CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE ASCIUTTO c. ITALIE, 27 novembre 2007, 35795/02

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Sur la décision

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE ASCIUTTO c. ITALIE

(Requête no 35795/02)

ARRÊT

STRASBOURG

27 novembre 2007

DÉFINITIF

07/07/2008

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Asciutto c. Italie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MmeF. Tulkens, présidente,
MM.A.B. Baka,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
V. Zagrebelsky,
MmeA. Mularoni,
M.D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 novembre 2007,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 35795/02) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Santo Asciutto (« le requérant »), a saisi la Cour le 14 septembre 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant est représenté par Me C. Defilippi, avocat à Parme. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. I. M. Braguglia, et par son coagent adjoint, M. N. Lettieri.

3.  Le 16 septembre 2005, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4.  Le requérant est né en 1964 et est actuellement détenu à Terni.

1. L’application de l’article 41 bis de la loi sur l’organisation pénitentiaire

5.  Détenu depuis 1994, le requérant fut condamné à la prison à perpétuité, par un arrêt de la cour d’assises de Palmi, pour homicide et d’autres délits liés aux activités d’une association de malfaiteurs de type mafieux.

6.  Par un arrêté du ministre de la Justice du 8 février 1996, le requérant fut soumis au régime de détention spéciale prévu par l’article 41 bis de la loi no 354 du 26 juillet 1975 sur l’organisation pénitentiaire qui déroge aux conditions normales de détention lorsque des raisons d’ordre et de sécurité publics l’exigent.

7.  Cet arrêté imposait les restrictions suivantes :

-  interdiction d’utiliser le téléphone, sauf un appel – à enregistrer – par mois avec les membres de sa famille, si le requérant n’a pas eu d’entrevue ;

-  interdiction de s’entretenir ou d’échanger du courrier avec d’autres détenus, même s’il s’agit de membres de la famille ;

-  interdiction d’échanger de la correspondance, sauf si elle est soumise au visa du directeur de la prison ou de son délégué, ou si elle est adressée au Conseil de l’Europe ou à la Cour européenne des Droits de l’Homme ;

-  interdiction d’avoir des entrevues avec des tiers ;

-  limitation des entrevues avec des membres de la famille : au maximum une par mois, d’une durée d’une heure ;

-  interdiction de recevoir ou d’envoyer à l’extérieur des sommes d’argent au-delà d’un montant déterminé, sauf pour le paiement des frais de défense et des amendes ;

-  interdiction de recevoir des colis, à l’exception d’un certain nombre contenant du linge ;

-  interdiction d’organiser et de participer à des activités culturelles, récréatives et sportives ;

-interdiction d’élire des représentants de détenus et d’être élu à ce titre ;

-  interdiction d’exercer des travaux manuels ;

-  interdiction d’acheter des denrées alimentaires nécessitant cuisson ;

-  limitation des heures de promenade à deux ou quatre heures par jour.

8.  L’arrêté du 8 février 1996 fut suivi d’autres arrêtés qui en prorogèrent l’application pour des périodes successives de six mois ou un an. Ceux-ci étaient datés respectivement des 5 août 1996, 10 février 1997, 31 juillet 1997, 4 février 1998, 30 juillet 1998, 26 janvier 1999, 22 juillet 1999, 23 décembre 1999, 18 juin 2000, 21 décembre 2000, 18 juin 2001, 28 décembre 2001, 28 décembre 2002 et 23 décembre 2003. Ces arrêtés prévoyaient toutes les mêmes restrictions.

Le ministre de la Justice considéra qu’elles s’imposaient en considération des informations recueillies, qui laissaient présumer que le requérant avait gardé des contacts avec le milieu criminel dont il était issu et qu’il aurait pu les utiliser pour donner des directives ou instaurer des liens avec le monde extérieur, pouvant porter atteinte à l’ordre public et à la sûreté des établissements pénitentiaires.

9.  Le requérant attaqua certains des arrêtés ministériels devant le tribunal d’application des peines de l’Aquila et de Pérouse et contesta l’application du régime spécial à son encontre.

Le tribunal d’application des peines de l’Aquila rejeta les recours contre les arrêtés des 4 février 1998, 30 juillet 1998, 26 janvier 1999, 22 juillet 1999 et 23 décembre 1999, en affirmant que l’application du régime spécial se justifiait à la lumière des informations recueillies par la police et les autorités judiciaires sur le compte du requérant.

10.  En revanche, par une ordonnance du 23 novembre 2000, le tribunal d’application des peines de Pérouse accueillit partiellement le recours contre l’arrêté du 22 juin 2000, annulant la restriction relative à la réception des colis de linge et le rejetant pour le surplus.

11.  Par la suite, par des ordonnances respectives des 15 novembre 2001, 23 mai 2002 et 12 juin 2002, le tribunal d’application des peines annula partiellement les arrêtés des 18 juin 2001, 13 décembre 2001 et 28 décembre 2002, affirmant à chaque fois que la restriction relative à la possibilité pour le requérant de recevoir des colis de linge de l’extérieur n’était pas justifiée.

12.  Le requérant signale ne jamais avoir eu la possibilité de se pourvoir en cassation contre les décisions des tribunaux d’application des peines car la haute juridiction, selon sa jurisprudence constante de l’époque, aurait déclaré le pourvoi irrecevable pour défaut d’intérêt en raison de l’expiration du délai de validité de l’arrêté attaqué.

2. Le contrôle de la correspondance

13.  La correspondance du requérant, hormis celle avec la Cour européenne des Droits de l’Homme, est soumise au contrôle des autorités pénitentiaires depuis le 27 juin 2001.

