivement produites par le CNB et qu’il se déduit à l’inverse de ses observations que les pièces en cause n’ont pas été remises au Conseil d’État. Il estime que cette circonstance aurait dû conduire ce dernier à les réclamer au CNB et à les lui transmettre. Il considère qu’en tout état de cause le Conseil d’État aurait dû lui notifier l’inventaire détaillé des pièces et l’informer qu’il pouvait en prendre connaissance et copie au greffe, conformément aux articles R.412-2 et R. 611-5 du code de justice administrative. Il estime dès lors que les autorités ont violé l’article 6 § 1 en se dérobant aux obligations procédurales de nature à assurer aux parties les conditions d’un procès équitable.

79.  Le requérant fait valoir par ailleurs que, contrairement à ce que soutient le Gouvernement, les pièces non communiquées présentaient un intérêt certain pour la discussion au fond devant le Conseil d’État. En effet, dès lors qu’il avait soulevé dans sa requête introductive un moyen de légalité externe (l’incompétence du CNB), il était recevable à soulever un autre moyen de légalité externe, à savoir le non-respect par le CNB de la procédure prescrite pour édicter sa décision, ce qui aurait pu conduire à l’annulation de cette dernière.

80.  Le requérant n’a fait aucune observation sur les informations complémentaires fournies par le Gouvernement (paragraphe 77 ci-dessus).

β) Appréciation de la Cour

81.  La Cour rappelle que le droit à une procédure contradictoire, l’un des éléments de la notion plus large de procès équitable, implique en principe  la faculté pour les parties aux procès, pénal ou civil, de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge en vue d’influencer sa décision et de la discuter (voir notamment Van Orshoven c. Belgique, 25  juin 1997, § 33, Recueil des arrêts et décisions 1997‑III, Kress précité, § 74 et décision Marc-Antoine précitée, § 30).

82.  Le requérant se plaignait initialement du refus du Conseil d’État de lui transmettre les deux pièces annoncées par le CNB comme étant annexées à son mémoire en réplique. Il s’agissait en l’espèce des deux lettres par lesquelles le CNB avait transmis l’avant-projet de décision normative, puis la décision elle-même, aux ordres, syndicats professionnels et organismes techniques de la profession d’avocat (paragraphe 43 ci-dessus).

83.  Toutefois, au vu des informations supplémentaires soumises par le Gouvernement, la Cour estime établi que les pièces en question n’étaient pas jointes au mémoire et qu’en conséquence la juridiction de jugement n’en a pas eu connaissance.

84.  Par la suite, le requérant a soutenu que le Conseil d’État aurait dû réclamer ces annexes au CNB et les lui transmettre, ou à tout le moins lui notifier l’inventaire détaillé des pièces et l’informer qu’il pouvait en prendre connaissance et copie au greffe.

85.  La Cour estime toutefois que le principe du contradictoire ne va pas jusqu’à obliger une juridiction à solliciter des pièces qui n’ont pas été produites par la partie concernée. Par ailleurs, elle relève que le requérant s’appuie sur des articles du code de justice administrative qui ne sont pas applicables en l’espèce, puisqu’ils concernent l’hypothèse de pièces dont le nombre, le volume ou les caractéristiques empêchent qu’il en soit transmis copie (paragraphe 27 ci-dessus). Elle note en tout état de cause que, même en l’absence d’inventaire, le requérant ne pouvait se méprendre sur les deux pièces en cause, qui étaient clairement mentionnées dans le mémoire du CNB.

86.  Dans ces conditions, la Cour ne relève en l’espèce au détriment du requérant aucune atteinte au principe du contradictoire ni, plus largement à l’équité de la procédure sur ce point.  Il s’ensuit que cette partie du grief est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

b) La non-communication des conclusions du commissaire du gouvernement

87.  Le requérant se plaint de ce que, dans la procédure qui a donné lieu à l’arrêt du 27 juillet 2006, le commissaire du gouvernement ne lui a pas communiqué ses conclusions avant l’audience.

88.  La Cour rappelle que le requérant ne saurait tirer du principe du contradictoire reconnu par l’article 6 § 1 de la Convention le droit de se voir communiquer, préalablement à l’audience, des conclusions qui n’ont été communiquées à aucune des parties à l’instance, à savoir ni au rapporteur, ni aux juges de la formation de jugement (Kress précité, § 73 et Immeubles Groupe Kosser c. France, no 38748/97, § 23, 21 mars 2002). Par ailleurs, il n’est pas contesté que le requérant pouvait répliquer par une note en délibéré aux conclusions du commissaire du gouvernement (Kress précité § 76, et décision Marc-Antoine précitée, § 36).