Le juge d’application des peines de Spolète a prorogé le contrôle de la correspondance par des arrêtés successifs, dont le dernier à la connaissance de la Cour a été pris le 26 juin 2002.

3.  Les poursuites pénales s’étant déroulées en vidéoconférence

14.  En 1996, lorsque le requérant était détenu, des poursuites furent entamées contre lui devant la cour d’assise de Turin pour d’autres délits commis dans le cadre des activités de l’association mafieuse dont il était membre.

15.  Par un arrêt du 6 juin 2001, la cour d’assises condamna le requérant à une peine de réclusion.

Ce dernier interjeta appel et demanda d’appliquer une peine négociée avec le représentant du parquet aux termes de l’article 444 du Code de la procédure pénale (« CPP »). Par un arrêt du 2 février 2002, ayant acquis l’autorité de la chose jugée le 18 juin 2002, la cour d’assises d’appel de Turin condamna le requérant à une peine de vingt huit ans d’emprisonnement.

16.  Le requérant étant soumis au régime spécial de détention impliquant, entre autres, des restrictions aux contacts avec l’extérieur, la cour d’assises et la cour d’assise d’appel de Turin ordonnèrent que l’intéressé ne soit pas transféré de la prison à la salle d’audience et décidèrent qu’il participerait aux débats par vidéoconférence.

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

Le régime de détention spéciale et le contrôle de la correspondance

17.  Dans son arrêt Ospina Vargas, la Cour a donné un résumé du droit et de la pratique internes pertinents quant au régime de détention spéciale appliqué en l’espèce et quant au contrôle de la correspondance (Ospina Vargas c. Italie, no 40750/98, §§ 23-33, 14 octobre 2004). Elle a aussi fait état des modifications introduites par la loi no 279 du 23 décembre 2002 (ibidem).

18.  Compte tenu de cette réforme et des décisions de la Cour (voir, par exemple, Ganci c. Italie, no 41576/98, §§ 19-31, CEDH 2003-XI), la Cour de cassation s’est écartée de sa jurisprudence antérieure concernant les pourvois contre des arrêtés ministériels appliquant le régime de détention spéciale. Elle a estimé qu’un détenu a intérêt à avoir une décision, même si la période de validité de l’arrêté attaqué a expiré, et cela en raison des effets directs de la décision sur les arrêtés postérieurs à l’arrêté attaqué (voir l’arrêt de la première chambre de la Cour de cassation rendu le 26 janvier 2004 dans l’affaire Zara, no 4599).

L’audition par vidéoconférence

19.  La loi no 11 du 7 janvier 1998 a introduit, parmi les dispositions d’exécution du CPP, un article 146bis qui, dans ses parties pertinentes et tel qu’en vigueur à l’époque de l’écoute de la conversation du requérant avec son avocat, était ainsi libellé :

« 1. Dans le cadre d’une procédure concernant l’une des infractions prévues à l’article 51, paragraphe 3bis du code [il s’agit principalement d’infractions liées aux activités de la mafia et d’autres délits graves], pour la personne qui, à quelque titre que cela soit, se trouve détenue dans un pénitencier, la participation aux débats a lieu à distance (a distanza) dans les cas suivants :

a)      lorsqu’il y a de graves exigences de sûreté ou d’ordre public ;

b)      lorsque les débats sont particulièrement complexes et que la participation à distance paraît nécessaire pour éviter des retards dans leur déroulement. L’exigence d’éviter des retards dans le déroulement des débats est évaluée aussi en relation avec le fait que se trouvent en même temps pendants contre le même accusé des procès distincts devant des tribunaux différents.

c)       s’il s’agit d’un détenu à l’égard duquel a été ordonnée l’application des mesures prévues à l’article 41bis de la loi no 354 du 26 juillet 1975 (...).

2. La participation aux débats à distance est décidée, éventuellement d’office, par le président du tribunal ou de la cour d’assises (...) durant la phase des actes préliminaires, ou bien par le juge (...) au cours des débats. L’ordonnance est communiquée aux parties et aux défenseurs au moins dix jours avant l’audience.

3. Lorsqu’on ordonne la participation à distance, une liaison audiovisuelle entre la salle d’audience et le lieu de détention est activée, avec des modalités de nature à assurer la vision simultanée, effective et réciproque des personnes présentes dans les deux endroits et la possibilité d’entendre ce qui est dit. Si la mesure est adoptée à l’encontre de plusieurs prévenus se trouvant, à quelque titre que cela soit, en détention dans des lieux différents, chacun [d’entre eux] est mis en mesure, par l’intermédiaire du même dispositif, de voir et d’entendre les autres.

4. Le défenseur ou son remplaçant ont toujours le droit d’être présents à l’endroit où se trouve l’accusé. Le défenseur ou son remplaçant présent dans la salle d’audience et l’accusé peuvent se consulter de manière confidentielle, au moyen d’instruments techniques adaptés.

5. Le lieu où l’accusé est relié par liaison audiovisuelle à la salle d’audience est assimilé à celle-ci (è equiparato all’aula d’udienza).

6. Un auxiliaire habilité à assister le juge (...) est présent à l’endroit où se trouve l’accusé et en certifie l’identité, donnant acte qu’il n’y a aucun empêchement ou limitation à l’exercice des droits et des facultés dont il est titulaire. Il donne également acte du respect des dispositions du paragraphe 3 et de la deuxième phrase du paragraphe 4, ainsi que, si l’examen a lieu, des précautions adoptées pour en assurer la régularité (...). A cette fin, il consulte, si nécessaire, l’accusé et son défenseur. (...)

7. Si au cours des débats il est nécessaire de procéder à une confrontation ou à la reconnaissance de l’accusé ou à un autre acte qui implique l’observation de sa personne, le juge, s’il l’estime indispensable, après avoir entendu les parties, ordonne la présence de l’accusé dans la salle d’audience pour le temps nécessaire à l’accomplissement de l’acte. »

20.  Cette disposition a ensuite été modifiée par la loi no 4 du 19 janvier 2001, qui a supprimé la lettre c) du premier alinéa et a inséré un paragraphe 1bis, ainsi libellé : « Hormis les cas prévus au paragraphe 1, la participation aux débats a lieu à distance également dans le cadre d’une procédure menée à l’encontre d’un détenu qui a fait l’objet des mesures prévues à l’article 41bis, paragraphe 2, de la loi no 354 du 26 juillet 1975 (...). »

21.  La jurisprudence interne faisant application de l’article 146bis des dispositions d’exécution du CPP et le droit international pertinent concernant la participation d’un accusé aux débats par vidéoconférence sont décrits dans l’arrêt Marcello Viola c. Italie (no 45106/04, §§ 20-25, 5 octobre 2006).

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

22.  Le requérant allègue que sa soumission au régime de détention spéciale prévu par l’article 41 bis de la loi sur l’organisation pénitentiaire s’analyse en un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Cette disposition se lit ainsi :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

23.  La Cour rappelle que, pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge, de l’état de santé de la victime, etc. (Irlande c. Royaume-Uni, arrêt du 18 janvier 1978, série A no 25, p. 65, § 162).

24.  Dans cette optique, la Cour doit rechercher si l’application prolongée du régime spécial de détention prévu par l’article 41 bis – qui, par ailleurs, après la réforme de 2002, est devenu une disposition permanente de la loi sur l’administration pénitentiaire – pendant plus de treize années dans le cas du requérant constitue une violation de l’article 3. Elle doit cependant faire abstraction de la nature de l’infraction reprochée au requérant, car la « prohibition de la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants est absolue, quels que soient les agissements de la victime » (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 119, CEDH 2000-IV).

25.  La Cour admet qu’en général, l’application prolongée de certaines restrictions peut placer un détenu dans une situation qui pourrait constituer un traitement inhumain ou dégradant, au sens de l’article 3. Cependant, elle ne saurait retenir une durée précise comme constituant le moment à partir duquel est atteint le seuil minimum de gravité pour tomber dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention. En revanche, elle se doit de contrôler si, dans un cas donné, le renouvellement et la prolongation des restrictions se justifiaient.

26.  La Cour constate tout d’abord qu’à chaque fois le ministre de la Justice s’est référé, pour justifier la prorogation des restrictions, à la persistance des conditions qui justifiaient la première application; en outre, les tribunaux de l’application des peines ont contrôlé la réalité de ces constatations (voir paragraphe 8).

Pour sa part, la Cour considère que ces arguments n’étaient pas arbitraires.

27.  Enfin, le requérant n’a pas fourni à la Cour d’éléments qui lui permettraient de conclure que l’application prolongée du régime spécial de détention prévu par l’article 41 bis lui à causé des effets physiques ou mentaux tombant sous le coup de l’article 3. Dès lors, la souffrance ou l’humiliation que le requérant a pu ressentir ne sont pas allés au-delà de celles que comporte inévitablement une forme donnée de traitement - en l’espèce prolongé - ou de peine légitime (Labita, précité, § 120, et Bastone c. Italie, (déc), no 59638/00, 18 janvier 2005).

28.  La Cour considère par conséquent, au vu de l’âge et de l’état de santé du requérant, qui n’allègue pas avoir subi des effets physiques ou psychologiques préjudiciables, que le régime de détention de l’article  41bis n’a pas atteint le minimum nécessaire de gravité pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention.

29.  Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

30.  Le requérant se plaint du retard avec lequel les tribunaux d’application des peines a examiné ses recours contre les arrêtés du ministère de la Justice d’application du régime de détention spéciale. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention qui, dans ses parties pertinentes se lit ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...) qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) ».

A.  Sur la recevabilité

31.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

32.  Le Gouvernement observe que les recours contre l’application du régime de détention spéciale requièrent une procédure extrêmement complexe et considère que dans l’affaire du requérant le juste équilibre entre les exigences d’une justice rapide et d’une justice efficace n’a pas été enfreint.

33.  Le requérant allègue que les tribunaux d’application des peines ont systématiquement manqué à leur devoir de connaître ses recours dans le délai de dix jours prévu par la loi interne, l’empêchant ainsi de se pourvoir en cassation.

Il conteste l’enchaînement d’arrêtés à son encontre imposant tous les mêmes restrictions, en dépit des décisions des tribunaux d’application des peines annulant l’interdiction de recevoir des paquets de linge.

34.  La Cour rappelle qu’elle a déjà eu à connaître de ce type de situation dans d’autres requêtes dirigées contre l’Italie et a estimé que les requérants se plaignaient en substance de la méconnaissance de leur droit à un tribunal, garanti l’article 6 § 1 de la Convention (Ganci précité, §§ 23-31, et Bifulco c. Italie, no 60915/00, §§ 21-24, 8 février 2005). Dans l’arrêt Ganci, la Cour a conclu à l’applicabilité de l’article 6 § 1 dans les termes suivants :

« 23  (...) la Cour se doit de contrôler si le volet civil de l’article 6 s’applique en l’espèce, car il était question d’une « contestation sur [des] droits et obligations de caractère civil ».