89.  Il s’ensuit que cet aspect du grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

3.  Le grief tiré de l’absence de question préjudicielle à la Cour de justice

90.  Le requérant reproche au Conseil d’État de ne pas avoir posé de question préjudicielle à la Cour de justice, comme il le sollicitait, en vertu de l’ancien article 177, devenu article 234 du Traité CE (actuel article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne).

a) Rappel des principes

91. La Cour rappelle qu’il revient au premier chef aux autorités nationales, tout particulièrement aux cours et tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne, le cas échéant en conformité avec le droit de l’Union européenne, le rôle de la Cour se limitant à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de leurs décisions (voir, mutatis mutandis, Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, § 54, CEDH 1999‑I, Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne [GC], nos 34044/96, 35532/97 et 44801/98, § 49, CEDH 2001-II, et Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi v. Ireland [GC], no 45036/98, § 143, ECHR 2005‑VI).

92.  La Cour rappelle ensuite que la Convention ne garantit pas, comme tel, un droit à ce qu’une affaire soit renvoyée à titre préjudiciel par le juge interne devant une autre juridiction, qu’elle soit nationale ou supranationale (voir notamment Coëme et autres c. Belgique, nos 32492/96, 32547/96, 32548/96, 33209/96 et 33210/96, § 114, CEDH 2000-VII, Ullens de Schooten et Rezabek précité, § 57 et Ferreira Santos Pardal c. Portugal (déc.), no 30123/10, 4 Septembre 2012)

93.  Toutefois, la Cour n’exclut pas que, lorsqu’un mécanisme de renvoi préjudiciel existe, le refus d’un juge interne de poser une question préjudicielle puisse, dans certaines circonstances, affecter l’équité de la procédure, que la juridiction compétente pour statuer à titre préjudiciel soit interne ou communautaire ; il en va ainsi lorsque le refus s’avère arbitraire (Ullens de Schooten et Rezabek précité, § 59, et la jurisprudence citée).

94.  Dans le cadre spécifique du renvoi préjudiciel prévu par le troisième alinéa de l’article 234 du Traité CE, cela signifie que les juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne qui refusent de saisir la Cour de justice à titre préjudiciel d’une question relative à l’interprétation du droit de l’Union européenne soulevée devant elles sont tenues de motiver leur refus au regard des exceptions prévues par la jurisprudence de la Cour de justice. Il leur faut donc indiquer les raisons pour lesquelles elles considèrent que la question n’est pas pertinente, que la disposition de droit de l’Union européenne en cause a déjà fait l’objet d’une interprétation de la part de la Cour de justice ou que l’application correcte du droit de l’Union européenne s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable (Ullens de Schooten et Rezabek précité, § 62, décision Ferreira Santos Pardal précitée et Stichting Mothers of Srebrenica et autres c. Pays‑Bas (déc.), no 65542/12, § 172 CEDH 2013 (extraits)).

95. La Cour a toutefois rappelé dans la décision Stichting Mothers of Srebrenica et autres précitée (§ 174), dans le contexte du renvoi préjudiciel à la Cour de justice, que si l’article 6 § 1 oblige les tribunaux à motiver leurs décisions, cette obligation ne peut se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument ; de même, la Cour n’est pas appelée à rechercher si les arguments ont été adéquatement traités (voir également Van de Hurk c. Pays Bas, 19 avril 1994, § 61 et Perez c. France [GC], no 47287/99, §§ 81-82, CEDH 2004‑I).

b) Application au cas d’espèce

96.  La Cour observe tout d’abord que le requérant invoquait la contrariété des textes internes avec un certain nombre de normes de droit communautaire (liberté de prestation de services, droit d’établissement et liberté de la concurrence) et de principes généraux du droit communautaire (égalité de traitement, sécurité juridique, confiance légitime et non‑discrimination). Par ailleurs, ce n’était qu’à titre subsidiaire qu’il sollicitait du Conseil d’État qu’il pose une question préjudicielle à la Cour de justice, puisque ses demandes étaient ainsi rédigées :

« Subsidiairement, s’il estimait nécessaire d’obtenir une interprétation du droit communautaire pour trancher le présent litige, le Conseil d’État serait amené à poser à la Cour de justice des Communautés européennes (...) la question préjudicielle suivante (...) »