  La Cour note que les procédures de réclamation avaient trait à la contestation de la régularité des restrictions à une série de droits communément reconnus aux détenus. La question de l’applicabilité de l’article 6 § 1 se pose en conséquence sous deux angles : celui de l’existence d’une « contestation » sur un « droit » défendable en droit interne, et celui du « caractère civil » ou non dudit droit.

  24.  Quant à la première condition, la Cour rappelle que, d’après sa jurisprudence constante, l’article 6 § 1 de la Convention ne trouve à s’appliquer que s’il existe une « contestation » réelle et sérieuse (Sporrong et Lönnroth c. Suède, arrêt du 23 septembre 1982, série A no 52, p. 30, § 81) portant sur des « droits et obligations de caractère civil ». La contestation peut concerner aussi bien l’existence même d’un droit que son étendue ou ses modalités d’exercice (voir notamment l’arrêt Zander c. Suède, 25 novembre 1993, série A no 279-B, p. 38, § 22), et l’issue de la procédure doit être directement déterminante pour le droit en question, l’article 6 § 1 ne se contentant pas, pour entrer en jeu, d’un lien ténu ni de répercussions lointaines (voir notamment les arrêts Masson et Van Zon c. Pays-Bas, 28 septembre 1995, série A no 327-A, p. 17, § 44, et Fayed c Royaume-Uni, 21 septembre 1994, série A no 294-B, pp. 45-46, § 56). En outre, « [l’]article 6 § 1 vaut pour les « contestations » relatives à des « droits » (de caractère civil) que l’on peut dire, au moins de manière défendable, reconnus en droit interne, qu’ils soient ou non protégés de surcroît par la Convention » (voir notamment les arrêts Editions Périscope c. France, 26 mars 1992, série A no 234‑B, p. 64, § 35, et Zander précité).

  Or la Cour constate que, lors de l’examen des réclamations introduites contre les arrêtés nos 2 et 8 (...), les juridictions saisies firent en partie droit aux demandes du requérant. Par ailleurs, la Cour constitutionnelle, dans son arrêt no 26 de 1999 (...), s’est prononcée sur la nécessité d’assurer une protection judiciaire contre les restrictions subies par les détenus.

  25.  Quant à la seconde condition, la Cour note que certaines au moins des limitations sérieuses établies par les arrêtés du ministre de la Justice au regard du requérant – comme celles visant ses contacts avec sa famille et celles ayant une retombée patrimoniale – relèvent assurément des droits de la personne et, partant, revêtent un caractère civil.

  26.  Par conséquent, la Cour constate que l’article 6 est applicable au cas d’espèce. »

35.  La Cour ne voit aucune raison de s’écarter de cette conclusion en la présente espèce. Dès lors, elle estime qu’il y a lieu de contrôler si le droit du requérant à un tribunal a été respecté dans l’examen de ses recours contre les arrêtés ministériels. Elle rappelle à cet égard que le retard mis par le tribunal d’application des peines dans l’examen des réclamations à l’encontre des arrêtés d’application du régime de détention spéciale peut poser, dans certaines conditions, des problèmes au regard de la Convention.

36.  Selon les dispositions internes pertinentes, un détenu dispose de dix jours à compter de la date de la communication de l’arrêté ministériel pour former une réclamation sans effet suspensif devant le tribunal d’application des peines. A son tour, le tribunal doit statuer dans un délai de dix jours (Ganci précité, § 29).

37.  Dans l’arrêt Messina c. Italie (no 2) (no 25498/94, §§ 94-96, CEDH 2000-X), tout en reconnaissant que le simple dépassement d’un délai légal ne constitue pas une méconnaissance du droit à un recours effectif, la Cour a affirmé que le non-respect systématique du délai de dix jours imparti au tribunal d’application des peines par la loi peut sensiblement réduire, voire annuler, l’impact du contrôle exercé par les tribunaux sur les arrêtés du ministre de la Justice. Elle est arrivée à cette conclusion en tenant compte en particulier de deux éléments : la durée limitée de chaque arrêté imposant le régime spécial et le fait que le ministre de la Justice n’est pas lié par une éventuelle décision du tribunal d’application des peines révoquant une partie ou la totalité des restrictions imposées par l’arrêté précédent. Dans ladite affaire, le ministre de la Justice avait pris, immédiatement après l’expiration du délai de validité des arrêtés attaqués, des nouveaux arrêtés réintroduisant les restrictions entre-temps levées par le tribunal d’application des peines.

38.  En outre, dans l’affaire Ganci (voir arrêt précité, § 31), la Cour a soutenu que l’absence de toute décision sur le fond des recours formés contre les arrêtés du ministre de la Justice constitue une violation du droit à un tribunal garanti par l’article 6 § 1 de la Convention.

39.  En l’espèce, la Cour observe tout d’abord que les tribunaux d’application des peines de Pérouse et l’Aquila, bien qu’au-delà du délai légal de dix jours, se sont prononcés sur les réclamations du requérant avant l’expiration de la période de validité des arrêtés litigieux (voir, a contrario, Argenti précité, §§ 44-45).

40.  Cependant, il ressort du dossier que les autorités ministérielles ne tinrent pas compte des décisions du tribunal d’application des peines de Pérouse postérieures au 23 novembre 2000, dans la mesure où celles-ci déclaraient non valide la restriction relative à la réception de paquets de linge de l’extérieur. En effet, il est établi que tous les arrêtés ministériels concernant le requérant imposaient ladite restriction.

41.  Selon la Cour, force est de constater que le non-respect systématique du délai légal de dix jours a sensiblement réduit, voire annulé l’impact du contrôle exercé par les tribunaux sur les arrêtés du ministre de la Justice et a entraîné un enchaînement d’arrêtés ne tenant pas compte des décisions judiciaires (a contrario, Cento c. Italie (déc.), no 72323/01, du 6 avril 2006).

42.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 de la Convention en raison du retard dans l’examen des recours du requérant contre les arrêtés ministériels appliquant le régime de détention spéciale.

III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 DE LA CONVENTION

43.  Le requérant se plaint de ne pas avoir été « traduit » devant un juge et d’avoir été contraint de participer par vidéoconférence aux débats devant la cour d’assises et la cour d’assises d’appel de Turin. Il invoque les articles 5 § 3 et 6 §§ 1 et 3 de la Convention, qui, dans leurs parties pertinentes, se lisent comme suit :

Article 5

« 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

c)  s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;

3.  Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience.

(...) »

Article 6

3.  Tout accusé a droit notamment à :

a)  être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;

b)  disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

c)  se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

d)  interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

e)  se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »

44.  La Cour observe d’emblée que cette partie de la requête, portant sur les modalités de la participation du requérant aux débats devant la cour d’assises et la cour d’assises d’appel de Turin, ne concerne pas la durée de la détention provisoire de l’intéressé et ne rentre manifestement pas dans le champ d’application de l’article 5 § 3 de la Convention. Les doléances concernant l’iniquité de la procédure pénale litigieuse seront partant analysées sous l’angle de l’article 6.

1  Arguments des parties

45.  Le Gouvernement conteste tout d’abord l’applicabilité de l’article 6 en l’espèce. L’intéressé n’aurait nullement étayé ses doléances et se serait borné à contester le système des auditions par vidéoconférence sans démontrer que ses droits protégés par la disposition conventionnelle invoquée aient été méconnus.

46.  En deuxième lieu, il affirme que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes puisqu’il n’a pas attaqué les ordonnances des présidents de la cour d’assises et de la cour d’assises d’appel de Turin, dont il eut connaissance dix jours avant les débats, ordonnant son audition par vidéoconférence. Il fait valoir à ce propos qu’un coaccusé du requérant dans la même procédure demanda et obtint l’autorisation de se rendre aux débats.

De plus, le requérant n’a pas allégué la prétendue iniquité de la procédure pénale contre lui du fait de l’audition par vidéoconférence, ni dans son appel devant la cour d’assises d’appel de Turin, ni dans un pourvoi en cassation.

47.  Quant au fond, le Gouvernement affirme que le déplacement fréquent des détenus particulièrement dangereux poserait de sérieux problèmes d’ordre public et de sûreté. En particulier, il multiplierait les risques d’évasion et augmenterait la probabilité de représailles à l’encontre des accusés eux-mêmes. De plus, la présence physique des détenus dans la salle d’audience aggraverait le risque d’intimidation des témoins et des parties lésées.

48.  Il soutient que toutes les conditions d’un procès équitable se seraient trouvées remplies en l’espèce, notamment par la participation effective de l’accusé aux débats assurée par la vidéoconférence, moyen technique sophistiqué qui permet de ne pas avoir à déplacer le détenu de son lieu de détention et d’éviter d’importants retards. En effet, seule la vidéoconférence aurait permis au requérant – soumis au régime carcéral différencié, détenu dans un endroit éloigné de la salle d’audience et jugé à la même époque par des juridictions différentes – de participer à ces procédures sans que leur durée en fût affectée.

49.  De l’avis du Gouvernement, il n’y aurait aucune différence substantielle entre la présence physique de l’accusé et sa participation aux débats par vidéoconférence. En effet, la vidéoconférence permettrait à l’accusé de voir et d’entendre ce qui se passe dans la salle d’audience, lui-même étant vu et entendu par les autres parties, par le juge et par les témoins. Il serait ainsi en mesure d’écouter les dépositions des témoins et de saisir tout élément susceptible d’infirmer leurs témoignages, de demander la parole et de faire toute déclaration qu’il estime utile pour sa défense.

50.  L’accusé aurait également le loisir de s’entretenir de manière confidentielle avec son avocat, présent dans la salle d’audience, au moyen d’une ligne téléphonique protégée contre toute tentative éventuelle d’interception. Le conseil du détenu aurait également la possibilité de dépêcher un remplaçant dans la salle de vidéoconférence ou, inversement, de se rendre lui-même auprès de son client et de confier au remplaçant la défense dans le prétoire.

51.  Le Gouvernement affirme qu’on ne saurait mettre à la charge de l’Etat le fait que le requérant et son conseil aient choisi de ne pas se prévaloir de cette possibilité.

52.  Quant aux craintes du requérant liées à une probable mise sous écoute de ses conversations avec son conseil pendant le procès, le Gouvernement affirme tout d’abord que l’intéressé n’a nullement étayé ses allégations, se bornant à faire état de ses soupçons. Quoi qu’il en soit, il fait valoir que la mise sous écoute des entretiens des justiciables avec leurs avocats est interdite par la loi et également impossible d’un point de vue technique. En effet, ce type de conversations a lieu par des lignes téléphoniques protégées.

53.  A la lumière de ce qui précède, le Gouvernement estime que la vidéoconférence assure l’efficacité et la rapidité de la justice sans sacrifier les droits de la défense.