97.  La Cour note ensuite qu’en réponse aux arguments du requérant, le Conseil d’État a estimé que ni les dispositions de l’article 14-2 de la loi du 31 décembre 1971 précitée, telle que modifiée par la loi du 11 février 2004, qui se borne à poser le principe d’une formation continue obligatoire pour les avocats établis en France, quelle que soit leur origine, ni celles du décret modifié ne portaient une atteinte disproportionnée à la liberté d’établissement ou à la liberté de prestation de services ou ne constituaient une discrimination ; il a également considéré que le contrôle fondé sur l’obligation pour chaque avocat de déclarer les conditions dans lesquelles il avait rempli ses obligations de formation selon les modalités prévues par la décision normative du CNB ne portait pas davantage atteinte à ces deux libertés. Par ailleurs, il a jugé que les moyens tirés de la méconnaissance, par les textes en cause, de principes généraux du droit communautaire étaient inopérants, dès lors que ces dispositions n’avait pas été prises pour la mise en œuvre du droit communautaire.

98.  La Cour relève que, ce faisant, le Conseil d’État a fait application de la jurisprudence bien établie de la Cour de justice selon laquelle, en premier lieu, en l’absence de règles communautaires en la matière, chaque État membre est libre de régler l’exercice de la profession d’avocat sur son territoire et les organismes professionnels tels les ordres d’avocats, lorsqu’ils adoptent une réglementation nécessaire au bon exercice de la profession, ne portent pas une atteinte injustifiée à la concurrence, ni à la liberté d’établissement et de prestation de services et, en second lieu, les normes et principes du droit communautaire ne trouvent à s’appliquer dans un État membre que pour autant que la situation en cause est régie par le droit communautaire (paragraphes 23-25 ci-dessus).

99.  Dès lors, la Cour constate qu’en répondant de la sorte aux arguments du requérant, le Conseil d’État s’est placé dans le cadre des exceptions prévues par la jurisprudence de la Cour de justice, à savoir l’absence de doute sur l’application correcte du droit communautaire et le défaut de pertinence d’un moyen soulevé. Compte tenu, au surplus, de ce que les demandes de renvoi préjudiciel n’étaient formées qu’à titre subsidiaire, la Cour conclut que cette motivation était suffisante au regard des exigences de l’article 6 § 1 (voir les décisions précitées Ferreira Santos Pardal et Stichting Mothers of Srebrenica et autres (§ 173)).

100.  Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

4.  Le grief tiré de l’amende pour recours abusif

101.  Citant l’article 10 de la Convention, le requérant fait valoir que l’accès à un tribunal procède de la liberté d’expression et se plaint que l’amende pour recours abusif qui lui a été infligée par l’arrêt du 27 juillet  2006 constitue une atteinte injustifiée à sa liberté d’expression. Il cite les arrêts Nikula c. Finlande (no 31611/96, CEDH 2002‑II), Steur c. Pays-Bas (no 39657/98, CEDH 2003‑XI), et Kyprianou c. Chypre ([GC], no 73797/01, CEDH 2005‑XIII).

102.  La Cour observe que, contrairement aux situations en cause dans les affaires précitées, le requérant n’a pas été sanctionné pour des déclarations ou écrits mettant en cause le tribunal ou le ministère public. Elle examinera donc son grief sous l’angle de l’accès au tribunal garanti par l’article 6 § 1 de la Convention.

103.  La Cour rappelle que les amendes pour procédure abusive, dont le but est de se prémunir contre des plaideurs téméraires et d’assurer ainsi une bonne administration de la justice, ne sont pas par principe incompatibles avec l’article 6 § 1 (Poilly c. France (déc.), no 68155/01, 15 octobre 2002 et Maillard c. France, no 35009/02, §§ 35-38, 6 décembre 2005).

104.  En l’espèce, elle ne relève aucune apparence d’arbitraire et estime que le montant de l’amende prononcée (1500 EUR) n’est pas suffisamment élevé pour constituer un obstacle à l’accès à un tribunal, ce d’autant plus que le requérant n’a pas été concrètement empêché de saisir le Conseil d’État.

105.  Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

II. SUR LES AUTRES GRIEFS

106.  Le requérant soulève également d’autres griefs tirés des articles 3, 6, 8 et 14 combiné avec les articles 3 et 8 de la Convention ainsi qu’avec l’article 1 du Protocole no 1.

107.  Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles.

108.  Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à la majorité,

Déclare la requête irrecevable.

Claudia WesterdiekMark Villiger
GreffièrePrésident

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CEDH, Cour (cinquième section), KRIKORIAN c. FRANCE, 26 novembre 2013, 6459/07