54.  Le requérant s’oppose aux thèses du Gouvernement. Il affirme tout d’abord que le droit italien ne prévoit aucune voie de recours contre les ordonnances présidentielles ordonnant l’audition par vidéoconférence.

Ensuite, il se plaint de ce que la participation à son procès par vidéoconférence aurait violé son droit à la défense. Il allègue ne pas avoir eu la possibilité, garantie par la loi, de rester en contact direct avec son avocat, si ce n’est par des communications téléphoniques qui ont d’ailleurs pu être mises sous écoute.

2.  Appréciation de la Cour

55.  La Cour observe d’emblée, quant à la question de l’applicabilité de l’article 6, que la cour d’assises et la cour d’assises de Turin étaient appelées à examiner l’affaire du requérant en fait et en droit et à procéder à une appréciation globale de la culpabilité ou de l’innocence de celui-ci. La participation de ce dernier aux débats étant donc nécessaire aux termes de la Convention, l’article 6 est applicable en l’espèce.

56.  Ensuite, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de se pencher sur la question du non épuisement des voies de recours internes soulevée par le gouvernement italien, car le grief du requérant est de toute façon irrecevable pour les raisons suivantes.

57.  La Cour rappelle que la comparution d’un prévenu revêt une importance capitale dans l’intérêt d’un procès pénal équitable et juste (Lala c. Pays-Bas, arrêt du 22 septembre 1994, série A no 297-A, p. 13, § 33, Poitrimol c. France, arrêt du 23 novembre 1993, série A no 277-A, p. 15, § 35, et De Lorenzo c. Italie (déc.), no 69264/01, 12 février 2004), en raison tant de son droit à être entendu que de la nécessité de contrôler l’exactitude de ses affirmations et de les confronter avec les dires de la victime, dont il y a lieu de protéger les intérêts, ainsi que des témoins (Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 92, 1er mars 2006). L’article 6, lu comme un tout, reconnaît donc à l’accusé le droit de participer réellement à son procès. Cela inclut en principe, entre autres, le droit non seulement d’y assister, mais aussi d’entendre et suivre les débats (Stanford c. Royaume-Uni, arrêt du 23 février 1994, série A no 282-A, p. 10, § 26).

58.  En outre, quoique non absolu, le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin commis d’office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable (Poitrimol précité, p. 14, § 34). Un accusé n’en perd pas le bénéfice du seul fait de son absence aux débats (Mariani c. France, no 43640/98, § 40, 31 mars 2005). Il est en effet d’une importance cruciale pour l’équité du système pénal que l’accusé soit adéquatement défendu tant en première instance qu’en appel (Lala précité, p. 13, § 33, et Pelladoah c. Pays-Bas, arrêt du 22 septembre 1994, série A no 297-B, pp. 34-35, § 40).

59.  A cet égard, il ne faut pas oublier que la Convention a pour but de « protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs », et que la nomination d’un conseil n’assure pas à elle seule l’effectivité de l’assistance qu’il peut procurer à l’accusé (Imbrioscia c. Suisse, arrêt du 24 novembre 1993, série A no 275, p. 13, § 38, et Artico c. Italie, arrêt du 13 mai 1980, série A no 37, p. 16, § 33).

60.  En particulier, le droit, pour l’accusé, de communiquer avec son avocat hors de portée d’écoute d’un tiers figure parmi les exigences élémentaires du procès équitable dans une société démocratique et découle de l’article 6 § 3 c) de la Convention. Si un avocat ne pouvait s’entretenir avec son client sans surveillance et en recevoir des instructions confidentielles, son assistance perdrait beaucoup de son utilité (S. c. Suisse, arrêt du 28 novembre 1991, série A no 220, p. 16, § 48). L’importance de la confidentialité des entretiens entre l’accusé et ses avocats pour les droits de la défense a été affirmée dans plusieurs textes internationaux, y compris les textes européens (Brennan c. Royaume-Uni, no 39846/98, §§ 38-40, CEDH 2001-X). Cependant, l’accès d’un accusé à son avocat peut être soumis à des restrictions pour des raisons valables. Il s’agit de savoir dans chaque cas si, à la lumière de l’ensemble de la procédure, la restriction a privé l’accusé d’un procès équitable (Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 133, CEDH 2005-IV).

61.  Enfin, il y a lieu de rappeler que, eu égard à la place éminente qu’occupe le droit à une bonne administration de la justice dans une société démocratique, toute mesure restreignant les droits de la défense doit être absolument nécessaire. Dès lors qu’une mesure moins restrictive peut suffire, c’est elle qu’il faut appliquer (Van Mechelen précité, p. 712, § 58).

62.  En l’espèce, le requérant n’affirme pas avoir été privé de la possibilité de suivre les débats ; il se plaint cependant des modalités de sa participation, qui a eu lieu par vidéoconférence. Il allègue que l’emploi de ce moyen technique a créé des difficultés à la défense.

63.  La Cour rappelle que dans l’affaire Marcello Viola c. Italie (no 45106/04, CEDH 2006‑...) elle a constaté que la participation aux débats par vidéoconférence est explicitement prévue par la loi italienne, à savoir par l’article 146 bis des dispositions d’exécution du CPP. Cette disposition indique avec précision les cas d’application de la vidéoconférence, l’autorité compétente pour l’ordonner et les modalités techniques de la liaison audiovisuelle. La Cour constitutionnelle l’a jugée compatible avec la Constitution et la Convention.

De plus, à condition que son utilisation ne se heurte pas au droit national et aux instruments internationaux en la matière, cette méthode est autorisée, pour l’audition de témoins ou d’experts avec participation éventuelle d’une personne poursuivie pénalement, par des textes autres que la Convention (précité, §§ 65 et 66).

64.  Si la participation de l’accusé aux débats par vidéoconférence n’est pas, en soi, contraire à la Convention, il appartient à la Cour de s’assurer que son application dans chaque cas d’espèce poursuit un but légitime et que ses modalités de déroulement sont compatibles avec les exigences du respect des droits de la défense, tels qu’établis par l’article 6 de la Convention.

65.  A cet égard, la Cour observe qu’en l’espèce la vidéoconférence a été appliquée aux termes du paragraphe 1 bis de l’article 146 bis des dispositions d’exécution du CPP, le requérant étant un détenu soumis au régime carcéral différencié. L’intéressé n’a pas démontré que d’autres personnes se trouvant dans une situation analogue à la sienne aient été traitées de manière différente.

66.  Aux yeux de la Cour, il est indéniable que le transfert d’un tel détenu entraîne la prise de mesures de sûreté particulièrement lourdes et un risque de fuite ou d’attentat. Il peut en outre donner l’occasion au détenu de renouer des contacts avec les associations criminelles auxquelles il est soupçonné être affilié.

67.  Par ailleurs, il convient d’observer que le requérant était accusé de graves délits liés aux activités de la mafia. La lutte contre ce fléau peut, dans certains cas, appeler l’adoption de mesures visant à protéger, avant tout, la sécurité et l’ordre publics, ainsi qu’à prévenir la commission d’autres infractions pénales (Pantano c. Italie, no 60851/00, § 69, 6 novembre 2003). Dotée d’une structure hiérarchique rigide et de règles très strictes, d’un fort pouvoir d’intimidation fondé sur la règle du silence et la difficulté d’identifier ses adeptes, la mafia représente une sorte de contre-pouvoir criminel capable d’influencer directement ou indirectement la vie publique et d’infiltrer les institutions (Contrada c. Italie, arrêt du 24 août 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-V, p. 2190, § 67). Il n’est donc pas déraisonnable d’estimer que ses affiliés puissent, même par leur simple présence dans la salle d’audience, exercer des pressions indues sur les autres parties au procès, notamment sur les victimes et les témoins repentis.

68.  A la lumière de ce qui précède, la Cour estime que la participation du requérant aux audiences par vidéoconférence poursuivait des buts légitimes à l’égard de la Convention, à savoir la défense de l’ordre public, la prévention du crime, la protection des droits à la vie, à la liberté et à la sûreté des témoins et des victimes des infractions, ainsi que le respect de l’exigence du « délai raisonnable » de la durée des procédures judiciaires. Il reste à vérifier si ses modalités de déroulement ont respecté les droits de la défense.

69.  La Cour observe que, en application du paragraphe 3 de l’article 146 bis des dispositions d’exécution du CPP, le requérant a pu bénéficier d’une liaison audiovisuelle avec la salle d’audience, ce qui lui a permis de voir les personnes qui y étaient présentes et d’entendre ce qui était dit. Il était également vu et entendu par les autres parties, par le juge et par les témoins, et avait le loisir de faire des déclarations à la cour depuis son lieu de détention.

70.  Certes, il est possible que, à cause de problèmes de nature technique, la liaison entre la salle d’audience et le lieu de détention ne soit pas idéale, ce qui peut entraîner des difficultés de transmission de la voix ou des images. Cependant, en l’espèce, à aucun moment des débats d’appel le requérant n’essaya, lui-même ou par le truchement de ses défenseurs, d’informer le juge de ses difficultés d’audition ou de vision (voir, mutatis mutandis, Stanford précité, p. 11, § 27).

71.  La Cour souligne enfin que le défenseur du requérant avait le droit d’être présent à l’endroit où se trouvait son client et de s’entretenir avec lui de manière confidentielle. Cette possibilité était reconnue également au défenseur présent dans la salle d’audience (voir le paragraphe 4 de l’article 146 bis des dispositions d’exécution du CPP ; paragraphe 19 ci-dessus). Rien ne démontre qu’en l’espèce le droit du requérant de communiquer avec son avocat hors de portée d’écoute d’un tiers ait été méconnu.

72.  Dans ces conditions, la Cour estime que la participation du requérant aux audiences devant la cour d’assises et la cour d’assises d’appel de Turin par vidéoconférence n’a pas placé la défense dans une position de désavantage substantiel par rapport aux autres parties au procès et que l’intéressé a eu la possibilité d’exercer les droits et facultés inhérents à la notion de procès équitable, telle que résultant de l’article 6 de la Convention.

73.  Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

74.  Le requérant se plaint également du fait de n’avoir pas eu la possibilité d’attaquer l’ordonnance du président de la cour d’assises de Turin du 4 janvier 2001, qui établit les conditions de participation au procès par vidéoconférence, cette possibilité n’étant pas prévue par le système judiciaire italien. Il invoque l’article 13 de la Convention, aux termes duquel :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

75.  La Cour rappelle que l’article 13 ne saurait s’interpréter comme exigeant un recours interne pour toute doléance, si injustifiée soit-elle, qu’un individu peut présenter sur le terrain de la Convention : il doit s’agir d’un grief défendable au regard de celle-ci (Boyle et Rice c. Royaume-Uni, arrêt du 24 avril 1988, série A no 131, p. 23, § 52).

76.  Dans la présente affaire, la Cour vient de conclure que les griefs du requérant sous l’angle de l’article 6 sont manifestement mal fondées. Ils ne sont dès lors pas « défendables » aux fins de l’article 13 (voir, par exemple et parmi beaucoup d’autres, Walter c. Italie (déc.), no 18059/06, 11 juillet 2006, et Al-Shari et autres c. Italie (déc.), no 57/03, 5 juillet 2005).

Il s’ensuit que ce grief est également manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

IV.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

77.  Le requérant dénonce une violation de son droit au respect de sa correspondance. Il invoque l’article 8 de la Convention, ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

78.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A.  Sur la recevabilité

79.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

80.  Le Gouvernement rappelle que le contrôle de la correspondance du requérant a été ordonné en application de l’article 18 de la loi sur l’administration pénitentiaire. Or, la Cour a déjà estimé que cette disposition ne constituait pas une base juridique suffisante aux termes de la Convention, car elle n’indiquait ni la durée du contrôle, ni les motifs pouvant le justifier, ni l’étendue et les modalités d’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités compétentes.

81.  Cependant, de l’avis du Gouvernement, dans les circonstances particulières de la présente espèce, la Cour devrait s’écarter de sa jurisprudence. En effet, les décisions du juge d’application des peines concernant l’affaire du requérant contenaient tous les éléments requis par les juges européens et, bien que fondées sur une « loi non parfaite », ne sauraient être estimées contraires à la Convention.

82.  Par ailleurs, le contrôle de la correspondance du requérant était une mesure, dans une société démocratique, nécessaire entre autres à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays et à la prévention des infractions pénales. De plus, l’intéressé a bénéficié de garanties procédurales suffisantes.

83.  Le requérant considère que l’ingérence dans son droit au respect de sa correspondance n’était pas prévue par la loi.

84. La Cour constate que, de toute évidence, il y a eu « ingérence d’une autorité publique » dans l’exercice du droit du requérant au respect de sa correspondance garanti par l’article 8 § 1. Pareille ingérence méconnaît cette disposition sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 et, de plus, est « nécessaire, dans une société démocratique » pour les atteindre (Silver et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 25 mars 1983, série A no 61, p. 32, § 84, Campbell c. Royaume-Uni, arrêt du 25 mars 1992, série A no 233, p. 16, § 34, Calogero Diana c. Italie, arrêt du 15 novembre 1996, Recueil 1996‑V, p. 1775, § 28, Domenichini c. Italie, arrêt du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, p. 1799, § 28, Petra c. Roumanie, arrêt du 28 septembre 1998, Recueil 1998-VII, p. 2853, § 36, et Labita, précité, § 179).

85.  La Cour relève que le contrôle de la correspondance du requérant a été ordonné en vertu de l’article 18 de la loi sur l’administration pénitentiaire. Or, la Cour a déjà constaté à maintes reprises que le contrôle de la correspondance fondé sur cette disposition méconnaît l’article 8 de la Convention car il n’est pas « prévu par la loi » dans la mesure où il ne réglemente ni la durée des mesures de contrôle de la correspondance des détenus, ni les motifs pouvant les justifier, et n’indique pas avec assez de clarté l’étendue et les modalités d’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités compétentes dans le domaine considéré (voir, entre autres, Labita précité, §§ 175-185). Elle ne voit pas de raison de s’écarter en l’espèce d’une jurisprudence qui vise à permettre à chaque détenu de jouir du degré minimal de protection voulu par la prééminence du droit dans une société démocratique (Calogero Diana précité, p. 1776, § 33).

86.  A la lumière de ce qui précède, la Cour constate que jusqu’au 30 décembre 2004, le contrôle de la correspondance du requérant n’était pas « prévu par la loi » au sens de l’article 8 de la Convention. Cette conclusion rend superflu de vérifier en l’espèce le respect des autres exigences de la même disposition. La Cour prend acte, au demeurant, de l’entrée en vigueur de la loi no 95/2004, qui a modifié la loi sur l’administration pénitentiaire et qui a été appliquée dans l’affaire du requérant le 30 décembre 2004. Elle souligne cependant que la loi en question ne permet pas de redresser les violations ayant eu lieu antérieurement à son entrée en vigueur (Argenti précité, § 38).

87.  Il y a donc eu violation de l’article 8 de la Convention.

V.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

88.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

89.  Le requérant réclame 150 000 euros (EUR) au moins au titre du préjudice matériel et moral qu’il aurait subi.

90.  Concernant le dommage moral, le Gouvernement estime que le constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable.

91.  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre les violations constatées et un quelconque dommage matériel. Quant au dommage moral, elle estime que dans les circonstances de l’espèce, les constats de violation de la Convention suffisent à le compenser.

B.  Frais et dépens

92.  Le requérant demande également 9 500 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour.

93.  Le Gouvernement affirme que le requérant n’a nullement étayé ses prétentions et s’en remet à la sagesse de la Cour.

94.  Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’allocation des frais et dépens exposés par le requérant ne peut intervenir que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Belziuk c. Pologne, arrêt du 25 mars 1998, Recueil 1998-II, p. 573, § 49)

95.  La Cour juge excessif le montant sollicité pour les frais et dépens afférents à la procédure devant elle et décide d’octroyer 3 000 EUR de ce chef.

C.  Intérêts moratoires

96.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 6 § 1, en raison des retards du tribunal d’application des peines, et 8 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison des retards dans l’examen des recours du requérant ;

3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

4.  Dit que les constats de violation de la Convention constituent en eux mêmes une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral ;

5.  Dit

a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3 000 EUR (trois mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 novembre 2007 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Dollé F. Tulkens
GreffièrePrésidente

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CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE ASCIUTTO c. ITALIE, 27 novembre 2007, 35795/02